Chimie et transports: Vers des transports décarbonés 9782759811496

À en juger par le succès que rencontrent à chacune de leurs éditions, le salon de l’automobile, le salon de l’aéronautiq

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French Pages 273 [267] Year 2014

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Chimie et transports: Vers des transports décarbonés
 9782759811496

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Chimie et transports

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Cet ouvrage est issu du colloque « Chimie et transports, vers des transports décarbonés », qui s’est déroulé le 3 avril 2013 à la Maison de la Chimie.

« COLLECTION CHIMIE ET ... » Collection dirigée par Bernard Bigot Président de la Fondation internationale de La Maison de la Chimie

Chimie et transports Michel Accary, Dominique Aimon, François-Xavier Bécot, Jean Botti, Jean-Pierre Brunelle, Daniel Bursaux, Daniel Cadet, Sébastien Candel, Fabien Chevillotte, François Darchis, Bruno Dubost, Luc Jaouen, Sophie Jullian, Dominique Larcher, Roseline Legrand, Francis Ménil, Henri Trintignac, Henri Van Damme, Laurent Vaucenat Coordonné par Minh-Thu Dinh-Audouin, Danièle Olivier et Paul Rigny

Conception de la maquette intérieure et de la couverture : Pascal Ferrari et Minh-Thu Dinh-Audouin Images de la couverture : Véhicule électrique : concept-car smart forvision, Daimler ; moteur M88 du Rafale : www.snecma.com ; toit du concept-car : BASF. En 4e de couverture : avion électrique, EADS ; sous-marin nucléaire, DCNS. Iconographie : Minh-Thu Dinh-Audouin Mise en pages et couverture : Patrick Leleux PAO (Caen)

Imprimé en France

ISBN : 978-2-7598-1075-8

Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés, réservés pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective », et d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (alinéa 1er de l’article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du code pénal.

© EDP Sciences 2014

EDP Sciences 17, avenue du Hoggar, P.A. de Courtabœuf, BP 112 91944 Les Ulis Cedex A, France

Ont contribué à la rédaction de cet ouvrage :

Michel Accary DCNS Directeur Technique et Innovation Dominique Aimon Groupe Michelin Directeur de la Communication Scientifique et Technique François-Xavier Bécot Matelys – Research Lab Co-gérant – associé Chercheur acoustique et matériaux poro-élastiques Jean Botti EADS Directeur Général Délégué Technologie et Innovation Jean-Pierre Brunelle Solvay Directeur Innovation Procédés Daniel Bursaux Directeur général des infrastructures des transports et de la mer Ministère de l’Écologie, du développement durable et de l’énergie Daniel Cadet Alstom Directeur des affaires techniques extérieures Sébastien Candel Professeur à l’École Centrale Paris et professeur honoraire à l’Institut Universitaire de France, Laboratoire EM2C, CNRS (UPR288) Académie des Sciences Académie des Technologies

Fabien Chevillotte Matelys – Research Lab Co-gérant – associé François Darchis Air Liquide Directeur de la Société Recherche et Développement, Nouveaux Métiers Innovation et Technologies, Propriété Intellectuelle, Ingénierie et Construction, Branche d’Activité Industriel Marchand (IM). Bruno Dubost Constellium Directeur scientifique Membre de l’Académie des technologies Luc Jaouen Matelys – Research Lab Co-gérant – associé Sophie Jullian Directrice scientifique Institut Français du Pétrole Énergies Nouvelles (IFPEN) Dominique Larcher Professeur à l’Université de Picardie Jules Verne Laboratoire de Réactivité et Chimie des Solides, UMR CNRS 7314 Réseau sur le Stockage Électrochimique de l’Énergie (RS2E), FR CNRS 3459 Armand Lattes Professeur Émérite des Universités Université Paul Sabatier (Toulouse)

Roseline Legrand Directrice générale adjointe du SYTRAL (SYndicat mixte des Transports pour le Rhône et l’Agglomération Lyonnaise) Francis Ménil Directeur de recherche CNRS Laboratoire d’Intégration des Matériaux aux Systèmes (IMS) Université de Bordeaux Henri Trintignac A&H Conseil Président Henri Van Damme Directeur scientifique d’IFSTTAR (Institut Français des Sciences et Technologies des Transports, de l’Aménagement et des Réseaux) Laurent Vaucenat Directeur Monde Grands Comptes Renault-Nissan/PSA au sein de BASF Directeur de l’activité Peinture Constructeur du site de BASF (Clermont de l’Oise), BASF

Équipe éditoriale : Minh-Thu Dinh-Audouin, Danièle Olivier et Paul Rigny

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Sommaire Avant-propos : par Danièle Olivier et Paul Rigny

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Préface : par Bernard Bigot..............................

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Introduction Les infrastructures de transport et l’exploitation du réseau Partie 1 : Le cas des transports urbains de l’agglomération lyonnaise d’après la conférence de Roseline Legrand 15 Partie 2 : Les apports de la chimie dans les projets d’avenir par Henri Van Damme .................................. 23

Partie 1 La chimie au service du futur des véhicules Introduction par Armand Lattes .....................

43

Chapitre 1 : La catalyse au service de l’automobile par Jean-Pierre Brunelle ............................

49

Chapitre 2 : Comment la chimie contribue-t-elle à la performance des véhicules électriques de demain ? d’après la conférence de Laurent Vaucenat

63

Chapitre 3 : La chimie donne des ailes d’après la conférence de Jean Botti .............

73

Chapitre 4 : La chimie et le rail d’après la conférence de Daniel Cadet ........

81

Chapitre 5 : Chimie et construction navale par Michel Accary ........................................

93

Partie 2 Matériaux et transports durables Chapitre 6 : Les alliages d’aluminium pour l’allégement des structures dans l’aéronautique et la carrosserie automobile par Bruno Dubost ......................................... 105

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Chimie et transports

Chapitre 7 : Le pneumatique : innovation et haute technologie pour faire progresser la mobilité par Dominique Aimon................................... 135 Chapitre 8 : La zircone, matériau phare contre la pollution des échappements automobiles par Francis Ménil.......................................... 149 Chapitre 9 : Vers une connexion des corps de métiers, pour des microstructures améliorées pour les transports d’après la conférence de François-Xavier Bécot avec les contributions de Fabien Chevillotte et Luc Jaouen................................................ 161

Partie 3 Énergie et transports durables Chapitre 10 : La combustion et les défis de la propulsion aéronautique et spatiale par Sébastien Candel ................................... 175 Chapitre 11 : Vers des transports décarbonés : carburants, combustion et post-traitement pour les transports routiers par Sophie Jullian ........................................ 195 Chapitre 12 : Le moteur thermique comparé au moteur électrique. Enjeux et contraintes par Henri Trintignac ..................................... 215 Chapitre 13 : Le stockage de l’énergie dans le monde des transports par Dominique Larcher et François Darchis ........................................... 229 Conclusion : Qualité de vie et mobilité par Daniel Bursaux....................................... 257

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Depuis 2007, la Fondation de la Maison de la Chimie organise des colloques destinés à un large public de chimistes – étudiants, enseignants, ingénieurs, décideurs, chercheurs non spécialistes, journalistes – pour faire prendre conscience que cette discipline (prise comme science ou comme technique) est présente au cœur de toutes les activités techniques qui nous entourent, même si, bien souvent, elle n’est pas d’abord identifiée comme le partenaire indispensable qu’elle est. Ces colloques sont repris sous forme de livres, qui présentent les conférences mises en forme pour utilisation par les lecteurs, et constituent une collection « Chimie et… », publiée par les éditions EDP Sciences. C’est ainsi que sont parus : La chimie et la mer, ensemble au service de l’homme, La chimie et la santé au service de l’homme, La chimie et l’art, le génie au service de l’homme, La chimie et le sport, La chimie et l’alimentation, pour le bien être de l’homme, La chimie et l’habitat, La chimie et la nature, Chimie et enjeux énergétiques, et qu’aujourd’hui, nous présentons Chimie et transports. Si riche qu’elle

soit déjà, cette liste n’épuise pas l’ensemble des activités humaines qui bénéficient de la chimie, et d’autres colloques sont en préparation, qui donneront naissance à d’autre ouvrages dans les mois et les années qui viennent. Si les transports ont toujours été un élément déterminant du développement de la civilisation humaine, ce domaine connait aujourd’hui une dimension historiquement complètement nouvelle à l’heure du transport aérien et de la généralisation du transport automobile. Par ailleurs, les outils qui permettent cette activité semblent menacés par l’appauvrissement que l’on connait sur la disponibilité en matières premières (pas seulement celles qui fournissent les carburants mais aussi celles qui sont à la base des matériaux constitutifs des équipements). Autant dire que nous avons, avec les transports, affaire à un défi vital pour la civilisation à laquelle nous sommes attachés. Chimie et transports montre comment ce défi sollicite la chimie par nombre de ses branches (chimie de la combustion, chimie des matériaux polymères, chimie des métaux, modélisation,

Danièle Olivier et Paul Rigny Fondation de la Maison de la Chimie

Avantpropos

Chimie et transports

etc.). Malgré les points de vue optimistes que l’on peut entendre (« la voiture électrique, c’est déjà au point… », « les biocarburants, c’est un domaine maîtrisé », etc.), il ne faut pas cacher que ces défis ne sont pas encore gagnés : de nouveaux efforts, de nouvelles recherches doivent être poursuivis – et tout particulièrement dans le domaine de la chimie – pour que des ruptures sociétales extrêmes soient évitées. La publication de ces ouvrages est liée à une autre opération de diffusion de la Chimie menée par la Fondation de la Maison de la Chimie : la création, le lancement et la mise à jour d’un site Internet, dénommé Médiachimie (www. mediachimie.org), qui donne à tous ceux qui s’intéressent à cette discipline – et prioritairement au monde de l’éduca-

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tion – la possibilité de trouver les réponses aux questions qu’ils se posent sur la chimie. À (idéalement) toutes les thématiques abordées, Médiachimie fait correspondre des « ressources » qui permettent au lecteur d’aller plus loin dans sa compréhension. Les ouvrages « Chimie et… » constituent des ressources – déjà mises en forme pour un large public – qui sont particulièrement adaptées dans ce contexte et sont reprises par le site Mediachimie.

Danièle Olivier, Vice-présidente de la Fondation de la Maison de la Chimie Paul Rigny, Conseiller scientifique après du président de la Maison de la Chimie

La mobilité est un sujet de grande actualité non seulement à l’échelle nationale mais plus encore à l’échelle mondiale. Pour s’en convaincre, il suffit d’avoir en tête que : en moyenne chaque français parcourt chaque jour de l’année, hors déplacements pédestres et donc en utilisant un moyen de transport individuel ou collectif, plus de 25 kilomètres, en y consacrant environ une heure de son temps ; ou que l’ensemble de la planète compte actuellement 1,1 milliard de voitures par ticulières, nombre qui s’accroît au rythme de 35 millions par an, soit 100 000 nouvelles voitures en plus chaque jour ; ou bien encore qu’il y a 20 000 avions de ligne qui circulent quotidiennement dans le monde, qu’ensemble ils effectuent environ 30 millions de vols par an et parcourent quelque 90 milliards de kilomètres. Songeons aussi que le nombre de véhicules particuliers utilitaires est passé en France de 23 millions en 1982 à 38 millions en 2012, et en 2012, en France encore, nous avons consommé 50 milliards de litres d’essence ou de diesel pour nous transporter, soit en moyenne pour chacun d’entre nous, par jour et par personne, des plus jeunes aux plus an-

ciens, 2 litres de ces combustibles. Et pour conclure ces données statistiques, sachons qu’en France, l’automobile individuelle représente 65 % des kilomètres parcourus chaque année, la marche à pied seulement 22 %, les transports en commun 8 % et les deux roues 5 %. Si nous y réfléchissons un instant nous serons vite convaincus que la chimie est toujours à la source, au cœur ou en aval de ces déplacements. En effet elle contribue à produire les matériaux indispensables à la fabrication des voitures, deux roues, métro, tramways, avions, trains ou bateaux, elle permet de réduire leurs émissions et leurs nuisances, elle assure la transformation de grandes quantités de matières premières en énergie pour leur motorisation. Elle permet de recycler les équipements utilisés en fin de vie, elle contribue à la construction des infrastructures et à leur maintenance. Les défis sont donc considérables pour améliorer l’efficacité et le confort des transports mais aussi pour réduire leur coût et leurs inévitables effets non désirés. Cet ouvrage issu du colloque organisé par la Fondation de la Maison de la Chimie le

Bernard Bigot Président de la Fondation Internationale de la Maison de la Chimie

Préface

Chimie et transports 12

3 avril 2013 est fait pour que chacun ait accès aux informations nécessaires à un débat éclairé et serein. En coordonnant sa publication, la Fondation de la Maison de la Chimie est pleinement dans ses missions. En effet, depuis sa création en 1934, il y a donc 78 ans, l’une de ses missions principales est de travailler à l’expansion et au développement de la science chimique et à sa promotion, ainsi que de toutes ses applications, en facilitant les rencontres entre les savants, les ingénieurs, les entrepreneurs et l’ensemble de nos concitoyens, pour permettre une meilleure compréhension mutuelle des enjeux dont chacun est porteur. Dans ce cadre, nous avons particulièrement intensifié nos efforts pour aider à faire prendre conscience à un large public, non spécialiste, de l’apport de la chimie dans la vie quotidienne, préparer l ’avenir en encourageant les jeunes à s’orienter vers l’industrie et la recherche, et contribuer ainsi au développement d’une industrie chimique innovante et compétitive. La série des ouvrages de la collection « Chimie et… », dont celui-ci est le neuvième, répond à ces objectifs. Les thèmes transdisciplinaires choisis ont toujours une grande importance sociale, scientifique, technique, économique ou culturelle, et correspondent à la volonté de mettre la science au service des hommes et à l’amélioration de leur qualité de vie. Le domaine des transports connait depuis plusieurs décennies un développement ininterrompu. La croissance

démographique, le développement de la mondialisation des échanges, l’augmentation du nombre et de la taille des villes avec la séparation de plus en plus fréquente entre le lieu de vie et le lieu de travail, l’augmentation de niveau de vie de nombreuses personnes, induisent un accroissement important de la demande de transport. Dans le précédent ouvrage de la collection, Chimie et enjeux énergétiques, publié en septembre 2013, il est montré que les transports représentent un tiers de la consommation d’énergie finale mondiale et que les émissions de dioxyde de carbone, ou plus généralement des gaz à effet de serre, qui en résultent, ne cessent d’augmenter depuis plus de vingt ans. Sans évolution dans ce domaine, les conséquences environnementales atteindront des limites difficilement supportables, en termes de réchauffement climatique et de dégradation de la qualité de l’air, mais aussi en conséquences sociales et économiques : énergie, aménagements urbains et autoroutiers, temps perdu dans les embouteillages, etc. La chimie est, nous le savons, étroitement associée à la recherche de solutions innovantes qui associent l’ensemble des acteurs de la filière transports. Des responsables et des experts de la recherche et de l’innovation dans tous les domaines des transports ont accepté de contribuer à la réalisation de cet ouvrage pour nous expliquer, en termes compréhensibles par tous mais néanmoins avec la plus grande rigueur scientifique,

Préface les derniers résultats de leurs travaux et de leurs projets, réalistes, d’évolution et d’innovation dans ce domaine éminemment transdisciplinaire. Il y va de notre qualité de vie mais aussi de notre développement économique et de l’emploi manufacturier dans notre pays. Les défis industriels à relever sont nombreux. Il n’existe jamais d’approche ou de réponse unique à un défi de ce type. Les meilleures solutions résultent de la synergie des talents et des efforts. Ce 9e ouvrage de la collection « Chimie et… » en est particulièrement l’illustration, puisque deux chapitres sont largement centrés sur les politiques publiques, avec les dimensions liées à l’urbanisme, la sociologie et en relation avec la qualité de la vie. Organisé en trois parties, la première partie porte sur le thème de la chimie au service du futur des véhicules, où tous les domaines sont abordés : automobile, transport ferroviaire, transport maritime, transport aérien. En effet dans tous ces domaines, avec bien sûr des spécificités, la chimie intervient, au niveau de la production, de la distribution et du stockage de l’énergie, avec notamment le domaine des hydrocarbures, où il faut prendre en compte les exigences en termes d’économie de la ressource, de maîtrise de croissance de la demande et de réduction de l’impact environnemental et climatique ; avec des recherches concernant la modélisation des phénomènes de combustion pour tenter de réduire encore la consommation kilométrique ; avec les batteries aussi, et

les piles à combustible pour améliorer leur indispensable compétitivité. La seconde partie montre que l’amélioration des performances, la durabilité de la sécurité et du confort des véhicules passent par l’amélioration des propriétés des matériaux existants ou le développement de nouveaux matériaux tels que de nouveaux alliages métalliques, des matériaux composites pour l’allégement des structures, l’usage des fibres de carbone ou polymères, des résines, des mousses, des colles, des huiles et lubrifiants, une multiplicité de produits de haute technologie, dont les caractéristiques peuvent être adaptées sur mesure, et enfin, de la physico-chimie, de l’électrochimie ou de la biochimie, qui interviennent dans des domaines de recherche aussi divers que la qualité de l’atmosphère dans le véhicule, la protection contre la corrosion ou les nombreux capteurs électroniques, désormais embarqués. La troisième partie permet d’approfondir, grâce à des exemples d’applications, certains points relevant des domaines de l’énergie : la combustion, les carburants, le stockage. Je vous en souhaite une agréable lecture

Bernard Bigot Président de la Fondation Internationale de la Maison de la Chimie Administrateur Général du CEA

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de

transport exploitation

et l’ du

réseau

Roseline Legrand est directrice générale adjointe du SYTRAL1 (SYndicat mixte des Transports pour le Rhône et l’Agglomération Lyonnaise). Henri Van Damme est directeur scientifique de l’Institut Français des Sciences et Technologies des Transports, de l’Aménagement et des Réseaux (IFSTTAR) 2.

Le cas des transports urbains de l’agglomération lyonnaise

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D’après la conférence de Roseline Legrand

1.1. Présentation d’une autorité organisatrice des transports : le SYTRAL Une autorité organisatrice des transports est une collectivité publique en charge de l’organisation des transports publics urbains. Pour le

SYTRAL, le périmètre d’action couvre 68 communes, environ 600 km² de surface (20 km sur 30), et représente une population de 1,3 millions d’habitants (Figure 1). Le réseau de transports en commun lyonnais est le deuxième réseau de France en termes d’offre et d’usage, avec cinq modes de transpor t : métro, funiculaire, tramway, trolleybus et bus. Il assure 1,4 millions de voyages par jour. Les caractéristiques du réseau lyonnais

1. www.sytral.fr 2. L’IFSTTAR est un organisme public civil de recherche français (EPST) créé par décret interministériel du 30 décembre 2010. Il est placé sous la tutelle du ministère de l’Écologie, du développement durable et de l’énergie et du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche. www.ifsttar.fr.

Partie 1 : d’après la conférence de Roseline Legrand Partie 2 : Henri Van Damme

Les infrastructures

Chimie et transports

Figure 1 Périmètre d’action du SYTRAL : – 58 communes et 4 villes périphériques ; – adhésion de six nouvelles communes en 2013 (Brindas, Chaponost, Greyzieu-la-Varenne, Messimy, Ste Consorce and Thurins) ; – 613 km² ; – 1,3 million d’habitants.

sont d’abord la continuité entre les modes de transports (le maillage), à la fois entre les différents modes

Figure 2

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Schéma du réseau de transports lyonnais.

de transpor t en commun, mais aussi avec les infrastructures routières, par le biais de parkings relais, que

l’on voit en bleu sur le plan simplifié du réseau (Figure 2), et qui contient 7 000 places de parking ainsi que la prégnance des déplacements électriques (70 % des déplacements se font sur le mode électrique) grâce au métro, au tramway et au trolleybus. La gouvernance du SYTRAL est composée d’élus, à la fois de la communauté urbaine de Lyon et du Conseil général du Rhône (Figure 3).

Les infrastructures de transport et l’exploitation du réseau

Figure 3 10 conseillers généraux du Rhône

16 conseillers de la Communauté urbaine de Lyon

2 représentants des communes intégrées en 2013

Structure du SYTRAL.

Comité syndical du SYTRAL 28 élus

Bureau exécutif 9 élus

Président : Bernard RIVALTA Vice-Président : Georges BARRIOL

Administration du SYTRAL 100 agents

Le rôle d’une autorité organisatrice de transports, c’est d’abord de financer le réseau de transport et son développement, d’assurer la propriété de toutes les infrastructures, de l’équipement et du matériel roulant qui composent ce réseau ; c’est de déterminer l’offre de transport adaptée à la fois aux évolutions démographiques, économiques et urbanistiques de l’agglomération ; c’est également de déterminer la politique tarifaire et de définir les normes et les qualités de service. En revanche, le SYTRAL n’est pas un exploitant. L’exploitation est déléguée à des entreprises et il s’agit à Lyon de l’entreprise Kéolys, comme il s’agit en Ile-de-France, par exemple, de la RATP notamment. Le budget du SY TRAL est d’environ 760 millions d’euros (Figure 4). La première source du SY TRAL est ce

qu’on appelle le « versement transports », une taxe payée par les entreprises et basée sur leurv masse salariale. La deuxième ressource du réseau, qui représente environ 28 % des ressources, ce sont les produits de la vente de tickets, de la vente d’abonnements et des amendes. Enfin, la troisième ressource est la participation des collectivités locales à hauteur de 20 %

Recettes diverses 17,8 M€ (2,3 %) Clients des réseaux 213,8 M€ (28,1 %)

Figure 4 Répartition des recettes du SYTRAL – 761,5 M€ (budget 2013).

État 15,8 M€ (2,1 %)

Participation collectivités locales 148,9 M€ (19, 6 %)

Emprunt 100,1 M€ (13,1 %)

Versement transport 265,1 M€ (34,8 %)

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Chimie et transports

Dépenses d’équipement 194,4 M€ (25,5 %)

Dette 146,9 M€ (19,3 %) Fonctionnement du SYTRAL et divers 21,3 M€ (2,8 %)

Dépenses d’exploitation 398,9 M€ (52,4 %)

Figure 5 Répartition des dépenses du SYTRAL – 761,5 M€ (budget 2013).

environ ; cette ressource provient de l’impôt local, participation à la fois du Grand Lyon, de la communauté urbaine et du conseil général du Rhône. Pour ce qui concerne les dépenses SYTRAL (Figure 5), plus de la moitié en sont liées à l’exploitation du réseau – c’est ce que le SYTRAL verse à son exploitant – et un quart sont des dépenses d’investissement, d’exploitation du réseau et de renouvellement du patrimoine du matériel roulant. 1.2. Économiser l’énergie, décarboner et dépolluer les transports urbains : les enjeux du SYTRAL

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Conformément aux engagements politiques pris à tous niveaux, les objectifs prioritaires adoptés sont la « décarbonation » et la dépollution. La décarbonation signifie la limitation des émissions de gaz à effet de serre, et donc la lutte contre le réchauffement climatique. La dépollution, c’est la limitation des émissions polluantes locales auxquelles sont exposés les

habitants. Ce sont des préoccupations qui sont distinctes et d’ailleurs parfois antagonistes : ainsi, une ville compacte permet de réduire les distances parcourues et est donc favorable à la limitation des gaz à effet de serre ; elle n’est pas forcément propice pour réduire l’exposition d’une grande partie de la population aux polluants locaux, aux particules fines notamment. Face au changement climatique donc, le Grand Lyon s’est fi xé pour objectif de devenir une agglomération sobre en carbone, en s’engageant à réduire d’ici 2020 ses émissions de CO2 de 20 %, de réduire également de 20 % sa consommation énergétique et d’accroître sa part d’énergies renouvelables, en consommant 20 % d’énergies renouvelables. Une agglomération sobre en carbone, cela veut dire des transports sobres en carbone. Cela implique d’abord de limiter l’utilisation de la voiture en ville, par exemple en réduisant les possibilités de stationnement et en diminuant les infrastructures routières au profit d’autres modes comme la marche, le vélo ou les transports en commun. Il faut aussi favoriser le report modal (optimiser le choix du moyen de transport), notamment par la création d’une centrale de mobilité, qui permet de calculer des itinéraires tous modes – voiture, transports en commun, vélo, marche à pied – en fonction des conditions réelles de circulation. Il faut également développer le covoiturage et l’utilisation de voitures en libre-service.

Pour ce qui concerne la pollution, la politique du SYTRAL intègre le fait que la qualité de l’air devient un enjeu de santé publique. En 2009, plus de la moitié des lyonnais était exposées à des valeurs supérieures aux limites recommandées pour le dioxyde d’azote et plus du quart pour les particules fines. Or, le transport est la première source d’émissions de dioxyde d’azote (plus de 30 % des émissions) et de monoxyde de carbone ; il est responsable des trois quarts des émissions de particules fines. Le réseau de transports en commun lyonnais (TCL), compte tenu du fait que le mode électrique est prédominant, est relativement peu polluant : avec environ 17 % de part de marché (de part modale), il ne représente que 2 à 3 % des émissions polluantes. Il reste néanmoins des marges de progrès. 1.3. Les leviers d’action Les moyens dont dispose une autorité organisatrice de transports pour parvenir à consommer moins d’énergie, dépolluer et décarboner ces transports concernent des échelles très dif fé-

rentes. Certains portent sur le long terme, d’autres sur le court terme ; certains sont à l’échelle du territoire de l’agglomération, tandis que d’autres concernent simplement le patrimoine du SYTRAL et le comportement de son exploitant. Certains des moyens à mettre en œuvre sont très coûteux, tandis que d’autres sont au contraire générateurs d’économies ; certains ressortissent à des innovations technologiques, d’autres à des solutions organisationnelles. Mais c’est bien l’ensemble de ces moyens que doit mettre en œuvre la collectivité publique pour parvenir à atteindre ses objectifs de dépollution. On verra ensuite les contraintes que l’on rencontre pour atteindre ces objectifs. À l’échelle de l’agglomération, le premier moyen c’est d’agir sur la planification urbaine. Ainsi, le schéma de cohérence territoriale de l’agglomération prévoit que 70 % des 150 000 nouveaux logements qui seront construits d’ici 2030 devront l’être dans des zones déjà urbanisées. Il impose également que toutes les nouvelles zones ouvertes à l’urbanisation soient préalablement desservies par les transports en commun, qu’il s’agisse du train, des lignes régionales ou des transports en commun urbains. Les moyens dont dispose une autorité organisatrice de transports, c’est de privilégier les modes de déplacement non polluants, donc la marche et l’utilisation du vélo notamment, de favoriser l’usage des transports en commun, de réduire l’impact de ces transports sur l’environnement, et

Les infrastructures de transport et l’exploitation du réseau

Enfin, et ceci concerne plus directement le SYTRAL, on a adopté l’objectif d’augmenter de 25 % le nombre de voyages en transports en commun d’ici 2020, ce qui est le double de l’augmentation tendancielle. Si l’on y arrive à augmenter ces voyages de 25 %, cela permettra de réduire les émissions de CO2 de 75 000 tonnes par an, c’est-à-dire réduire de 1 % les émissions de CO2 de l’agglomération.

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Chimie et transports

puis à une échelle beaucoup plus locale, d’impulser une politique d’économie d’énergie auprès de son exploitant.

Figure 6 Représentation des avancées du réseau lyonnais ; développement de l’offre de transports. Dépenses investissements 2008-2014 : 342 M€, dépenses investissements récurrents : 292,3 M€.

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Favoriser l’usage des transports en commun, cela veut dire développer et optimiser l’offre de transport, améliorer l’attractivité du réseau, développer le maillage, améliorer l’information de la clientèle. À ce titre par exemple, le SYTRAL a développé un navigateur pour Smartphones, un système d’alertes SMS, pour que les clients connaissent les perturbations du réseau, un système d’information par téléphone, la vente de titres sur Internet. Tout ceci contribue à développer l’attractivité du réseau. Favoriser l’usage des transports en commun, c’est également augmenter la capacité de ce réseau, augmenter la capacité du matériel roulant, donc acheter des bus articulés, des tramways qui font

désormais 40 m au lieu de 30, allonger les métros en heure de pointe en accouplant deux trains par exemple ; c’est également aménager l’intérieur des métros. C’est encore, grâce à des systèmes de pilotage automatique, automatiser deux nouvelles lignes du réseau lyonnais pour augmenter la fréquence des métros. Les projets du SYTRAL sur la période 2008-2014 sont de différentes natures. Ils sont constitués de l’extension de nouvelles lignes de métro ou de lignes de trolleybus (lignes C1 et C2 sur la Figure 6) ou de tramway, du prolongement du tramway T1 à Debourg, de la création d’une nouvelle ligne T5 qui desservira le centre d’exposition et de congrès d’EUREXPO, ainsi que des prolongements de lignes de métro dont le prolongement de la ligne B pour desservir tout le sud-ouest de l’agglomération (Figure 6).

Les infrastructures de transport et l’exploitation du réseau

La connection de l’agglomération avec ce qu’on appelle à Lyon la Confluence fournit un exemple de lien entre l’urbanisme et les transports (Figure 7). La Confluence était jusqu’à présent desservie par le métro et le tramway mais uniquement par le nord ; le prolongement de la ligne de tramway T1 au sud permet de la desservir par le sud et également de la relier au métro. Quant au prolongement de la ligne B de métro (Figure 8), il permettra de supprimer 15 500 voitures chaque jour sur les routes de l’agglomération, et donc d’économiser en une année 4 000 tonnes de CO2. Améliorer l’offre de transpor ts implique encore de nombreuses autres actions comme celle de donner la priorité aux bus sur les voitures, ce qui permet de leur faire gagner du temps de parcours, et incidemment aussi de réduire leur consommation énergétique en diminuant le nombre de démarrage, ou encore celle de réaménager l’intérieur des rames de métro. On voit sur ce point le résultat d’un changement d’aménagement intérieur des rames de métro qui a permis de gagner 12 % de capacité (Figure 9). S’il y a lieu, pour réduire l’impact environnemental des

Puits de sortie du tunnelier. Accès secours. Ventilation Arrière-gare

transports, d’inciter les usagers de la voiture à faire le choix des transports en commun par les moyens incitatifs cités ci-dessus, il faut aussi en parallèle améliorer les performances des transports en commun eux mêmes. Ainsi, on doit chercher à développer l’utilisation de matériels et d’infrastructures plus économes en énergie. Concernant le métro par exemple, nous cherchons à optimiser son exploitation en aménageant les horaires pour avoir en même temps à peu près autant de métros qui démarrent que de métros qui freinent, ce qui nous permet de récupérer l’énergie de freinage pour la fournir aux métros qui sont en phase de démarrage. Le SYTRAL a également aménagé

Station Oullins-Gare

Rue Orsel OULLINS

Granit altéré

Figure 7 Photographie de la Confluence à Lyon, espace à rendre plus accessible en transports.

Figure 8 Prolongement de la ligne B : développement de l’offre et diminution du nombre de voitures. Distance : prolongement de 1,8 km de ligne dont 300 mètres en sousfluvial ; Coût prévisionnel : 222 M€ ; Temps de parcours : moins de 15 min entre la gare d’Oullins/PartDieu (soit 5 km) ; Fréquentation : 135 000 voyageurs/ jour actuellement sur la ligne. Grace au prolongement du métro B, 15 500 voitures circuleront en moins chaque jour sur les routes de l’agglomération (soit 4 000 tonnes de CO2 en moins chaque année).

Puits d’entrée du tunnelier. Accès secours. Station Puits accès secours. Arrière-gare Ventilation Stade Ventilation existante de Gerland Parc de Gerland Avenue Palais des Sports LYON 7 Jean Jaurès Le Rhône e

Rails

Alluvions du Rhône, graviers

du métro

Existant

15 m Granit sain

Molasse

10

100 m 50

Creusement par tunnelier

20 m

0

Tranchée couverte

21

Chimie et transports

métro à l’usine d’incinération d’ordures ménagères, ce qui permettra de bénéficier de l’électricité produite par cette usine. Enfin, nous testons des bus hybrides. Nous en avons testés l’année dernière pendant un mois et avons constaté qu’en fonction des différentes lignes, les lignes rapides, les lignes chargées, les lignes en pente, ces bus hybrides permettent d’économiser environ 20 % de l’énergie. Nous allons maintenant les tester, pendant plus d’une année, pour voir quelles sont les contraintes de fonctionnement et de maintenance de ces véhicules.

A

B

Figure 9 Augmentation de la capacité de 12 % des rames de métro grâce à leur réaménagement intérieur : A) avant ; B) après.

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le programme de pilotage automatique pour que le métro consomme le moins possible d’énergie, et enfin, il essaye de faire optimiser les batteries pour permettre, même si ce n’est pas directement lié à l’économie d’énergie, à des métros dont l’alimentation serait coupée, de pouvoir arriver à la prochaine station pour faire sortir les voyageurs. Pour le tramway, réduire l’impact environnemental, cela veut dire récupérer l’énergie de freinage à l’aide de super-capacités pour pouvoir la rendre au démarrage. D’autres projets destinés à réduire la consommation énergétique concernent l’interconnexion des réseaux d’énergie métro et tramway, tramway et trolleybus. Un autre projet est de relier le

Dernier moyen à citer ici par lequel le SYTRAL agit sur la réduction de la consommation énergétique : imposer à son exploitant délégataire une utilisation toujours plus économe de l’énergie. Plus précisément, il lui est demandé de réduire sa consommation de gasoil de quatre millions de litres sur les six années du contrat de délégation de service public par un suivi et une analyse, et par une assistance et une formation des conducteurs à la conduite rationnelle. Également, il doit réduire de 28 millions de kWh la consommation d’électricité et de gaz de ses sites en améliorant l’éclairage et la performance énergétique des bâtiments, ainsi que réduire d’autre part sa consommation d’eau – essentiellement destinée à l’arrosage des espaces verts et au lavage des véhicules. La principale contrainte d’une autorité organisatrice est la nécessité de coordonner les différents acteurs et parties prenantes à la question des transports. Le SYTRAL ne

1.4. Conclusion Il faut rappeler fortement que les collectivités ont une volonté très forte de décarboner et dépolluer les transports, et mènent pour cela une politique d’ensemble. Le rôle des scientifiques et des industriels pour proposer des innovations qui contribueront à atteindre ces objectifs est évidemment primordial, et le SYTRAL est prêt pour cela à mettre à disposition son réseau pour faire des expérimentations grandeur nature. En retour, il est indispensable que soit prise en compte la manière dont on peut utiliser ces technologies ainsi que les contraintes liées aux missions de service public afin qu’elles puissent réellement être mises en œuvre.

Les apports de la chimie dans les projets d’avenir

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Par Henri Van Damme La France s’est dotée, au 1er janvier 2011, d’un organisme de recherche, l’IFST TAR , consacré aux sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux. Le premier paragraphe de son décret de création est sans ambiguïté sur les ambitions de sa mission puisque l’Institut est chargé de « réaliser, piloter, de faire effectuer et d’évaluer des recherches, des développements et des innovations dans les domaines du génie urbain, du génie civil et des matériaux de construction, des risques naturels, de la mobilité des personnes et des biens, des systèmes et des moyens de transport et de leur sécurité, des infrastructures, de leurs usages et de leurs impacts, considérés des points de vue de leurs performances techniques, économiques, sociales, énergétiques, sanitaires et environnementales ». Au-delà du domaine d’intervention, c’est le caractère multidisciplinaire du projet qui frappe, puisqu’il s’agit d’allier les approches de l’ingénieur, du physicien et du chimiste à celles de l’épidémiologiste, du psychologue, du sociologue, de l’économiste, de l’ergonome… L’importance de l’effort ainsi affecté à la question des transports montre que la puissance publique a compris que cette question conditionne et, certainement conditionnera de plus en plus, la vie de nos sociétés. Les grands objectifs sont de permettre le développement

Les infrastructures de transport et l’exploitation du réseau

parviendra pas seul à décarboner et dépolluer les transports urbains. Il doit agir en synergie avec les autres collectivités qui sont en charge de la politique de stationnement et des infrastructures routières. Il doit également intervenir auprès de son exploitant, et enfin utiliser les innovations scientifiques que développent les chercheurs et les industriels. Ces innovations doivent être compatibles avec les contraintes liées à l’exploitation, à la sécurité des voyageurs. Elles doivent également être suffisamment fiables et faciles à maintenir pour pouvoir être déployées sur un réseau de transport. Enfin, puisque le transport de voyageurs est une activité déficitaire par nature, nous sommes très attentifs au coût des innovations, à la fois coûts d’investissement et coûts de fonctionnement.

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1.4. Conclusion Il faut rappeler fortement que les collectivités ont une volonté très forte de décarboner et dépolluer les transports, et mènent pour cela une politique d’ensemble. Le rôle des scientifiques et des industriels pour proposer des innovations qui contribueront à atteindre ces objectifs est évidemment primordial, et le SYTRAL est prêt pour cela à mettre à disposition son réseau pour faire des expérimentations grandeur nature. En retour, il est indispensable que soit prise en compte la manière dont on peut utiliser ces technologies ainsi que les contraintes liées aux missions de service public afin qu’elles puissent réellement être mises en œuvre.

Les apports de la chimie dans les projets d’avenir

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Par Henri Van Damme La France s’est dotée, au 1er janvier 2011, d’un organisme de recherche, l’IFST TAR , consacré aux sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux. Le premier paragraphe de son décret de création est sans ambiguïté sur les ambitions de sa mission puisque l’Institut est chargé de « réaliser, piloter, de faire effectuer et d’évaluer des recherches, des développements et des innovations dans les domaines du génie urbain, du génie civil et des matériaux de construction, des risques naturels, de la mobilité des personnes et des biens, des systèmes et des moyens de transport et de leur sécurité, des infrastructures, de leurs usages et de leurs impacts, considérés des points de vue de leurs performances techniques, économiques, sociales, énergétiques, sanitaires et environnementales ». Au-delà du domaine d’intervention, c’est le caractère multidisciplinaire du projet qui frappe, puisqu’il s’agit d’allier les approches de l’ingénieur, du physicien et du chimiste à celles de l’épidémiologiste, du psychologue, du sociologue, de l’économiste, de l’ergonome… L’importance de l’effort ainsi affecté à la question des transports montre que la puissance publique a compris que cette question conditionne et, certainement conditionnera de plus en plus, la vie de nos sociétés. Les grands objectifs sont de permettre le développement

Les infrastructures de transport et l’exploitation du réseau

parviendra pas seul à décarboner et dépolluer les transports urbains. Il doit agir en synergie avec les autres collectivités qui sont en charge de la politique de stationnement et des infrastructures routières. Il doit également intervenir auprès de son exploitant, et enfin utiliser les innovations scientifiques que développent les chercheurs et les industriels. Ces innovations doivent être compatibles avec les contraintes liées à l’exploitation, à la sécurité des voyageurs. Elles doivent également être suffisamment fiables et faciles à maintenir pour pouvoir être déployées sur un réseau de transport. Enfin, puisque le transport de voyageurs est une activité déficitaire par nature, nous sommes très attentifs au coût des innovations, à la fois coûts d’investissement et coûts de fonctionnement.

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Chimie et transports

des transports en respectant les principes du développement durable, c’est-à-dire en maîtrisant leur sécurité (nombre des victimes), leur consommation en énergie – puisque celle-ci devient toujours plus précieuse – et leurs émissions chimiques, en particulier en gaz carbonique, facteur majeur du réchauffement climatique. D’autres chapitres de ce livre s’intéressent directement aux véhicules et aux perspectives sur la nature de l’énergie qui les mettra en mouvement. Le présent chapitre porte sur la question des infrastructures qui permettent l’usage des véhicules – un aspect souvent méconnu mais cependant d’une importance capitale. Elles sont longues et coûteuses à construire et engagent profondément les modes de vie des habitants des décennies futures. 2.1. Une mobilité en forte évolution

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Avant d’aborder spécifiquement la question des infrastructures de transport, il est utile de jeter un regard général sur l’évolution de la mobilité. La notion de mobilité recouvre deux réalités assez différentes l’une de l’autre. La première est celle des départs en vacances, des week-ends ou, plus généralement, des activités de loisirs et de découverte. C’est la mobilité dite « choisie », désormais considérée comme un droit. La seconde est celle des déplacements liés, directement ou indirectement, aux activités professionnelles. C’est la mobilité dite « contrainte », un terme qui décrit bien la

manière dont elle est vécue. Les modes de transport utilisés pour ces deux types de mobilité peuvent être très différents selon les situations mais, globalement, en termes de kilomètres parcourus par individu, c’est l’automobile qui domine encore largement les déplacements dans notre pays. C’est aussi l’automobile qui a l’impact énergétique, environnemental et sanitaire le plus fort. Maîtriser cette mobilité automobile est donc un objectif prioritaire avec comme priorité parmi les priorités, la sécurité. La Figure 10 illustre les progrès réalisés dans le domaine. Malgré les fluctuations, la tendance est clairement à une diminution quasi linéaire du nombre d’accidents mortels. Cela suggère que la diminution observée ne résulte pas d’un moyen technique particulier (conception de l’habitacle, ceintures de sécurité, airbags, ABS, radars, etc.) mais de la combinaison de tous et, probablement plus que tout autre facteur, du changement de comportement des conducteurs. Les contraintes auxquelles nous devons faire face nous conduisent aussi à réfléchir à l’évolution de nos façons d’envisager les transports de personnes. Ainsi, il est clair que nous pratiquons de plus en plus l’autopartage3, utilisons 3. Autopartage : plutôt que de disposer d’une voiture personnelle qui reste l’essentiel de son temps au garage ou sur une place de stationnement, l’utilisateur d’un service d’autopartage dispose d’une voiture qu’il ne finance que pour la durée de son besoin. Le reste du temps, la voiture est utilisée par d’autres membres (voir Autolib’ à Paris).

Juillet 1978 : loi sur la prévention de l’alcoolémie

14 000

12 000

10 000

8 000

Octobre 1990 : contrôles alcoolémie à l’initiative des forces de l’ordre Décembre 1990 : 50 km/h en ville ceintures obligatoires à l’arrière

Novembre 1974 : limitations Octobre 1979 : généralisées : ceintures avant Décembre 1983 : 90 km/h routes obligatoires alcool : 0,8 g/l sang 110 km/h voies en agglo express 130 km/h autoroutes Septembre 1995 : alcool : 0,5 g/l sang

6 000

4 000

14 juillet 2002 : intervention du Président de la République

Novembre 2003 : installation des radars automatiques

2 000

Les infrastructures de transport et l’exploitation du réseau

16 000

Changement de définition : depuis le mois de janvier 2005, la comptabilisation du nombre des personnes tuées se fait à trente jours au lieu de six jours et prend également en compte les DOM

déc.-70 déc.-71 déc.-72 déc.-73 déc.-74 déc.-75 déc.-76 déc.-77 déc.-78 déc.-79 déc.-80 déc.-81 déc.-82 déc.-83 déc.-84 déc.-85 déc.-85 déc.-86 déc.-87 déc.-88 déc.-89 déc.-90 déc.-91 déc.-92 déc.-93 déc.-94 déc.-95 déc.-96 déc.-97 déc.-98 déc.-99 déc.-00 déc.-01 déc.-02 déc.-03 déc.-04 déc.-05 déc.-06 déc.-07 déc.-08

0

de plus en plus les transports en commun et recourrons de plus en plus à la multimodalité. Mais la marge de progrès est encore énorme. Par exemple la totalité des trajets en autopartage en France dépasse à peine celle de certaines villes comme des villes d’Europe du Nord ou comme la ville d’Austin au Texas, qui a mis en place un système d’offre et un modèle économique très attractif. Une autre évidence est notre retard dans l’usage des deux roues et principalement des modes « doux », ceux dans lesquels la puissance motrice est celle des muscles, en particulier la marche et le vélo. Par ailleurs, on peut s’attendre à une diversification, une multiplication des types de véhicules. Pensons par exemple à la mise sur le marché récente par Renault

de la TWIZY, véhicule qu’on n’aurait pas facilement imaginé il y a quelques années, ou encore des gyropodes (associés pour l’instant à la marque Segway), véhicules très techniques mais à la conduite très intuitive. Des évolutions importantes mais peut-être mal connues marquent aussi les techniques de gestion du trafic – trafic routier et aussi trafic ferroviaire. Les technologies de l’information et de la communication (TIC) sont, bien entendu, les technologies reines en la matière (Figure 11). Ce qui se développe va bien audelà de notre Bison Futé national, avec l’introduction de la communication « vehicle-tovehicle » ou « V2V » et « vehicle-to-infrastructure » ou « V2I ». L’évolution vers ce qui pourrait devenir une conduite totalement automatisée est

Figure 10 Évolution de la courbe de mortalité sur les routes de France au fil des années.

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Chimie et transports

Figure 11 La gestion du trafic en temps réel fait appel à toutes les technologies de l’information et de la communication.

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en marche. Les diverses aides à la conduite que nous connaissons actuellement sur les véhicules haut de gamme (freinage d’urgence, détecteur de somnolence, parking automatique, etc.) n’en sont que les prémices. La conduite automatisée pourrait notamment augmenter notablement la capacité des autoroutes tout en réduisant la consommation, grâce à la réduction – en toute sécurité – de la distance entre véhicules, en particulier entre poids lourds. Dernier mode d’action à mettre en œuvre pour échapper à l’aggravation des conditions de transports que nous vivons : il faut généraliser l’organisation de ser vices qui évitent les déplacements, les limitent ou limitent leur impact. Le développement du télétravail, l’offre de lieux de travail flexibles dans les gares et aéroports, et le développement de l’autopartage en sont des exemples.

2.2. Les infrastructures de transport : un patrimoine collectif impressionnant Les infr astruc tures dont nous disposons en France pour les transports sont impressionnantes (Figure 12). Notre pays compte environ 7 000 km d’autoroutes et 12 000 km de routes nationales. Le réseau de routes départementales et communales – dit « réseau secondaire » – avoisine, pour sa part, le million de km. Le réseau ferré de lignes à grande vitesse (LGV) approche désormais les 2 000 km, tandis que le réseau ferroviaire électrifi é classique avoisine les 15 000 km. Ces infrastructures linéaires s’enchevêtrent grâce à 230 000 ponts routiers et 50 000 ponts ferroviaires. Elles requièrent plus de 50 000 murs de soutènement et sont rendues plus directes grâce au percement de près de 1 000 km de tunnels, routiers ou ferroviaires.

Le réseau autoroutier et le réseau routier national. Ensemble, ils représentent une surface de 400 km2 environ (le petit carré vert). L’ensemble du réseau routier représente une surface de 10 000 km2 environ (le grand carré vert).

Tout ceci coûte cher. Le réseau national à lui seul représente un patrimoine estimé à 140 milliards d’euros. Le coût moyen de construction d’un kilomètre de chaussée à quatre voies est d’une vingtaine de millions d’euros. Et que dire alors de la valeur du million de kilomètres existant à l’heure actuelle ! Les infrastructures de transport guidé (sur rail) coûtent cher, elles aussi, en particulier les tramways urbains qui se multiplient mais ne représentent pour l’instant que 600 km de voies, environ. Leur coût de construction est également de l’ordre de 20 millions d’euros du kilomètre. Pour maintenir tout ce patrimoine, il faut l’ausculter en permanence pour connaître son état de service, avec des intervention humaines ou, de plus en plus, une surveillance automatisée grâce à l’installation de micro et de nanocapteurs massivement distribués dans l’infrastructure et connectés en permanence à des centrales de surveillance.

Les infrastructures de transport et l’exploitation du réseau

Figure 12

2.2.1. L’apport de la science des matériaux Les infrastructures de transpor t sont pour la plupar t construites avec deux matériaux-rois qui se trouvent être deux bétons (on doit y rajouter l’acier, à un degré moindre). Le premier est le béton, que nous appelons tous ainsi et qu’il serait plus juste d’appeler le béton de ciment. Un béton est un mélange de cailloux – ou, en termes plus techniques, de granulats – et d’une colle qui assure la cohésion de l’ensemble4. Dans le béton classique, la colle est du ciment Portland, qui doit son nom aux chercheurs du XIXe siècle qui mirent au point son procédé de fabrication et qui notèrent la similitude de sa couleur avec celle des roches de la côte anglaise. Le ciment Portland est un matériau du feu. Sa fabrication, par 4. Au sujet du béton, voir La chimie et l’habitat, Chapitre de J. Méhu, coordonné par M.-T. Dinh-Audouin, D. Olivier et P. Rigny, EDP Sciences, 2011.

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Chimie et transports

Figure 13 La fabrication du ciment Portland reste une opération énergivore et émettrice de gaz carbonique, malgré les progrès réalisés.

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calcination à plus de 1 400 °C d’un mélange d’argile et de calcaire, fait partie des arts du feu au même titre que celle de la céramique (Figure 13). Elle est très énergivore et libère environ 800 kilos de CO2 par tonne de ciment, pour partie par décarbonatation du calcaire et pour partie pour le chauffage du four (la fabrication du ciment représente entre 5 et 6 % des émissions mondiales de CO 2 !). Améliorer le bilan carbone du ciment est donc un objectif qui devrait stimuler bon nombre de chimistes. Il y a en effet place pour que cette énergie de fabrication soit utilisée plus efficacement. La réaction du ciment avec l’eau produit en effet un silicate de calcium hydraté extrêmement divisé sous forme de nanoparticules, mais avec des liaisons très fortes au sein et entre nanoparticules. Or, d’après les études les plus récentes, nous n’utilisons que moins de 15 % de la « capacité mécanique » des liaisons que l’on pourrait théoriquement mobiliser dans ce nanomatériau. La marge de progrès est donc grande.

Mais cette marge de progrès résiduel très importante ne saurait occulter le fait que le béton de ciment Portland a déjà fait d’énormes progrès. Pour partie grâce à la physique des milieux granulaires, qui a permis d’améliorer la compacité de l’empilement granulaire qui constitue en quelque sorte le squelette du béton. Pour partie aussi grâce aux progrès de la mécanique du renforcement, par un ferraillage classique ou par des fibres courtes. Et pour une grande partie enfin, grâce aux progrès dans le domaine de la chimie de surface du ciment et de ses interactions avec les polymères. L’utilisation de ces polymères, à la structure très « pointue », à doses quasi-homéopathiques, est désormais indispensable. Elle permet d’éviter la floculation des grains (la formation de grumeaux) dans le béton « frais », avant que la réaction avec l’eau ne débute. Cette floculation ruinerait tous les efforts pour obtenir des empilements plus compacts. C’est donc grâce aux polymères défloculants que l’on peut désormais formuler des bétons qui, tout en étant très compacts – et donc très résistants après prise –, restent malgré tout très fluides à l’état frais. Pris ensemble, ces progrès ont permis de réaliser, en béton, des ouvrages d’art qui, il y a peu, n’auraient pu être construits qu’en acier. Le deuxième béton, que nous connaissons tous, c’est le béton bitumineux, que les professionnels de la route appellent « enrobés bitumineux ». La colle y est le bitume, résidu de distillation

Une note de prospective : à long (ou très long) terme, dans une société post-carbone fossile, le bitume pourrait bien suivre les mêmes traces que les carburants. En d’autres termes, ce produit actuelle-

Les infrastructures de transport et l’exploitation du réseau

du pétrole sous vide dont on produit des quantités considérables, quatre millions de tonnes par an. Le bitume est un produit lourd et visqueux qui, contrairement à ce qu’un chimiste averti mais non spécialiste pourrait penser, ne s’apparente pas à un polymère ou une solution de polymère, mais plutôt à une solution micellaire de molécules hétérogènes, polyaromatiques mais pas seulement, et relativement polaires qu’on appelle les asphaltènes. La Figure 14 illustre schématiquement la structure du bitume : de très grosses molécules, symbolisées par quelques noyaux polyaromatiques, au centre, entourées de molécules plus petites qui baignent dans un milieu fluide. En fonction des rapports des différentes phases, on a affaire à un bitume plus ou moins dur ou plus ou moins visqueux. C’est un milieu extrêmement complexe dont on n’a pas fini de comprendre la constitution et sa formulation, pour l’adapter à chaque utilisation, devient de plus en plus sophistiquée. Le bitume est en effet rarement utilisé à l’état pur, mais le plus souvent en mélange avec des additifs tensioactifs, des agents émulsifiants ou des polymères, éventuellement réticulés. La formulation des bitumes est un terrain de jeu fabuleux pour le chimiste, en particulier lorsqu’il est utilisé sous forme d’émulsion.

ment ex-pétrole pourrait bien un jour être remplacé par un bitume bio-sourcé, issus de plantes ou de microalgues. Cela n’est pas une utopie. Des produits bitumeux issus de matières premières végétales sont déjà sur le marché et d’autres, issus de microalgues sont à l’étude. Ces produits ne sont pas encore économiquement compétitifs, malgré la hausse du prix du pétrole, mais ils permettent déjà de faire des enrobés possédant des propriétés mécaniques comparables à celles des enrobés bitumineux classiques, qui plus est avec une matrice qui est transparente (Figure 15). L e s m atér iau x p our l a construction des infrastructures de transport ne se limitent pas aux bétons, malgré leur importance dominante. On voit de plus en plus, mais encore timidement, apparaître des matériaux provenant de domaines considérés comme plus nobles, comme l’aéronautique. Il s’agit des composites polymère-fibres.

Figure 14 Schéma de la structure du bitume, avec des agrégats de grosses molécules polyaromatiques (les asphaltènes) formant des micelles dans un milieu fluide de molécules plus petites.

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Chimie et transports

les plus récents tels le 787 de Boeing ou l’A350 d’Airbus. L’utilisation de matériaux de plus en plus techniques pour les infrastructures sollicite les chimistes non seulement pour les étapes de conception et de formulation, mais aussi pour l’étape de fabrication industrielle. La complexité croissante va en effet de pair avec un contrôle de plus en plus fin du procédé de fabrication. Le chimiste a évidemment un rôle primordial à jouer dans ce travail de génie des procédés. 2.2.2. Le développement durable et la gestion des infrastructures

Figure 15 Enrobés préparés avec du bitume ex-pétrole (à gauche) ou avec un « bitume » ex-végétal (à droite). Dans le futur, la source végétale (en bas, à gauche) pourra être remplacée par une source alguaire (en bas, à droite).

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Jusqu’à présent, ils n’étaient utilisés que pour réparer des ouvrages endommagés (par collage d’emplâtres, comme dans la réparation des coques de navires de plaisance). Ils sont désormais utilisés pour construire des passerelles piétonnes ou pour des véhicules légers comme les deux roues, et ils pourraient bientôt être utilisés pour construire de véritables ponts pour véhicules plus lourds. La Figure 16 illustre ainsi une poutrelle en composite polymère – fibre de verre. Avec des éléments semblables a été construit un démonstrateur dans lequel les poutres sont instrumentées avec divers capteurs – acoustiques, optiques ou électromagnétiques – qui auscultent en permanence l’état de santé de la structure, à l’instar de ce qui se fait dans les avions

Le développement durable n’est pas qu’une affaire de bilan carbone. C’est aussi la prise en compte du mot « durable » dans son sens premier : ce qui résiste à l’épreuve du temps. Il s’agit donc d’assurer la plus grande durée de vie possible aux infrastructures, en bon état de service. On parle plutôt de durabilité. Et dans cette perspective aussi, la chimie occupe une place primordiale. Il suffi t parfois de quelques impuretés dans les cailloux (« granulats ») utilisés pour fabriquer un béton pour voir apparaître au bout de quelques années des « maladies » (Figure 17) qui peuvent en quelques années conduire à la ruine de l’édifice. Il y a eu des exemples spectaculaires, en France et ailleurs, où des ponts ou des tunnels ont dû être fermés à la circulation quelques années après leur construction à la suite de dégradations subies par l’ouvrage. Le plus souvent,

Les infrastructures de transport et l’exploitation du réseau Figure 16 Ces poutrelles ne sont pas en acier mais en matériaux composites. Elles ont permis de construire la passerelle expérimentale visible à droite. L’ouvrage est équipé dans la masse de capteurs optiques et ultrasonores capables de l’ausculter en permanence.

ces « maladies » sont liées à la présence ou l’apparition de minéraux amorphes ou cristallisés inhabituels, dont la croissance provoque des phénomènes de gonflement, suite à une modification des conditions ther mod y namiques (composition, température). Les enrobés bitumineux ne sont pas à l’abri de tels désordres. En particulier, la présence d’argiles hydrophiles et « gonfl antes » à la surface des granulats peut entraîner une perte d’adhésion à l’interface du granulat et du bitume en conditions humides. Tous ces désordres font l’objet d’études de laboratoire en conditions contrôlées, d’études théoriques et, dans le cas des matériaux de la route, de

tests sur des « manèges de fatigue » (Figure 18). Une autre facette du développement durable est le recyclage, une tâche pour laquelle notre système de gestion des infrastructures de transports

Figure 17 État de surface d’un béton atteint d’un désordre chimique dû à la croissance de minéraux sulfatés.

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Chimie et transports

Figure 18 Manège de fatigue utilisé pour les tests de résistance de matériaux routiers en conditions quasi-réelles.

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ou, plus généralement, notre système de construction est encore bien peu performant. Un exemple : l’Ile-de-France importe annuellement environ dix millions de tonnes de granulats destinés à la construction d’infrastructures ou de bâtiments. Dans le même temps, elle exporte neuf millions de tonnes de gravats contenant une bonne proportion de granulats. Donc pour un résultat net d’importation d’un million de tonnes, on a transporté dix-neuf millions de tonnes. Les enrobés bitumineux fournissent un autre exemple : alors que le Japon les recycle à plus de 90 %, la France ne le fait encore qu’à moins de 50 %, et encore ce recyclage n’en est-il pas vraiment un car les couches superficielles, les plus « nobles », sont souvent réutilisées comme simple

matériau de remplissage. On doit viser le véritable recyclage, qui consiste à réutiliser pour la même fonction, en le régénérant, le matériau qu’on a détruit. Toujours dans le cadre de la politique de développement durable, il faut maîtriser l’impact des transports et, en particulier, de leurs infrastructures sur l’environnement. Nous rêvons tous d’une ville dans laquelle, malgré la densité d’habitat et d’infrastructures et toutes les commodités que cette densité apporte, la nature serait le premier environnement palpable. On sait bien pourtant que ces éléments sont difficilement compatibles ! La pratique de l’étude du cycle de vie – analyse désormais classique dans le domaine des matériaux et des

2.3. Inventer des routes intelligentes pour l’aménagement d’un territoire économe À grande échelle, la question des infrastructures de transport est intimement liée à l’aménagement du territoire. Celui-ci doit tenir compte des modes et des pratiques de transport mais, inversement, il les conditionne. La question de la ville, déjà évoquée plus haut, fournit une bonne illustration de cette interdépendance. On la veut durable, mêlée à la nature mais on veut aussi avoir un accès facile et rapide à tous les biens et services urbains. On la veut facile à vivre, frugale

(énergétiquement peu gourmande) mais aussi de plus en plus connectée à des sources d’information toujours plus nombreuses. Tout ceci n’est pas facile à concilier et le problème ne cessera de se poser à nouveau à chaque génération. Contrairement aux idées reçues, l’introduction massive de l’e-commerce (commande des biens par Internet) ne fait pas décroître la demande en transports. On observe en fait une tendance à la multiplication des déplacements. La tendance de fond est une diminution de la taille des colis et leur multiplication – simplement, ce ne sont pas les mêmes qui se déplacent. Et quand on sait dans quelle mesure la congestion des villes est due à la livraison des biens, on réalise qu’il y a un vrai problème. Une remarque aggravante : l’évolution globale ne va pas dans le bon sens, puisqu’au niveau mondial, dans les dix dernières années, le transport par rail est en baisse, le transport par route a augmenté de plus de 50 %, le transport maritime de plus 63 et l’aérien de plus 75… Toujours est-il qu’il y a bien une question sur laquelle des progrès énormes sont à faire, c’est celle des transports de marchandises en milieu (méga)urbain – la logistique urbaine pour faire court. Par ailleurs, pour ses déplacements personnels et, en particulier, pour sa mobilité dite « choisie », Le citoyen du XXIe siècle aime toujours la voiture malgré les difficultés, même si certaines populations urbaines, jeunes en particulier, semblent s’en

Les infrastructures de transport et l’exploitation du réseau

ressources minérales, et la chimie y est largement sollicitée – s’est ainsi imposée dans le domaine des infrastructures également. Mais pour être pertinente dans ce cas, elle doit être considérablement généralisée. Il ne s’agit plus seulement de chiffrer le bilan des émissions et de la consommation en matière et en énergie de l’objet lui-même et de ses constituants, comme par exemple les rails, le ballast, les caténaires dans le cas d’une ligne ferroviaire. Pour être pertinente, l’analyse doit inclure des éléments tels que sa construction, y compris le terrassement, l’impact de la ligne sur l’environnement et la biodiversité, le développement de l’habitat, la valeur foncière, les pratiques de mobilité, la mixité sociale, etc. Et ces éléments sont beaucoup plus difficiles à chiffrer que les précédents, qui plus est sur une base commune.

33

Chimie et transports

détourner. Elle le fait rêver et les progrès techniques font entrevoir de multiples voies d’évolution qui entretiennent ses rêves et ses fantasmes.

Figure 19 Évolution de la consommation énergétique de l’habitat. Au stade où la production d’énergie électrique et thermique devient supérieure à la consommation, l’habitat est qualifié d’habitat « à énergie positive ».

34

Par un peu de prospective, nous aimerions maintenant rééquilibrer le relatif désintérêt dont souffre le grand public, en comparaison des véhicules et de l’organisation même des transports, le « support de notre mobilité » que constitue la route, à propos desquels on peut avoir l’impression – de loin – qu’il n’y a pas grandchose qui se passe. La route est actuellement perçue comme un objet-support passif pour l’objet actif qui est le véhicule dont le conducteur est maître. Pourtant, même déjà actuellement, c’est loin d’être le cas. Le contact pneuroute joue un rôle essentiel dans la sécurité. Une signalisation bien conçue met les sens en éveil. Bien conçue, une chaussée peut aussi jouer un rôle non négligeable dans la réduction des nuisances sonores et dans l’évacuation des eaux pluviales. Par ailleurs, comme le souligne l’Institut

des Rues, des Routes et des Infrastructures de Mobilité (IDRRIM), les rues et les routes constituent toujours le premier réseau social et comme telles, attirent l’attention des chercheurs, ingénieurs, futurologues et prospectivistes. En réalité, la route amorce une évolution comparable à celle qui se déroule dans le domaine du bâtiment. En quelques années on est passé d’un habitat extrêmement énergivore (en particulier pour le chauffage) à un habitat neuf beaucoup plus sobre, éventuellement même tellement sobre qu’il présente un bilan énergétique nul ou même positif (Figure 19) dans la mesure où, équipé de capteurs solaires et/ou éoliens, il pourrait produire plus d’énergie que le peu qu’il consomme. De tels « bâtiments à énergie positive » sont encore exceptionnels en France mais la situation évolue vite. Parallèlement, dans le domaine des TIC, nous vivons l’introduction de la domotique, qui modifie de fond en comble notre manière de gérer l’énergie, le confort, l’approvisionnement, la sécurité et la santé dans l’habitat. La route peut-elle suivre une évolution comparable ? La réponse est très certainement positive. Dans une vision prospective, on peut imaginer que la chaussée devienne un objet beaucoup plus « actif » qu’elle ne l’est aujourd’hui, y compris sur le plan énergétique. Cette route dotée de multiples fonctions est qualifiée de « route de 5e génération » ou R5G en France et de « Forever Open Road » ou FOR au niveau européen (Figure 20).

FOR The forever-open road Informations incorporées sur la voie et la direction des véhicules

Mesure ses propres conditions Plantations et dispositifs de capture du CO2

Équipements incorporés dans les voies et la route Réparation instantanée des fissures

Systèmes électroniques incorporés de guidage

Stockage de la chaleur et récupération d’énergie Dispersion de neige et du verglas Préfabriqué Construction Matériaux exempte recyclés de carbone

Un exemple ? On peut imaginer qu’au lieu de laisser se déposer le givre les matins d’hiver, elle conser ve une température suffisante pour l’éviter. Ceci pourrait se faire au moyen de capteurs solaires chauffant un circuit d’eau incorporé dans la chaussée, comme cela avait été étudié par le Laboratoire Central des Ponts et Chaussées 5 (LCPC) il y a déjà de nombreuses années. On pourrait aussi, à l’instar de ce qui se fait parfois dans le bâtiment, mettre en œuvre des « matériaux à changement de phase », qui fondent en consommant leur énergie latente de fusion aux heures de la journée les plus chaudes et la restituent par une re-solidification aux heures les plus froides6. Ces 5. Le LCPC est un organisme créé en 1949 pour aider à la reconstruction des infrastructures nationales après la dernière guerre. Il a été dissous en 2011 pour intégrer l’IFSTTAR. 6. Voir à ce sujet La chimie et l’habitat, Chapitre de J.-C. Bernier, coordonné par M.-T. Dinh-Audouin, D. Olivier et P. Rigny, EDP Sciences, 2011

Figure 20 La route de « cinquième génération » sera dotée de multiples fonctionnalités lui donnant un rôle infiniment plus actif que la route d’aujourd’hui.

Les infrastructures de transport et l’exploitation du réseau

R5G La Route de 5e Génération

matériaux sont souvent des matériaux très courants et peu sophistiqués, les plus utilisés dans le domaine du bâtiment étant tout simplement de la paraffine ou des sels hydratés. Incorporés dans les chaussées sous forme encapsulée, ils pourraient réduire notablement les risques de verglas ou de givre en condition hivernale. Un autre exemple est le rôle que la chaussée pourrait jouer – et, de fait, joue déjà – dans la dépollution de l’air. Grâce à un revêtement en béton photocatalytique7 (béton dopé au dioxyde de titane sous forme anatase) sensible au proche UV solaire, il a été montré que la chaussée peut réduire significativement – de l’ordre de 50 % – la concentration des oxydes d’azote (NOX ), même en conditions de trafic élevé. 7. Au sujet de la photocatalyse pour dépolluer l’air, voir La chimie et l’habitat, Chapitre de M. Ledoux, coordonné par M.-T. Dinh-Audouin, D. Olivier et P. Rigny, EDP Sciences, 2011.

35

Chimie et transports

Qui plus est, le même revêtement contribue à maintenir la surface propre en décomposant certaines salissures organiques.

sée et c’est lui qui dissipe le plus d’énergie. Par ailleurs, la rugosité reste nécessaire pour assurer l’adhérence du véhicule…

Parmi toutes les évolutions qui pourraient rendre la chaussée plus active, celles qui concernent l’énergie méritent qu’on les examine de près, compte tenu de l’impact énorme qu’elles pourraient avoir. Une remarque préliminaire s’impose, pour mettre en garde contre certaines idées qui semblent très innovantes mais qui ne résistent pas à un premier examen. C’est notamment le cas de la chaussée piézoélectrique8 dans laquelle des dispositifs piézoélectriques seraient comprimés au passage des véhicules et produiraient de l’énergie électrique. Un petit raisonnement de thermodynamique indique que si l’on récupère de l’énergie en déformant la chaussée, c’est que l’automobiliste a dépensé (au moins) la même énergie pour la déformer… Où est le gain ?

Une troisième idée a été avancée : rendre la route, la chaussée ou la voie ferroviaire capteur photovoltaïque. Certains – aux États-Unis – ont fait le pari de développer des modules photovoltaïques suffisamment robustes pour constituer la surface de roulement et permettre le passage des véhicules tout en rendant la chaussée démontable. On peut certes douter que ce soit réaliste, compte tenu des dégâts que causent les véhicules et en particulier les poids lourds aux chaussées, mais l’idée est séduisante.

Dans la même veine, il ne faut pas accepter l’idée, relativement répandue, qu’on économiserait de l’énergie (donc du carburant) en diminuant la rugosité d’une chaussée. En fait c’est faux ou en tout cas négligeable pour une raison simple : c’est que l’échelle de longueur typique de la rugosité d’un revêtement de chaussée est nettement inférieure à celle d’un pneu. De surcroît, le pneu est infiniment plus déformable que la chaus-

36

8. Piézoélectrique : propriété que possèdent certains corps de se polariser électriquement sous l’action d’une contrainte.

En revanche, un concept qui pourrait se révéler réaliste à long terme, serait de considérer la route comme une surface que l’on couvrirait d’une superstructure légère qu’on pourrait fonctionnaliser. Plusieurs projets sont évoqués (Los Angeles, Grenoble) mais aucune réalisation n’a vu le jour pour l’instant. En revanche, le concept a déjà été mis en œuvre sur voie ferrée. La Figure 21 illustre un site mixte routier-ferroviaire situé en Belgique. La partie ferroviaire, en tranchée, a été couverte de panneaux photovoltaïques sur une dizaine de kilomètres. Le coût en a été important et l’électricité produite par l’installation n’est pas plus compétitive (hors subventions) que celle produite par des panneaux en toiture de maison individuelle. Mais c’est un beau démonstrateur qui laisse entrevoir que certaines rocades

Une autoroute urbaine couverte de panneaux photovoltaïques, imaginée par l’architecte-urbaniste suédois Mans Tham.

périurbaines par exemple pourraient bien faire l’objet d’expérimentations comparables dans un proche avenir. Ce qui fait vraiment rêver, c’est l’extrapolation de ceci à l’échelle nationale. Rien qu’en se limitant au réseau autoroutier et au réseau routier national, on dispose d’une surface d’environ 400 km², sans occupation de terres agricoles ni de surface à construire. Couverte de capteurs ayant un rendement de conversion de 10 %, cette surface produirait une puissance crête correspondant à environ 40 GW, soit les deux tiers de toute la puissance nucléaire française… L’énorme réserve foncière de notre réseau ferré pourrait suivre le même chemin, toujours sans achat ni occupation de terrains supplémentaires. On dépasserait alors largement la production électrique totale actuelle (nucléaire hydroélectrique + gaz). L’étape suivante dans notre marche vers une « chaussée active » pourrait être aussi la mise à contribution de la chaussée, non pas pour la production d’énergie électrique, mais pour l’alimentation des véhicules qui l’empruntent, grâce à la technique de l’ali-

mentation par induction. Des spires primaires (émettrices) seraient noyées dans la chaussée et des spires secondaires (réceptrices) seraient situées sous le plancher du véhicule ; c’est le principe du transformateur, mais sans noyau de fer doux. Les grands anciens de la physique et de la technologie (Ampère, Faraday et Tesla, représentés sur la Figure 22) ont développé les bases de cette technique il y a fort longtemps et des brevets ont été pris de longue date (Figure 23). En réalité, la technique est déjà couramment utilisée

Les infrastructures de transport et l’exploitation du réseau

Figure 21

Figure 22 Les bases de l’induction posées par Ampère, Faraday et Tesla permettent d’envisager une alimentation électrique des véhicules sans contact, par induction.

37

Chimie et transports dans les halls de montage des constructeurs d’automobiles, dans un environnement très maîtrisé, il est vrai. Plusieurs lignes d’autobus électriques, notamment en Italie, font appel à cette technologie pour la recharge à l’arrêt, au dépôt. Les progrès actuels qui permettent des transferts de puissance importants avec des hauteurs au sol de 25 à 30 cm et des rendements de l’ordre de 90 %, ouvrent la voie à l’alimentation rapide des bus à chaque arrêt, ce qui prolonge notablement leur autonomie sans augmenter la taille de la batterie. Pour les véhicules particuliers, on peut imaginer, dans un premier temps, mettre

à profit les arrêts aux feux rouges puis, à plus long terme, alimenter les véhicules de manière dynamique, en cours de circulation, grâce à des émetteurs enfouis dans la chaussée à intervalles réguliers et se déclenchant uniquement lorsque le véhicule est à leur aplomb. Des démonstrateurs ont été réalisés, notamment en Belgique, en Allemagne et en Corée et un programme européen (FABRIC) impliquant la France vient de démarrer. Un des multiples avantages (Figure 24) de cette technologie serait de réduire d’un facteur supérieur à cinq la taille de la batterie embarquée et, du même coup, les besoins

Figure 23 Illustration tirée de l’un des premiers brevets relatifs à l’alimentation par induction pour l’automobile, le brevet US Patent 3914562 de 1975.

Figure 24 L’alimentation par induction et ses nombreux avantages.

U. Auckland • Pas de risque d’électrocution • Laisse la surface de chaussée libre pour tous les modes • Peu sujet au vandalisme • Aucune installation visible en surface • Pas besoin de sortir du véhicule • Gain de ~ 80 % sur la batterie

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Et pour terminer, pourquoi ne pas concevoir, lorsque les technologies photovoltaïques à grande surface et bas coût seront disponibles, une route capable d’être à la fois un capteur solaire et, lorsque les techniques de transfert par induction seront suffisamment rapides, un pourvoyeur d’énergie, au moins partiel, pour les véhicules qui l’empruntent ? La route sera alors vraiment une route à énergie positive…

2.4. Conclusion : des voies de recherche prometteuses pour le transport de demain Ce chapitre avait pour ambition de jeter un regard de chimiste, ou plutôt de physicochimiste, sur ce qui ne bouge pas, mais est pourtant aussi indispensable que la voiture, le train, l’avion ou d’autres véhicules pour assouvir l’impérieux besoin de mobilité de nos

sociétés. Ces infrastructures de transport – routes, canaux, voies ferrées, ponts, tunnels, ports, aéroports – constituent un monde qui a la réputation d’être plutôt traditionnel et rustique. Pourtant, et c’est ce que ce chapitre a essayé de montrer, ce monde s’apprête à vivre et vit déjà des évolutions comparables à celles que vivent les véhicules. Ces évolutions ne touchent pas seulement les matériaux utilisés. Elles touchent la fonction même que les infrastructures doivent assurer. La route pourrait ainsi devenir solaire, électrique, résiliente, « intelligente » et jouer un rôle actif dans la sécurité et l’efficacité du trafic. Pour futuristes qu’elles soient, ces pistes ne sont pas irréalistes. Un certain nombre d’entre elles se sont déjà concrétisées dans des « démonstrateurs » et, en tout état de cause, elles indiquent des voies de recherche très stimulantes pour les scientifiques et ingénieurs de la profession.

Les infrastructures de transport et l’exploitation du réseau

en matériaux, notamment en lithium.

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La au du

des

véhicules

Avant de parler du futur, ayons un regard vers le passé pour comprendre l’évolution des transports au cours du temps.

1

Transports et force humaine

Afin de présenter l’évolution des transports, on doit se rappeler ce qu’étaient les déplacements dans les premiers temps de l’humanité et même longtemps après ! C’est la force humaine qui seule assurait ces transpor ts : la marche à pied d’abord… On comprend dès lors que les hommes aient essayé d’optimiser leur s possibilités en inventant

de nouveaux moyens ou de nou velles méthodes. Un exemple de ces méthodes est la chaise à por teurs, tandis que la dr aisienne illustre un des moyens qui constituait un progrès par rapport au simple déplacement pédestre. C’est ce qui est montré sur la Figure 1, où l’on peut voir aussi que la force des hommes pouvait aider à la navigation, grâce cette fois essentiellement à la force des bras, comme on peut en juger en regardant une galère… les efforts que cela exigeait justifie l’introduction du mot « galère », qui est maintenant devenu courant dans le langage français pour exprimer une difficulté.

Armand Lattes

chimie service futur

Chimie et transports

B

A

C

D

Figure 1 La force de l’homme au service des transports : de la marche à pied aux galères. Fig 1D : Wikipédia, licence CC-BY-SA-3.0, Myriam Thyes.

2

44

Transports et force des animaux

Très vite aussi, les hommes ont profité de la force des animaux, plus impor tante que la leur : les attelages de bœufs étaient, dit-on, le moyen de transport préféré des rois fainéants, puis la plus belle conquête de l’homme, le cheval, est devenu incontournable, assurant des communications plus rapides, révolutionnant ainsi les contacts à distance et permettant la mise en place des premiers transports en commun réellement efficaces, les diligences ! (Figure 2).

Transports et introduction de la machine à vapeur et du moteur à combustion interne

3

Puis une rupture est intervenue, visant à se débarrasser des contraintes liées à l’utilisation des animaux, et toujours dans le but d’atteindre une plus grande efficacité et de meilleures performances. L’introduction de la machine à vapeur a conduit à une première expérience d’innovation et de rupture : le fardier de Cugnot (1769), illustré sur la Figure 3A. À partir de

La force animale au service des transports.

ce modèle, les innovations technologiques successives amenèrent à per fec tionner la machine à vapeur et conduirent à la locomotive à vapeur des transports ferroviaires (Figure 3B). Mais, une nouvelle rupture intervint avec la découverte du

A

La chimie au service du futur des véhicules

Figure 2

moteur à combustion interne, qui constitue l’essentiel des moyens techniques mis en œuvre dans la plupar t de nos moyens de déplacement contemporains : son développement est tel qu’il semble superfl u d’en chercher une illustration.

B

Figure 3 L’évolution des transports après l’introduction de la machine à vapeur. Fig 3A : Wikipédia, licence CC-BY-SA-3.0, Roby. 45

Chimie et transports

Figure 4 L’utilisation de l’air dans les transports : de la montgolfière au dirigeable d’Hindenburg.

Figure 5 L’introduction de l’électricité dans les transports de la première voiture électrique à l’aérostat dirigeable électrique de G. et A. Tissandier.

A

46

Transports et utilisation de la force du vent

4

Parallèlement à ces progrès, le vent et l’air ont pu être utilisés, notamment avec les montgolfières au XVIII e siècle, qui ont ouvert la voie aux ballons et aux dirigeables ; l ’expérience malheureuse du dirigeable Hindenburg (Figure 4), rempli d’hydrogène et mû par un moteur à explosion, a limité par la suite l’utilisation de ce mode de transport. L’hélium a remplacé l’hydrogène, et le retour à une meilleure sécurité fait que l’utilisation de dirigeables, ponctuelle aujourd’hui, ne paraît pas improbable à une plus grande échelle.

5

Transports et électricité

Le moteur à combustion interne, cité plus haut, est à l’origine d’une nouvelle rup-

B

ture entraînant une immense révolution dans les transports. Cependant, c’est une voiture électrique qui, en 1899, a atteint et dépassé la vitesse incroyable pour l’époque de 100 km à l’heure. La Figure 5A montre cette voiture, la « jamais contente ». Ce n’était pas le premier essai d’utilisation de l’électricité dans les transports puisque par exemple, au XIXe siècle, un dirigeable électrique avait même été construit par deux français, Gaston et Albert Tissandier (Figure 5B). Cette énergie est devenue celle que l’on aimerait privilégier dans nos transports contemporains, voitures bien sûr, mais aussi bateaux et même avions.

6

Transports et futur

La Figure 6 montre une partie de ce que le futur, immédiat ou lointain, pourrait nous apporter. Bien sûr, il y a la voiture électrique et les espérances qu’elle suscite, le train à sustentation magnétique qui, étant au-dessus des voies par lévitation, lui permet d’atteindre des vitesses considérables en éliminant les frottements, etc. À plus long terme, un espoir est attendu pour

les déplacements aériens : il s’agit de l’avion-fusée qui permettrait d’aller très vite et très loin. Plusieurs éléments interviennent donc lorsque l’on parle de chimie et transports :

B

C

le matériau, l’énergie et puis, depuis quelques années maintenant, dans le cadre du développement durable, la protection de l’environnement qui amène à parler de chimie verte.

Figure 6 Les transports du futur : le train à sustentation magnétique, l’avionfusée et la voiture « verte ». Fig. 6A : Wikipédia, licence CC-BY-SA-3.0, Yosemite.

La chimie au service du futur des véhicules

A

47

7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN

au

catalyse service

de

automobile

l’

Ingénieur de l’École Nationale Supérieure des Moteurs et du Pétrole de Rueil Malmaison et titulaire d’un doctorat 3e cycle, Jean-Pierre Brunelle est actuellement directeur Innovation Procédés du groupe Solvay 1.

Sans vouloir être exhaustif dans l’analyse des nombreux procédés catalytiques utilisés pour fabriquer tous les éléments constituant une automobile, nous allons néanmoins voir que la cata-

lyse est une discipline omniprésente dans la conception de quatre éléments clés de l’automobile : le carburant, le pot catalytique, les pneumatiques et les matières plastiques (Figure 1).

Matières plastiques

Pneumatiques 2 Figure

1

Quel rapport entre la catalyse et une automobile ? 1. www.solvay.fr

Pot catalytique

Carburant

Jean-Pierre Brunelle

La

Chimie et transports

1

Le carburant

L’Encart « Les procédés catalytiques pour le carburant » résume les principaux procédés catalytiques mis en jeu pour la production des carburants. Les catalyseurs utilisés figurent entre parenthèses. Schématiquement, cinq procédés catalytiques clés sont mis en œuvre pour produire de l’essence : un hydrotraitement2 de la coupe essence brute issue de la distillation du pétrole, un reformage 3 catalytique de cette coupe essence pour produire de l’octane, le craquage4 catalytique de coupes lourdes de distillation du pétrole en coupes légères (FCC ou « Fluid Catalytic Cracking »), l’alkylation du butène avec de l’isobutane pour produire des isooctanes, et enfin, la synthèse de l’éther éthyle tertiobutyle (ETBE ou « ethyl tert-butyl ether » en anglais), qui est un booster d’octane et que l’on fabrique par alkylation de l’éthanol avec de l’isobutène (Figure 2).

50

2. L’hydrotraitement est un procédé utilisé en raffinage pétrolier visant à enlever, en présence d’hydrogène, le soufre contenu dans les fractions légères telles que le naphta léger, le naphta lourd et le naphta total. 3. Le reformage catalytique est une méthode de raffinage pour convertir les molécules naphténiques en molécules aromatiques ayant un indice d’octane plus élevé servant de base dans la fabrication des carburants automobiles. 4. Le craquage catalytique (FCC) consiste à casser une molécule organique lourde en éléments plus petits.

Pour ce qui concerne la production du carburant des voitures diesel, à savoir le gas-oil, trois procédés catalytiques clés sont mis en œuvre : un hydrotraitement, un craquage catalytique et un hydrocraquage des coupes lourdes de distillation du pétrole. Les systèmes catalytiques utilisés sont des sulfures métalliques ou des métaux dispersés sur des supports en alumine de très grandes surfaces ou sur des zéolithes5.

Le pot catalytique de dépollution des gaz d’échappement

2

Les véhicules à essence sont équipés d’un pot catalytique contenant un catalyseur monolithique6 multifonctionnel qui permet de dégrader les trois polluants majeurs d’une voiture à essence que sont l’oxyde de carbone, les hydr oc ar bur e s imbr ûlé s et les oxydes d’azote en vapeur d’eau, gaz carbonique et azote (Figure 4). Ces systèmes catalytiques équipent toutes les voitures à essence depuis 1981 aux États-Unis et au Japon, et depuis 1992 en Europe. Ils utilisent des catalyseurs à base de métaux précieux (platine, palladium, rhodium) déposés sur des oxydes mixtes de cérium-zirconium, eux-mêmes mélangés avec 5. Une zéolithe est un silicoaluminate cristallisé et microporeux possédant des propriétés de surface très acides. 6. Un monolithe est une pièce constituée de céramique (cordiérite) ou d’Inox, traversée par des canaux permettant le passage des gaz d’échappement.

Alkylation de l’isobutane avec du 2-butène en octanes et alkylation de l’éthanol avec de l’isobutène en ETBE.

de l’alumine, et le tout déposé sur des monolithes. Le système est globalement assez complexe, mais il est efficace et continue de faire l’objet d’améliorations, notamment pour essayer de diminuer les

La catalyse au service de l’automobile

Figure 2

teneurs en métaux précieux utilisées. Le problème est différent pour les véhicules diesel, pour lesquels la priorité des constructeurs a été l’élimination des particules de suies. En France,

LES PRINCIPAUX PROCÉDÉS CATALYTIQUES POUR LE CARBURANT (FIGURE 3) Essence : 5 procédés catalytiques − hydrotraitement (CoS-MoS/alumine) et reformage catalytique (Pt-Re/alumine) de la coupe essence brute de distillation du pétrole ; − craquage catalytique de coupes lourdes (Zéolithe Y dopée La) ; − Alkylation de butènes et isobutane en isooctane (HF, H2SO4) ; − ETBE/alkylation de l’éthanol avec l’isobutène (résine). Gas-oil : 3 procédés catalytiques − hydrotraitement de la coupe gas-oil (CoS-MoS/alumine) ; − craquage catalytique de coupes lourdes (Zéolithe Y dopée La) ; − hydrocraquage de coupes lourdes (NiS-MoS/Zéolithe). Figure 3 Les carburants font appel à au moins huit procédés catalytiques.

51

Chimie et transports

Figure 4 Monolithes céramiques et métalliques.

Figure 5 Filtre à particules pour les véhicules diesel.

c’est Peugeot qui a installé en 2000 les premiers filtres à particules sur son modèle de 608. Les filtres à particules ont ensuite été systématiquement installés sur toutes les voitures diesel commercialisées à partir de 2009. Ils sont capables de piéger plus de 99,9 % des particules de suies (Figure 5). Comme ces filtres à particules piègent les suies, ils s’encrassent et il faut donc régulièrement les régénérer par combustion des suies. C’est alors que la catalyse intervient avec deux systèmes différents : le système des filtres à particules dits « additivés » qui consiste à ajouter une infime quantité d’un catalyseur à base de cérium ou de fer dans le gazole, ce qui va ensuite aider à régénérer plus efficacement les filtres à particules en diminuant de 150 °C la température de combustion des suies.

52

L’autre système est le système des filtres à particules dits « catalysés » qui consiste à utiliser un catalyseur à base de métal précieux (palladium dispersé sur de l’alumine) déposé directement sur le filtre à particules.

Ce sont les deux systèmes couramment utilisés aujourd’hui pour l’élimination des par ticules de suies. Ajoutons qu’un autre procédé catalytique complémentaire sera mis en œuvre dès l’an prochain pour éliminer les oxydes d’azote et respecter les nouvelles normes européennes Euro VI7. Sa fonction sera de réduire sélectivement les oxydes d’azote avec de l’urée sur des systèmes catalytiques à base de métaux (type fer) déposés sur zéolithes.

3

Les pneumatiques

Les pneumatiques sont plus largement décrits dans le Chapitre de D. Aimon, et nous nous limiterons ici à la présentation de quelques procédés catalytiques de fabrication des deux principaux élastomères synthétiques classiquement utilisés dans la conception des pneumatiques pour voitures de tourisme : le SBR (« styrene-butadiene rubber » ou caoutchouc styrène-butadiène), et le polybutadiène. L’Encart « Les procédés catalytiques et les pneumatiques » rappelle que le styrène est fabriqué à partir d’éthylbenzène, 7. Les normes Euro sont des règlements de l’Union européenne qui fixent les limites maximales de rejets polluants pour les véhicules roulants, en vue de réduire la pollution atmosphérique (par les oxydes d’azote, le monoxyde de carbone, les hydrocarbures, les particules, etc.). La norme Euro VI entrera en vigueur en septembre 2014 pour l’homologation des nouveaux types de véhicules, et en septembre 2015 pour la mise en service des véhicules.

Caoutchouc styrène-butadiène : 6 procédés catalytiques − hydrotraitement de la coupe essence (CoS-MoS/alumine) ; − benzène : reformage catalytique de la coupe essence (Pt-Re/alumine) puis extraction du benzène ; − éthylène : hydrogénation sélective de la coupe C2 de vapocraquage (Pd/alumine) puis extraction de l’éthylène ; − éthylbenzène : alkylation du benzène par l’éthylène (zéolithe ZSM5 - procédé Mobil) ;

La catalyse au service de l’automobile

LES PROCÉDÉS CATALYTIQUES ET LES PNEUMATIQUES (FIGURE 6)

− styrène : deshydrogénation de l’éthylbenzène (Fe2O3 /Cr2O3 /KOH) ; − SBR : polymérisation anionique (BuLi). Caoutchouc polybutadiène : 2 procédés catalytiques − butadiène : purification de la coupe C4 de vapocraquage par hydrogénation sélective (Pd/alumine) puis extraction du Bd ; − polybutadiène : polymérisation du butadiène (dérivés du Nd).

Figure 6 Quelques procédés catalytiques dans les pneumatiques.

lui-même obtenu par alkylation du benzène par de l’éthylène, et qu’environ six procédés catalytiques sont mis en œuvre pour fabriquer le SBR à partir de pétrole. Pour ce qui concerne le polybutadiène, deux procédés sont mis en œuvre à partir de la coupe C4 de vapocraquage du naphta, une purification du butadiène puis une polymérisation sur un catalyseur homogène à base de néodyme.

Les matières plastiques pour les pièces techniques de l’automobile

4

Les matériaux plastiques peuvent représenter aujourd’hui jusqu’à 22 % du poids d’une voiture fabriquée en Europe. On dénombre plus d’une dizaine de matériaux plastiques différents. Les plus importants sont, par ordre décroissant : le polypropylène (PP), le polyuréthane (PU), les

53

Chimie et transports

polyamides (PA), le polychlorure de vinyle (PVC), les polyesters (PES), le polyéthylène (PE), l’ABS (acrylonitrile butadiène styrène), les polycarbonates (PC) et les polyacétates. La fonction première de ces matériaux plastiques est de remplacer des pièces métalliques et de réduire le poids de la voiture, et par voie de conséquence de réduire sa consommation de carburant ainsi que ses émissions de gaz carbonique. Examinons maintenant le cas de quatre des plus importants : PP, PU, PES, PA. 4.1. Le polypropylène (PP) Le polypropylène est utilisé pour la conception de nombreuses pièces techniques d’une voiture : le pare-choc (Figure 7), mais aussi le tableau de bord, les rangements, les habillages de portières, les baguettes de protection. Quatre procédés catalytiques sont utilisés pour sa fabrication :

Figure 7 Le polypropylène, composant du pare-choc.

54

− la purification de la coupe C3 de vapocraquage du naphta par hydrogénation sélective sur un catalyseur au palladium dispersé sur alumine, puis l’extraction du propylène ; − ensuite, différentes variantes de procédés catalytiques sont

utilisées pour polymériser le propylène : TiAlR 3, chrome, et les plus sophistiqués : les metallocènes8 du zirconium. 4.2. Les polyuréthanes (PU) et les polyesters (PES) Les mousses des sièges sont généralement constituées de polyuréthane. Le polyuréthane est un diisocyanate de toluène. Pas moins de onze procédés catalytiques sont utilisés pour le produire à partir du pétrole, qui est la matière première de base. Quant aux tissus des sièges, ils sont souvent constitués de polyester (Encart « Les sièges : polyuréthane et polyesters »). 4.3. Les polyamides (PA) Les polyamides PA 6,6 (ou nylon 6,6) et PA 6 (ou nylon 6) sont prioritairement utilisés sur les voitures quand des performances de résistance chimique ou thermique alliées à leur légèreté sont exigées. On les retrouve effectivement dans un certain nombre de pièces sous le capot (Figure 9) comme par exemple les couvercles de moteurs, les carters d’huiles, les admissions d’air. Mais on les utilise aussi pour un certain nombre de pièces qui ne sont pas sous le capot, comme l’airbag, les pédales ou les leviers de sièges (Figure 9). Le tissu des airbags est généralement en PA 6,6, qui a une grande résistance mécanique. 8. Les métallocènes sont des complexes organométalliques dans lesquels un métal de transition tel que le fer, le ruthénium, l’osmium ou le zirconium, est lié à deux ligands cyclopentadiényle disposés parallèlement.

Les mousses en polyuréthane : 11 procédés catalytiques − hydrotraitement de la coupe essence (CoS-MoS/alumine) ; − toluène : reformage catalytique de la coupe essence (Pt-Re/alumine) puis extraction du toluène ; − CO/H2 : vaporeformage du méthane (Ni-K2O/alumine) ; − hydrogène : conversion à la vapeur du CO/H2 (CuO-Cr2O3 ) ; − hydrogène : purification (Ni/alumine) ;

La catalyse au service de l’automobile

LES SIÈGES : POLYURÉTHANE ET POLYESTERS (FIGURE 8)

− ammoniac : synthèse à partir d’hydrogène et d’azote (Fe/alumine) ; − acide nitrique : oxydation de l’ammoniac (toile de Pt-Rh) ; − TDA (toluènediamine) : nitration du toluène en DNT (dinitrotoluène) + hydrogénation du DNT en TDA (Nickel de Raney) ; − TDI : synthèse du phosgène à partir de CO + Cl 2 (noir de carbone) puis phosgénation de la TDA en TDI (toluènediisocyanate) ; − éthylène : purification de la coupe C2 de vapocraquage (Pd/alumine) puis extraction de l’éthylène ; − oxyde d’éthylène : oxydation de l’éthylène (Ag/alumine) ; − éthylèneglycol : hydrolyse de l’oxyde d’éthylène ; − polyuréthane : polycondensation de l’éthylèneglycol avec le TDI. Les tissus en polyester : 5 procédés catalytiques − éthylène : purification de la coupe C2 de vapocraquage (Pd/alumine) puis extraction de l’éthylène ; − oxyde d’éthylène : oxydation de l’éthylène (Ag/alumine) ; − éthylèneglycol : hydrolyse de l’oxyde d’éthylène ; − paraxylène : hydrotraitement & reformage catalytique de la coupe essence (Pt-Re/alumine) puis extraction du paraxylène ; − acide téréphtalique : oxydation du para-xylène (acétate Co/Mn - procédé Amoco) ; − polyesters : polycondensation de l’acide téréphtalique avec l’éthylèneglycol (acétate de Cu, Co ou Zn).

Figure 8 Polyuréthane et polyesters, composants des sièges. 55

Chimie et transports

Figure 9 Les polyamides dans l’automobile.

Figure 10 Les polyamides dans l’automobile : le PA 6,6 (ou polyhexaméthylène adipamide) et le PA 6 (ou polycaprolactame).

PA 66

PA 6

La chaîne de production de ces matières plastiques est particulièrement complexe. En effet, pas moins de seize procédés catalytiques sont

56

utilisés pour la production du PA 6,6 et douze pour celle du PA 6 (Encart « Le circuit de refroidissement en polyamide »).

Polyamide 6,6 : 16 procédés catalytiques − CO/H2 : reformage à la vapeur du gaz naturel en CO/H2 (Ni-K2O/alumine) ; − hydrogène : conversion à la vapeur du CO/H2 en hydrogène (CuO-Cr2O3 ) ; − hydrogène : purification (Ni/alumine) ; − ammoniac : synthèse à partir d’azote et d’hydrogène (Fe/alumine) ; − acide cyanhydrique : synthèse à partir de gaz naturel, d’ammoniac et d’air (toile de Pt-Rh) ;

La catalyse au service de l’automobile

LE CIRCUIT DE REFROIDISSEMENT EN POLYAMIDE

− budadiène : hydrogénation sélective de la coupe C4 de vapocraquage (Pd/alumine) ; − adiponitrile : synthèse à partir du butadiène et d’acide cyanhydrique (complexe Niphosphite) ; − propylène : purification de la coupe C3 de vapocraquage du naphta (Pd/ alumine) puis extraction du propylène ; − acrylonitrile : synthèse à partir de propylène, d’ammoniac et d’air (molybdates de Bi-Fe) ; − adiponitrile : électrohydrodimérisation de l’acrylonitrile ; − hexaméthylènediamine : hydrogénation de l’adiponitrile (nickel de Raney) ; − benzène = hydrotraitement et reformage catalytique de la coupe essence (Pt-Re/alumine) puis extraction du benzène ; − cyclohexane : hydrogénation du benzène en cyclohexane (Ni/alumine) ; − olone : oxydation du cyclohexane en olone (Cr) ; − acide nitrique : oxydation de l’ammoniac (toile de Pt/Rh) ; − acide adipique : oxydation nitrique du cyclohexanol en acide adipique (Cu-V) ; − polyamide 6,6 : synthèse du sel nylon 6,6 puis polycondensation en polyamide 6,6 (acide phosphonique…) ; Polyamide 6 : 12 procédés catalytiques − hydrodésulfuration de la coupe essence brute de distillation (CoS-MoS/alumine) ; − benzène : reformage catalytique de la coupe essence (Pt-Re/alumine chlorée) et extraction du benzène ; − cyclohexane : extraction du benzène puis hydrogénation (Ni/alumine) ; − cyclohexanol : oxydation du cyclohexane (Cr) ; − cyclohexanone : déshydrogénation du cyclohexanol (CuO ou ZnO) ; − CO/H2 : vaporeformage du méthane (Ni-K2O/alumine) ; − hydrogène : vapoconversion du CO/H2 (CuO-Cr2O3 ) ; − hydrogène : purification (Ni/alumine); − ammoniac : synthèse à partir d’hydrogène et d’azote (Fe/alumine) ; − acide nitrique : oxydation de l’ammoniac (toile de Pt-Rh) ; − hydroxylamine : synthèse à partir de nitrate d’ammonium (Pd/charbon ou alumine) ; − caprolactame : synthèse à partir de cyclohexanone et d’hydroxylamine (acide sulfurique/ oléum) ; − polyamide 6 : polymérisation du caprolactame.

57

Chimie et transports

La catalyse, un outil stratégique de la chimie au service du transport automobile Le Tableau résume d’une manière non exhaustive les procédés catalytiques mentionnés auparavant et mis en œuvre pour concevoir une voiture de tourisme. Pas moins d’une quarantaine de procédés catalytiques sont utilisés pour produire les carburants, les systèmes de dépollution des gaz d’échappement, les pneumatiques, ainsi que les quatre principaux matériaux plastiques utilisés dans une voiture, à partir des ressources naturelles que sont le pétrole, le gaz naturel, le sel, l’eau et l’air. Ces procédés utilisent une grande diversité de systèmes catalytiques hétérogènes (en bleu dans le Tableau) ou homogènes (en rouge). En fait, on retrouve quasiment toutes les grandes classes de systèmes catalytiques hétérogènes : des catalyseurs à base de sulfures, des catalyseurs métalliques, des catalyseurs d’oxydation ménagée et des catalyseurs acides. Même si leur nombre est moins élevé, un certain nombre de catalyseurs homogènes sont aussi utilisés, du plus simple comme l’acide sulfurique aux plus compliqués tels que les complexes organométalliques du type nickel-phosphite ou zirconium métallocènes. Malheureusement, toutes ces chimies sont cachées du grand public. Le consommateur que nous sommes, l’acheteur d’une voiture, ne les voit pas… Au moins trois axes importants d’évolution sont en cours pour les véhicules du futur, en plus des améliorations continues qui continueront d’être apportées aux pots catalytiques,

58

La catalyse au service de l’automobile

à l’optimisation des plateformes de raffinage, à l’élaboration des pneumatiques ainsi qu’aux pièces techniques. Le premier est l’allégement : comme cela est évoqué dans divers chapitres de cet ouvrage (Chapitres de L. Vaucenat, B. Dubost et D. Aimon), tous les fabricants de voitures ont des objectifs sévères à atteindre en matière de diminution des émissions de gaz carbonique. Pour cela, il faut économiser le carburant, et l’un des leviers, même si ce n’est pas le seul, est de diminuer le poids des voitures. L’un des moyens est de remplacer chaque fois qu’on le peut les pièces métalliques par des matières plastiques plus légères : 10 % de diminution de poids, c’est 5 à 7 % d’économie de carburant, donc autant d’économie sur l’émission de gaz carbonique. Le second est l’utilisation de matériaux biosourcés. Certains constructeurs automobiles se sont donnés comme priorité d’essayer de remplacer les matériaux plastiques issus des matières premières fossiles par des matériaux issus de matières premières renouvelables (bio-sourcées). L’exemple le plus classique est le bio-polyéthylène fabriqué à partir du bioéthanol issu de la canne à sucre. De même, il y a les bio-pneumatiques (voir Chapitre de D. Aimon). Il faut d’ailleurs rappeler que les pneumatiques des camions sont des bio-pneus puisqu’ils sont fabriqués majoritairement à partir de caoutchouc naturel. Le troisième, les voitures électriques ou les hybrides, va aussi apporter son lot d’innovations. Il reste donc encore énormément de travail à réaliser, et la catalyse est et restera encore pour longtemps un outil clé et stratégique de la chimie.

59

60

Chimie et transports

Tableau Procédés catalytiques mis en œuvre pour faire rouler une voiture de tourisme.

ESSENCE

GASOIL

HDT

CoS-MoS/ alumine

Cos-MoS/ alumine

Reformage catalytique

Pt-Re/ alumine

Alkylation

HF/H2SO 4

FCC

zéolithe Y

Hydrocraquage C 4 vapocraquage

POT CATALYTIQUE

POLY– URÉTHANE

POLYESTER

Cos-MoS/ alumine

CoS-MoS/Alu

CoS-MoS/Alu

CoS-MoS/ Alu

CoS-MoS/ Alu

Pt-Re/alumine

Pt-Re/alumine

Pt-Re/ alumine

Pt-Re/ alumine

Pt-Re/ alumine

PNEUMATIQUE

Pd/alumine

Pd/alumine Pd/alumine

Pd/alumine ZSM5

Styrène

Fe-Cr-K

SBR

BuLi

Polybutadiène

Nd

Vaporef en CO/ H2

POLYAMIDE 6

NiS-MoS/ zéolithe

Éthylbenzène

Polypropylène

POLYAMIDE 6,6

zéolithe Y

C 3 vapocraquage C2 vapocraquage

POLY– PROPYLÈNE

Pd/alumine Pd/alumine

Pd/alumine

Ti-AIR3/Zrmétallocène Ni-K/alumine

Ni-K/ alumine

Ni-K/ alumine

ESSENCE

GASOIL

POT CATALYTIQUE

PNEUMATIQUE

POLY– PROPYLÈNE

POLY– URÉTHANE

POLYESTER

POLYAMIDE 6,6

POLYAMIDE 6

Vapoconversion en H2

CuO-Cr2O3

CuO-Cr2O3

CuOCr2O3

Purification H2

Ni/alumine

Ni/alumine

Ni/ alumine

NH3

Fe/alumine

Fe/alumine

Fe/ alumine

HNO3

PtRh

PtRh

PtRh

TDA

Ni Raney

TDI

Noir carbone

Oxyde d’éthylène

Ag/alumine

Ag/alumine

PTA

Acétate Co/ Mn

PES

Acétate Cu, Co, Zn

HCN

Pt/Rh

ADN

Ni/ phosphite

HMD

Ni Raney

Cyclohexane

Ni/alumine

Ni/ alumine

Cyclohexanol

Cr2O3

Cr2O3

Acide adipique

Cu-V

P A66

Dérivés du P

61

La catalyse au service de l’automobile

62

Chimie et transports

ESSENCE

GASOIL

POT CATALYTIQUE

PNEUMATIQUE

POLY– PROPYLÈNE

POLY– URÉTHANE

POLYESTER

POLYAMIDE 6,6

POLYAMIDE 6

Cyclohexanone

CuO ou ZnO

Hydroxylamine

Pd/C

Caprolactame

H2SO 4 / Oleum

Acrylonitrile

Oxydes MoBi-Fe

Post Combustion essence

Pt-Rh-Pd/ Ce-Zr/Al

FAP additivé pour diesel

CeO2 ou Fe2O3

FAP catalysé pour diesel

Pd/alumine

Denox SCR pour diesel

zéolithe

la

contribue-t-elle à la

performance

véhicules électriques des

de

demain ?

Diplômé conjointement de l’Université de Bordeaux et de l’École Nationale Supérieure d’Arts et Métiers (ENSAM), Laurent Vaucenat a étudié les polymères et composites. Il a rejoint les sociétés Axo Scintex, Aries Industries, puis BASF au sein de la Division Engineering Plastics. Après avoir dirigé la branche européenne (Automotive Plastic Coatings Akzo Nobel), Laurent Vaucenat est actuellement Directeur Monde Grands Comptes Renault-Nissan/PSA au sein de BASF1 et directeur de l’activité Peintures Constructeurs du site de Clermont de l’Oise.

Contributions de la chimie dans les véhicules d’aujourd’hui

1

La chimie a déjà contribué très largement à la conception des véhicules conventionnels et prend une part de plus en 1. www.basf.fr

plus importante dans les innovations liées aux véhicules d’aujourd’hui et de demain. Elle est déjà présente dans de nombreuses parties des véhicules actuels : un grand nombre de composants touche des domaines techniques

D’après la conférence de Laurent Vaucenat

Comment chimie

Chimie et transports

Figure 1 Les utilisations de la chimie dans une voiture standard sont très diverses. Source : BASF

très variés (les matières plastiques, la peinture, les catalyseurs, les mousses et les additifs), comme illustré dans plusieurs chapitres de ce livre (Figure 1). Sa part reste encore raisonnable si l’on regarde le volume total des matériaux utilisés : elle compte aujourd’hui pour 850 € en moyenne par véhicule (selon la région et la taille du véhicule), mais sa part ne cesse d’augmenter. Cette situation pourrait bien changer devant les défis que traverse aujourd’hui la mise

au point des véhicules électriques. Proches des performances idéales en ce qui concerne l’émission de gaz à effet de serre, ils souffrent de n’avoir qu’une autonomie relativement faible. La chimie – science et industrie – est sollicitée pour inventer et développer des solutions qui répondent à ces diffi cultés. Une ambitieuse collaboration entre l’entreprise automobile Daimler et le groupe de chimie BASF illustrant cette forte tendance est présentée dans ce chapitre.

2

Le concept-car : la smart forvision

La faible autonomie d’un véhicule électrique est un obstacle majeur à son développement et à sa substitution aux véhicules à essence ou à diesel qui pourtant présenterait de gros avantages en termes d’émissions de gaz à effet de serre. Des efforts de recherche importants sont ainsi consacrés à l’améliorer.

BASF ET DAIMLER, UNE RENCONTRE FRUCTUEUSE POUR L’AUTOMOBILE DE DEMAIN BASF est le leader mondial de l’industrie chimique employant 111 000 personnes dans ses différentes divisions. BASF consacre à la recherche 1,8 milliards d’euros par an et représente une force d’environ 10 500 chercheurs. Le projet mené avec Daimler cherche à lever les obstacles qui ralentissent le développement de la voiture électrique. Il a axé les développements et les innovations sur trois grands secteurs : les nouvelles sources d’énergie, la réduction du poids des véhicules et la gestion de la chaleur. Ce dernier aspect (chauffage et climatisation) représente en effet une part trop souvent méconnue de la consommation d’énergie d’un véhicule électrique. 64

Les entreprises Daimler* et BASF ont réalisé ensemble un « concept-car » (Figure 2), c’est-à-dire un véhicule construit comme un modèle de recherche : il est le concentré de nouvelles solutions techniques imaginées par les laboratoires. La démarche, classique dans les programmes de développement, ne se concentre pas sur les aspects économiques mais sur la technique, la faisabilité et les performances. La démarche nourrit ainsi l’imagination et stimule des recherches approfondies sur des domaines divers et variés. En pratique, c’est aussi un exceptionnel outil de communication destiné à susciter l’intérêt d’un large public, représenté notamment par des industriels et des clients potentiels. Habituellement, il est assez rare d’associer un constructeur automobile et un industriel de la chimie dans un projet de cette ampleur. C’est pourquoi, la communication s’est voulue très intense. Le concept-car a été présenté pour la première fois en 2011 au salon de Francfort en Allemagne. Près de 4 000 journalistes ont souhaité assister à la conférence de presse, une grande première pour ce type d’événement.

Figure 2

Comment la chimie contribue-t-elle à la performance des véhicules électriques de demain ?

LE CONCEPT-CAR

Le concept-car smart forvision conçu par Daimler et BASF. Source : Daimler *www.daimler.com

Les trois grands piliers du conceptcar pour améliorer la performance des véhicules électriques

3

3.1. Allégement du véhicule 3.1.1 L’utilisation des matières plastiques se multiplie dans l’automobile Remplacer les pièces métalliques par des matériaux plastiques est devenu un enjeu majeur afin de réduire le poids

total des véhicules et d’augmenter leur performance. La Figure 3 illustre la gamme des matériaux utilisés pour la fabrication d’une voiture. Les matières plastiques représentent environ 15 % du poids d’un véhicule. Dans quelques années, cette part aura augmentée de manière significative puisque réduire le poids d’un véhicule de 100 kg permet notamment de diminuer la consommation en carburant de 0,4 litre pour 100 kilomètres.

65

30 25

~ 20 % de matériaux polymères, ~ 15 % de plastiques

20 [%]

Chimie et transports

kg 700 Acier  Métaux légers  290 Autres métaux  55 Thermoplastiques  190 Élastomères  50 35 Thermosets Élastomères thermoplastiques  4 Fluides et produits chimiques  80 Verre et céramiques  40 Textiles et tissus 35 Peintures et adhésifs 15 Électronique  5 Autres  8

15 10 5 1970

1980

1990

2000

2010

2020

2030

Figure 3 Part des différents constituants dans le poids d’un véhicule d’environ deux tonnes. La part des plastiques va augmenter en vue de gagner du poids. Source : BASF

Les matériaux plastiques conçus par BASF répondent à ces besoins. En effet, utilisés dans le châssis, pour l’intérieur et certaines pièces du moteur, ils ont un poids réduit de moitié par rapport à leurs pièces métalliques équivalentes.

66

Pour un véhicule de près de deux tonnes, considéré sur le diagramme, environ 900 kilos – quasiment la moitié – sont constitués par l’acier ou les métaux ferreux. Néanmoins, la part des matières plastiques dans le poids total des véhicules a fortement évolué depuis les années 70 (Figure 3) et tend à augmenter. La politique nécessaire de réduction du poids des véhicules requiert un usage accru des polymères.

3.1.2. Une roue entièrement faite en polymère thermoplastique Le concept smart forvision conçu par Daimler/BASF propose d’utiliser une roue en polymère thermoplastique 2 (Figure 4), à base d’une matrice 3 de polyamide renforcée de fibres de verre (des 2. Une matière thermoplastique désigne une matière qui se ramollit réversiblement lorsqu’elle est chauffée au-dessus d’une certaine température, et qui redevient dure lorsque l’on redescend en dessous de cette température. 3. Dans un matériau composite, une matrice est une matière (plastique, métal, céramique…) servant à transférer les efforts au renfort (fibres, billes…), qui est plus rigide et plus résistant.

Le premier intérêt de l’utilisation de roues entièrement faites en matériau plastique est le gain de poids de plus de 30 %, soit pour un véhicule de type smart, entre 12 et 20 kg (3 kg par roue) par rapport à une solution aluminium classique. Le plastique offre par ailleurs une grande liberté de design qui permet de favoriser l’aérodynamisme du véhicule et donc de réduire sa consommation énergétique. Un avantage supplémentaire est un gain dans le domaine de la sécurité, avantage surpre-

nant puisqu’il est difficile de concevoir qu’une roue faite de plastique puisse aussi gagner en résistance. En raison de la taille réduite de la smart, les roues sont très proches de l’habitacle : en cas de choc frontal, l’intrusion des roues dans l’habitacle peut être crainte. En réalité, les roues thermoplastiques, beaucoup plus déformables, présentent un grand intérêt car elles absorbent plus d’énergie et sont donc moins intrusives. Un des autres avantages est la réduction de la consommation énergétique dans le procédé de fabrication du composant, puisque les polymères sont fabriqués ou mis en œuvre à des températures bien moindres que les métaux, notamment l’aluminium.

Figure 4 Premières roues en thermoplastique à base de polyamide permettant une réduction du poids de plus de 30 % (soit 12-20 kg par véhicule et 3 kg par roue, comparé aux matériaux conventionnels comme l’aluminium), une amélioration de l’aérodynamisme, une meilleure sécurité face aux chocs et une réduction de la consommation énergétique. Source : BASF

Comment la chimie contribue-t-elle à la performance des véhicules électriques de demain ?

« fibres longues », de 14 mm). Un premier concept de roue en plastique avait déjà été envisagé par Citroën dans les années 70 pour la Citroën GS. À l’époque, la roue était fabriquée à partir de polyester, mais l’aspect lié au freinage avait dû être mis à part puisqu’il est source de dégagement de chaleur et rendait ainsi l’utilisation de ces thermoplastiques impossible pour les roues. En effet, dans le cahier des charges, des tenues en température de l’ordre de 780 °C sont requises, alors qu’en règle générale les polymères peinent à dépasser les 200-250 °C.

3.1.3. La conception high tech des sièges du concept-car Le concept-car a mis l’accent sur un deuxième aspect, celui de la conception des sièges (Figure 5). Ces sièges ont entièrement été conçus à partir de matériaux BASF (Figure 6) : − une structure en matériau polymère, Ultramid ®Structure, renforcée de fibres

67

Chimie et transports

formée en gaz par absorption d’énergie lorsque le véhicule est garé au soleil. La température au sein de l’habitacle est ainsi abaissée de plusieurs degrés ;

Figure 5 Siège du concept-car. Source : Daimler

Structure Ultramid® pour la structure du siège Mousse confortable légère Elastoflex®

E-Textile pour un siège avec fonction chauffante Climatisation naturelle Luquafleece® Surface design qui respire Steron®

Figure 6 Combinaison de matériaux des sièges du concept-car. Source : BASF

68

de verre, disponible industriellement ; − un remplissage en mousses polyuréthane garantissant confort et allégement sur lequel un « E-textile » est appliqué permettant une régulation de la température ; − le Luquafleece® permet de créer une climatisation naturelle : il utilise un principe physique très simple, à savoir l’effet thermique qui accompagne le changement de phase du liquide au gaz, ou inversement. Le tissu absorbe l’humidité du corps, qui est ensuite trans-

− un revêtement respirant à base de polyuréthane a également été développé pour permettre l’absorption de l’humidité. Ce revêtement blanc, le Steron®, est illustré sur la Figure 7 : il est appliqué telle une peinture sur un moule en silicone (en rouge sur la Figure 7), lui-même gravé par laser. Ce revêtement de quelques microns peut ensuite être déposé par pressage sur tout type de support (tissu, cuir, carton,…) et selon l’application fi nale (siège, maroquinerie, cosmétique, emballage,…). Cette propriété est très intéressante puisqu’il est ainsi possible de créer des textures très spécifiques, jouer sur la rugosité et de ce fait sur le toucher. Dans le cas de la Figure 7, il a été appliqué sur un tissu classique qui grâce à sa microporosité assure confort et propriétés d’absorption. Ainsi, la conception de ces sièges à base de polyuréthane a permis une réduction d’environ 3 kg par siège, une amélioration du confort et une gestion de la température intérieure. À titre de remarque, la première application structurelle polyamide renforcée fibres de verre vient d’être lancée sur un véhicule série Opel. 3.1.4. La structure mécanique L’emploi d’autres matériaux que métalliques est aussi

Un prototype utilisant notamment la fibre de carbone a été construit. Mais cette solution, valable pour l’industrie aéronautique, reste chère pour le secteur automobile. Dans ce secteur, où l’on parle de production de masse, des matériaux beaucoup plus économiques comme les fibres de verre sont utilisés. Des efforts ont été réalisés sur le châssis (portières et caisse automobile). Des gains de poids très intéressants sont obtenus pouvant atteindre une part de 50 % par rapport à l’acier et 30 % par rapport à l’aluminium. Malgré ces résultats, les coûts restent la contrainte principale. 3.2. La gestion de la chaleur La gestion de la chaleur au sein de l’habitacle concerne non seulement le confort des passagers, comme illustré par la conception de sièges

Figure 7 Tissu en polyuréthane et son moule. Source : BASF

intelligents, mais aussi une meilleure gestion de l’énergie fournie par le véhicule. Des solutions innovantes ont été mises en œuvre pour répondre à ces problématiques (Figure 8). Ces solutions présentent deux avantages principaux : une meilleure gestion de la consommation de carburant pour les véhicules conventionnels et une autonomie accrue pour les véhicules électriques. Pour limiter le réchauffement de l’habitacle, des pigments réfléchissants ont été développés. Ils peuvent être utilisés au niveau des peintures pour atténuer le transfert de chaleur par la carrosserie ou

Figure 8 Solutions de gestion de la chaleur pour le concept-car. Source : BASF

Comment la chimie contribue-t-elle à la performance des véhicules électriques de demain ?

envisagé et étudié pour rigidifier la partie structurelle du véhicule.

69

Chimie et transports

dans les matériaux de planche de bord, parties intérieures du véhicule qui captent le maximum d’énergie. Des pigments réfléchissants sont également développés pour la fabrication de films prêts à déposer sur les vitrages (pare-brise et vitres latérales). Ces films permettent une réflexion sélective des rayonnements infrarouges. Ils ont l’avantage d’être transparents et entièrement organiques, ne présentent aucune interaction avec les fréquences radio et sont insensibles à la corrosion. De plus, des mousses haute performance sont utilisées dans les portières et dans le châssis pour gar antir l’isolation du véhicule : soit pour conser ver la chaleur en période froide, soit pour éviter que le véhicule ne se réchauffe en été.

70

D’après une simulation réalisée par la société AVL pour laquelle les conditions d’été et d’hiver ont été reproduites, une meilleure gestion de la chaleur de l’habitacle permet de diminuer la consommation de carburant. Si l’ensemble des solutions précédemment citées est combiné (isolation thermique, revêtement et vitrage réfl échissant les infrarouges), la consommation de carburant peut être réduite de 5 % environ par rapport à un véhicule de référence. Si nous assimilons ces résultats en termes d’énergie électrique consommée par une voiture électrique, la compilation des solutions déjà mentionnées permet une augmentation de la distance moyenne parcoure d’environ 25 %.

3.3. De nouvelles sources d’énergies : des rêves… presque futuristes Développer de nouvelles sources d’énergie est un véritable enjeu pour aujourd’hui et demain. Elles permettent également de contribuer à l’amélioration du confort de l’habitacle. Des idées innovantes naissent et se concrétisent, ouvrant la voie à une imagination infinie. La fonctionnalisation du toit des voitures en est une parfaite illustration. Une démarche innovante envisage ainsi de réaliser la climatisation grâce à l’énergie solaire. Des cellules photovoltaïques (composées par exemple de cellules solaires organiques) sont installées sur le toit du véhicule. Ces cellules captent l’énergie solaire et la transforment en électricité, permettant de faire fonctionner la climatisation sans avoir recours à la batterie. L’énergie solaire permet ainsi d’économiser la batterie et d’optimiser l’autonomie du véhicule. Pour diminuer davantage la consommation énergétique du véhicule pour les usages « annexes » (autres que la motricité du véhicule), un éclair age interne à base de diodes électroluminescentes (OLED) est installé (Figure 9). À l’état initial, les OLED sont transparentes : elles s’éclairent lorsqu’un courant leur est appliqué. La technologie OLED peut être couplée à celle des cellules solaires organiques, permettant d’imaginer un toit transparent intelligent, qui produirait de l’électricité

Diodes électroluminescentes organiques (OLED) transparentes (si éteintes) associées aux modules solaires, source douce de lumière (phase laboratoire). L’énergie solaire est transformée en électricité. Source : BASF

A

B

Comment la chimie contribue-t-elle à la performance des véhicules électriques de demain ?

Figure 9

Figure 10 Toit du concept car : vue extérieure (A) et intérieure (B). Source : BASF

grâce au soleil et qui éclairerait le véhicule selon nos besoins (innovation démontrée à l’état de prototype). Le

toit du concept-car devient par conséquent un concentré de haute technologie (Figure 10).

La voiture de demain, un concentré d’innovations… et de chimie ! La Figure 11 représente le concept-car et reprend ainsi l’ensemble des innovations illustrées dans ce chapitre, qui permettent un gain

71

Chimie et transports

Figure 11 Vue d’ensemble des innovations du concept-car. Source : BASF

72

d’autonomie avoisinant les 20 %. Si le conceptcar ne préfigure pas forcément le véhicule du futur stricto sensu, il donne néanmoins des indications fortes sur les domaines de recherche actuels et futurs, où il est évident que la chimie occupera une place majeure.

des

Jean Botti est Directeur Général Délégué Technologie et Innovation (CTO) d’EADS 1.

Quelle est la place de la chimie dans les défis que doit relever aujourd’hui l’industrie aéronautique, dans ce qui est applicable à court terme et dans ce dont nous aurons besoin pour le futur immédiat ? Comment l’industrie chimique peut-elle nous aider à avoir des ailes ? Quels sont les points clés à résoudre ? Notre défi le plus grand est de fabriquer les batteries et les piles à combustible du futur pour l’aéronautique. Les solutions actuelles, utilisées pour l’automobile ou les transports routiers en général, ne sont pas applicables dans l’aéronautique : Newton nous rappelle sans cesse que la gravité existe et qu’il n’y a pas uniquement un problème de résistance au roulement. Ce problème fondamental de poids est le désavantage des transports aériens, c’est la mauvaise nouvelle ! La bonne nouvelle est que l’industrie aé1. www.eads.com/eads/

ronautique peut se permettre d’appliquer des technologies plus avancées dont le surcoût peut s’intégrer plus facilement dans « un prix au passager », qui est plus facilement acceptable que l’hypercompétitivité qui existe aujourd’hui dans l’industrie automobile. Les objectifs de réduction des émissions sont extrêmement importants, et comme le montre également le Chapitre de H. Van Damme, compte tenu du développement du trafic, c’est dans les transports aériens que les émissions croissent le plus : + 76 %. Le mandat de la commission européenne, qui vise à une réduction de 50 % des émissions, a donc ouvert la voie à une coopération inter-industrie pour atteindre cet objectif. L’industrie chimique pourra et devra soutenir l’industrie aéronautique et spatiale en développant des solutions maîtrisées pour le transport de

D’après la conférence de Jean Botti

chimie donne ailes La

Chimie et transports

l’énergie, en développant des carburants alternatifs et pour appliquer la réglementation européenne REACH2. Il faut donc construire de plus en plus d’avions mais il faut que les voyageurs puissent voler avec des conditions environnementales acceptables au niveau des produits comme au niveau des processus.

Les domaines d’applications de la chimie dans l’aéronautique

1

La technologie et le développement des batteries Nous avons besoin de batteries plus puissantes et de sécurité optimale : la capacité et les taux de décharge doivent être plus élevés. La chimie de ces batteries doit être adaptée aux capacités opérationnelles pour une production électrique garantissant un degré maximum de sécurité, à tout moment. À l’heure actuelle, les batteries au lithium sont privilégiées dans le monde entier, mais nous devons penser à plus long terme. Chaque producteur de batteries a sa « recette secrète »

74

2. REACH (enRegistrement, Évaluation, Autorisation et restrictions des substances CHimiques) est une réglementation européenne entrée en vigueur le 1er juin 2007, rendant obligatoire pour les industriels d’évaluer, de gérer les risques posés par les produits chimiques, et de fournir des informations de sécurité adéquates à leurs utilisateurs. Son objectif est d’améliorer la protection de la santé humaine et de l’environnement, tout en maintenant la compétitivité et en renforçant l’esprit d’innovation de l’industrie chimique européenne.

pour assurer une capacité et une sécurité plus grandes, mais aucun ne partage cette information. Pour atteindre les objectifs des constructeurs d’avions, les fournisseurs sont contraints de fournir de meilleures solutions, d’améliorer des batteries en utilisant des matériaux avancés : nanopoudres 3, encres avancées… Le développement du vol électrique progresse, mais son succès dépendra de la maturité des solutions de stockage de l’énergie. Aucun avionneur n’est à l’abri de problèmes, c’est donc un effort commun qui doit être développé, pour une chimie adaptée, une capacité opérationnelle et un degré maximum de sécurité à tout moment. Sachant qu’un Airbus A380 embarque souvent huit cents personnes à bord – donc une très grande envergure –, cela donne une idée des difficultés à résoudre pour transposer les technologies des batteries lithium-ion ou lithium-polymères (plus sûres) à cette échelle de management de l’énergie.

Les pistes de coopération entre les industries chimiques et aéronautiques pour porter à maturité les objectifs

2

2.1. Les batteries lithium-air : une solution prometteuse pour le stockage de l’énergie électrique La densité énergétique des batteries lithium-air est supérieure à celle des batteries lithium-ion car leur cathode 3. Les nanopoudres sont des poudres dont les dimensions sont à l’échelle du nanomètre (= 10–9 m).

En cours de développement, les batteries lithium-air ne sont pas encore disponibles sur le marché. Les chercheurs estiment que ces systèmes seront commercialisables à partir de 2030. Ce sont donc encore les batteries lithium-ion qui sont partout utilisées dans nos produits (Figure 1). Notre fi liale de défense Cassidian les utilise pour les téléphones sécurisés, dans des secteurs tels que celui de la police ou de l’armée. Nous utilisons énormément de batteries dans les drones, et l’A350 était censé aussi démarrer avec une batterie au lithium-ion, mais nous sommes revenus au nickel-cadmium après les problèmes de Boeing, et bien que la technologie soit très différente. La technologie des batteries est donc cruciale pour notre vision de l’avion du futur qui pourrait être totalement électrique ou hybride A

B

LES BATTERIES LITHIUM-AIR Une batterie lithium-air est un système ouvert qui utilise l’air pour fonctionner. Elle en récupère l’oxygène, qui réagit avec le lithium pour générer de l’électricité, selon les réactions : 2 Li + ½ O2 → Li2O

La chimie donne des ailes

est plus légère, et l’oxygène est présent dans l’environnement. Les batteries lithiumion actuellement utilisées fournissent environ 140 à 150 kW/h/kg ; on espère doubler avec une batterie lithiumair, qui est un système beaucoup plus sûr (Encart : « Les batteries lithium-air »).

2 Li + O2 → Li2O2 L’avantage d’un tel procédé est d’utiliser un composant qui n’est pas stocké dans la batterie, ce qui permet de l’alléger et de réduire son encombrement. La batterie lithium-air offre une capacité de stockage plus importante que celle du lithium-ion. Cela est dû au fait que l’oxygène reste disponible et inépuisable sans être stocké dans l’accumulateur, ainsi qu’aux forts potentiels redox du lithium et de l’oxygène.

(Figure 2), avec des batteries qui seront plutôt de type lithium-air, des fils supraconducteurs et un moteur électrique à l’arrière de plusieurs mégawatts. Le premier vrai avion électrique a été présenté au salon du Bourget en juin 2013. C’est un avion de voltige à deux places qui servira aussi à l’entraînement des pilotes. Il est vraiment conçu pour servir de base de développement de d’avion électrique du futur. Dans cet avion, les supraconducteurs sont refroidis à l’azote liquide, les batteries sont lithium-air, et cet avion a été entièrement repensé, même

Figure 1 Les utilisations des batteries lithium-ion : PMR de Cassidian (A), drone Tracker de Cassidian (B) et Airbus A350 (C). Source : EADS

C

75

Chimie et transports

Figure 2 Vision de l’avion électrique (ou hybride) du futur. Source : EADS

dans son aérodynamique. On remarquera sur la Figure 2 qu’il n’y a plus de moteur sous les ailes pour avoir un flux extrêmement laminaire. Actuellement, nous n’envisageons pas de vol transatlantique pour l’avion électrique (ou hybride selon la distance), qui est prévu pour 90 à 100 passagers sur des vols d’1h30-2h. Sa réalisation n’est programmée que pour les années 2030 à 2035, mais nous y travaillons déjà. 2.2. Le développement des carburants alternatifs 2.2.1. Des contraintes importantes

76

Le second objectif est le développement des carburants alternatifs pour l’aviation tels que les biocarburants, et les défis à résoudre sont encore nombreux. Il faut qu’ils soient publiquement acceptables, c’est-à-dire que leur développement n’entraîne aucune discussion autour de la guerre alimentaire, de la déforestation, des ressources en eau, de la dégradation des sols ou du déplacement forcé de populations.

Pour être adaptables à l’aéronautique, ces carburants alternatifs devront être produits en quantité suffisante pour couvrir la demande et être disponibles sous différents climats dans toutes les régions du monde. Il s devront aussi être conformes aux caractéristiques des carburants d’aviation, et leur utilisation ne devra pas nécessiter une adaptation des infrastructures telle que le changement des turbines ou des moteurs. Ils devront pouvoir être mélangés avec du carburant conventionnel, et ce, quelle que soit la proportion. Enfin, leur impact environnemental global devra être acceptable : de l’analyse du cycle en matière d’émissions (y compris NOx et soufre) aux autres aspects environnementaux (utilisation efficiente des sols, logistique comprise). N’importe quel biocarburant ne peut donc pas être adapté à l’aviation. Cependant, l’empreinte CO2 de l’aviation est actuellement modeste. Il est en effet impor tant de savoir que l’aviation aujourd’hui ne

2.2.2. Les objectifs environnementaux de l’aviation Prenant en compte le développement des transports aériens, et en vue de développer la recherche dans ce domaine, l’industrie aéronautique française s’est cependant fixé l’objectif d’utiliser en 2020, deux millions de tonnes de biocarburants dans nos avions, ce qui est peu comparé à la consommation annuelle d’une compagnie comme Air France ou Lufthansa qui est d’environ 25 millions de tonnes. Les objectifs pour 2050 sont de diminuer de 75 % les émissions de CO2, de 90 % celles d’oxydes d’azote NOx, et de 65 % les émissions sonores par rapport à celles de l’an 2000. Quand on prend en compte l’accroissement prévisible du nombre d’avions, c’est un engagement colossal. Les objectifs pour 2020 sont déjà très importants : –50 % sur le CO2, –50 % sur le bruit, –80 % sur les NOx par rapport à l’année de référence de 2005. Ces objectifs sont extrêmement difficiles à tenir mais nous y travaillons beaucoup.

La chimie donne des ailes

2.2.3. Les biocarburants de 3e génération issus des déchets et des macroalgues Le processus de développement des carburants alternatifs doit donc être amélioré. Les carburants alternatifs issus des algues sont une possibilité à fort potentiel comme on le voit sur la Figure 3, où les biocarburants sont classés en familles selon leurs origines, et où leurs intérêts potentiels peuvent être comparés selon le coût de production (ordonnées) et l’empreinte CO2 (abscisse). Le pétrole brut est représenté par la grosse bulle verte, et l’on peut voir que les macroalgues (bulle bleue) sont intéressantes du point de vue des émissions de CO 2 , bien qu’encore trop coûteuses à produire. EADS n’est pas fabricant de biocarburant, mais ses objectifs d’être une industrie verte conduisent à soutenir les recherches dans ce domaine qui peut être intéressant, en partenariat avec des groupes comme Air France et Lufthansa. En effet, en comparant les surfaces nécessaires à la production de la biomasse

Figure 3 Alternatives aux carburants.

Pétrole brut Culture oléagineuse/hydrotraitement des esters et acides gras Culture ligno-cellulosique/biomasse, transformée en liquide Culture ligno-cellulosique/ Liquéfaction hydrothermique Macroalgue/Transformation d’algue en fioul

3 2,5

Coût estimé

contribue que pour 2 % au CO2 émis par l’ensemble des moyens de transports, et que 80 % de ces émissions sont imputables à des vols qui vont au-delà de 1 500 km. Donc, les solutions à rechercher ne portent aujourd’hui que sur la partie fluides et les kérosènes. Pour les courtes distances, on commence à y réfl échir et des solutions existent. Pour les longues distances, il va falloir vivre avec les carburants fossiles encore un long moment.

2 1,5 1

Sucre/Transformation d’algue en fioul Déchets transformés en liquide

0,5

Déchets/Liquéfaction hydrothermique

0 0

20

40

60

80

100

Émission de gaz à effet de serre du réservoir à la roue (g de CO2/m3)

120

CO2/Microalgue/Hydrotraitement des esters et acides gras 100 Mt

77

Chimie et transports 78

qui sert de matière première, si l’on voulait produire aujourd’hui des biocarburants à partir de la graine de colza par exemple, on aurait besoin de tout l’État de la Bavière ! Avec du jatropha, il faudrait l’État de Basse-Saxe. Mais si l’on envisage un mélange à 30 % issu d’algues avec du kérosène, cela n’occuperait en surface de culture que celle d’une ville comme Berlin ou Brème ; et si l’on passe à 70 %, ce n’est que la surface de la ville d’Hambourg. Au contraire, si l’on voulait produire du biocarburant avec du maïs, c’est l’Allemagne, l’Autriche et la Suisse tous ensemble qu’il faudrait prendre en tant que terrain d’exploitation. C’est pourquoi une industrie comme EADS, qui n’est pas la plus grosse consommatrice – et de loin – de carburants, s’intéresse aux algues. Les besoins annuels de carburants pour Air France ou Luf thansa sont d’environ 25 millions de tonnes, c’est un bon niveau pour tester les biocarburants. Nous nous sommes fournis en Chine pour tester ces biocarburants car nous n’avons pas pu en fabriquer en quantité suffisante en France ou ailleurs en Europe. J’ai moi-même fait voler le 1er avion avec du carburant issu des algues dès 2009 ; j’avais réussi à récupérer 600 litres d’huile que nous avons utilisés sur un tout petit avion que nous étions allés chercher en Amérique du Sud. Nous avons actuellement un plan de recherche très poussé en collaboration avec Total pour que les producteurs français de carburants puissent être compétitifs face

à des pays comme la Chine. Ce pays va d’ailleurs être le seul à pouvoir nous fournir le carburant nécessaire à la fin de l’année 2013, pour faire voler un A320 avec du biocarburant produit à partir d’algues. 2.3. Les conséquences de l’application de REACH L’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) a identifié des substances chimiques extrêmement préoccupantes (SVHC) et dressé une liste d’autorisations (annexe XIV). Des dates d’expiration ont été définies pour les SVHC. Passé cette date, l’utilisation de ces substances est soumise à autorisation de l’ECHA et liée à un considérable effort administratif et financier. Toutes les unités opérationnelles d’EADS utilisent des SVHC dans leurs processus et produits, et cette initiative purement européenne nous conduit donc à bannir certains composants jugés chimiquement préoccupants. Le problème est que cette règlementation n’étant pas mondiale, elle n’est pas imposée aux fabricants étrangers, ce qui entraîne de graves problèmes de compétitivité. La chimie européenne a donc de gros efforts à fournir pour nous aider, car nous utilisons de nombreux de produits préoccupants comme le plomb, le chrome, le cadmium… aussi bien dans nos avions civils que dans nos avions de combat et dans nos missiles, et même dans nos satellites. Et cela d’autant plus que les cycles de vie de ces produits sont longs, de trente ans, et même parfois plus.

Chaîne de galvanisation Airbus. Source : EADS

Nous avons donc besoin de la chimie pour trouver les produits et matériaux de remplacement à un coût acceptable pour conserver notre compétitivité. Un plan d’action incluant toutes les entités opérationnelles d’EADS a été établi afin d’éliminer le chrome et le cadmium, « EADS Cr&Cd free » : pour galvaniser4 nos

La chimie donne des ailes

Figure 4

tôles, nous avons mis au point une anodisation sulfot ar tr ique per met t ant de s’affranchir des problèmes de chrome et de cadmium qui a été développée chez Airbus, Eurocopter et pour la défense (Figure 4). Mais ce n’est qu’un exemple et il reste encore beaucoup de problèmes de ce type à résoudre.

La chimie et le développement de l’aéronautique La chimie joue un rôle extrêmement important dans le cycle de développement et dans les produits chez EADS, et dans l’aéronautique en général. La politique de l’Union Européenne en matière d’émission doit renforcer cette collaboration inter-industries pour que l’on puisse trouver ensemble des solutions adaptées et réduire les émissions dans le futur. Seuls

4. La galvanisation consiste à recouvrir une pièce d’une couche de zinc dans le but de la protéger contre la corrosion.

79

Chimie et transports

Figure 5 Chimie, transports et futur. Source : EADS

80

quelques exemples ont été montrés, il en reste beaucoup d’autres très importants, notamment les piles à combustible qui sont un défi, à résoudre le plus rapidement possible, avant 2050. L’avion de transport électrique devrait exister avant 2030, et la chimie nous ouvre la voie pour trouver les solutions et les technologies, qui point par point nous permettront d’y arriver (Figure 5).

chimie rail

et le

Après une carrière de chercheur, de directeur scientifique adjoint et de directeur des Relations Internationales au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), Daniel Cadet est Directeur des affaires techniques extérieures chez Alstom1, où il a notamment la charge des relations universités-industrie.

Le groupe Alstom emploie plus de 93 500 employés répartis dans cent pays et dans trois domaines : la fourniture de solutions de production d’énergie classique ou d’énergie renouvelable, de transformation et de transport de cette énergie et de transport ferroviaire (Figure 1). Dans le transport ferroviaire, Alstom est le seul groupe mondial multi-spécialiste qui maîtrise à la fois la fabrication des trains, l’infrastructure ferroviaire, la signalétique, la maintenance des trains comme de l’infrastructure (Figure 2). La gamme des trains fabriqués est large : elle va du Tramway jusqu’au TGV, le dernier né de la gamme étant l’AGV (automotrice à grande vitesse) qui roule à 360 km/h (Figure 3). Il en est de même pour les infrastructures fer1. www.alstom.com/fr

roviaires, la signalisation et les activités de maintenance, qui sont elles aussi diversifiées (Figure 4). On ne parle pas ou peu de chimie chez A l s tom Transport ; pourtant, elle est présente partout comme nous allons le découvrir. Mais en premier lieu, rappelons les spécificités du transport ferroviaire.

Les caractéristiques spécifiques des transports ferroviaires

1

À l’exception des tramways, pour lesquels on retrouve quasiment partout des modèles assez identiques, dans le ferroviaire on ne signe jamais de contrat, mais un projet, ce qui résume bien la spécificité de notre métier. En ce qui concerne les trains, chaque nouveau programme

D’après la conférence de Daniel Cadet

La

Chimie et transports

Énergie thermique

Énergie renouvelable

Équipements et services pour la production d’énergie

Réseau

Secteur du transport

Équipements et services pour la transmission d’énergie

Équipements et services pour le transport ferroviaire

Figure 1 Les secteurs industriels du groupe Alstom.

Source : Alstom

Figure 2 Alstom, des multi-spécialistes.

Source : Alstom Transport

Figure 3 Gamme de produits ferroviaires d’Alstom Tansport.

82

(contrat avec un client) est un nouveau train que nous devons concevoir, pour satisfaire la demande du client, s’adapter à des normes différentes d’un pays à un autre

Source : Alstom Transport

et à une utilisation (profil de mission) qui est elle aussi très différente. Pour répondre à un appel d’offres, il faut travailler une nouvelle conception de trains. Le concept de

La chimie et le rail train du futur n’existe donc pas, contrairement à l’aviation qui peut se projeter en 20302035. Le train du futur, c’est celui qui est actuellement en construction et qui sera livré pendant dix ans au client : citons par exemple en France, pour les régions françaises, le « Régiolis » (Figure 5) que nous sommes en train de finir de tester (1er train livré le 4 juillet à la région aquitaine). Les clients ont des compétences techniques très élevées, et leur cahier des charges est très exigeant et très détaillé (jusqu’à plusieurs milliers de pages). Nous retrouvons la chimie au second niveau dans les spécifications techniques qui concernent par exemple les matériaux verts, etc. Dans les contraintes, on retrouve des normes et des régulations, au niveau européen et au niveau national, et naturellement RE ACH (enregistrement, évaluation, autorisation et restriction

des produits chimiques) nous impacte. La chimie intervient dans les solutions à trouver. Les prix décroissent. Les clients sont principalement des autorités ; par exemple, comme signalé dans le Chapitre de R. Legrand et H. Van Damme, une grande partie du financement des systèmes de transport urbains vient les taxes. Par exemple, en région parisienne le clientpassager urbain ne paie que 25 % du coût. Donc, quand les budgets sont un peu serrés par la crise économique, c’est le prix qui guide les choix des autorités. Nous pouvons proposer de l’innovation, mais si elle coûte plus cher, elle ne passera pas la barre du budget disponible. Il est donc difficile d’introduire des innovations, le prix étant largement déterminé par la sécurité, sur laquelle il n’y a aucun compromis. Il n’y a aucun risque pris sur ce point, et les garanties sont à long terme, trente ans,

Figure 4 Infrastructure signalétique, services et maintenance d’Alstom Transport. Source : Alstom Transport

Figure 5 Présentation de la première rame Régiolis, à Strasbourg, en 2011. © Licence CC-BY-SA-3.0, 2.5, 2.0, 1.0, Kevin. B.

83

Chimie et transports

et certains clients veulent même étendre au-delà de trente ans, mais des trains circulent toujours après cinquante ans. Les industriels du transport ferroviaire rêvent de pouvoir faire des trains qui ne dureraient que quinze ans et qui seraient renouvelés tous les quinze ans ! La comparaison des prix du ferroviaires à ceux de l’aéronautique est elle aussi intéressante. Un A320 prix catalogue coûte 65 millions d’euros, avec sans doute, quand on en commande cent, une petite et même peut-être une bonne diminution. Un TGV coûte, quant à lui, 30 millions d’euros.

84

Un autre point important est que le « chiffre d’affaires annuel » de l’industrie ferroviaire est relativement faible. Alstom représente 6 milliard d’euros, soit environ 10 % du marché mondial atteignable par les industriels qui est de 60 milliards d’euros. Comparé au chiffre d’affaires de l’automobile, par exemple le chiffre d’affaires de Volkswagen est de 160 milliards d’euros, l’industrie manufacturière ferroviaire est donc en fait une petite industrie. Cette observation est importante car cela diminue les capacités d’investissement en R&D : même si l’on y consacre 3 % de notre chiffre d’affaires, cet investissement est très largement inférieur aux 3 % que Volkswagen peut injecter dans la recherche et le développement. Nous sommes donc fortement à l’affût des développements qui se passent dans d’autres industries, et l’intersectoriel est très important pour l’innovation.

Dans le contexte d’économie d’énergie et de réduction des émissions de CO2, le développement du ferroviaire passe par l’utilisation optimale de l’énergie électrique, et le secteur est très compétitif dans ce domaine. Le Chapitre de J. Botti montre que l’industrie aéronautique a investi depuis des décennies des sommes considérables dans l’utilisation optimale de l’énergie, car monter 1 kilogramme à 10 000 mètres coûte cher ! D’autre part, le transport ferroviaire est un moyen de transport déjà ou potentiellement décarboné, car 35 % des lignes au monde sont électrifiées et 60 % du transport est réalisé sur ces lignes : c’est le cas en France, où 70 % du ferroviaire est électrifié avec une origine nucléaire. On fait appel à de for tes puissances : ainsi pour atteindre le record de vitesse de 574,8 km/h, la tension de l’alimentation avait été portée à 31 kV AC (autorité de certification), ce qui a permis d’atteindre une puissance totale, entre les motrices et des moteurs répartis sur des bogies2, de 20 mégawatts. Et pourtant, la facture d’énergie le jour de ce record n’a été que de 64 €. C’est donc actuellement ce qu’il y a de mieux comme exemple d’utilisation optimale de l’énergie électrique. Mais pour cela, il faut de l’adhérence, donc il faut augmenter la masse : il nous arrive régulièrement de tarer des locomotives. 2. Un bogie est un chariot situé sous un véhicule ferroviaire, sur lequel sont fixés les essieux (et donc les roues).

C’est grâce au travail sur les progrès des composants électroniques de puissance que l’on atteint ces résultats, et nous allons voir que la chimie y contribue. Le ferroviaire optimise l’utilisation de l’énergie en récupérant l’énergie de freinage et en la renvoyant sur la caténaire4 ou la grid (réseau électrique externe) : par exemple quand un métro parisien freine, l’énergie de freinage est renvoyée sur la caténaire et réutilisée par un autre métro en phase d’accélération. Certes, y a encore des gains à faire, mais il faut en évaluer le coût financier, tels que les systèmes de stockage et de gestion de l’énergie à bord dont les développements s’appuient sur la R&D en électrochimie. 3. Au sujet du mix énergétique français, voir Chimie et enjeux énergétiques, coordonné par M.-T. Dinh-Audouin, D. Olivier, P. Rigny, EDP Sciences, 2013. 4. La caténaire est le système de suspension de fils conducteurs servant à l’alimentation en courant des locomotives électriques, des trains auto-propulsés et des tramways.

Le travail d’Alstom est d’offrir au client un système de transport complet, clé en main, et adapté à son cahier des charges. Nous avons donc un métier d’intégrateur : nous intégrons des composants, des sous-systèmes de façon à concevoir et à fabriquer une solution correspondant aux besoins du client, au prix auquel on s’est engagé. Il faut donc maîtriser un large spectre de compétences et d’expertise, ce qui est d’ailleurs aussi le cas de l’industrie aéronautique et de l’industrie automobile.

La chimie et le rail

L’impact environnemental est réduit, notamment l’empreinte du CO 2 . Le nouveau train AGV en France, avec le mix énergétique français 3 , correspond à l’émission de 0,2 g de CO2 par kilomètre par passager : il est donc difficile de faire mieux, même pour un cycliste pour lequel il faut tenir compte des émissions de CO2 dans la fabrication des aliments qu’il va consommer pour sa dépense énergétique, et… il ne va pas à la même vitesse !

Où est la chimie dans l’industrie ferroviaire ?

2

L’industrie ferroviaire utilise des produits et matériaux, et intègre des composants : 50 à 70 % de la valeur d’un train correspond à des composants achetés à l’extérieur chez des équipementiers qui livrent des sous-systèmes complets. La chimie est donc présente partout mais cachée, comme nous allons le voir dans les exemples qui suivent. 2.1. Les composites Dans les composants électroniques de puissance précédemment évoqués, on utilise des pâtes dans lesquelles des nanoparticules5 d’argent permettent d’évacuer plus rapidement les calories qui y sont dissipées. 5. Une nanoparticule est un assemblage d’atomes dont au moins une dimension est à l’échelle du nanomètre (= 10-9 mètre).

85

Chimie et transports

Coffre de toiture Bloc sanitaire Bout-avant

Cabine passager

Pupitre de conduite Chassis écran

Troisième rail Caniveau de drainage

Barrière de passage à niveau Éclisse de rail conducteur Cheminement de câbles Protecteur de longeron Coffret de signalisation

Figure 6 Les matériaux composites dans le transport ferroviaire. Source : Groupement de la Plasturgie Industrielle et des Composants. www.gpic.fr

86

Contrôle de freinage Coques de sièges

Les peintures utilisées dans les trains doivent résister aux graffitis et maintenant être à l’eau ; elles sont issues des développements récents de la chimie. L a Figure 6 montre que dans le secteur ferroviaire, on utilise partout des matériaux composites, mais pas encore dans la structure. Nous étudions maintenant le développement de l’utilisation du composite structurant, de façon à alléger les trains pour diminuer la consommation d’énergie. En effet, il faut savoir que pour la très grande vitesse, à partir du moment où le TGV ne s’arrête pas, 50 % du trajet peut être sur l’ère, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de consommation électrique pour la traction, donc pas de consommation d’éner-

gie, et cela d’autant mieux que les conducteurs connaissent très bien la ligne, et savent jouer avec les pentes. 2.2. Les moteurs et l’énergie La Figure 7 représente des moteurs à aimants permanents que nous avons développés, parce qu’il fallait diminuer la taille pour les placer dans les bogies et augmenter leur puissance massique. Derrière ce type de moteur, il y a beaucoup de chimie, car on y trouve des matériaux et des produits isolants. Ces moteurs, qui tournent à plusieurs milliers de tours par minute, utilisent des aimants qui doivent être maintenus en place à la périphérie, ce qui a posé un certain nombre de problèmes.

La chimie et le rail Figure 7 Moteurs à aimants permanents.

Source : Alstom Transport

Figure 8 Le projet STEEM (Système Tramway à Efficacité Énergétique Maximisée), avec un système de stockage d’énergie (SuperCaps/ batteries). Source : Alstom Transport

La Figure 8 illustre le problème de stockage de l’énergie dans des batteries dans le cas du projet STEEM (Système Tramway à Efficacité Énergétique Maximisée), à l’essai sur la ligne T3 du tramway parisien : pendant six mois, il y a eu un tramway équipé d’un système de stockage d’énergie et qui a fonctionné entre deux stations sans faire appel à l’énergie de la caténaire.

tégrité des passagers doit être conservée dix-huit minutes en cas d’incendie dans un tunnel. Comme nous le verrons plus loin, ce sont les chimistes qui mettent au point ces textiles qui résistent au feu aussi bien qu’aux lacérations.

Figure 9 Des sièges renforcés grâce à la chimie, pour la sécurité des voyageurs. Source : Alstom Transport

Résistant au feu • Thermoplastique : polyamide • Procédé RTM (Resin Transfert Molding) • Renforcement mécanique

Textile non lacérable et résistant au feu

2.3. Les sièges Les sièges (Figure 9) utilisés dans les transports ferroviaires doivent répondre à des normes de sécurité draconiennes : dans un train, même si l’on répand de l’alcool sur un siège et que l’on y met le feu, le siège doit résister ; l’in-

87

Chimie et transports

Figure 10 Les besoins de progrès pour l’environnement. Source : Alstom Transport

2.4. L’énergie et l’environnement L’énergie et l’environnent sont au centre de nos objectifs de développement. Nous avons vu précédemment que le transport ferroviaire est performant dans le domaine de l’efficacité énergétique, mais des progrès peuvent encore être réalisés : Alstom travaille en relation avec les systèmes organisateurs de transports (voir le Chapitre de R. Legrand et H. Van Damme) pour étudier par exemple dans les tramways la consommation énergétique de chaque composant et sous-système pour obtenir des gains d’énergie. Nous travaillons aussi sur le bruit, qui est une émission polluante contraignante du ferroviaire, et donc sur les matériaux qui permettent d’absorber le bruit et des matériaux permettant de résoudre la nuisance à la source.

88

Le cycle de vie et le recyclage sont au cœur de nos préoccupations : 98 % de nos trains fabriqués maintenant sont recyclables, même s’ils sont

prévus pour durer cinquante ans, et il existe dès à présent un centre de développement du recyclage des trains à Givet dans le nord de la France. Les besoins de progrès sont résumés dans la Figure 10. Les possibilités et donc les investissements sont toutefois contrôlés par les normes et par les coûts. En termes de chimie, les normes imposent beaucoup de choses. Et, comme beaucoup de nos marchés sont à l’étranger hors Europe, dans la préparation des appels d’offres, il est de plus en plus demandé par nos clients de respecter les normes européennes.

Exemples de projets de recherche et développement

3

3.1. Élaboration de composites thermodurs et de fibres bio-sourcées Dans ce cas, l’objectif est de remplacer un composite polyester/verre par une résine épox y bio-sourcée. Cette

Finather : composites thermodurs et bio-sourcés.

résine devra être réactive, de viscosité maîtrisable, stable pour le stockage et mécaniquement performante. Le renfort fibreux sera issu du lin et du chanvre. Un tel composite aura des applications nombreuses (tissus, non tissés, fibres coupées…) dans le mobilier et les transports, notamment dans le ferroviaire et l’automobile.

mulation et la mise en œuvre d’un tel composite dont les performances doivent au moins être identiques à l’existant, tout en respectant les nouvelles exigences environnementales, et d’aboutir à la fabrication pour un coût maîtrisé.

Le rôle des industriels du ferroviaire est d’établir le cahier des charges, d’en sous-traiter la réalisation, de suivre la for-

Les verrous à faire sauter, à la fois scientifiques, technologiques et économiques, sont résumés sur la Figure 12.

La chimie et le rail

Figure 11

3.2. Les verrous Figure 12 Les verrous, à la fois scientifiques, technologiques et économiques.

89

Chimie et transports

Figure 13

Action dans la phase gazeuse Rétroaction thermique 

Action de HYPOPOTAM, composite polymère hybride à base de nanotalc pour tenue au feu améliorée.

Oxygène 

Réchauffement 

Interruption du mécanisme radicalaire en chaîne : Br, Cl, P Gaz combustibles  Gaz Dilution par formation d’eau :  Al(OH)3, Mg(OH)2

Aire de décomposition 

Réchauffement Produits de combustion Fumée Revêtement carboné contenant du phosphore, de l’azote et du bore Intumescence nanocomposites Carbonisation

Refroidissement (endothermique) et dilution du substrat : Al(OH)3, Mg(OH)2 Action dans la phase condensée

Nous avons déjà vu que la tenue au feu est particulièrement importante pour le mobilier ferroviaire, et c’est notamment le cas des matériaux textiles utilisés pour le recouvrement des sièges pour lesquels ont été développées des fibres polyester intumescentes (INTUMAT : INTUmescent, MATériaux), qui, lorsqu’on les « allume », s’éteignent toutes seules, et surtout ne produisent pas de fumées toxiques.

Dans ce domaine important de l’amélioration de la tenue au feu, le projet « HYPOPOTAAM » concerne le développement de composites POlymères HYbrides à base de nanoTAlc POur tenue au feu AMéliorée : c’est un matériau nanostructuré, léger, qui est généré in situ par extrusion6 réactive. Son action est résumée dans la Figure 13.

Le transport ferroviaire a fortement besoin de chimie pour innover Un intégrateur industriel comme Alstom Transport qui conçoit des systèmes complexes n’est donc pas un acteur direct de la chimie, mais il en est largement dépendant pour trouver des solutions à ses problèmes. À ce titre, il est présent dans certains projets pour impulser les recherches permettant d’aboutir à ces solutions qui améliorent sa compétitivité. Les produits innovants sont nombreux mais le coût 90

6. L’extrusion est un procédé de mise en forme des matières plastiques qui consiste à pousser la matière à fluidifier à travers une filière.

La chimie et le rail

de leur développement doit être acceptable par le client, car cela impacte le prix du billet de transport final ou sur les taxes. D’autre part, ces produits innovants doivent tenir compte de deux autres contraintes très importantes du transport ferroviaire : les normes très fortes et le cycle de vie très long (garantie de trente ans).

91

7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN

et

construction

navale

Ingénieur de l’École polytechnique, Michel Accary a rejoint en 1973 la Direction Technique des Constructions Navales devenue depuis 2003 la société DCNS1, où il est actuellement directeur général de la Technique et Innovation du groupe. Il a participé au développement, aux essais et à la construction de nombreux sous-marins, tant nucléaires que conventionnels (Le Triomphant, Rubis, Scorpène…).

L’art de l’architecte naval, est d’abord fondé sur l’hydrodynamique, les structures, les matériaux, la thermodynamique, l’électrotechnique… pas vr aiment la chimie. Celle-ci est néanmoins omniprésente sur nombre de fonctions des navires et participe de façon importante à la définition du navire du futur.

La chimie pour purifier l’atmosphère des sous-marins

1

Un équipage de sous-marin doit vivre dans un volume confiné pendant des durées qui peuvent aller d’une journée à plusieurs semaines, et même, dans le cas des sousmarins nucléaires (Figure 1), 1. www.dcnsgroup.com

à plusieurs mois. Cela n’est possible que si l’on renouvelle l’oxygène de son atmosphère et qu’on élimine le gaz carbonique rejeté par la respiration et les autres gaz polluants éventuellement présents. La solution traditionnelle est de mettre en service des « chandelles à oxygène », qui sont des blocs de perchlorate qui brûlent en produisant de l’oxygène ainsi que d’autres gaz à éliminer. Pour éliminer le gaz carbonique (qui est un anhydride d’acide) de l’atmosphère, on le fait réagir avec de la chaux sodée (CaO, NaOH). Pour l’oxygène comme pour le gaz carbonique, ces techniques fonctionnent, mais on ne peut emporter qu’en quantité limitées de produits, qui sont

Michel Accary

Chimie

Chimie et transports

Figure 1 Comment assurer une atmosphère respirable pour un équipage qui peut naviguer pendant plusieurs mois dans un sous-marin ? Source : DCNS

épuisés au bout de quelques jours seulement. Pour les sorties plus longues, il faut donc trouver d’autres solutions.

94

Aujourd’hui, sur les sousmarins nucléaires, on fabrique de l’oxygène par électrolyse de l’eau. On utilise des électrolyseurs à membranes PEM (« proton exchange membrane ») ; ces systèmes sont maintenant bien au point. L’élimination des polluants de l’atmosphère, de son côté, reste plus complexe. On a commencé par faire absorber le gaz carbonique par des zéolites, solides poreux constituant des tamis moléculaires qu’il faut régénérer après usage en les chauffant pour en extraire et les rejeter à l’extérieur. Les dispositifs correspondants donnent satisfaction mais ils consomment beaucoup d’énergie et sont très volumineux. Une solution alternative utilise de la monoéthanolamine (MEA), produit qui donne des réactions réversibles permettant l’élimination des polluants gazeux. Leur inconvénient vient de leur nocivité s’ils en

viennent à se répandre dans l’atmosphère du sous-marin. On peut aussi remplacer par des amines solides qui n’ont pas les mêmes inconvénients. Mais le procédé idéal sûr, peu encombrant et peu consommateur d’énergie reste à inventer.

2

La production et le stockage de l’énergie

La Figure 2 montre une batterie de sous-marin conventionnel, une batterie au plomb. Cette technologie a connu des progrès considérables ces dernières années, au point de supplanter parfois des technologies plus récentes comme les accumulateurs nickelcadmium. Incidemment, le fonctionnement de ces batteries est toujours resté un peu mystérieux pour moi : mes maîtres m’avaient expliqué à l’époque que selon les lois de la thermodynamique la batterie au plomb ne devrait pas fonctionner et que ce n’était que par un phénomène appelé « surtension hydrogène » pour cacher notre ignorance,

Batterie au plomb équipant les sous-marins. Source : DCNS

qu’elle était capable de se charger. Mais la science a certainement fait des progrès depuis. Aujourd’hui, pour la propulsion marine comme pour les autres transports, les batteries lithium-ion suscitent beaucoup d’intérêt. Cette technologie, vieille d’une vingtaine d’années et loin d’être arrivée à maturité, est cependant déjà introduite dans des programmes industriels (non sans parfois quelques déconvenues, comme des ennuis récents de Boeing l’ont montré). C’est une des grandes percées de l’électrochimie de ces dernières années, qui continue d’ailleurs à progresser (par exemple par la voie lithium-air. Voir les Chapitres de J. Botti, F. Darchis et D. Larcher) ; beaucoup d’espoirs reposent sur elle. Depuis quelques décennies, les piles à combustibles (Figure 3) ont fait l’objet d’efforts de recherche importants visant à faciliter leur utilisation pratique. Aujourd’hui, elles atteignent l’âge industriel pour de nombreuses applications. Leur avantage est

bien sûr leur rendement infiniment supérieur à celui d’une machine thermique. Leur fonctionnement demande bien sûr un combustible (aujourd’hui de l’hydrogène) mais aussi de l’oxygène, disponible à profusion dans l’air mais pas au fond des mers. Dans les sous-marins, on

Chimie et construction navale

Figure 2

Figure 3 Schéma d’une pile à combustible de type PEM (« polymeric electrolyte membrane »). Source : DCNS

Électricité + Chaleur Production d’électricité

Électrons perdus par les atomes d’hydrogène

Hydrogène

Oxygène

H O H

Production d’eau et de chaleur

H H H H

O H H

Plaque collectrice de courant Couche de diffusion des gaz (Anode) Plaque de catalyse

Plaque collectrice de courant Membranes d’échange des protons

Couche de diffusion des gaz (Cathode) Plaque de catalyse

95

Chimie et transports

stocke l’oxygène nécessaire sous forme liquide dans des réservoirs cryogéniques (des gros vases Dewar). La même solution ne peut être employée pour l’hydrogène, difficilement stockable sous forme cryogénique et dangereuse et encombrante dans des réservoirs à haute pression. On choisit donc de fabriquer l’hydrogène directement à bord du sous-marin, ce qui se fait par reformage : on produit, à partir d’un mélange d’hydrocarbure et d’oxygène, un mélange gazeux riche en hydrogène dont il faut ensuite extraire de l’hydrogène aussi pur que possible. Le choix du catalyseur et le bilan thermodynamique sont particulièrement importants car ils déterminent le rendement du système et donc l’autonomie du sous-marin en plongée.

Le respect de l’environnement extérieur : l’élimination des SOx et des NOx

3

L’Organisation Maritime Internationale impose des normes draconiennes sur les taux

d’oxydes de soufre (SO x ) et d’oxydes d’azote (NOx) rejetés par les moteurs diesels des navires dans l’atmosphère. La gestion des oxydes de soufre peut se faire pas la sélection de pétroles peu soufrés. Le dommage pour l’armateur est catastrophique, mais la conformité est techniquement simple à atteindre. Pour gérer la concentration en oxydes d’azote, il n’en va pas de même, et les procédés connus ne sont pas suffisamment performants ou sont trop coûteux, et malgré les progrès réalisés, les diesels marins restent de trop gros émetteurs de NO x . On utilise aujourd’hui des installations basées sur des « réducteurs de NO x » (Figure 4). Ces installations aussi volumineuses (ou presque) que le moteur fonctionnent par réaction des gaz émis avec l’ammoniac NH 3. Au lieu de ce produit peu agréable à transpor ter, on embarque de l’urée (CO(NH2)2) d’où l’on tire l’ammoniac en tant que de besoin. Ce procédé, lourd à mettre en œuvre, risque de ne pas être capable de

Réduction catalytique sélective

N2 et H2O

Figure 4 96

Principe du réducteur de NOx. Source : DCNS

Gaz d’échappement

Injection d’urée

Ammoniac + Dioxyde de carbone

Lutter contre l’ennemi mortel : la corrosion

4

La mer est un milieu corrosif, au-delà de tout ce qu’on peut imaginer : rien ne lui résiste ! L’acier, qui reste le matériau de structure privilégié des constructeurs de bateaux, rouille en quelques années. Développer des techniques pour le protéger est un objectif tout à fait essentiel, mais que l’on ne sait atteindre que de façon très imparfaite. La recherche du métal inoxydable à l’eau de mer s’apparente à celle de la pierre philosophale : les aciers inox se compor tent apparemment bien mais peuvent être sujets à des formes d’oxydation peu apparentes mais qui vont réduire notablement leurs caractéristiques mécaniques ; les alliages cuivreux résistent souvent mieux à condition d’avoir la bonne composition (le laiton par exemple, alliage de cuivre et de zinc, voit son zinc se dissoudre dans l’eau de mer et devient cassant comme du verre) ; même les alliages à base de nickel

comme l’Inconel se révèlent décevants. Les plus prometteurs restent certains alliages de titane. Dans tous les cas, les alliages dits inoxydables doivent leur qualité à la création d’une couche d’oxyde superficielle étanche qui protège le métal de base, mais cette couche peut être localement détruite par une attaque ponctuelle chimique ou biologique, et la corrosion qui en résulte est pernicieuse et particulièrement dangereuse. Ces alliages sont par ailleurs beaucoup plus coûteux que l’acier noir et pour des caractéristiques mécaniques moindres. Ils sont enfin plus « nobles » que le fer et créent des couplages galvaniques qui aggravent la corrosion des structures en acier voisines. L’acier reste donc le matériau essentiel de réalisation des structures marines. Elles doivent donc être protégées de la corrosion par des revêtements et des systèmes de protection cathodique. Pour cela on utilise des anodes sacrificielles en zinc ou en alliage d’aluminium (Al/In ou Al/Ga) qui se corrodent à la place de la structure en acier qu’elles protègent ou des systèmes dits « à courant imposé » où l’on crée un courant qui va protéger l’acier. La peinture est justement qualifiée de « meilleur ami du marin » : on connait le fameux adage placé au-dessus du marin : « Salue tout ce qui bouge et peins tout ce qui ne bouge pas ! ». Le problème est que les peintures contiennent des produits qui peuvent être dangereux pour l’homme ou l’environnement et soupçonnés

Chimie et construction navale

répondre aux exigences obligatoires à partir de 2016 – ce qui rendrait les diesels actuels inutilisables. Les solutions à l’étude suivent les progrès des véhicules terrestres, et l’on peut imaginer que des pots catalytiques appropriés pourront être mis au point, par exemple par le développement de catalyseurs adaptés aux conditions de fonctionnement des diesels marins (au sujet des pots catalytiques, voir le Chapitre de J.-P. Brunelle).

97

Chimie et transports

de l’être. La recommandation REACH de la Commission Européenne, entre autres, impose une accréditation sévère garantissant l’innocuité des produits chimiques commercialisés. Pour justifiée qu’elle soit, cette recommandation a pour résultat de faire interdire d’emploi des peintures qui donnent satisfaction et d’obliger à rechercher constamment des substituts qui n’ont pas toujours les mêmes qualités. Par exemple nous utilisions naguère une peinture merveilleuse, appelée Bitulatex, qui était un mélange d’amiante et de brai de houille ; inutile de dire qu’elle est maintenant interdite à la commercialisation, mais malheureusement les produits de remplacement sont loin d’offrir la même protection et de toutes façons, ils sont interdits à tour de rôle tous les dix-huit mois… On peut aussi voir le bon côté des choses : il y a dans cette situation des opportunités impressionnantes pour les chimistes ; ils ont à relever le défi de trouver de nouvelles molécules, possédant les performances des anciennes mais ne soulevant pas d’inquiétudes sur leurs effets sanitaires.

L’apparition des matériaux composites

5

98

La technologie des dernières décennies a vu l ’apparition et le développement de matériaux composites. Ces matériaux, chimiquement inertes, sont peu sensibles à la corrosion marine. Alors pourquoi ne pas les utiliser en substitution de l’acier comme

matériaux de structure ? Nous avons construit dans les années 80 des chasseurs de mines en composite verre/résine. Ce choix était justifié par la recherche d’amagnétisme. Le facteur limitant est le coût de réalisation : il faut développer des moules de grande dimension, et les faibles séries de navires militaires ou de commerce ne permettent pas d’amortir ces coûts. Une autre considération a également joué un rôle, c’est la facilité ou la difficulté d’introduire des modifications dans le bâtiment : pour une structure en acier, il suffit d’un coup de chalumeau et d’une baguette de soudure pour faire une modification ; avec les composites, c’est beaucoup plus compliqué. Cela a freiné l’extension du composite dans le domaine naval, contrairement à l’aéronautique. Par contre, les matériaux composites ont supplanté tous les autres matériaux structuraux pour les navires de plaisance : les séries sont longues et les dimensions limitées facilitent la réalisation. Citons au passage le cas particulier des voiliers hautes performances comme celui de la Figure 5, où l’on peut trouver des composites extrêmement sophistiqués analogues à ceux utilisés par l’industrie aéronautique : dans ce cas, la recherche de gain de poids et de la performance prime le critère économique. En résumé, le jour où l’on arrivera à trouver des composites bon marché et plus faciles à mettre en œuvre que les composites actuels, ils auront de beaux jours dans la construction navale et ils pourront en

Voilier à haute performance DCNS. Source : DCNS

Chimie et construction navale

Figure 5

Figure 6 Patrouilleur hauturier Gowind l’Adroit. Source : DCNS

effet venir concurrencer les métaux comme matériaux de structure. On peut utiliser les matériaux composites, cependant, dans une tout autre optique qu’en tant que matériaux de structure ; ils ont en effet une propriété qu’il convient de souligner : on peut y intégrer d’autres fonctions acoustiques électromagnétiques, par exemple. On peut ainsi les utiliser pour constituer un écran qui absorbera les ondes radars pour rendre le navire indétectable ou au contraire pour réaliser un radome parfaitement transparent aux ondes radars afin d’abriter

les moyens de détection. Le bateau, un patrouilleur hauturier, représenté sur la Figure 6 est l’un des derniers bateaux construits par la DCNS. Le cône qui est au-dessus cache deux antennes de radar ; il doit aussi supporter les quelques tonnes du mât qui se trouvent au-dessus tout en restant très mince et très transparent aux ondes des radars. Comme les deux antennes radar n’ont pas tout à fait les mêmes longueurs d’ondes, il faut trouver des astuces pour que selon les endroits les fenêtres correspondent. On arrive, on le voit, à faire grâce aux matériaux composites, des produits

99

Chimie et transports

Figure 7 Concept-ship Advansea. Source : DCNS

élaborés, non pas pour la grande structure du bateau mais pour des rôles très spécifiques. Il s’agit-là d’un domaine encore très jeune mais appelé à de grands développements. Le bateau représenté sur la Figure 7 est un « concept-ship » que l’on a baptisé « Advansea ». Contrairement au bateau de guerre normal, on ne voit ici aucune antenne car toutes les antennes sont intégrées dans

les superstructures. Cela était inaccessible avec les matériaux traditionnels mais le devient avec les matériaux modernes où l’on peut arriver à des superstructures rayonnantes, ou au contraire absorbantes, à certains endroits selon les fonctions recherchées. Certainement, l’avenir de la construction navale – militaire en tout cas – fera un large usage de ce genre de dispositions.

La construction navale et la chimie naviguent en étroite relation

100

Il apparaît bien, à la lumière de ces lignes, que la chimie se cache dans de nombreux aspects, et des aspects essentiels de la construction navale. On ne peut guère ici allonger la liste des objets qui doivent leur existence ou leur performance à la chimie, mais il faut tout de même mentionner la spectaculaire extension de l’usage des colles. Autrefois, on ne collait que des petits objets, maintenant on colle des supports en acier sur lesquels vont reposer des machines de 100 ou 200 kg et qui vont tenir aux explosions, aux chocs, à tous les avatars que

Chimie et construction navale

peut vivre le bateau. Et les usages des colles n’ont pas dit leur dernier mot ! La recommandation REACH, citée plus haut, fournit par ailleurs, pour les colles comme pour les peintures, un domaine de recherche inépuisable : il faudra en permanence rechercher des formulations plus inoffensives pour l’homme et l’environnement… Mais la loi du progrès est là, et on verra sûrement un jour pas si lointain des navires tout électriques. Les arguments avancés en faveur de la voiture électrique s’appliquent aussi, en effet, aux navires. L’un des facteurs de cette évolution se trouve dans la nécessité de respecter des contraintes environnementales toujours plus strictes. On peut imaginer qu’au moins dans les zones proches des côtes, les navires utiliseront exclusivement la propulsion électrique (batterie lithium-plomb, pile à combustible ou combinaison des deux technologies) même si celle-ci doit laisser la place à la propulsion thermique pour les déplacements plus lointains. Bien entendu, ceci concerne les navires militaires tout autant que les navires civils. Des recherches sont poursuivies dans cette direction, et pas seulement en France. Les progrès des performances des bateaux, de leurs capacités et de leur souplesse, comme ceux de la vie des personnels à bord des navires sollicitent directement la chimie et vont continuer dans l’avenir à profiter des progrès de cette discipline.

101

7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN

allégement

pour l’

des structures dans

aéronautique

l’

et la

carrosserie

automobile Bruno Dubost est directeur scientifique de Constellium1 et membre de l’Académie des technologies.

La durabilité dans les transports est très liée aux problématiques d’allégement pour lesquelles les enjeux sont grands pour les matériaux. Nous verrons la place de l’aluminium et le rôle clé de la chimie dans la métallurgie des alliages d’aluminium, notamment celle des alliages « à durcissement structural », et le développement de solutions innovantes pour l’allégement des structures dans l’aéronautique et dans l’automobile. 1. www.constellium.com

Allégement des structures et durabilité pour le transport aéronautique et automobile

1

1.1. Les matériaux de grande diffusion à hautes performances spécifiques : un levier clé de l’allégement des structures d’avions et d’automobiles Quand on considère un matériau, il faut examiner deux aspects : la matière et les fonctionnalités ; on évolue de plus en plus vers des demandes

Bruno Dubost

alliages d’aluminium Les

Chimie et transports

Figure 1 Les différents types de matériaux de grande diffusion en fonction de leurs performances spécifiques, rapportées à la densité. PMMA = polyméthacrylate de méthyle ; PC = polycarbonate ; PA = polyamide ; PET = polyéthylène ; PEEC = polyéther éther cétone ; PRFV = plastique renforcé à la fibre de verre ; PRFC = plastique renforcé à la fibre de carbone. Source : GrantaDesign-CES Edupack (entreprise spécialisée en technologie de l’information sur les matériaux)

de multifonctionnalité. Nous parlerons principalement des fonctionnalités structurales et des exigences liées à la fabrication et à l’utilisation des matériaux, c’est-à-dire à leur aptitude à être élaborés, mis en forme et mis en œuvre, auxquelles s’ajouteront des exigences de durabilité, et bien sûr de coût.

Les matériaux structuraux formables sont essentiellement métalliques. La compétition est intense entre les matériaux de structure métallique dans le domaine de l’allégement, notamment entre les aciers – matériau de référence dans les structures d’automobiles –, les alliages d’aluminium – matériau de référence dans la construction aéronautique – et, pour certaines applications spécifiques à l’aéronautique, les alliages de titane. La densité de l’aluminium est de 2,7 et celle du titane est de 4,5 alors que celle du fer est de 7,9. On trouve également, en compétition avec les métaux dans le domaine des densités

Le choix des matériaux est immense. La Figure 1 permet de comparer les matériaux en les classant en familles (métaux, céramiques, polymères et élastomères, composites, matériaux naturels, mousses) selon leur résistance mécanique (ici la limite d’élasticité), et leur densité (les échelles sont logarithmiques).

10 000

Céramiques Composites PRFC Alliages de Mg

1 000 Polymères et élastomères

PA PC PMMA Bois // au grain

100

SiC Alliages d’Al

Si3N4 Alliages de Ti Aciers Alliages Al2O3 de Ni

Métaux Alliages de tungstène Carbure de tungstène

PRFV PEEC PET

Alliages de cuivre

Force, σf (MPa)

Matériaux naturels Mousses de polymères rigides

10

Alliages de zinc

Alliages de platine

Mousse 1 Caoutchouc Élastomères butyle au silicium Bois au grain

Béton Lignes directrices pour la conception de masse minimum

Liège

0,1

σf ρ Mousses de polymères flexibles

σf ρ

2/3 1/2 σf ρ

0,01 0,01

0,1

1

10

Densité , ρ (Mg/m ) 3

106

Dans cette compétition entre matériaux, il faut aussi tenir compte des exigences de coût. On doit considérer le surcoût tolérable par le constructeur résultant de l’allégement (par kg d’allégement sur pièce finie) quand il s’agit de comparer, par exemple, des solutions aciers et aluminium dans l’automobile, ou de nouveaux alliages d’aluminium et des composites dans l’aéronautique. Les surcoûts acceptables varient beaucoup d’un domaine à l’autre : les différences sont de plusieurs ordres de grandeurs entre l’automobile et l’aéronautique et, à fortiori, le spatial. Pour l’automobile, le surcoût typique acceptable est entre 2 € et 10 €, voire maximum 8 € par kilogramme d’allégement, selon la pièce et le constructeur (Tableau 1). 1.2. L’aéronautique : des défis et des exigences élargies pour les matériaux dans le contexte de structures désormais hybrides (aluminium, composites, titane) Dans l ’aéronautique, de nombreux défis sont posés aux constructeurs et aux 2. Un matériau composite est constitué d’une ossature appelée renfort qui assure la tenue mécanique et d’un liant appelé matrice qui assure la cohésion de la structure et la transmission des efforts vers le renfort.

Tableau 1 Surcoûts d’allégement typiques acceptables pour les matériaux (€/kg).

Marché

Surcoût d’allégement typique acceptable (€/kg)

Défense et Spatial Aéronautique Automobile

fabricants de matériaux, et les exigences sont larges (Tableau 2). On parle désormais de structures hybrides. C’est maintenant une règle générale dans la conception des structures de ne plus considérer des structures monolithiques (formées d’un seul matériau) : on met en œuvre différentes classes de matériaux, métalliques (principalement alliages d’aluminium, et aussi, en liaison avec les composites, alliages de titane) et composites, selon des conceptions optimisant le choix du matériau vis-à-vis de son emplacement et des fonctions à assurer. Les défis à relever se trouvent donc au niveau des propriétés d’ensemble des produits : performance, maintenance, poids et coût des avions, mais aussi problématiques de corrosion, de tolérance aux dommages, de tenue en fatigue, de réparabilité et de fiabilité. En effet, si l’allégement est un objectif de premier ordre pour les fournisseurs, l’augmentation de la durée des intervalles de maintenance est prise en compte, car la cette dernière coûte cher. La chimie des matériaux, à travers la métallurgie des alliages et la science de leurs procédés d’élaboration et de traitements

1 000–10 000 100–1 000 2-10

Les alliages d’aluminium pour l’allégement des structures dans l’aéronautique et la carrosserie automobile

faibles, les composites2 avec les classes de composites à matrice polymère renforcés par des fibres de carbone – en fort développement dans la construction aéronautique – et ceux à fibre de verre, utilisés en carrosserie automobile.

107

Chimie et transports

Tableau 2 Les défis de la chimie dans l’aéronautique (d’après Eberl et coll., Constellium, 2011).

Défis Produits

Exigences

Performance – Poids et coût

Allégement

Maintenance – Corrosion Augmentation – Fatigue et tolérance au dommage des intervalles de maintenance – Réparation

Domaines Impact de la chimie

Chimie des matériaux, métallurgie physique Mécanique des matériaux et des structures

Risques limités – Fiabilité – Prédictabilité Opérations

Fabrication Intégration chaîne ss-traitance Montée en cadence

Réduction des coûts et des cycles de fabrication des aérostructures

« Right first time » Durabilité

Émission de CO2

Procédés et solutions durables de fabrication et de mise en œuvre

Bruit Consommation – Eau, énergie Recyclage complet – Déchets, avions

Chimie et génie des procédés : – élaboration des matériaux, fusion, solidification – assemblage – traitement et revêtement de surfaces – recyclage

Recyclabilité

Empreinte carbone

thermiques, impacte directement ces défis, avec la mécanique des matériaux et des structures.

108

Au niveau de la fabrication des avions, il faut intégrer les défis de montées en cadence et les problèmes qui peuvent en résulter dans la chaîne de sous-traitance. La réduction des coûts doit aussi concerner ceux des cycles de fabrication des aérostructures. Par exemple la production d’avions de ligne monocouloirs au rythme de quarante à soixante

exemplaires par mois impose que les matériaux utilisés se mettent en œuvre facilement. De plus, on vise maintenant à développer des procédés et des solutions durables, à la fois de fabrication et de mise en œuvre (voir le Chapitre de J. Botti). La recyclabilité est un aspect non négligeable qui doit être pris en compte dès la conception, notamment dans le cas de structures hybrides. C’est un atout pour les métaux, dès lors que l’on peut les séparer de façon satisfaisante en fin de vie.

Dans le secteur de l’automobile la durabilité est un défi (voir les Chapitres de J.-P. Brunelle et L. Vaucenat). Il faut satisfaire les réglementations qui sont convergentes dans le monde sur les émissions gazeuses, en grammes d’équivalents CO 2 par kilomètre3, prévues jusqu’à 2025 (Figure 2). L’Europe est en tête, avec les exigences les plus sévères puisqu’il faudra diminuer les émissions gazeuses qui étaient de 140 g/km en 2010 à 95 g/km en 2020. Suivent le Japon, puis les États-Unis, où il faudra réduire de moitié les 3. Les émissions de CO2 mesurent un impact en termes d’émissions de gaz à effet de serre généré par une consommation énergétique dite « finale », pour un usage ou pour une somme d’usages. Les émissions de CO2 sont évaluées selon deux conventions, soit en émissions directes dues à l’utilisation de l’énergie chez le consommateur final, soit en analyse du cycle de vie, tenant compte des émissions dues à l’utilisation de l’énergie mais également des émissions aval dues aux chaînes d’approvisionnement et de transformation énergétique (production, transport, distribution, recyclage éventuel).

280 Points pleins et lignes : performance historique Points pleins et lignes pointillées : objectifs adoptés Points pleins et pointillé : objectifs proposés ; Points creux et lignes pointillées : objectifs à l’étude

260 240 220 200 180

Mexique 2016 : 173 Canada 2016 : 170

160 Corée du Sud 2015 : 153

140 120

Chine 2020 : 117 US 2025 : 107 Japon 2020 : 105 Union européenne 2020 : 95

100 80 2000

2005

2010

Véhicules utilitaires légers américains Véhicules utilitaires légers canadiens

2015

2020

2025

Union européenne

Corée du Sud

Japon

Australie

Chine

Mexique

émissions gazeuses à l’horizon 2025. Les principaux leviers d’action sont la propulsion, la masse (allégement), la diminution des pertes d’énergie par les phénomènes parasites tels que les frottements et l’aérodynamisme. L’allégement est un facteur impor tant ; retenons que 100 kg d’allégement des structures entraîne des réductions d’émissions de gaz à effet de serre qui sont variables selon les pièces, typiquement jusqu’à 8 à 10 g d’équivalent CO2 par km.

Figure 2 Normes sur les émissions de CO2 (en grammes d’équivalents CO2 par kilomètre) selon les années et pays. *NEDC (New European Driving Cycle) = nouveau cycle européen de conduite. C’est un cycle de conduite automobile conçu pour imiter de façon reproductible les conditions rencontrées sur les routes européennes. Source : www.theicct.org

Les alliages d’aluminium pour l’allégement des structures dans l’aéronautique et la carrosserie automobile

1.3. L’automobile : le défi de la durabilité pour satisfaire des réglementations convergentes dans le monde

Grammes de CO2 par kilomètre normalisés au NEDC*

Le respect de ces exigences repose encore sur la chimie et le génie des procédés en particulier pour les étapes d’élaboration des matériaux, de fusion, de solidification des métaux, ainsi que les étapes d’assemblage, les traitements de surface et le recyclage.

1.4. L’allégement de l’automobile ou répondre au défi de la durabilité avec des matériaux performants Le Tableau 3 résume les leviers pour répondre aux défis de durabilité de l’automobile. Le premier, le plus important, est la propulsion (voir les Chapitres de S. Candel,

109

Chimie et transports

Tableau 3 Les défis et leviers de durabilité pour l’automobile. Source : White, Jaguar Land Rover, Global Automotive Lightweight Solutions Conference, Londres, 2012

Propulsion Véhicules hybrides Véhicules électriques Volant (cinétique) Combustion Transmission Direction Efficacité du groupe motopropulseur

110

Masse

« Parasites »

Efficience en masse Architecture du véhicule Caisse en blanc, ouvrants Liaisons au sol Mise en œuvre des matériaux Technologies d’assemblage Analyse de cycle de vie Masse vs. fonctionnalités

Aérodynamique Résistance au roulement Gestion de l’énergie du groupe motopropulseur et thermique – Châssis (systèmes) – Systèmes électriques – Systèmes de climatisation

S. Jullian et H. Trintignac), que nous n’aborderons pas dans ce chapitre.

1.5. La forte pénétration de l’aluminium en Europe et dans le monde

En second viennent les gains de masse avec des solutions de matériaux durables et performants qui interviennent dans les carrosseries, notamment les ouvrants et, plus largement, la « caisse en blanc », mais aussi dans les pièces de liaisons au sol. Les défis concernent non seulement le choix des matériaux (aciers, alliages d’aluminium, polymères, composites ), mais aussi leur assemblage et leur mise en œuvre. Le choix des matériaux est optimisé via une conception hybride de matériaux et de structures. Si les aciers constituent encore l’essentiel du poids du véhicule et continuent à évoluer, notamment vers des aciers à très haute résistance mécanique pour structure de « caisse en blanc », l’aluminium progresse avec la mise en œuvre de nouveaux alliages ; c’est un domaine clé de recherche et développement pour la métallurgie (donc pour la chimie) et pour la mécanique.

La Figure 3 montre l’évolution de la masse d’aluminium par véhicule et selon les pièces automobiles en Europe. On voit que c’est dans le domaine de la carrosserie, des ouvrants et des pare-chocs (en rouge) que l’utilisation de l’aluminium se développe le plus, avec une croissance annuelle remarquable de 17 %. C’est dans le domaine des pièces de fonderie dans les groupes motopropulseurs et dans les roues (en bleu) que s’est d’abord développé l’aluminium (par rapport à la fonte), avec les alliages de moulage, pour atteindre aujourd’hui un niveau élevé mais de croissance modeste (1 % par an). L’aluminium est également très utilisé dans les échangeurs thermiques du fait de la bonne conductivité thermique associée à une faible densité, de la résistance à la corrosion et de l’aptitude au formage et au brasage des alliages. L’aluminium progresse de manière plus importante (5 % de croissance

1.6. Le cycle de vie de l’aluminium dans les transports 1.6.1. Importance de la phase de recyclage Nous avons vu que l’allégement résultant de l’utilisation massive de l’aluminium entraîne des économies de carburant, des réductions d’émissions et des améliorations de performance. Un autre paramètre fondamental à prendre en compte dans l’analyse du cycle de vie de l’aluminium est le recyclage, qui a un impact particulièrement important sur la réduction de l’empreinte environnementale des matériaux de grande diffusion utilisés dans les transports. En effet, le recyclage de l’aluminium permet des économies d’énergie de 95 % au stade

180 Kilogramme par véhicule

La croissance de l’aluminium en Europe dans les carrosseries et les ouvrants est liée à l’expansion géographique des constructeurs européens de voitures de gamme « premium » qui utilisent de l’aluminium au lieu de l’acier, en particulier les constructeurs allemands. Il en est de même aux États-Unis, où chez des constructeurs comme Ford, la totalité de la carrosserie de certains nouveaux modèles est maintenant en aluminium. Le remplacement de l’acier par l’aluminium est incrémental dans les ouvrants chez tous les constructeurs, et il est prévu que, d’ici 2020, 45 % des capots (soit 9,4 millions de capots) soient en aluminium.

Croissance annuelle en % 3,4 +2

200

160

29

140 120

10,7

11,5

+17

16

+5

100 80 60

+1

40 20 0 2010

2012

2015

2020

Écrans thermiques, décoration, toit ouvrant, intérieur

Liaisons au sol, incluant roues

Carrosserie, pare-chocs, ouvrants, pann. d’instr.

Groupe motopropulseur et échangeurs thermiques

de la refusion, et de l’ordre de 90 % au stade du demiproduit transformé, et donc des réductions importantes d’émissions de gaz à effets de serre par rapport a la production d’aluminium primaire, qui est très énergivore. Le développement du recyclage est donc une étape clé du développement de l’utilisation de l’aluminium. Le métal peut être récupéré tout au long de la chaîne, de la production à la fin de vie des produits, tout en permettant de conserver ses propriétés. Il est donc important qu’il puisse être récupéré et recyclé dans la même filière, c’est-à-dire pour fabriquer des pièces à hautes performances avec des alliages recyclés, grâce à des techniques de séparation par alliages ou familles d’alliages sur la base des caractéristiques chimiques, physiques ou géométriques des produits. On considère que 75 % de l’aluminium produit depuis les années 1880 – c’est-à-dire

Figure 3 La masse d’aluminium par automobile en Europe selon les années et les types de pièces. Source : Ducker WW – EAA Aluminium penetration in cars – 2012

Les alliages d’aluminium pour l’allégement des structures dans l’aéronautique et la carrosserie automobile

annuelle) dans les pièces de liaisons au sol et les suspensions.

111

Chimie et transports

depuis l’utilisation de l’aluminium industriel – est encore en service. 1.6.2. Importance de la phase d’utilisation

Figure 4 Les contributions des phases du cycle de vie de l’automobile à l’émission de gaz à effet de serre. Source : Haberling, Audi, Global Automotive Light-weight conf., 2012

Des analyses de cycles de vie (ACV) sont effectuées par les constructeurs. L’ACV doit prendre en compte la totalité du cycle. Dans l’automobile, la contribution de la phase d’utilisation du matériau à l’émission de gaz à effets de serre est beaucoup plus importante que la part élaboration du matériau – fabrication du produit (Figure 4). Par comparaison, la phase de fin de vie du produit (recyclage) émet peu de gaz à effets de serre. Agir par l’allégement sur la phase d’utilisation présente donc un enjeu majeur pour la réduction des émissions gazeuses. Il faut aussi travailler sur des unités fonctionnelles bien définies quand on compare des matériaux, et avoir une bonne traçabilité des hypothèses. C’est l’un des axes en cours dans le cadre du nouvel Institut

Recyclage

Composantes de la production

Matériaux, biens semi-finis Phase d’utilisation

Production

Production Matériaux, biens semi-finis pour batteries, etc. (e-mobilité)

112

de recherche technologique M a té r i a u x , M é t a l l u r g i e , Procédés (IRT-M2P) à Metz, pour lequel les constructeurs et les producteurs travaillent ensemble pour faire progresser les méthodes d’évaluation des cycles de vie et de recyclage.

2

Métallurgie des alliages d’aluminium

2.1. Les alliages d’aluminium pour alléger les structures : familles et caractéristiques mécaniques typiques Rappelons d’abord quelques bases de la métallurgie des alliages d’aluminium. Un alliage d’aluminium, c’est de l’aluminium auquel sont ajoutés des éléments d’additions solubles et mobiles dans le métal, à effet durcissant ; les principaux sont le cuivre, le lithium, le magnésium, le silicium et le zinc (l’un ou l’autre de ces deux derniers éléments étant associé au magnésium). À ces éléments d’addition principaux s’ajoutent en faibles teneurs des éléments secondaires, essentiellement constitués de métaux de transition (chrome, manganèse, zirconium, etc.), peu solubles et peu mobiles, qui agissent sur la structure granulaire des alliages (structure et forme des cristaux (grains) d’aluminium). Le fer, très peu soluble, est une impureté, de même que le silicium dans la plupart des alliages hors Al-Mg-Si. Deux principaux types d’alliages d’aluminium sont utilisés pour alléger les structures : les alliages à

100

200

300

400

500

600

700

800

(MPa)

AA1000 Al (+Fe, Si) (pour base de comparaison) Alliages de corroyage à durcissement par écrouissage (sans traitement thermique) Al-Mg

AA5000

Automobile (carrosserie : doublures)

Al-Mg-Si

AA5000

Automobile (peau/ouvrants, crash) Aéronautique (+Cu)

Al-Cu-(Mg) Al-Cu-Li-(Mg)

AA2000

Aéronautique (+Li)

Al-Zn-Mg-(Cu) AA7000 Alliages de corroyage à durcissement structural Limite d’élasticité

Cu

Charge à la rupture Tendances/Évolutions

durcissement par écrouissage4 et les alliages à durcissement structural (Figure 5). Les alliages à durcissement par écrouissage sont mis en forme par déformation plastique, principalement par laminage 5 et peuvent subir des traitements thermiques d’adoucissement. Ce sont principalement des alliages aluminium-magnésium, beaucoup utilisés en carrosserie automobile pour les doublures. Ils sont très formables, mais peuvent 4. L’écrouissage est le durcissement « définitif » d’un métal sous l’effet de sa déformation plastique. Par exemple, lorsque l’on tord un fil de fer, il est impossible de le remettre complètement à plat : la partie coudée garde une déformation car elle s’est durcie. 5. Le laminage est un procédé de fabrication par déformation plastique, obtenue par compression continue au passage entre deux cylindres contrarotatifs appelés laminoirs.

Aéronautique

Automobile

conduire à des aspects de surface après déformation non appropriés pour utilisation en peau extérieure de carrosserie. Les alliages dont l’utilisation se développe le plus actuellement sont les alliages à durcissement structural mis en forme par laminage, filage 6 ou forgeage, qui subissent des traitements thermiques durcissants. Ce sont les interactions entre les défauts créés par la déformation plastique et les particules nanométriques riches en éléments d’addition (précipités) créées lors du traitement thermique qui régissent les propriétés mécaniques. La Figure 5 donne 6. Le filage est un procédé de fabrication mécanique par lequel un matériau compressé est contraint de traverser une filière ayant la section de la pièce à obtenir. On forme en continu un produit long (tube, tuyau, profilé, fibre textile) et plat (plaque, feuille, film).

Li

Mg

Si

Zn

Éléments principaux d’addition (solubilité, mobilité dans Al )

Figure 5 Familles d’alliages d’aluminium pour structures et caractéristiques mécaniques typiques.

Les alliages d’aluminium pour l’allégement des structures dans l’aéronautique et la carrosserie automobile

0

113

Chimie et transports

la limite d’élasticité pour chaque famille ; elle peut atteindre pratiquement plus de 700 MPa. On voit que l’on peut multiplier par vingt ou vingtcinq la limite d’élasticité d’un matériau comme l’aluminium en lui ajoutant des éléments d’alliages et en lui faisant subir les traitements thermiques adaptés. Les alliages aluminiummagnésium-silicium sont de plus en plus utilisés dans l’automobile, en particulier pour la « peau », les ouvrants et ce qui doit résister aux crashs (pare-chocs, « crash box », etc.). Pour l’aéronautique, on ajoute du cuivre pour améliorer les propriétés mécaniques. Les alliages traditionnels les plus anciens sont des alliages durs au cuivre et au magnésium. Ils ont beaucoup évolué et l’on ajoute aujourd’hui du lithium au cuivre pour augmenter la résistance mécanique et la tolérance aux dommages. Les plus durs de tous les alliages actuels sont les alliages au zinc et magnésium avec ajout de cuivre pour les applications aéronautiques. Les alliages aluminium-zincmagnésium (Al-Zn-Mg), à haute résistance mécanique, se développent dans les structures pour automobile. 2.2. Métallurgie des alliages d’aluminium à durcissement structural

114

La thermodynamique chimique et la compréhension des diagrammes d’équilibre de phases sont des bases de la métallurgie des alliages. Il faut d’abord choisir les éléments d’addition qui devront être solubles faci-

lement dans la matrice d’aluminium à haute température mais peu solubles à basse température. Il faut que ces éléments soient mobiles et capables de diffuser dans le réseau des atomes d’aluminium. Les alliages ternaires (Al-Cu-Mg, Al-Cu-Li, Al-Mg-Si, Al-Zn-Mg) sont généralement constitués à la fois d’éléments principaux à rayon atomique relativement petit (Cu, Si ou Zn) et gros (Mg, Li) par rapport aux atomes d’aluminium constituant la matrice. 2.2.1. La mise en solution solide des éléments de l’alliage La Figure 6 montre un exemple du diagramme d’équilibre de phase dans le cas d’un binaire très simple d’un alliage d’aluminium au cuivre – mais on travaille le plus souvent avec des alliages ternaires ou quaternaires. Le tr aitement ther mique consiste à porter un mélange d’aluminium et de cuivre (ou d’alliage au cuivre et de particules intermétalliques Al 2 Cu solubles à haute température) d’une composition donnée, correspondant à la composition de l’alliage que l’on veut obtenir, jusqu’à une température (flèche rouge) où l’élément d’alliage (ici le cuivre) est dissous à l’état solide, c’est-à-dire en solution solide7 (zone bleue) dans la matrice d’aluminium. C’est l’étape de mise en solution. On fige la solution solide ainsi obtenue par une trempe, c’està-dire un refroidissement 7. En thermodynamique, la solution solide est un mélange de corps purs formant un solide homogène.

800 Liquide 700

Domaine de mise en solution

Liquide/solide

600 Solution solide 500

Trempe

400

300 Solution solide + particules Al2Cu

200 100 0 Al

1

brutal du matériau jusqu’à la température ambiante qui fige la structure en évitant qu’elle se décompose sous forme d’équilibre avec des composés grossiers (zone verte). Ce faisant, on obtient une solution solide qui est métastable : elle va se décomposer ultérieurement, mais sous forme extrêmement fi ne et dense, d’amas d’atomes de soluté puis de toutes petites particules, de taille nanométrique, qui vont être responsables du durcissement structural lors des étapes ultérieures de maintien à température ambiante puis de traitement thermique final. 2.2.2. Les étapes du traitement thermique La Figure 7 montre un exemple des différentes étapes du traitement thermique auquel sont soumis les alliages à durcissement structural. Rappelons que l’alliage est transformé, par exemple sous forme de

2

3

4

5

6

7

% Cu

tôles laminées à chaud ou à froid selon leur épaisseur ; l’ensemble est chauffé dans un four pour dissoudre les éléments d’alliage (mise en solution), puis refroidi rapidement (trempe). Bien que l’aluminium soit un bon conducteur thermique, la trempe induit des gradients de température entre surface et cœur d’autant plus importants que les pièces sont épaisses, donc des déformations plastiques hétérogènes générant des contraintes internes qu’il va falloir résorber par une petite déformation plastique (par exemple par tractionnement des tôles). Cette étape de déformation plastique contribue aussi au durcissement de certains alliages en favorisant la décomposition ultérieure de la solution solide sur les défauts ainsi créés. Lors du maintien à température ambiante (maturation), l’alliage trempé durcit spontanément par décomposition de

Diagramme d’équilibre des phases binaire aluminium-cuivre (teneur en Cu en poids %). La phase d’équilibre Al2Cu (composé intermétallique contenant environ 53 % de Cu) n’est pas représentée sur la droite.

Les alliages d’aluminium pour l’allégement des structures dans l’aéronautique et la carrosserie automobile

Figure 6

°C

115

Chimie et transports

Laminage

Détensionnement planage

Mise en solution

Contrôle

Température

(déformation plastique)

Mise en œuvre aval : Trempe État laminé, (ou filé) Revenu

découpe usinage, formage, assemblage traitement de surface

Maturation

Figure 7 Les traitements thermiques des produits laminés en alliages d’aluminium à durcissement structural. Photos : Constellium (en haut) ; démonstrateur de cadre de fuselage usiné (à droite)

116

la solution solide sursaturée en élément(s) d’addition (et donc métastable). La plupart des alliages sont ensuite soumis à un traitement thermique durcissant à température modérée, typiquement 100-200 °C, appelé revenu, qui permet d’ajuster les caractéristiques mécaniques du matériau, puis on termine par le contrôle des produits. L’exemple représenté sur la Figure 7 concerne les tôles épaisses. Pour certains panneaux de voilures d’A380, on utilise des tôles ayant jusqu’à 36 m de long, 3 m de large, et de 30 à 40 mm d’épaisseur. Le procédé de fabrication est donc très exigeant sur le plan de la qualité. Il est suivi de ce qu’on appelle la mise en œuvre en aval, réalisée par le fournisseur (découpe, pré-usinage) et/ou par client ou le sous-traitant (usinage, assemblages, traitements

de surface…). Ce schéma de traitement simplifié est appliqué, à quelques modalités et étapes près, aux tôles minces (laminées à froid) pour l’aéronautique ou l’automobile. 2.2.3. Les phases du durcissement structural lors du traitement thermique de revenu Le revenu de l’alliage est un traitement thermique de chauffage qui fait apparaître, dans la matrice d’aluminium, des familles de précipités qui constituent des obstacles au passage des dislocations8 lors de la déformation plastique (Figure 8). C’est ce phénomène qui conduit au durcissement structural du matériau. Les alliages les plus utilisés aujourd’hui dans la carrosserie 8. Une dislocation est un défaut linéaire correspondant à une discontinuité dans l’organisation de la structure cristalline.

Amas d’atomes de soluté (zones GP), précipités cohérents avec la matrice Résistance (MPa)

325

Solution solide se substitution

Pic de durcissement Surrevenu

300 Sous-revenu 275 Alliage 6082 Revenu à 185 °C État trempé

250

Atomes d’aluminium Atomes d’éléments d’alliage

225 0

automobile, comme dans les structures aéronautiques, sont ceux dans lesquels les précipités sont nombreux et petits. La Figure 8 montre l’évolution structurale des précipités et les conséquences sur le durcissement en fonction de la durée du revenu. On passe de l’état trempé, où les atomes d’éléments d’alliage sont dispersés dans la solution solide de substitution (sur les sites des atomes d’aluminium), à l’état mûri, qui provoque le rassemblement de ces atomes en amas (zones de Guinier-Preston ou zones GP) au sein de la matrice. Lors des premiers stades du traitement de revenu, la microstructure évolue pour former des précipités (phases avec une structure cristalline propre, différente de celle de la matrice d’aluminium). Ces précipités très fins sont

1

2

3 4 5 Durée du revenu (h)

d’abord cohérents avec la matrice (en continuité d’interface entre précipité et matrice à une très faible distorsion élastique près). Ils croissent avec la durée et la température de revenu jusqu’à devenir semicohérents, puis totalement incohérents après l’atteinte du pic de durcissement. Leur nature et leur distribution régissent le durcissement de l’alliage.

6

7

8

Figure 8 Les stades successifs du durcissement structural lors du traitement thermique de revenu. Le durcissement est lié à la formation, lors du revenu, de fins précipités, qui constituent des obstacles au passage des dislocations (déformation plastique). Le durcissement passe par un maximum (pic) puis décroît (surrevenu).

Les alliages d’aluminium pour l’allégement des structures dans l’aéronautique et la carrosserie automobile

Précipités incohérents avec la matrice

Précipités semi-cohérents

2.2.4. Mécanismes du durcissement structural Le mécanisme le plus important, dans les premiers stades du revenu, est un mécanisme de cisaillement des précipités par des lignes de dislocations qui se propagent dans des plans de glissement du réseau des atomes d’aluminium sous l’effet de la contrainte mécanique appliquée, créant ainsi de nouvelles interfaces,

117

Chimie et transports

– orsqu’une ligne de dislocation rencontre un précipité : (?)

F –

a

b

Cisaillement

Contournement

Figure 9 Influence des précipités sur le mouvement des dislocations. Photo : image de précipités fins à morphologie en plaquettes cisaillés par des dislocations, observés sur la tranche en microscopie électronique à transmission à haute résolution dans un alliage Al-Cu-Li à l’état revenu. Source : Nie et Muddle, Mat. Sc. Eng, 2001

Al-Cu-Li-O, 12Z (wt. %) (a) pic de dursissement (b) surrevenu

comme on le voit sur la Figure 9. Quand une ligne de dislocation rencontre un précipité, soit elle le cisaille (s’il est petit et cohérent ou semicohérent avec la matrice, à l’état sous-revenu), soit elle le contourne (s’il est suffisamment gros ou, à fortiori, incohérent avec la matrice, notamment à l’état surrevenu) ; dans les deux cas, ce phénomène consomme de l’énergie. Le durcissement est donc directement lié à l’énergie nécessaire pour cisailler ou contourner les obstacles. Ainsi, les paramètres importants sont la fraction volumique et la taille des précipités. 2.2.5. La structure de l’alliage : du grain à l’atome

118

Les fractions volumiques d’éléments ajoutés sont de l’ordre du %, et la taille des précipités est à l’échelle nanométrique. Le rôle des métallurgistes consiste à définir la composition de l’alliage et les traitements thermiques pour optimiser les propriétés mécaniques du matériau en agissant sur la microstructure.

Des exemples de microstructures d’alliages observés à différentes échelles par microscopie optique et par microscopie électronique à haute résolution sont présentés sur la Figure 10. La Figure 10A est l’image d’un alliage observé par microscopie optique en lumière polarisée. Les cristaux de la matrice d’aluminium sont visibles sous forme de grains de taille de l’ordre de la centaine de microns, de morphologie équiaxe après solidification. Quand on augmente le grandissement, on voit apparaître, aux joints des grains ou des ex-dendrites9, des particules héritées de la solidification, riches en impuretés principalement de fer ou de silicium (Figure 10B) et de taille micronique (10 à 100 μm). Ces particules intermétalliques sont néfastes à la ductilité, à la formabilité, à la ténacité et à l’amorçage des fissures de fatigue. Le niveau de pureté du matériau de départ est donc très important. La Figure 10C montre une autre classe de particules de taille nanométrique ou submicronique, appelées dispersoïdes, obser vées à plus fort grandissement en microscopie électronique par transmission (MET) ; elles sont riches en aluminium et en élément de transition (zirconium, chrome ou manganèse) et influencent la 9. Une dendrite est un cristal ramifié, en forme d’arbre ou de partie de flocon de neige, formé lors de la solidification du métal : il présente un tronc (bras primaire) avec des branches (bras secondaires) croissant dans des directions cristallographiques particulières.

B

C

D

E

Figure 10 A) Grains : cristaux de matrice Al (structure cubique face centrée, taille ~100 μm) - microscopie optique ; B) Particules (taille ~10-100 μm) de phases intermétalliques riches en impuretés (Fe, Si) - microscope optique ; C) Particules (dispersoïdes) de composés Al+Zr, Cr ou Mn (taille ~20-200 nm, - microscopie électronique (MET) ; D) Précipités durcissants de phases métastables nanométriques en aiguilles (taille ~2 à × 10 nm) - MET ; E) Solution solide (Al), amas d’atomes de soluté - sonde atomique tomographique.

structure granulaire, en inhibant la formation de grains nouveaux (recristallisation) lors de la transformation thermomécanique des produits. Ces dispersoïdes sont importants pour obtenir des propriétés directionnelles et agir sur l’isotropie10 et les propriétés dynamiques des matériaux.

grossissement, obtenue grâce à une sonde atomique tomographique11, dans laquelle on distingue la répartition des atomes de soluté dans la solution solide de substitution, avec des amas d’atomes de Mg et Si précurseurs des précipités métastables dans l’alliage.

L’observation au MET à fort grandissement de la microstructure d’un alliage aluminium-magnésium-silicium utilisé pour les structures automobiles (Figure 10D) montre bien les précipités de phases métastables magnésium-silicium dans la direction des axes du cube de la matrice d’aluminium. Ce sont ces petits précipités (de l’ordre de quelques pourcents en fraction volumique, et de 1016 à 1018 cm –3 en densité volumique) qui constituent le renforcement à l’échelle nanométrique et induisent le durcissement de l’alliage.

La démarche scientifique des métallurgistes est résumée sur la Figure 11 : elle consiste, selon le domaine d’application, à définir les propriétés visées, donc la microstructure requise, puis en déduire le choix de la composition et les procédés de fabrication.

La Figure 10E est une image tridimensionnelle à très fort 10. L’isotropie caractérise l’invariance des propriétés physiques d’un milieu en fonction de la direction.

L’exemple choisi sur la Figure 11 est la fabrication d’alliages pour voilures. Les propriétés requises seront dans ce cas, le niveau des propriétés mécaniques, la résistance à 11. Sonde atomique : microscope analytique tridimensionnel de haute résolution qui permet d’observer la distribution spatiale des atomes dans un matériau. Son principe de fonctionnement repose sur l’évaporation par effet de champ des atomes de surface d’un échantillon. Cette technique d’analyse entre dans la catégorie plus vaste des microscopes à effet de champ.

Les alliages d’aluminium pour l’allégement des structures dans l’aéronautique et la carrosserie automobile

A

119

Chimie et transports

Figure 11 Conception et développement des alliages et produits : une démarche scientifique faisant appel à la chimie. D’après Ch. Sigli, Constellium

120

la corrosion et le comportement attendu lors de la mise en œuvre. À partir de cela, les métallurgistes déterminent les caractéristiques de la microstructure requise et les paramètres des traitements thermiques et thermomécaniques nécessaires pour la former. On voit sur la figure un exemple de structure à grains allongés dans le sens du laminage pour privilégier les propriétés dans le sens de la longueur du grain. De la microstructure requise on passe à la composition. Les éléments majeurs pour le durcissement seront choisis parmi le cuivre, le magnésium, le zinc, le silicium et/ou le lithium, auxquels s’ajouteront comme élément s secondaires le zirconium, le manganèse ou le chrome pour former les particules (dispersoïdes) de la Figure 10C inhibant la recristallisation.

La chimie intervient à toutes les étapes de la fabrication de ces produits à hautes exigences de performances et de qualité. En amont, la fusion et l’élaboration des alliages font largement appel à la thermodynamique et à la cinétique chimiques, ainsi qu’à la chimie analytique pour la maîtrise des compositions. Elle intervient aussi au niveau du traitement de purification du métal liquide : par exemple, l’hydrogène, élément plus soluble dans le liquide que dans le solide, où il s’insère au sein du réseau de l’aluminium, ne peut être toléré qu’à une teneur de l’ordre de grandeur du dixième de ppm (1/10 ml par 100 g) sous peine de création de porosités après coulée. Lors des traitements thermiques, il faut optimiser la microstructure et maîtriser aussi l’oxydation des matériaux, qui est particulièrement sensible quand on utilise des

Les nouvelles solutions pour alléger les structures

3

3.1. Pour l’aéronautique Comme on peut le voir sur le schéma très simplifi é de la Figure 12, un avion est soumis à des sollicitations mécaniques très diverses ; il faut donc chercher des solutions multifonctionnelles pour ses matériaux constituant les différentes parties de ses structures. Le fuselage est soumis à des sollicitations complexes quand il est en vol : il est en portance, et l’avion a tendance à fléchir ; la partie supérieure du fuselage est

Les alliages d’aluminium pour l’allégement des structures dans l’aéronautique et la carrosserie automobile

éléments d’alliage comme le magnésium et, a fortiori, le lithium. La chimie est aussi présente dans l’ingénierie du procédé de coulée pour avoir des structures de solidification aussi homogènes que possible aux échelles macroscopique et mésoscopique (au niveau d’un ensemble de grains), ainsi que dans la conception de tous les traitements de surfaces ultérieurs en aval.

donc en traction, tandis que la partie inférieure est en compression ; à chaque cycle de vol, la « peau » de l’avion se tend, puis se relaxe aussi sous l’effet des cycles de pressurisation et dépressurisation. Il en résulte de la fatigue (sollicitation mécanique alternée), des cisaillements et de la torsion des matériaux qui le composent. En vol, la partie supérieure de l’aile (extrados) est fléchie, ce qui tend à comprimer la fibre du dessus qui devient plus courte ; en revanche, la partie inférieure (intrados) à l’opposé est mise en traction. Il en résulte des cycles de fatigue, notamment lors des différents cycles de décollage-atterrissage, mais aussi lors des sollicitations diverses en vol. En plus de ces cycles de fatigue, il faut prendre en compte la corrosion et des sollicitations mécaniques plus complexes (tridimensionnelles) pour certaines pièces. D’une manière générale, les exigences pour le fuselage portent donc sur la résistance mécanique et sur une tolérance aux dommages élevée qui se traduit par une haute Figure 12 Schéma simplifié des sollicitations mécaniques complexes auxquelles est soumis un avion.

121

Chimie et transports

ténacité, c’est-à-dire une bonne résistance à la propagation brutale des fissures ou à la déchirure, et une vitesse de fissuration en fatigue aussi lente que possible. Dans les voilures, pour les parties supérieures, on recherchera une limite d’élasticité maximale en compression et un niveau acceptable de ténacité. Pour les parties inférieures, on recherchera un compromis entre la résistance mécanique et la tolérance aux dommages car le matériau travaille beaucoup en traction, avec aussi une tenue en corrosion acceptable. 3.1.1. Les nouveaux alliages de la famille Al-Cu-Li-(Mg-Ag) pour l’allégement des aérostructures : la technologie AIRWARE® Figure 13

Li concentration (en pourcentage massique)

Domaines de composition de nouveaux alliages de la famille Al-Cu-Li-(Mg-Ag) pour l’allégement des aérostructures. Source : Ehrström et coll., Matériaux 2010, FFM

La métallurgie des alliages et la chimie au service de la métallurgie ont permis de proposer des solutions performantes et novatrices aux avionneurs : il s’agit essentiellement des nouveaux alliages de la famille alumi-

nium-cuivre-lithium, notamment ceux conçus et produits selon la « technologie AIRWARE® » de Constellium (Figure 13). L’ajout de 1 % (en poids) de lithium (le lithium étant le métal le plus léger) réduit de 3 % la densité de l’alliage et augmente de 6 % sa rigidité (et donc le module d’élasticité des produits). Les travaux de R&D menés dans les années 80-90 avaient porté sur des alliages plus chargés en lithium à objectifs de réduction de densité de 7 à 10 %, qui avaient posé des problèmes de stabilité thermique après maintien de longue durée à température 80-100 °C, voire de ductilité et de ténacité. De nouvelles conceptions d’alliages dérivées de celles qui ont été utilisées pour le réservoir de la navette spatiale américaine ont été définies récemment pour répondre aux exigences des applications en aéronautique civile. Parmi ceux-ci, les alliages actuellement les plus représentatifs, de désignation internationale

3 Cible = basse densité, mais pb coulée, stabilité thermique

Alliages Al-Cu-Li-(Mg) des années ’80 2090

2,5

2

Domaine multi-phasé Al+ intermétalliques

2091 2099

Limite de solubilité à 500 °C

1,5 Solution solide Li, Cu (+Mg) dans Al

1

« Optimisation » des alliages des années 1980

2198 2050 Nouveaux alliages

Al-Cu-Li-Mg-Ag Cible = propriétés (résistance mécanique, tolérance au dommage, stabilité) et densité

2 × 95 (Navette)

Très haute résistance

0,5 1,5

2

2,5

3

3,5

Cu concentration (en pourcentage massique)

122

4

4,5

Une unité de coulée industrielle dédiée AIRWARE® a été construite en 2012 à l’usine Constellium d’Issoire. Cette technologie avancée de fusion, coulée, solidification et recyclage est spécifique du fait de l’oxydabilité et de l’affinité pour l’hydrogène des alliages au lithium à l’état liquide. Elle met en œuvre des concepts innovants en chimie des hautes températures. Elle travaille en relation étroite avec les besoins des avionneurs en exigences de qualité et de capacité. Le recyclage des chutes et copeaux d’usinage est fait selon une filière écoefficiente.

A

3.1.2. Le durcissement structural des nouveaux alliages Al-Cu-Li Ces alliages sont durcis par co-précipitation, mais l’on cherche aujourd’hui à précipiter et durcir le matériau essentiellement par des précipités d’une phase T1 de composition Al 2 CuLi, qui se présente sous forme de plaquettes hexagonales croissant en orientation préférentielle sur les plans {111} d’aluminium (Figure 14). Comme cela apparaît sur l’image de microscopie électronique en transmission à haute résolution, ces plaquettes qui renforcent l’alliage à la fraction volumique de plusieurs pourcents sont très fi nes ; elles sont épaisses d’environ 1 nanomètre. Deux autres types de précipités de phases métastables sont aussi susceptibles d’être présents dans ces alliages, selon leur teneur en lithium et en cuivre : la phase δ’-Al 3Li (Figure 15) et la phase θ’Al 2Cu qu’on retrouve dans les alliages au cuivre (Figure 16). Le durcissement produit par la présence de ces phases est toutefois moindre si on le compare à celui de la phase

B

Figure 14 Phase T1-Al2CuLi contribuant au durcissement structural des alliages Al-Cu-Li par co-précipitation. A) Disposition des atomes dans la phase T1 (Al2CuLi) ; B) images de microscopie électronique en transmission (MET) des plaquettes hexagonales sur plans {111}Al ; C) à plus fort grandissement (MET à haute résolution). Source : (A) Van Smaalen et coll., 1990 ; (B) Decreus et coll., 2011 ; (C) Donnadieu et coll., 2011

Les alliages d’aluminium pour l’allégement des structures dans l’aéronautique et la carrosserie automobile

2198 et 2050 (selon l’Aluminium Association) sont des alliages aluminium-cuivrelithium-magnésium-argent. On recherche à la fois une haute résistance mécanique, une haute tolérance aux dommages et une stabilité thermique, ainsi qu’une diminution de la densité de 3 à 6 %. La technologie AIRWARE® de Constellium répond actuellement à ce cahier des charges : ces nouveaux alliages, à teneur en lithium modérée (environ 1 % en poids) et plus chargés en cuivre, permettent d’avoir des solutions d’allégement tout à fait performantes.

C

123

Chimie et transports

Figure 15 Phase métastable δ’-Al3Li de durcissement structural (faible durcissement). Source : Langan & Pickens, ICAA5, 1989

Figure 16 Phase métastable θ’-Al2Cu contribuant au durcissement structural. Source : Dubost et Sainfort, Techniques de l’Ingénieur M 242

T1, qui confère au matériau des propriétés mécaniques de haut niveau et stables. 3.1.3. L’amélioration de la résistance à la corrosion structurale

124

La résistance à la corrosion structurale est une propriété importante pour le choix des matériaux exposés en service à des milieux agressifs (notamment en présence de chlorure de sodium). Dans le cas des alliages d’aluminium pour l’aéronautique, le cuivre a un rôle déterminant dans le comportement en corrosion structurale, qui est principalement régie par la corrosion intergranulaire dans le cas des alliages Al-Cu-(Li, Mg), en l’absence de contrainte appliquée ou en corrosion sous contrainte. C’est l’électrochimie qui nous permet de comprendre, avec la métallurgie physique, le mécanisme mis en jeu.

Dans un alliage contenant du cuivre placé en atmosphère ou solution corrosive, la matrice aluminium riche en cuivre en solution solide et les composés intermétalliques riches en cuivre constituent des zones cathodiques alors qu’une zone localement appauvrie en cuivre en solution solide est une zone anodique, qui sera donc un site de corrosion préférentielle. Rappelons que l’anode est la zone où a lieu une oxydation du type M → Mn+ + ne –. Lors de la trempe des produits en alliage d’aluminium avec une vitesse de refroidissement inférieure à une vitesse critique (notamment dans les produits épais) et lors du revenu, il se forme aux joints de grains (zone bleue sur la Figure 17A) des particules de précipités de la phase d’équilibre riche en cuivre qui drainent le soluté cuivre et appauvrissent donc

Al-0,2 % Cu Al-3,5 % Cu

Corrosion localisée de la zone appauvrie en Cu au joint de grain

-0,56

C T3 Alliage 2050

-0,60 -0,64

Phases riches en Cu

-0,68

Al-0,2 % Cu Al-3,5 % Cu

-0,72

Corrosion généralisée de la matrice appauvrie en Cu

-0,76 T8

Revenu

Phases intermétalliques riches en Cu : cathodiques Solution solide Al-3,5 % Cu : cathodique Solution solide appauvrie Al-0,2 % Cu : anodique

Figure 17 Évolution du potentiel en circuit ouvert avec la cinétique de revenu. La matrice aluminium est d’autant plus « noble » que sa concentration en soluté cuivre (solution solide dans l’aluminium) est élevée. Source : Hénon. et coll., ICAA13, 2012

en soluté la zone adjacente au joint de grain (zone jaune sur la Figure 17). Les zones appauvries en cuivre ainsi créées vont être préférentiellement attaquées (oxydées) en milieu agressif. Le produit peut donc être sensible à la corrosion intergranulaire après trempe, écrouissage et maintien à température ambiante (état T3). Lors du traitement thermique de revenu, la matrice aluminium s’appauvrit, notamment en cuivre, au cœur des grains sous l’effet de la précipitation fine et dense des phases durcissantes. Ce traitement de revenu tend à égaliser les compositions en cuivre entre le cœur du grain et le bord du grain (zone jaune sur la Figure 17B) pour donner lieu à une corrosion non plus localisée et inter-granulaire, mais plutôt généralisée. Ce mécanisme explique qualitativement le bon comportement en corrosion structurale des nou-

veaux alliages AIRWARE® de la famille Al-Cu-Li traités par un revenu approprié (état T8). 3.1.4. Propriétés des nouveaux alliages AIRWARE® 2050 a été sélectionné par Airbus pour des pièces de structure interne de l’A350 XWB pour ses propriétés mécaniques et sa tolérance aux dommages (Figure 18). Il est utilisé pour fabriquer des pièces

Figure 18

Tôle épaisse + 46 % Résistance à la corrosion 2050-T84

+ 25 % Résistance à la fatigue

+ 7 % Rigidité

– 4 % Densité + 6 % Tenacité

Les alliages d’aluminium pour l’allégement des structures dans l’aéronautique et la carrosserie automobile

Phase riches en Cu

B Potentiel en circuit ouvert par rapport à l’électrode de référence (calomel)

A

Comparaison de propriétés d’emploi des alliages des tôles épaisses en 2050 (AIRWARE®) et 7050. Source : Constellium

+ 8 % Résistance mécanique 2050 Référence : 7050-T74

125

Chimie et transports

Figure 19 Position des différentes pièces faisant intervenir des tôles épaisses en alliage AIRWARE® 2050 dans l’Airbus A350 XWB. Source : Airbus

Caisson central du train d’atterrissage

Nervures de voilure

critiques usinées dans des tôles épaisses, notamment des nervures de voilure et des composants du caisson central du train d’atterrissage (Figure 19). Il est utilisé aussi pour la fabrication de pièces de forme par forgeage et matriçage. L’ensemble des propriétés les plus importantes est amélioré par rapport celles de l’alliage de référence pour les produits épais, le 7050 traité à l’état surrevenu : résistance mécanique, ténacité, fatigue, densité et rigidité, corrosion. Dans le cas des tôles minces, l’alliage AIRWARE ® 2198, très tolérant aux dommages, a été choisi par Bombardier pour le fuselage du CSeries (Figure 20).

Figure 20 Les différentes familles de matériaux utilisées selon les parties de l’avion Bombardier CSeries. Source : Bombardier

126

La Figure 21 montre la supériorité de cet alliage au titre de la résistance mécanique, la fatigue, la ténacité, la corrosion, la densité et la rigidité, par rapport à l’alliage de référence 2024 (à l’état mûri) utilisé depuis de nombreuses décennies. 3.1.5. Optimisation, mise en œuvre et allégement des structures en aéronautique La démarche de co-optimisation des matériaux des structures en aéronautique est de type holistique (Figure 22) et s’appuie fortement sur la chimie et la mécanique. Elle intègre en synergie les aspects matériau (métallurgie et propriétés des alliages et

+22 % Résistance à la fatigue

+ 3 % Rigidité

Comparaison des alliages Airware® 2198 et de l’alliage 2024 du fuselage (tôles minces) pour différents paramètres. Source : Constellium

– 3 % Densité + 44 % Résistance mécanique + 47 % Tenacité 2198 Référence : 2024 T351

Alliage/état Structure intégrale ou à assemblages mécaniques Disposition /géométrie des raidisseurs et cadres Nouvelles solutions potentielles pour réduire la masse

Forme de produit (laminé, profilé, forgé) Réduction du ratio « buy to fly » Conception (“Design”) Matériau Aérostructures haute performance

Multi-fonctionnalité (impact, conductivité électrique, surfaces fonctionnelles, architecturation) Soudabilité (Laser, Friction malaxage) Rivetage, collage

Technologie de fabrication (“Manufacturing”)

Multifonctionnalité

produits, multifonctionnalité dont conductivité électrique, surfaces fonctionnelles), mais aussi les technologies de fabrication (assemblage, usinage, formage, traitement de surface, etc.) et de conception (« design ») des pièces. De plus en plus de composants aluminium dans les avions sont aujourd’hui en alliages soudables, ce qui permet des allégements supplémentaires ; le collage est aussi important, d’où l’importance des traitements de surface. De plus, la recyclabilité est totale dans la même filière avec des alliages de cette nature.

Usinabilité Formabilité Aptitude à traitement de surface Recyclabilité totale /cycle de vie

À titre d’exemple, la Figure 23 montre le potentiel de gain de masse estimé avec l’utilisation d’un alliage à haute résistance mécanique de la technologie AIRWARE® en tirant parti de la réduction de densité des pièces, de l’amélioration des propriétés sans re-conception des pièces et d’une reconception mécanique en synergie de performances dans les cas d’un extrados de voilure d’avion monocouloir (type 737 ou A320) et d’avion de transport régional. La généralisation de cette approche à la famille des alliages AIRWARE® conduit à des

Figure 22 Démarche de co-optimisation des matériaux, des technologies de fabrication et de la conception des aérostructures à hautes performances (d’après Eberl et coll., Constellium, 2011).

Les alliages d’aluminium pour l’allégement des structures dans l’aéronautique et la carrosserie automobile

Figure 21

+ 46 % Résistance à la corrosion

127

Potentiel de gain de masse estimé pour la voilure d’avions monocouloir et d’avions de transport régional par utilisation d’alliage à haute résistance mécanique de la technologie AIRWARE® en synergie avec les propriétés mécaniques et la re-conception des composants structuraux. Source : Ehrström et coll., Constellium, Matériaux 2010, FFM

0

Gain de masse (%)

Chimie et transports

Figure 23

Reconception avec AIRWARE

AIRWARE sans reconception

AIRWARE, avec effet de densité seul

-5 -10 -15 -20 -25 -30 737/A320

Avion de transport régional

perspectives de gains de masse très attrayantes pour les solutions métalliques. De l’ajout de lithium résulte directement 3 à 6 % de gain de masse selon l’alliage. En optimisant les épaisseurs, tout en bénéficiant des propriétés mécaniques meilleures, on peut avoir 5 à 10 % de gain de masse. Si l’on reconçoit complètement les composants structuraux en prenant en compte les propriétés des nouveaux alliages et les nouvelles possibilités des technologies de mise en œuvre, on peut atteindre des gains de masse de 15 à 25 %. 3.2. Les nouvelles solutions pour l’automobile (carrosserie)

128

Dans le cas de l’industrie automobile, les alliages d’aluminium sont de plus en plus utilisés, notamment dans les pièces de carrosserie, pour répondre aux exigences d’allégement des véhicules via la substitution de l’acier par l’aluminium et l’optimisation métallurgique des produits (propriétés mécaniques-réduction d’épaisseur-conception mécanique et assemblage). Comme cela est exigé pour les matériaux métalliques (et notamment les aciers pour lesquels la problématique est similaire),

les solutions aluminium évoluent dans le sens d’une amélioration de la résistance mécanique (limite d’élasticité, en abscisse de la Figure 24) et de l’aptitude au formage (formabilité, en ordonnée) : en effet, plus l’alliage est dur, plus il est difficile à former (d’où le diagramme typique « en banane » de la Figure 24). Le haut de la Figure 24 donne également, de manière schématique, différentes étapes-clés du procédé de fabrication des tôles de peau pour carrosserie automobile. Le traitement thermique final de cuisson de la peinture chez le constructeur contribue au durcissement structural des pièces. Les innovations portent sur la composition des alliages et leurs états métallurgiques (structure du grain, durcissement) pour améliorer la formabilité, et si possible aussi la résistance mécanique. Elles concernent les alliages de doublure, généralement en alliages 5XXX (famille Al-Mg) à haute formabilité et résistance mécanique moyenne (tels que le 5754 et le 5182) et alliages 6XXX (famille Al-Mg-Si) à plus haute résistance mécanique, ainsi que les alliages de peau de carrosserie en alliages à durcissement structural de la famille Al-Si-Mg, à résistance mécanique intermédiaire (en particulier l’alliage 6016 de référence en Europe). Au-delà de l’amélioration des alliages actuels, l’utilisation de nouveaux alliages 6XXX et 7XXX (famille Al-Zn-Mg) plus durs pour les structures de « caisse en blanc » est un axe de développement. Cette voie peut aller de pair avec le recours au procédé de formage à tiède,

Laminoir à chaud Tandem

Laminoir à froid

Four de recuit

Laminoir à froid

Four de mise en solution

Conversion chimique

Formage Revêtement Revenu (Bake hardening : cuisson de peinture)

Formabilité (état métallurgique adéquat)

Références (Europe) 5754, 5182 (doublure) 6016 (peau)

Amélioration des alliages actuels

0

50

Nouveaux alliages & procédés « client »

100

150

200

Formage à tiède

7xxx : Résistance mécanique

Alliages 6xxx

Alliages 5xxx

6xxx : formabilité améliorée et/ou résistance, mécanique

Alliages 3xxx

Alliages 1xxx

5xxx : formabilité améliorée

Alliages standard

250

300

Al-Li : résistance mécanique, densité réduite

350

400

450

500

> résistance en flexion, à l’indentation,…

Limite d’élasticité R0,2 typique sur pièce (MPa)

typiquement 200 à 300 °C, qui leur confère une formabilité très fortement améliorée. L’utilisation d’alliages à haute résistance issus de l’aéronautique (au lithium) reste limitée à certaines voitures de sport de très haut de gamme. 3.2.1. Les alliages adaptés aux exigences de formabilité Les exigences de formabilité sont multiples comme l’illustre la Figure 25. Un point essentiel est l’aptitude à l’emboutissage12 profond. Aujourd’hui, l’usage de l’aluminium s’est développé énor12. L’emboutissage est une technique de fabrication permettant d’obtenir, à partir d’une feuille de tôle plane et mince, un objet dont la forme n’est pas développable. La température de déformation se situe entre le tiers et la moitié de la température de fusion du matériau.

mément dans les capots et progresse sur les portières et d’autres pièces (ailes, pavillon, structures internes). Le comportement mécanique des matériaux est une propriété du premier ordre. Il est caractérisé notamment par les courbes limites de formage (indiquant les déformations au-delà desquelles apparaissent des ruptures dans les tôles) et par l’aptitude au durcissement des alliages lors de la mise en forme des tôles (permettant d’améliorer la ductilité). Un autre point extrêmement impor tant est la qualité de l’aspect de surface des tôles de peau de carrosserie (Figure 25B). Il doit être parfait après formage et revêtement de surface. La prévention des défauts (dit de lignage) susceptibles d’apparaître du fait

Figure 24 Tendances dans l’évolution des alliages d’aluminium pour carrosserie automobile et structure de caisse en blanc, en fonction de leur formabilité et limite d’élasticité. Source : d’après Henry et coll., Constellium, Matériaux 2010, FFM

Les alliages d’aluminium pour l’allégement des structures dans l’aéronautique et la carrosserie automobile

Laminoir Coulée/ à chaud Homogénéisation réversible

129

Chimie et transports

A

Aptitude à emboutissage profond (doublures, peau)

B

Qualité d’aspect de surface de peau

C

Aptitude au sertissage

Absence de lignage

6016×

Surfalex™68

Orientations cristallines

200 μm

Comportement - Courbe limite de formage

FORMALEX™ (Al-Mg)

Figure 25 Exigences multiples sur la formabilité, solutions « alliages » pour carrosserie automobile. D’après Lequeu, Constellium, RIFT 2012 et Henry et coll., Matériaux 2010 ; (B, haut) : photo Audi

Offre Constellium

d’hétérogénéités de distribution d’orientation des cristaux de l’alliage lors de la mise en forme, est l’un des axes de la recherche en métallurgie des tôles de carrosserie automobile. Une autre exigence est l’aptitude au sertissage13, opération qui ne doit pas faire apparaître de fissures du côté externe de la tôle sertie avec un rayon de pliage faible (Figure 25C). Pour cela, le métal doit être très ductile, et une fois de plus, la métallurgie agit sur les alliages, leur structure et leur durcissement. Les nouveaux produits laminés à hautes performances

130

13. Le sertissage est une opération simple d’assemblage de deux pièces où l’on procède à une déformation de la matière sans l’écraser.

SURFALEX™ (Al-Si-Mg)

proposés par Constellium incluent notamment les marques FORMALEX® pour les tôles destinées à l’emboutissage profond (famille Al-Mg), et SURFALEX® pour les tôles de peau de carrosserie à formabilité accrue (famille Al-Mg-Si). D’autres nuances sont développées pour applications structurales dans la caisse en blanc. 3.2.2. Position des alliages d’aluminium et allégement des structures automobile Les solutions aluminium sont compétitives en termes d’allégement par rapport aux aciers d’emboutissage laminés « conventionnels », qui constituent le matériau de référence. L’utilisation des alliages d’aluminium représente aujourd’hui le meilleur

Les alliages de magnésium, plus légers, conduisent à des gains de masse potentielle-

ment plus importants, mais ils sont chers et ne sont pas faciles à fabriquer en pièces laminées et à mettre en forme, et leurs capacités industrielles de production sont limitées. De plus leur sensibilité à la corrosion impose des précautions particulières (revêtements). Ils sont donc essentiellement utilisés sur des pièces de fonderie. Les composites à hautes performances (CFRP : fibres de carbone, matrice époxy) permettent d’atteindre des niveaux élevés de résistance au crash, résistance mécanique et rigidité mais sont réservés à des véhicules de haut de gamme car les prix restent pour l’instant excessifs pour les applications de masse.

Tableau 4 Positionnement des solutions aluminium par rapport aux autres matériaux pour pièces de structures dans l’automobile. Source : Füller, New developments in sheet môtal forming, Schwabenlandhall Fellbach, 2010.

Matériau

Prix typique

Gain de masse potentiel (Réf. : aciers conventionnels)

Applications

Commentaires

Matériaux principaux pour caisse en blanc Forte activité en R&D et innovation

Aciers à très haute résistance mécanique (UHSS/ AHSS)

0,8-1,5 €/kg 10-20 %

Structure principale, armatures de carrosserie, crash

Alliages d’aluminium

3-5 €/kg

30-50 % (pièces de capots : – 40 %)

Ouvrants carrosserie extension aux structures

Alliages de magnésium

10-20 €/kg

40-60 %

Utilisation complexe avec revêtements

Principalement pièces de fonderie Peu se laminés

Composites CFRP (fibres de carbone)

40-80 €/kg

60-70 %

Crash ; haute résistance-rigidité

Potentiel pour le futur, mais prix doit baisser

Les alliages d’aluminium pour l’allégement des structures dans l’aéronautique et la carrosserie automobile

rapport gain de poids/surcoût parmi les matériaux pour les carrosseries en compétition avec les aciers d’emboutissage conventionnels qui sont hautement formables (Tableau 4). Les alliages d’aluminium permettent ainsi des gains de masse de 30 à 50 % par rapport aux aciers d’emboutissage « conventionnels » dans les pièces de carrosserie, en premier lieu dans les ouvrants. Les capots, du fait d’un allégement relatif d’environ 40 %, représentent la première application de masse pour ces produits laminés, comme indiqué au paragraphe 1.5.

131

Chimie et transports

A

B

aux exigences suivantes, avec le remplacement effectif des procédés de conversion chimique à base de chromates (du fait de la toxicité du Cr VI) : − une bonne durabilité des joints collés (performance en adhésion) ; − une résistance à la corrosion améliorée, au niveau de celle des prétraitements de référence.

Figure 26 Procédé de prétraitement de surface sans chrome en continu (A) ; microstructure de dépôt nanométrique d’oxyde observée en microscopie électronique à balayage (B). Source : Constellium

3.2.3. Le prétraitement de surface de bandes pour carrosserie En aval de la métallurgie des alliages et des procédés d’élaboration et de transformation des produits, la chimie est aussi une discipline clé pour le prétraitement de surface des bandes en alliages d’aluminium, en particulier pour la carrosserie automobile (Figure 26). L’objectif est de trouver des solutions durables et performantes qui répondent

De gros efforts ont été réalisés par les chimistes pour remplacer les chromates : on utilise un procédé continu sans chrome (Figure 26) qui précipite des couches nanométriques d’oxyde de titane et/ou de zirconium en surface des tôles d’alliage. D’autres technologies alternatives sont utilisées ; elles sont à bases de phosphate, de molécules déposées (silanes, phosphates) ou utilisent des oxydations anodiques.

La chimie, science indispensable pour l’allégement des structures aéronautiques et automobiles

132

Les alliages d’aluminium à hautes performances, légers par définition mais aussi recyclables, sont un levier important pour l’allégement des structures, la durabilité et l’efficacité économique des solutions matériaux dans des conceptions qui sont aujourd’hui essentiellement hybrides (associant plusieurs familles de matériaux). Ils sont clés pour la réduction de l’empreinte environnementale dans les transports avec

Les alliages d’aluminium pour l’allégement des structures dans l’aéronautique et la carrosserie automobile

un effet majeur de l’allégement dans la phase d’utilisation et l’impact du recyclage. Pour l’aéronautique, les nouveaux alliages de la famille aluminium-cuivre-lithium, à faible densité, haute résistance mécanique et tolérance aux dommages élevée, donnent lieu aux premières applications, à l’instar de la nouvelle technologie AIRWARE® développée par Constellium, qui offre des perspectives attrayantes pour les prochaines générations d’avions. Pour l’automobile, les progrès en métallurgie des produits laminés portent sur l’amélioration du compromis formabilité-résistance mécanique des tôles pour carrosseries, (par exemple SURFALEX® et FORMALEX® développés par Constellium). Les efforts sont poursuivis sur la recherche de nouvelles solutions pour les structures des caisses en blanc. La chimie est clé pour la conception de nouvelles nuances et de familles d’alliages, pour la maîtrise des états métallurgiques régissant les propriétés mécaniques et le comportement en corrosion et aussi pour l’amélioration de l’éco-efficience des procédés de fabrication des produits, de la fusion aux traitements de surfaces et au recyclage. Il faut souligner l’importance des démarches de co-développement des producteurs (métallurgistes) avec les constructeurs, qui intègrent aussi la mécanique des matériaux et des structures, de même que les progrès dans les technologies de mise en œuvre des matériaux, en particulier l’assemblage (soudage, collage).

Remerciements L’auteur remercie ses collègues de Constellium au Centre de Recherches de Voreppe, à Issoire et à Neuf-Brisach (Christophe Sigli, Jean-Christophe Ehrström, Tim Warner, Christine Hénon, Dominique Daniel, Andreas Afseth, Sylvain Henry, Frank Eberl, Philippe Lequeu, Olivier Néel, Hervé Ribes) pour les éléments de présentations utilisés, ainsi que Mme Danièle Olivier pour sa contribution éditoriale clé dans la transcription du texte. 133

Chimie et transports

Quelques références – L’aluminium - Un si léger métal, I. Grinberg, Découvertes Gallimard, 2003. – aluMATTER : site gratuit quadrilingue de « e-learning » sur sciences et technologies de l’aluminium : http://aluminium.matter.org.uk/ – Techniques de l’Ingénieur M240-241-242. Durcissement par précipitation des alliages d’aluminium, B. Dubost et P. Sainfort.

134

– La Métallurgie science et ingénierie, rappor t Science et Technologie Académie des sciences et Académie des technologies, sous la direction de A. Pineau et Y. Quéré, pp. 46-54 et annexes 7 à 11, EDP sciences, 2011.

Publication E A A (European Aluminium Association) 2013, h t t p : // w w w . a l u e u r o p e . e u / wp-content/uploads/2013/04/ E A A-Aluminium-in-CarsUnlocking-the-light-weightingpotential_2013.pdf

– Innovative aluminum-based solutions for aerospace applications, T. Warner, J.C. Ehrström, B. Chenal et F. Eberl, Light Metal Age, juin 2009, pp. 18-21 – Aluminium in cars-Unlocking the light-weighting potential,

– Sélec tion des matér iaux et des procédés de mise en œuvre, M. Ashby, Y. Bréchet, L. Salvo, Presses Polytechniques et Universitaires romandes, 2001.

pneumatique :

innovation et haute technologie pour la

faire progresser

mobilité

Dominique Aimon a passé la plus grande partie de sa carrière chez Michelin1, en particulier au Centre de recherche de Clermont-Ferrand. Il a aussi travaillé chez Michelin dans le domaine des méthodes de fabrication, a été directeur du marketing produit pour la division véhicule de tourisme, avant de passer à la compétition. Il est aujourd’hui directeur de la communication scientifique et technique de ce groupe.

Depuis plus de cent ans, la raison d’être de Michelin est de faire progresser la mobilité, parce que mobilité et progrès, de même que mobilité et développement sont étroitement liés. Est-ce le progrès qui entraîne la mobilité ou la mobilité qui entraîne le progrès ? Pour essayer d’y répondre, observons ce qui s’est passé depuis quatre mille ans. À chaque rupture technologique de la mobilité, surgit une nouvelle civilisation : on peut voir la roue, puis les voies romaines, l’Empire romain, les bateaux, la conquête du monde, le train, etc. 1. www.michelin.fr

Par ailleurs, la Figure 1 montre la corrélation forte qui existe entre le kilométrage annuel moyen d’une population et son revenu annuel, donc entre mobilité et développement. Cette corrélation est valable pour tous les continents et les pays : chaque trait de couleur de la figure correspond donc à une histoire. Par exemple, pour le trait noir des États-Unis : il y a cinquante ans, avec 10 000 dollars par tête de revenu annuel moyen, les habitants parcouraient 10 000 kilomètres par an ; aujourd’hui, le rapport est de 20 000 dollars par tête

Dominique Aimon

Le

Mobilité et développement sont très liés. Source : A. Schafer (données 1950-2000)

1 000 000

Kilométrage annuel moyen

Chimie et transports

Figure 1

100 000

10 000

Monde Amérique du Nord OCDE du Pacifique Europe de l’Ouest Europe de l’Est Ancienne Union Soviétique Asie centrale Amérique latine Afrique de l’Est, du Nord et du Sud Autre pays d’Asie du Pacifique Afrique subsaharienne Asie du Sud

Point cible hypothétique à : 600 km/h × 1,2 h/j × 365 j/an = 262 800 km/an

1 000

100 100

1 000

10 000

100 000

Revenus annuels moyens $

Figure 2 Évolution de la production Michelin.

136

pour 20 000 km parcourus. On trouve une relation très forte entre les deux facteurs. Nous sommes donc convaincus qu’il y a encore de l’avenir pour la mobilité, car la mobilité génère le progrès et que nous souhaitons y contribuer. La Figure 2 illustre comment depuis un siècle, Michelin a contribué par ses innovations

au développement de la mobilité, avec les premiers pneus démontables pour vélo, les premiers pneus pour voitures, les Michelines, le pneu radial, le pneu vert… Il est intéressant de constater que la chimie a toujours été au rendez-vous pour nous aider dans ces ruptures technologiques, comme nous allons le voir à présent.

Figure 3 L’augmentation des transports routiers : 50 millions de véhicules en 1950, 800 millions en 2000 et 1,6 milliards prévus en 2030.

Le développement de la mobilité routière (Figure 3) a néanmoins un certain nombre de retombées négatives qu’il faut traiter : un million de morts par an sur les routes, 18 % des émissions de CO2, le prix des carburants qui va continuer à augmenter, la disponibilité des matières premières qui diminue, la congestion des villes. Tout cela constitue un énorme chantier si nous voulons faire progresser la mobilité dans de bonnes conditions. Il peut être résumé en quatre objectifs : la mobilité doit être rendue plus sûre, plus propre, plus efficace et plus agréable. Le pneumatique : un objet de haute technologie et un partenaire clé Nous allons voir que le pneumatique est un objet high tech (Figure 4) dont le quotidien est une vie difficile (Figure 5). Le pneu est un objet composite de haute technologie qui subira au cours de sa vie des millions de cycles de défor-

mations et qui travaillera en grande déformation, ce qui n’est pas le cas des autres objets composites comme les raquettes ou les skis.

Le pneumatique : innovation et haute technologie pour faire progresser la mobilité

Les enjeux du développement de la mobilité routière

1

Le pneu est en fait un composite à plusieurs étages (Figure 6), car la structure globale du pneu est un composite constitué de mélanges de gomme et de renforts métalliques ou textiles, mais aussi

Figure 4 Entre un pneu Michelin et un smartphone : quel est le produit le plus high tech ?

137

Chimie et transports

Figure 5 Le quotidien d’un pneu ; une vie difficile… chaque jour.

parce que chaque mélange est lui-même un composite à une maille micrométrique ou nanométrique. Une grande variété de matériaux sont utilisés dans le pneu, au total plus de deux cents composants sont nécessaires à sa fabrication. La performance du pneu dépend de la parfaite cohésion de tous ces composants. Ces derniers se divisent en cinq groupes : 1- caoutchouc naturel : principal composant de la bande de roulement et des pneus de poids lourd ; 2- caoutchouc synthétique : essentiel dans la bande de roulement des pneus pour voiture et 4×4 ;

Figure 6 Composition d’un pneu : plus de 200 composants ! Mélanges composites (élastomères, charges renforçantes, plastifiants, adjuvants) et renforts (textiles, métalliques). 138

3- noir de carbone et silice : utilisés comme agents renforçant la résistance à l’usure du pneu ; 4- agents chimiques : permettent de cuire le pneu et de lui donner des caractéristiques particulières ; 5- câbles métalliques et fibres textiles : ils forment le squelette du pneu et garantissent sa rigidité. Regardons maintenant chacun des composants. Prenons par exemple chacune des gommes qui sont partout et constituent 80 % d’un pneu. Par exemple, la gomme de la bande de roulement est aussi un composite à une échelle mill im étr ique ou nano métrique. C’est un mélange de quatre constituants : des élastomères, des charges renforçantes (du noir de carbone et maintenant de la silice, qui améliore la résistance à l’usure et l’adhérence, en particulier sur sols mouillés et froids), des plastifiants (huiles et résines) pour

Sécurité, longévité, plaisir de conduire, freinage sol sec, robustesse, silence intérieur, confort, économies de carburant, tenue en virage sur le mouillé, respect de l’environnement, absence de vibration, adhérence neige, qualité, bruit extérieur, tenue de route, sans soucis…

permettre un bon mélangeage de l’ensemble des composants, des adjuvants comme le soufre qui permettent de cuire le pneu, et des éléments qui renforcent la stabilité aux rayons UV, la résistance à la chaleur… La composition du mélange diffère selon les différentes parties du pneu, selon les fins d’utilisations et selon les modèles. Le développement et la mise au point du mélange constituent un point essentiel du développement du pneu. Sous la bande de roulement se trou vent des nappes métalliques qui ceinturent le pneu, constituées de fi ls métalliques parallèles ; ces câbles en deux couches croisées assurent la rigidité du pneu et sont particulièrement importants pour sa tenue de route. La nappe carcasse radiale est celle située entre la gomme intérieure et le sommet du pneu ; dans les véhicules de tourisme, elle est constituée de fibres parallèles dans le sens radial (ce qui a donné le nom au pneu). Ces fibres inextensibles permettent de garder une bonne surface de contact entre le pneu et le sol. Les fibres textiles et métalliques sont préparées pour assurer leur adhérence à la

gomme. Les fils métalliques sont en acier recouvert de laiton ; l’adhérence de ces câbles à la gomme résulte de la formation de polysulfures et de sulfures de cuivre à partir du cuivre constitutif du laiton et du soufre de la vulcanisation2. La zone latérale du pneu est constituée de gomme souple capable de supporter une déformation à chaque tour de roue et de résister aux chocs. Ce composite multi-étages devra travailler dans des conditions extrêmement difficiles, très longtemps, et effectuer de nombreuses tâches différentes.

Le pneumatique : innovation et haute technologie pour faire progresser la mobilité

LES PERFORMANCES À RÉUNIR POUR UN PNEU SONT NOMBREUSES

L’innovation est le seul moyen pour trouver des solutions et pour satisfaire ce cahier des charges très complet : c’est l’ADN de Michelin (Figure 7). Pour réunir davantage de performances en un même pneu, il faut résoudre des conflits de conceptions en déployant des technologies de pointe.

2. La vulcanisation est un procédé chimique qui consiste à incorporer un agent vulcanisant tel que le soufre à un élastomère brut pour former après cuisson des ponts entre les chaînes polymères, en vue de rendre le matériau plus élastique.

139

Chimie et transports

Figure 7 L’ADN de Michelin : « Quand un client achète ses pneus, vous ne pouvez pas lui demander de choisir entre la sécurité, la longévité, les économies de carburant ou le confort » - François Michelin.

L’innovation technologique dans le domaine du pneumatique

2

2.1. Un travail d’équipe entre une multiplicité de métiers et de disciplines

Figure 8 L’innovation dans le pneumatique : une multiplicité des métiers.

140

Michelin investit plus de 600 millions d’euros chaque année en recherche et développement. Le plus gros centre de recherche et développement est en France (près de Clermont-Ferrand). Les programmes ont trois horizons : la recherche avancée à

dix ans et plus, la recherche à objectifs de cinq à dix ans, et le développement sur les pneus qui vont bientôt sortir et qui seront sur les voitures dans trois-quatre ans. Il est intéressant de noter la multiplicité des métiers qu’il faut avoir pour réussir cette innovation (Figure 8). La chimie y joue un rôle fondamental et prépondérant, elle n’est pas la seule discipline scientifique à intervenir. Le développement d’un pneumatique nécessite un travail d’équipe, de nouveaux outils

La compétition automobile sert à comprendre mieux les choses. Par exemple, les modèles d’adhérence utilisés au quotidien pour les pneus des voitures de tourisme ont été développés à partir d’observations et d’analyses faites en Formule 1, en Championnat du Monde des Rallyes et dans d’autres compétitions. La Figure 8 résume les différentes étapes de l’innovation. Il faut d’abord comprendre les problèmes pour trouver la bonne solution, et il faut souvent innover pour comprendre. Commence ensuite le travail de conception des composants et des matériaux évoqués dans la Figure 6, qui regroupe toutes les sous-disciplines de la chimie : la chimie minérale, organique, et maintenant la biochimie. Puis il faut assembler et coller ces matériaux : l’acier, le nylon, l’aramide3, les gommes… Enfin, tout cet ensemble doit résister à 150 % de déformation plusieurs millions de fois. Ce sont des défis techniques d’adhésion, de résistance très importants et diffi ciles à réussir. Aussi, les outils de simulation apportent une aide efficace 3. L’aramide est un polyamide aromatique, classe de matériaux résistant à la chaleur et/ou présentant de bonnes propriétés mécaniques, servant à la fabrication de nombreux matériaux composites. Voir à ce sujet La chimie et l’habitat, Chapitre de G. Némoz, coordonné par M.-T. Dinh-Audouin, D. Olivier et P. Rigny, EDP Sciences, 2011.

et utile qui permet d’explorer beaucoup plus, et beaucoup plus vite, la faisabilité des diverses solutions possibles. Le gain de temps et l’économie sont considérables par rapport à autrefois où, pour chaque nouvelle idée, il fallait réaliser un prototype. Il en est de même pour l’analyse du cycle de vie qui est maintenant indispensable. Ensuite inter viennent la conception, le design, puis la réalisation des prototypes sélectionnés, et la mise au point des procédés de fabrication des prototypes, car chaque innovation dans les matériaux, dans l’architecture des pneus ou dans le dessin de la bande de roulement entraîne une nécessaire innovation dans les procédés de fabrication et d’assemblage des composants. En dernier lieu, il faut tester les prototypes, et la puissance de tests est absolument fondamentale : toute cette boucle doit fonctionner en permanence pour pouvoir garantir et améliorer la qualité du pneu (Figure 9).

Le pneumatique : innovation et haute technologie pour faire progresser la mobilité

et une approche transdisciplinaire pour comprendre et résoudre les problèmes.

350 métiers contribuent à la conception et à la réalisation d’un pneu : des tribologues4, des métallurgistes, des chimistes de l’analyse, des mécaniciens des fluides, des spécialistes des matériaux (150 métiers différents dans cette filière). Tous ces métiers doivent travailler ensemble afin de résoudre les confl its de conceptions et trouver des solutions innovantes qui permettent d’apporter plus de performances aux clients (Figure 10). 4. La tribologie est la science du frottement.

141

Chimie et transports

Figure 9 Tests des pneus sur les prototypes.

Figure 10 Une multitude de métiers pour la conception et à la réalisation d’un pneu.

142

diminuer la consommation de carburant et par conséquent de réduire les émissions de CO2.

Pour une voiture de tourisme, un plein sur cinq est pour les pneus (Figure 11). Quand une voiture de 1,5 tonnes roule à 110 ou 130 km/h sur une route, chaque pneu consomme l’équivalent d’énergie d’un radiateur de 2 000 watts. Pour un poids lourd, c’est encore plus important : 30 à 33 % de l’énergie consommée l’est pour les pneus. L’objectif est donc d’améliorer l’efficacité énergétique des pneus afin de

La Figure 12 résume comment les pneus consomment de l’énergie : 15 % sont consommés dans la résistance à l’avancement, qui résulte du brassage de l’air et du glissement sur le sol de la bande de roulement. 60 à 70 % sont consommés par les flexions, les cisaillements, les compressions de la bande de roulement, et 20 à 30 % par les flexions et cisaillements des fl ancs et zones basses.

Figure 11 Un plein sur cinq est pour vos pneus.

Le pneumatique : innovation et haute technologie pour faire progresser la mobilité

2.2. Le pneu vert ou comment concilier l’adhérence et l’efficacité énergétique

Figure 12 Pourquoi les pneus ont-ils besoin d’énergie ?

Quoi

Surface du pneu et air Brassage d’air

Flanc et zone de base

Bande de roulement Glissement sur le sol

Déformations d’où dissipation d’énergie Flexion

Compression

Cissaillement

Flexion

Cisaillement

Comment

Flexion

Flexion Cisaillement et compression

Contribution à la résistance au roulement

< 15 %

60 à 70 %

20 à 30 %

143

Chimie et transports

C’est donc un domaine dans lequel il y a beaucoup de progrès à faire et où la chimie sera utile pour améliorer les propriétés des composants La Figure 13 montre que 70 % de l’énergie consommée par le pneu est due au fait que la roue est ronde et la route est plate : le pneu est obligé de se déformer pour en épouser la forme.

Figure 13

Dissipation d’énergie

Dissipation d’énergie en fonction de la fréquence.

Diminution dela résistance au roulement

Domaine résistance au roulement

1

144

On peut étudier par simulation numérique le brassage de l’air (qui ne représente que 15 % de la consommation d’énergie), et pour cela choisir entre différente sculptures celles qui seront les plus efficaces.On a tendance à penser que les pneus qui sont bons en efficacité énergétique ne sont pas bons en adhérence. En réalité, il est tout à fait possible de concilier adhérence et efficacité énergétique. Une grande rupture dans ce domaine a eu lieu en 1992 avec l’apparition de la silice comme charge renforçante, qui a non seulement renforcé la résistance à l’usure mais également modifié le comportement de la gomme de la bande de roulement.

Domaine adhérence

100

10 000 Fréquence (Hz)

1M

Traditionnellement, les pneus très adhérents avaient des dissipations d’énergie importantes, aussi bien aux basses fréquences de déformations liées au tour de roue qu’aux fréquences élevées liées à l’adhérence. En effet, à 80100 km/h, le pneu fait une vingtaine de tours de roues par seconde, soit vingt déformations par seconde, donc une fréquence de 20 Hz. Par contre, pour que le pneu s’accroche bien à la route, on dispose de moins d’une milliseconde pour générer le phénomène d’adhésion, et cette adhésion dépend de phénomènes locaux dans lesquels il faut que le pneu épouse chaque grain de la route. Moins d’une milliseconde correspond à des fréquences de déformations du matériau dans le domaine du kHz ; il faut donc que dans ce domaine des fréquences élevé, le pneu puisse facilement se déformer, devienne mou. Il faut donc être capable de dissocier les propriétés du matériau quant à sa dissipation d’énergie à basse ou à haute fréquence. Pour comprendre, prenons l’exemple d’une sorte de pâte à modeler pour enfant, le silly putty : si on le sollicite à faible vitesse on a l’impression que c’est presque un liquide qui est capable de couler. En revanche, si on sollicite à forte vitesse en le jetant par terre, il ne reste pas par terre en s’étalant mais rebondit. Ce matériau est donc très mou quand on le sollicite à basse vitesse, et très élastique quand il est sollicité à vitesse élevée. Pour le pneu, c’est l’inverse qu’il faut réaliser avec une gomme de formulation

Ces nouveaux pneus, appelés « pneu verts », ont été crées en 1992, et nous en sommes actuellement à la cinquième génération ; et la chimie a joué un grand rôle dans la mise au point de ces différentes générations. Le gain réalisé sur la dissipation d’énergie de ces pneus verts a fait économiser seize milliards de tonnes de carburant, soit 40 millions de tonnes de CO2 (Figure 14). 2.3. Le pneu radial Si l’on regarde l’évolution du pneu sur un siècle (Figure 15), nous sommes partis d’un bandage plein qui avait un coefficient de résistance au roulement de 30 kg/tonne, ce qui est équivalent à monter constamment une pente de 3 %.

Figure 14 Le pneu vert de Michelin : économiser plus de 16 milliards de litres de carburant et réduire de plus de 41 millions de tonnes les émissions de CO2.

Les premières innovations ont eu lieu en 1946, avec l’apparition des premiers pneus radiaux pour les voitures, et quelques temps plus tôt, avec les pneus métalliques pour les poids lourds. Pour les pneus métalliques, c’est déjà la chimie qui a permis de coller le métal et la gomme, ce qui fut ensuite un point clé pour la réalisation du radial qui aurait été impossible s’il n’y avait pas eu cette expérience du poids lourd à pneus métalliques. En effet, dans le pneu radial, il faut coller les

Le pneumatique : innovation et haute technologie pour faire progresser la mobilité

adaptée : on veut qu’il soit élastique à basse fréquence de déformation et consomme peu d’énergie, mais on veut aussi qu’il soit mou à vitesse de déformation élevée pour bien adhérer, et c’est ce que l’ajout de silice a permis de réaliser (Figure 13, courbe verte).

Figure 15 Évolution du coefficient de résistance au roulement ces 160 dernières années (en kg/t).

35 Bandage plein

30 Premiers pneus

25 20 Premiers pneus câblés Premiers pneus radiaux

15 Premiers pneus métalliques

10

Premiers pneus verts MICHELIN Energy Saver +

Premiers pneus radiaux

5 MICHELIN X-Line Energy

0 1880

1900 Pneus pour voitures

1920

1940 Pneus pour poids lourds

1960

1980 Pneus pour métro

2000

2020

Roue de chemin de fer

145

Chimie et transports

fils métalliques à la gomme pour les nappes métalliques de la ceinture du sommet. Rappelons que cette structure radiale permet de garder en permanence une bonne surface de contact entre le pneu et le sol. Et ces progrès ont fait que, dans les années 50, on est passé à un coefficient de résistance au roulement de 15 kg/t (équivalent à une pente de 1,5 %), puis à 10 kg/t dans les années 90 (équivalent à une pente de 1 %), et l’on baisse constamment ce coefficient. Les résistances au roulement sont plus faibles sur les poids lourds que sur les voitures de tourisme parce que les pneus de poids lourds sont gonflés à 8 ou 10 bars ; ils sont donc beaucoup plus rigides que les pneus de voiture gonflés à 2 bars, qui ont des taux de déformation plus importants. Néanmoins, bien qu’étant plus rigides, les pneus poids lourd qui ont des pressions sur le sol très élevées et qui contiennent du

caoutchouc naturel sont très adhérents comme les pneus de voiture réalisés à partir de polymères de synthèse. La diminution du coefficient de résistance au roulement est importante car nous avons vu qu’elle joue un rôle non négligeable dans la dissipation de l’énergie (20 %). Nous avons aussi vu que pour les véhicules de tourisme, un plein sur cinq va pour les pneus, mais pour les poids lourds, c’est un plein sur trois, et comme le transport routier est responsable de 18 % des émissions de CO 2 de la planète, cela veut dire que les pneumatiques sont responsables de 4,4 % de ces émissions. C’est beaucoup, et il faut donc continuer à progresser dans ce domaine. Pour cela, il faut continuer à développer la recherche dans le domaine des matériaux et des structures composites pour améliorer l’adhérence, l’efficacité énergétique, la longévité, le confort, etc.

Le pneumatique pour le XXIe siècle…

146

Il reste donc encore beaucoup de chemin à parcourir, et tous les métiers de la chimie y seront présents. De plus, nous devrons réaliser ces progrès avec une chimie propre, économe en énergie, biosourcée dans la mesure du possible : trouver des solutions où les agents qui transformeront les matériaux seront des microbes, des bactéries, ou des auto-arrangements de molécules dans certaines conditions, afin de nous diriger

Le pneumatique : innovation et haute technologie pour faire progresser la mobilité

vers des matériaux beaucoup plus sophistiqués, ayant des performances décalées, réduisant davantage les impacts environnementaux tout au long du cycle de vie des composants. Si l’on veut continuer à avoir de la mobilité via le transport routier, le pneumatique jouera encore un rôle très important dans les 30 à 50 ans à venir, et nous aurons besoin de trouver des solutions innovantes à de nombreux défis et problèmes qui restent encore posés, dans lesquels les sciences de la chimie seront très présentes.

147

7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN

La

matériau phare contre la

pollution

échappements automobiles

des

Francis Ménil est directeur de recherche au CNRS, au Laboratoire d’Intégration des Matériaux aux Systèmes (IMS) de l’Université de Bordeaux.

Ce chapitre est essentiellement centré sur la chimie des capteurs utilisés pour la dépollution des échappements automobiles et sur les applications d’un matériau fonctionnel : la zircone. La zircone est un dioxyde de zirconium ZnO2 comme matériau de base. C’est un réfractaire qui présente l’intérêt de résister aux atmosphères corrosives, en particulier aux oxydes d’azote et aux hydrocarbures imbrûlés qui sont présents en échappement automobile. Il résiste également à des températures très élevées, supérieures à

1 000 °C, ce qui convient aux gaz d’échappement automobile. De plus, ce matériau peut, s’il est préparé dans des conditions ad hoc, avoir une très bonne résistance mécanique. De surcroît, c’est un matériau fonctionnel, et la propriété qui sera utilisée sera sa conductivité ionique.

Les matériaux fonctionnels : quelques exemples

1

Un matériau fonctionnel est un matériau qui sera choisi pour avoir une fonction. On utilise parfois le terme de matériau

Francis Ménil

zircone,

Chimie et transports

Filament de tungstène

Figure 1 Ampoule électrique à incandescence.

intelligent, ou encore de matériau avancé, bien que ces deux dernières appellations ne soient pas très claires sur le plan scientifique. La fonction que l’on veut obtenir est la première étape qui guide le choix du matériau, elle dépend bien sûr de ses propriétés. L a deuxième étape ser a d’optimiser au maximum la fonction de ce matériau par rapport au dispositif et à l’utilisation que l’on veut en faire. Et la dernière étape sera d’intégrer le matériau que l’on a fonctionnalisé dans le dispositif. Pour mieux comprendre, un exemple simple connu de tous est l’ampoule à incandescence (Figure 1). Le matériau fonctionnel est le filament de tungstène. Pourquoi le tungstène ? Parce qu’il a la propriété d’émettre de la lumière blanche quand il est porté à incandescence, et de fondre à très haute température. Le rendre fonctionnel consiste donc simplement à calculer sa résistance pour qu’il émette un maximum de lumière sans fondre. Pour l’intégrer dans l’ampoule, il faut faire le vide ou mettre un gaz rare pour qu’il ne s’oxyde pas à la température d’incandescence.

Figure 2 Résistance chauffante.

Piste sérigraphiée de platine

Substrat d’alumine

150

Un autre exemple, plus proche de l’électronique, est celui des substrats chauffants. Ces substrats sont en alumine avec une piste de platine sérigraphiée (Figure 2). Pourquoi le platine ? Parce que c’est un matériau qui ne s’oxyde pas à 500-600 °C, et de surcroît c’est un matériau métallique peu conducteur, ce qui convient pour en faire une résistance chauffante.

Le troisième exemple, plus élaboré, est un capteur de méthane dans lequel on a toujours la résistance chauffante en platine sur une face du substrat. Sur l’autre face sont déposées des électrodes d’or interdigitées (appelées peignes du fait de leurs formes caractéristiques), puis une couche s emiconductrice d’oxyde d’étain dont la résistivité varie en présence de méthane et qui est par conséquent la couche fonctionnelle (Figure 3). L’or est un métal bon conducteur et convient donc pour des électrodes. Leur géométrie en peignes interdigités facilite la mesure de la résistance de la couche fonctionnelle d’oxyde d’étain, dont la résistivité est relativement élevée. La Figure 4 décrit le dernier exemple du transistor à effet de champ. Le matériau fonctionnel utilisé est du silicium. Si l’on prend une plaque semiconductrice de silicium, on en tire un usage limité ; en revanche, si on la dope intelligemment en ajoutant du phosphore ou du bore, on peut fabriquer des diodes, et in fine le transistor. Ces dif férents exemples de matériaux fonctionnels conduisent à celui qui nous concerne, la zircone, qui est conditionnée sous forme d’un doigt de gant en céramique (Figure 5). On dispose sur cette céramique une électrode de chaque coté. L’électrode à l’intérieur du doigt sera en contact avec l’air ; celle à l’extérieur sera exposée aux gaz d’échappement. L’ensemble constitue une sonde lambda (Figure 5).

Électrodes d’or en peignes interdigités

Figure 3 Capteur de méthane.

Substrat d’alumine

Résistance chauffante en platine sérigraphié

Figure 4 Grille d’aluminium Source

Transistor à effet de champ. Drain

n-Si

n-Si p-Si

La zircone : un matériau fonctionnel

2

Il est d’abord nécessaire de faire subir à la zircone en poudre un frittage par cuisson à haute température, nécessaire pour la tenue mécanique du dispositif et permettant également une mise en forme appropriée au capteur comme dans l’exemple précédant de la sonde lambda (Figure 5).

Couche superficielle de nitrure de silicium Couche superficielle d’oxyde de silicium

On peut également, pour faire des capteurs planaires, réaliser une cuisson de multicouches pressées qui sont obtenues par coulage en bande (Figure 6). On prépare des sortes de films sur support plastique qui peuvent être coupés. On peut y percer un trou pour créer un conduit d’air, et sérigraphier ou imprimer des électrodes de chaque coté. Une couche de catalyseur peut éventuellement

La zircone, matériau phare contre la pollution des échappements automobiles

Couche semi-conductrice d’oxyde d’étain

Figure 5 Sonde lambda.

Enveloppe métallique Céramique en zircone (ZrO2:Y)

Résistance chauffante

Électrode côté gaz d’échappement et couche protectrice

Électrode de référence à air

151

Chimie et transports

Figure 6 Comment rendre une zircone fonctionnelle : un capteur planaire.

Couche de catalyseur rhodium Électrode de mesure

Élément sensible ZrO2:Y

Électrode de référence Conduit d’air

Chauffage inclus dans la céramique

être ajoutée. Puis toutes ces couches sont pressées ensemble et cuites à haute température pour conduire à un dispositif planaire. Comme on a intérêt à avoir une conductivité ionique aussi importante que possible pour la zircone, il faut la doper à l’yttrium (Y), c’est-à-dire remplacer quelques atomes de zirconium tétravalent dans le dioxyde de zirconium par de l’yttrium trivalent.

La conductivité ionique, une fonction clé de la zircone

3 Figure 7 La conductivité électronique dans les matériaux est assurée par les électrons : de manière très schématisée, on a un continuum autour des atomes du réseau tridimensionnel constitué par les électrons de conduction issus des atomes.

152

3.1. La conductivité électronique : quelques rappels On peut schématiquement dire que la conductivité électronique des matériaux est assurée par les électrons de conduction, qui constituent un continuum autour des atomes du réseau tridimensionnel (Figure 7). Ces électrons assurent donc la conductivité électronique du matériau ; leur déplacement sous l’effet d’un champ électrique est facile dans le continuum.

Il faut distinguer trois cas : − celui des métaux dans lesquels les électrons de conduction existent dès le zéro absolu. La conductivité du métal est alors d’autant plus élevée que le nombre d’électrons croît. Ainsi, la conductivité croît dans l’ordre : aluminium, or, cuivre. La conductivité des métaux diminue avec la température ; − dans les semi-conducteurs, aucun électron n’est disponible au zéro absolu où la résistance est infinie. Il faut une activation thermique, et la conductivité augmente avec la température. On peut cependant augmenter la conductivité des semiconducteurs par dopage ; par exemple en remplaçant du silicium par du phosphore, on apporte des électrons dans le continuum. La conductivité résultant du dopage est de très loin supérieure à la conductivité intrinsèque du matériau non dopé ; − un isolant est un semiconducteur intrinsèque avec très peu d’électrons dans le continuum. L’alumine et la zircone sont des isolants électroniques. Mais la zircone n’est

A

B

Cation Zr4+ Anion O2– Lacune de Zr4+ Lacune de O2–

3.2. La conduction ionique de la zircone dopée à l’yttrium

Cation Y3+

La conductivité ionique de la zircone est significative dès 300 °C, et, contrairement à la conductivité électronique, elle est assurée par les ions. Le réseau de la zircone est représenté sur la Figure 8A : il est constitué de cations Zr4+ et d’anions oxygène O2–. On a un réseau tridimensionnel dans lequel il existe à l’état naturel des lacunes d’anions O2– et de cations Zr4+. Les anions O2– ont la possibilité de se mouvoir dans le réseau en sautant de lacune d’oxygène en lacune d’oxygène, ce qui constitue la conductivité ionique intrinsèque de la zircone.

sant des lacunes d’oxygène supplémentaires, ce qui augmente considérablement les possibilités de déplacement des ions O2– au sein du réseau tridimensionnel (Figure 8B). La conductivité ionique extrinsèque, obtenue par ce dopage, sera donc très supérieure à la conductivité ionique intrinsèque.

4

Déplacement des ions O2– dans la conductivité ionique. A) Réseau schématisé de ZrO2 (conductivité intrinsèque) ; B) réseau schématisé de ZrO2:Y (conductivité extrinsèque).

Application aux capteurs embarqués

4.1. Capteurs potentiométriques d’oxygène Le schéma de principe est très simple (Figure 9) : considérons un tube d’alumine séparé de manière étanche en deux parties par un disque constitué par une pastille de zircone dopée à l’yttrium, avec de chaque coté de la zircone une électrode en platine poreux. De chaque coté, au contact

On peut augmenter la conductivité ionique de la zircone par dopage. Si l’on remplace quelques pourcents d’ions zirconium tétravalents par des ions yttrium trivalents, pour respecter la neutralité électrique de l’ensemble du réseau, il faut diminuer la charge négative en introdui-

Figure 9

Résistance chauffante Four p(O2 réference)

p(O2 travail)

Électrode Pt poreux

Figure 8

La zircone, matériau phare contre la pollution des échappements automobiles

pas un isolant électrique car nous allons voir qu’elle peut avoir une conduction ionique.

ZrO2:Y

Premier dispositif basé sur la zircone : schéma de principe d’un capteur potentiométique d’oxygène.

Électrode Pt poreux

E

153

Chimie et transports

de l’électrode, on aura de l’oxygène à la pression partielle p(O2) (l’équivalent d’une concentration) : d’un côté, dans le mélange de gaz étudié : p(O 2 travail), de l’autre coté dans l’air, la pression partielle d’oxygène est connue (200 mbar) et sert de pression partielle de référence. Le mélange gazeux étudié sera par exemple le gaz d’échappement, et p(O 2 travail) sera donc la pression partielle de l’oxygène dans le gaz d’échappement. Les deux pressions partielles d’oxygène étant différentes, il en résulte une force électromotrice entre les deux électrodes de platine.

Figure 10 Équilibre à chaque électrode.

Pt

p(O2) à déterminer (travail)

Le principe de fonctionnement est expliqué sur la Figure 10 : on a un équilibre à chaque électrode entre d’une part le gaz oxygène, les électrons de l’électrode en platine et les ions O 2– à l’intérieur de la zircone. La différence de pression partielle d’oxygène au contact des électrodes de platine poreux entraîne donc une différence de concentration en ions O2– dans la zircone à l’interface avec chaque électrode. Par conséquent, les ions O2– tendront à diffuser d’une interface vers l’autre, et il apparaît un champ électrique au sein de la zircone qui s’oppose à ce processus de diffusion.

Zircone

Diffusion

Pt

p(O2) connue (référence)

Champ électrique O2– (ions mobiles dans le zircone)

154

e– (Pt) + ½ O2 (gaz)

De l’existence de ce champ électrique résulte l’apparition d’une force électromotrice donnée par la loi de Nernst (Figure 11), proportionnelle au logarithme du rapport des deux concentrations en oxygène de part et d’autre de chaque électrode. Comme la pression partielle de référence est celle de l’oxygène dans l’air et a donc une valeur connue, et comme T est la température de fonctionnement du capteur, également connue, on peut en déduire la pression partielle d’oxygène dans le mélange de gaz d’échappement. La sonde lambda représentée sur la Figure 12 est un capteur potentiométrique d’oxygène qui fonctionne sur le principe qui vient d’être décrit. La céramique en zircone a cette forme particulière en doigt de gant pour pouvoir être introduite facilement dans la ligne d’échappement. L’aspect extérieur ressemble à une bougie, et d’ailleurs autrefois, on l’appelait la cinquième bougie. L’air extérieur sert de référence, et la sonde lambda fournit une réponse logarithmique à la pression partielle d’oxygène dans les gaz d’échappement. Pourquoi veut-on mesurer l’oxygène contenu dans un gaz d’échappement ? La réponse est que la sonde lambda n’a d’intérêt que parce qu’elle est associée à un pot catalytique dont l’objectif est d’éliminer les oxydes d’azote, le monoxyde de carbone et les hydrocarbures imbrulés (voir le Chapitre de J.-P. Brunelle). Les études ont commencé dans les années 60, et tous les véhicules en Europe produits depuis 1995 sont

H 2 O, N 2 et O 2 , qui ne sont pas polluants, sont produits en sortie de pot. Le dioxyde de carbone est considéré maintenant comme polluant à cause de l’effet de serre, mais il n’est pas toxique. Ce catalyseur trois voies nécessite de l’essence sans plomb, car le plomb empoisonne le catalyseur. Pour que cette réaction se fasse correctement, il est impératif que le mélange d’admission, c’est-à-dire le rapport d’air et d’essence, soit réglé parfaitement à la stœchiométrie (14,6 en valeur pondérale). Si l’on a un excès d’air (auquel cas on a des moteurs dits à mélange pauvre), les oxydes d’azote ne seront pas réduits en azote et en oxygène puisqu’on sera en milieu oxydant. À l’inverse, si l’on a un excès d’essence (donc on sera en mélange riche), le monoxyde de carbone et les hydrocarbures auront du mal à être oxydés en dioxyde de carbone et en eau puisqu’on sera en milieu réducteur. C’est donc à ce niveau qu’intervient la sonde lambda, puisque la concentration d’oxygène dans le gaz d’échappement sera excessivement dépendante du milieu – oxydant ou réducteur – de ce gaz et donc de la nature du mélange d’admission –

Figure 11 Le potentiel de Nernst.

Céramique en zircone

Enveloppe métallique

Résistance chauffante Électrode de référence à air Électrode côté gaz d’échappement et couche protectrice

pauvre ou riche. Elle variera de plusieurs ordres de grandeurs au franchissement de la stœchiométrie du mélange d’admission avec comme conséquence une forte variation de la force électromotrice (Figure 13).

Figure 12 Sonde lambda : capteur d’oxygène potentiométrique.

Moteurs à mélange stœchiométrique (moteurs à essence traditionnels)

La zircone, matériau phare contre la pollution des échappements automobiles

obligatoirement équipés de pots catalytiques. Le rôle du pot catalytique est de catalyser la réaction ci-dessous (qui n’est pas équilibrée), où le monoxyde de carbone (CO) et les hydrocarbures (HC) sont oxydés, tandis que les oxydes d’azote (NOx) sont réduits : CO + HC + NOx + air → CO2 + H2O +N2 + O2.

La sonde lambda est associée au pot catalytique. Sa réponse logarithmique est bien adaptée aux moteurs à mélange d’admission stœchiométique puisque dès que l’on franchit la stœchiométrie, on a une très forte modification de la pression partielle d’oxygène et une variation importante de la force électromotrice. Il est

Fem (mV)

Figure 13 T = 700 °C

800 600

La réponse est très adaptée aux variations de la concentration d’oxygène dans le gaz d’échappement.

400 200

16 0 14 14,6 15 Rapport pondéral air/essence

155

Chimie et transports

alors facile de renvoyer un signal de « feedback » pour régler le mélange d’admission. À ceci près que les carburateurs n’étant pas suffi samment précis, ils ont dû être remplacés par les systèmes à injection.

réduire ces émissions, soit en injectant du carburant, soit de l’urée. Pour contrôler cette réaction et savoir à quel moment il faut enclencher ce processus d’injection, il faudra donc un capteur d’oxydes d’azote.

Considérons maintenant le cas des moteurs à mélange pauvre (moteurs Diesel)

4.2. Les capteurs d’oxygène ampérométriques

Dans les moteurs à mélange stœchiométrique (moteurs à essence traditionnels), la grande majorité des polluants sont éliminés (CO, HC, NOx), mais l’on produit du dioxyde de carbone, considéré maintenant comme un polluant en tant que gaz à effet de serre. La diminution d’émission de CO2 passe évidemment par la réduction de consommation de carburant. Un moyen est de fonctionner en excès d’oxygène (mélange pauvre) afin d’assurer la combustion totale du carburant et ne plus avoir aucun hydrocarbure imbrulé. Deux problèmes surgissent, le premier est la régulation puisque si l’on utilise la sonde lambda, on voit que sa réponse logarithmique, dans le domaine des rapports air/ essence élevés (Figure 13), n’est pas très adaptée à réguler dans cette zone de surstœchiométrie où elle est imprécise. On aurait donc intérêt à avoir un capteur à réponse linéaire plutôt qu’un capteur à réponse logarithmique et la solution sera d’utiliser un capteur ampérométrique.

156

Le second problème est que pour les rapports air/essence élevés, le pot catalytique devient inefficace pour éliminer les oxydes d’azote, et il faut trouver un autre moyen pour

Dans un capteur d’oxygène ampérométrique, on utilise toujours une pastille de zircone en contact avec deux électrodes en platine poreux, mais cette fois, on impose une tension entre les deux électrodes qui entraîne le passage d’un courant dans la zircone (électrolyse), qui dans ces conditions va fonctionner comme une pompe à oxygène : c’est-à-dire que l’oxygène de l’atmosphère que l’on veut mesurer, qui arrive sur la cathode, va être réduit en ions O2– selon l’équation : O2 + 4e – → 2O2–. Ces ions vont diffuser à travers la zircone, et à l’anode les ions O2– sont ré-oxydés en oxygène gazeux, évacués à l’extérieur (Figure 14A) : 2O2– → O2 + 4e –. Au-dessus de la cathode, on limite le flux du gaz dans lequel on veut mesurer la concentration d’oxygène par ce qu’on appelle un volume restreint associé à un orifice de diffusion. Il existe une autre version qui utilise à la place de ce trou une couche poreuse dont le rôle est également de limiter le flux gazeux qui arrive à la cathode (Figure 14B). On a donc un pompage de l’oxygène de l’anode vers la cathode, et le courant qui en résulte est donné par la loi de Faraday. Ce pompage

Orifice de diffusion

Figure 14

Résistance chauffante

Schéma de principe d’un capteur ampérométrique d’oxygène, avec orifice de diffusion (A) ou sans orifice de diffusion (B).

O2 Volume restreint

Cathode

A O2–

ZrO2:Y

Anode

O2

B Couche poreuse

O2 O2

Anode

Cathode

O2–

ZrO2:Y

A

Résistance chauffante

a pour effet de diminuer la concentration d’oxygène, donc sa pression partielle dans le volume restreint.

de ce plateau est proportionnelle à la concentration en oxygène dans l’atmosphère à analyser : Ilimite ∝ D(O2) p(O2).

Le flux d’oxygène qui traverse le volume restreint, puis la zircone, est donné par la loi de diffusion : il est proportionnel à la différence de pression partielle d’oxygène entre l’extérieur du capteur (l’atmosphère à analyser) et le volume restreint. Il est donné par la formule : D(O2) = [p(O2) – p(O2)VR].

On a donc un capteur qui donne une réponse linéaire avec la pression partielle d’oxygène dans le mélange

Figure 15 Variation linéaire et non logarithmique du courant limite de diffusion Ilimite avec la pression d’oxygène p(P2) : Ilimite ∝ D(O2) p(O2).

350 24,6 % O2 300 Air : 21 % O2

250

Courant (μA)

La Figure 15 représente les courbes du courant en fonction de la tension appliquée entre les deux électrodes de la sonde. Si la tension appliquée est suffisante, tout l’oxygène du volume restreint va être consommé à la cathode et p(O2) VR va tendre vers zéro. Le courant va donc cesser d’augmenter, on observe un courant limite de diffusion. La hauteur

La zircone, matériau phare contre la pollution des échappements automobiles

A

200 15 % O2 150 100

9,6 % O2

50

4,6 % O2

0 0,0

N2 0,2

0,4

0,6

0,8

1,0

1,2

1,4

1,6

1,8

2,0

Tension (V)

157

Chimie et transports

étudié. Dans ce cas, il est clair que la totalité du capteur sera immergée dans le flux de gaz d’échappement (pas de référence air comme pour le capteur potentiométrique).

Figure 16 Capteur ampérométrique planaire à oxygène pour échappement automobile. Sonde planaire Bosch.

La Figure 16 montre un exemple d’une sonde planaire fabriquée par Bosch et réalisée par une technologie de cuisson multicouche : on peut voir le trou de diffusion, et l’on devine en dessous les pistes pour amener le courant. Un certain nombre de couches sont superposées pour réaliser la sonde. 4.3. Les capteurs d’oxydes d’azote NOX

Figure 17 Schéma d’un capteur de NOx.

Ces capteurs sont réalisés à partir de tranches de zircone superposées (en jaune, Figure 17), qui sont préparées par des technologies multicouches. Un trou a été réalisé dans ces couches pour constituer une référence air (troisième à partir du bas de la Figure 17) de capteur potentiometrique. De même, dans la cinquième couche à partir du bas, un trou a été fait pour créer deux volumes restreints accessibles au gaz d’échappement à travers des barrières

de diffusion qui seront utilisées dans des capteurs ampérométriques. Le principe de fonctionnement est le même que pour les capteurs à oxygène précédemment décrits. Le gaz d’échappement arrive ; il passe une première barrière de diffusion et l’on pompe l’oxygène dans le premier volume restreint, comme dans le capteur ampérométrique que nous venons de voir, à ceci près que l’on n’amène pas la concentration d’oxygène à zéro mais à 1 000 ppm, pour ne pas réduire dès ce premier volume les oxydes d’azote. Ce niveau d’oxygène est stabilisé à 1 000 ppm grâce à un second capteur cette fois potentiométrique dont une électrode va être placée dans le volume restreint et l’autre dans le trou accessible à l’air. Ces 1 000 ppm d’oxygène restants, ainsi que les oxydes d’azote, passent ensuite au travers de la seconde barrière de diffusion dans le deuxième volume restreint, où l’on a un troisième capteur (second capteur ampérométrique), qui va pomper tout le reste d’oxygène jusqu’à zéro, c’est-à-dire

Anode de pompage Électrode de travail e

1 barrière de diffusion e

1 volume restreint

2e barrière de diffusion 2e volume restreint

Gaz d’échappement

Référence air

Cathode de pompage

E

A

Tranches superposées de zircone

Cathode de mesure Anode de mesure

Électrode de référence

158

Résistance chauffante en Pt

O2 amené à 0 ppm et NOx → N2 + O2

O2 amené à ≈ 1 000 ppm dans

Gaz d’échappement

dans

le 1er volume restreint e

le 2 volume restreint

La concentration en oxygène est à nouveau abaissée et provoque la dissociation de NOx. L’oxygène issu de la dissociation de NOx est mesuré

les 1 000 ppm issus du premier volume restreint, et également ceux qui résultent de la dissociation des NOx en oxygène et en azote (l’élimination de l’oxygène déplace l’équilibre de dissociation des NOx : NO x → N2 + O 2). Le courant limite de diffusion mesuré par ce second capteur ampérométrique est proportionnel à la concentration d’oxygène dans le 2e volume restreint, c’est-àdire aux 1 000 ppm d’oxygène résiduels du premier volume

et à l’oxygène résultant de la dissociation des NO x. Sa valeur permet donc de remonter à la concentration en NOx dans le gaz d’échappement. Ce système multi-capteurs pour l’analyse des NO X est donc composé de trois dispositifs (Figure 18) : un dispositif de pompage, un capteur potentiométrique et un capteur ampérométrique, le tout réalisé avec de la zircone et en utilisant toujours sa propriété de conducteur ionique.

Figure 18 Schéma de principe du capteur de NOx.

La zircone, matériau phare contre la pollution des échappements automobiles

La concentration en oxygène est abaissée à un niveau prédéterminé

L’avenir de la zircone dans l’automobile Depuis trente ans, l’utilisation de la zircone a contribué à réduire très notablement la pollution par les hydrocarbures imbrulés, le monoxyde de carbone et les oxydes d’azote. La technologie de la sonde lambda est une technologie mature et d’une très bonne fiabilité en échappement automobile. La sonde ampérométrique proportionnelle est une technologie plus récente, peut-être légèrement moins fiable. Quant au capteur de NOx présenté dans

159

Chimie et transports 160

ce chapitre, sa complexité entraîne pour l’instant une fiabilité nettement moins bonne. Même si ses nombreux paramètres peuvent être pilotés relativement facilement avec un ordinateur de bord, on recherche néanmoins, en parallèle à une amélioration de la fiabilité de ce capteur, des solutions alternatives plus simples. Des recherches ont été aussi menées il y a quelques années pour analyser d’autres polluants tels que le dioxyde de carbone, l’ammoniac et même la suie sur la base de capteurs en zircone dopée, mais la transposition de l’analyse de l’oxygène à celle de ces polluants est loin d’être toujours automatique. Pour conclure et montrer l’intérêt de la conductivité ionique de la zircone non seulement en échappement automobile mais de manière plus générale dans les moteurs, notons que c’est la même propriété qui est utilisée dans les piles à combustible pour les moteurs à hydrogène.

des microstructures

améliorées pour les

transports

Titulaire d’un doctorat en acoustique et vibrations de l’Institut National des Sciences Appliquées (INSA) de Lyon, FrançoisXavier Bécot est associé-fondateur de la PME Matelys1 créée en 2005. Il y exerce en tant que chercheur en acoustique et matériaux poro-élastiques.

La recherche de transports toujours plus efficaces et confortables (allégement et confort des véhicules, durabilité des routes et des véhicules) stimule l’utilisation de nouveaux matériaux. Parmi ceux-là, les matériaux poreux occupent une place privilégiée ; leur nature même est promesse de diversité. Les laboratoires de recherche progressent beaucoup dans les techniques de caractérisation de ces matériaux. La conception, le développement et la fabrication de ces nouveaux matériaux, quelles que soient leurs applications, 1. www.matelys.com

font inter venir différents corps de métiers, dont celui de la chimie… Le constat est que ces différents corps ont leurs vocabulaires propres, leurs techniques propres, leurs procédés propres. La communication entre eux est difficile, ce qui peut porter préjudice au développement du matériau. Ce chapitre s’intéresse aux matériaux poreux. L’étude de leur microstructure permet de créer des passerelles entres les différents corps de métiers qui les conçoivent, les mettent en œuvre et les utilisent.

D’après la conférence de François-Xavier Bécot Avec les contributions de Fabien Chevillotte et Luc Jaouen

connexion

Vers une des corps de métiers, pour

Chimie et transports

1

Figure 1 Exemples d’utilisations de matériaux poreux : laine de verre (A), mousse d’emballage (B), éponge (C), matelas (D), salle anéchoïde (E) et pain (F). Sources :(A) Acqualys, (B) Foamcraft, (C, E et F) Matelys, (D) Escarre

162

B

E

2

Les matériaux poreux se rencontrent quotidiennement (Figure 1). Ainsi, la laine de verre est utilisée dans les bâtiments, dans l’électroménager, dans les surfaces extérieures et bien sûr dans l’automobile ; les mousses servent à emballer des objets précieux tels que les ordinateurs, mais aussi à fabriquer des sièges ou des matelas. On trouve également des matériaux poreux dans le domaine du nettoyage, comme toutes les variétés d’éponges. On développe par ailleurs des matériaux poreux pour des applic ations très spécifiques, électromagnétiques ou acoustiques, pour l’isolation phonique ou pour obtenir des salles anéchoïques (qui absorbent l’énergie reçue par les murs de façon à ce qu’un objet d’étude placé au milieu de la salle ne soit pas perturbé par les réflexions des parois). Enfin, nous mangeons des matériaux poreux à peu près tous les matins : céréales, cakes et autres pains sont en effet des matières poreuses.

A

D

Qu’est-ce qu’un matériau poreux ?

F

C

Différents types de matériaux poreux

2.1. Les matériaux fibreux Observée au microscope électronique à balayage (MEB) (Figure 2B), la laine de verre présente des fi bres plus ou moins longues, de plus ou moins grands diamètres, arrangées de manière anarchique. À plus grande échelle, on obtient des matelas de fibres que l’on peut empiler les uns sur les autres pour former le matériau final (Figure 2A). Chacun sait, pour avoir manipulé une laine de verre afin d’isoler par exemple un mur ou un bâtiment, combien cela est urticant. Il est donc préférable de rajouter des faces cartonnées afin de pouvoir la manipuler. Ce matériau est utilisé pour l’isolation thermique et phonique.

2.2. Les mousses 2.2.1. Les mousses polyuréthanes (Figure 3) Les mousses, d’emballage ou de confort, sont en général à base de polyuréthane. Au MEB, on observe des structures qui rappellent celle des ballons de football et dont la particularité est d’être interconnectées. Des sortes de « fenêtres » entre ballons permettent de faire passer l’air. Cette circulation de l’air a une double fonction : elle peut être utilisée à des fins de filtration, pour améliorer l’acoustique des locaux, par exemple. Également, elles confèrent une certaine souplesse au matériau, aisément

Figure 2

B

La laine de verre, un matériau fibreu. Sources : (A) Acqualys, (B) Matelys

A perçue par exemple dans l’utilisation d’un siège – elle provient de l’évacuation de l’air contenu dans la matière poreuse, vers les côtés. 2.2.2. Les mousses de mélamine Les mousses de mélamine sont utilisées pour des applications très spécifiques, acoustiques ou électromagnétiques. Elles sont vendues dans le commerce en tant qu’éponges, blanches ou colorées, elles interviennent pour tout ce qui touche au nettoyage, car ce sont des produits très abrasifs (Figure 4A). Obser vées au MEB, ces mousses apparaissent structurées (Figure 4C). On recon-

A

B

C

naît la structure en ballon de football, moins régulière mais plus interconnectée. Dans ces structures, l’air peut circuler plus librement. La partie solide – la partie matière –, représentée en blanc sur la Figure 4A, est restreinte, de l’ordre de 2 %. Dans les matériaux fibreux, ce pourcentage de matière est du même ordre de grandeur. On transporte 98 % d’air quand on déplace ces matières ! Acheminer les matériaux vers les utilisateurs finaux est donc un gros problème pour les fabricants. 2.2.3. Les mousses métalliques Dernier exemple de mousse : les mousses métalliques qui B

Figure 3 Mousses polyuréthane : mousse d’emballage (A), matelas (B), microstructure au MEB (C). Sources : (A) Foamcraft, (B) Escarre, (C) Matelys

Vers une connexion des corps de métiers, pour des microstructures améliorées pour les transports

A

Figure 4 Mousses de mélamine : éponges (A), salle anéchoïque (B), microstructure au MEB (C). Sources : (A) BASF, (B) Matelys, (C) Luc Jaouen

C

163

Chimie et transports

Figure 5 Mousses métalliques plus ou moins réticulées : aluminium (A) ; aluminium fritté (B) ; cuivre (C). Sources : (A) Lafarge, (B) Camille Perrot, (C) Wikipedia (GNU free documentation license)

A

B

peuvent être plus ou moins réticulées. Dans la Figure 5, on va du plus ouvert au moins ouvert : une mousse d’aluminium (Figure 5A), une mousse d’aluminium produite par frittage (Figure 5B), une mousse de cuivre avec des pores très fermés (Figure 5C). Ces mousses ont été développées à l’origine pour absorber les chocs (balistique). Elles servent aussi comme dif fuseur s ther miques ; elles peuvent remplacer les bruyants ventilateurs de nos PC en transportant la chaleur d’un endroit chaud du PC (ou de la solution qui chauffe) à un autre où la chaleur va pouvoir diffuser de façon beaucoup plus efficace. 2.3. Les matériaux granulaires Les matériaux granulaires sont également des matériaux poreux. On peut en citer deux exemples très communs.

164

Le premier est celui des enrobés de chaussée (voir le Chapitre d’H. Van Damme) ; la Figure 6A représente un béton bitumineux dont on voit très bien la partie solide, les cailloux, la partie noire étant la partie bitume qui sert de liant tout en laissant un pourcentage très élevé de porosité. L’air doit pouvoir circuler, pour assurer un rôle acoustique

C

mais aussi pour des propriétés de drainage de l’eau. Ce béton a été réalisé dans le cadre d’une collaboration entre Eiffage2 et Matelys ; il a obtenu un prix pour ses performances acoustiques. Le deuxième exemple (Figure 6B) est un clin d’œil à un mélange de granules et de fibres, produit à partir de matière recyclée. Il est fabriqué par une société anglaise partenaire de Matelys. Les anglais, qui aiment le confort, apprécient les moquettes épaisses, les gros velours. Mais qu’en faire, après usage ? Le procédé consiste à raser les moquettes pour en extraire la partie fibre, puis pour la partie colle avec le liant, de tout concasser pour produire des granules et de remodeler le tout avec un procédé d’extrusion3 froide, à température ambiante. Ces matériaux présentent des bulles de petites et de plus grosses tailles. En dimensionnant bien la proportion de grosses bulles par rapport aux plus petites, on peut atteindre des performances acoustiques tout à fait intéressantes. Ces produits sont utilisés actuellement pour des 2. www.eiffage.com 3. L’extrusion est un procédé de mise en forme des matières plastiques qui consiste à pousser la matière à fluidifier à travers une filière.

B

Figure 6 Exemple de matériaux granulaires : béton bitumineux (A), granulat issu de recyclage (B). Source : Matelys

sous-couches, sous-parquets ou sous-carrelages dans les bâtiments. 2.4. Les textiles et les plaques perforées Derniers exemples de matériaux poreux, les textiles et les plaques perforées (Figure 7). Une plaque perforée peut être regardée, quoiqu’à une autre échelle, comme un mélange de solide et d’air, l’air étant

contenu dans les perforations. D’un point de vue de modélisation, on peut considérer qu’il s’agit d’un matériau poreux. Les textiles ou les plaques perforées peuvent être utilisés comme protections ou comme habillages de matériaux, ainsi que pour occulter la lumière (ce qui est d’ailleurs leur première utilisation). Par ailleurs, leurs tenues au feu et aux atmosphères humides permettent de les utiliser dans les piscines

A

D

B

Figure 7 Exemples de textiles et de plaques perforées. Sources : (A) www.directindustry.fr, (B et C) Mermet, (D et E) Matelys

Vers une connexion des corps de métiers, pour des microstructures améliorées pour les transports

A

C

E

165

Chimie et transports

ou dans les milieux extérieurs. Ce type de solutions est aussi utilisé de manière courante sur des écrans antibruit, en extérieur. Après ces descriptions de différents matériaux poreux, rassemblons le vocabulaire de différents corps de métiers qui travaillent sur ces matériaux dans l’Encart « Le vocabulaire des différents corps de métiers ».

Procédés de fabrication et microstructures

3

La microstructure des corps poreux est très sensible aux procédés de fabrication : température, constituants des mélanges, vitesse de réaction, taille des réacteurs, etc., comme nous allons le voir dans les exemples qui suivent.

LE VOCABULAIRE DES DIFFÉRENTS CORPS DE MÉTIERS Les matériaux poreux sont utilisés par différents corps de métier. Chacun a ses propres préoccupations et a développé son propre vocabulaire. Voici un échantillonnage qui en montre la richesse. Le vocabulaire du chimiste Commençons par lui. C’est lui qui met au point la formulation du procédé ; aussi parle-t-il en termes de formulation des matériaux, de polymérisation, de réactions chimiques complexes… Il parle en dosage de composant, en rôle des adjuvants, en réticulation, etc. C’est un premier type de vocabulaire. Le vocabulaire de l’assembleur C’est lui qui prend la matière première, la mousse, la laine de verre, etc., et la met en forme pour produire le traitement insonorisant, l’éponge, ou autre chose. Il parle en termes de vitesse d’avancement, de calandrage, de taux de compression, de jauge pour les métiers à tisser, de densité du matériau… Il utilise même des éléments de vocabulaire plus exotiques comme le décitex, grandeur qui est propre aux métiers du textile et qui combine la densité et la taille des fibres. Vers l’utilisateur final : le mécanicien et l’acousticien Si l’on s’approche un peu plus de l’utilisateur final, on trouve le mécanicien, qui a une palette de solutions ou de matériaux parmi lesquels il faut choisir. Lui, ne parle pas en termes de procédés de fabrication, il n’y connaît rien. Quel est son vocabulaire ? Il parle en termes de raideur, de tenue mécanique, en termes de portance, si l’on est sur des sièges auto, sur des sièges de confort, ou bien encore, s’il est plus perspicace, il parle de masse volumique ou de densité, de module d’Young, d’amortissement ou de coefficient de Poisson. L’acousticien est comme le mécanicien, il ne parle pas en termes de réticulation. Il souhaite connaître le fonctionnement en termes de correction acoustique, pour diminuer les échos à l’intérieur d’une salle, ou en termes d’isolation acoustique, pour ne pas entendre le bruit de la circulation au dehors. Il utilise, principalement le coefficient d’absorption sonore et le coefficient de transmission sonore. Ces quantités peuvent être reliées à des paramètres plus phénoménologiques, à savoir la résistivité statique au passage à l’air, la porosité, déjà évoquée, ainsi que des longueurs caractéristiques associées aux dimensions caractéristiques du matériau, etc. La liste n’est pas exhaustive. 166

Ces mousses sont essentiellement un mélange de polyols et d’isocyanate. Le principe est très simple, identique à celui d’une recette de « gâteau de mousse » (Figure 8) : le mélange est déposé sur un tapis où, comme un gâteau, il lève. Il existe deux types de procédés : batch ou continu. On obtient ainsi un gros pain, qu’il faut laisser refroidir, avec des temps de curage plus ou moins longs. C’est exactement la même chose que la cuisson d’un gâteau, que l’on sort du four une fois cuit, pour le laisser refroidir. L’o b s e r v a t i o n a u M E B (Figure 9) montre les habituelles microstructures en ballons de football, obtenues avec deux jeux de paramètres différents ; le taux d’ouverture entre les bulles est différent. Cela signifie que le taux d’ouverture diffère selon la fabrication. Ce taux détermine le comportement acoustique, mécanique, thermique, etc., de la mousse. L’air ne peut plus passer, ne peut plus circuler ou, du moins, il est freiné. Il est possible d’aller vers des situations extrêmes où quasiment toutes les ouvertures, toutes les fenêtres sont fermées. D’un point de

vue de l’acousticien ou du mécanicien, on parle par exemple en termes de portance ou de résistance au passage à l’air. Ce dernier paramètre, s’il est modifié, a un impact important sur les propriétés acoustiques résultantes du matériau.

Figure 8 Mousses de polyuréthane refendues. Source : Arnaud Duval-Faurecia

3.2. Les systèmes fibreux Pour les matériaux fi breux, ce qui est contrôlé lors de la fabrication, c’est essentiellement la taille des fibres à la sortie de l’assiette de fibrage et le taux de compression en sortie de four (Figure 10). Remarquons que, pour le thermicien qui parle en termes de conductivité thermique ou l’acousticien qui parle essentiellement en termes de résistance au passage à l’air, le lien entre la microstructure et la propriété fonctionnelle n’est pas direct.

Vers une connexion des corps de métiers, pour des microstructures améliorées pour les transports

3.1. Les mousses de polyuréthane

Figure 9 Mousses au MEB. Source : Kino et coll., App. Acou., 73 (2012)

167

Chimie et transports

Figure 10

Sable et calcins

Contrôle de la taille des fibres. Fusion Fibrage et injection de liants Réception Coupe longitudinale

Verre « blanc »

Coupe transversale

Four pour le durcissement Le liant devient jaune Les déchets sont recyclés

3.3. Exemple des métiers à tisser Autre exemple, les métiers à tisser où l’on parle de taille de fils, de jauge, le lien avec l’occultation solaire, ou avec les propriétés acoustiques ou de filtration… ce n’est pas non plus évident.

4

Microstructures et fonctionnalités

Cette dernière partie présente des exemples de calculs (principalement illustrés par les études de mousses) qui font le lien entre microstructures et propriétés ou fonctionnalités finales (Encart « L’indispensable recours à la modélisation »).

4.1. Méthodes d’étude des mousses

168

La partie solide d’une mousse ressemble à un réseau cubique centré où les ballons de football (où la partie fluide) seraient situés aux sommets du cube et en son centre. La partie solide, le squelette, est schématiquement indiquée sur la Figure 11. Pour

déterminer les propriétés mécaniques, on peut effectuer un test en compression : la structure se déforme, et bombe un peu sur le côté. On peut aussi faire des tests en cisaillement, où l’on applique une déformation en direction opposée sur les deux côtés de la cellule. À partir de calculs réalisés à l’échelle microscopique, on peut calculer une « matrice de rigidité » et les paramètres élastiques qui en résultent : densité, module d’Young, coeffi cient de Poisson. Il est ainsi possible d’associer des performances aux termes de portance, de raideur. 4.2. Multicouches et propriétés acoustiques Dans un système multicouches, par exemple formé d’une plaque de plâtre avec un enduit, avec de l’autre côté une laine de verre, puis une autre plaque de plâtre (Figure 12), on peut changer les propriétés de la couche intermédiaire en faisant varier les tailles de bulles, la proportion de grosses bulles par rapport aux petites, la

Les « fonctionnalités » du matériau sont ses réponses aux excitations extérieures (mécaniques, électriques, optiques, thermiques). Si l’on connaît la nature et l’arrangement spatial des atomes et les potentiels qui décrivent les interactions entre eux, on peut calculer ces réponses… donc les propriétés du matériau. On peut aussi, dans une démarche plus constructive, définir l’arrangement atomique qui possède telle ou telle propriété que l’on recherche. Dans tous les cas, il s’agit d’un problème « à N-corps » (le nombre d’atomes concernés), et les solutions sont atteintes par des méthodes mathématiques qui nécessitent l’emploi des ordinateurs. Le solide réel est simplifié ainsi que les lois des interactions en ce que l’on appelle un modèle. Cette démarche scientifique, aujourd’hui indispensable dans de nombreux domaines dont celui des matériaux, s’appelle la modélisation. Pour les solides poreux, dont la structure est désordonnée, la modélisation revêt une importance encore plus essentielle que pour les solides ordonnés : le désordre des atomes lui-même, marqué de caractère aléatoire, est décrit par des méthodes numériques où l’on modélise des arrangements atomiques appropriés, souvent plusieurs types d’arrangements dont on doit ensuite pondérer les importances. Associée à la modélisation, prend place l’indispensable étape de la validation. On applique la méthode à des solides simples et connus : si le calcul réalisé sur le modèle n’est pas en accord avec les propriétés mesurées, le modèle doit être modifié.

Figure 11 Mousses soumises à des tests en compression et en cisaillement. Source : Matelys

Test en compression

Test en cisaillement Avant test

taille des interconnexions, le taux d’interconnexion entre les bulles, pour arriver à une structure optimale et raisonner sur la performance globale de notre ensemble. Au stade de l’utilisation finale, l’architecte raisonne en termes d’indicateur global, une seule valeur l’intéresse ; par exemple, s’il s’agit d’isolation acoustique, il veut savoir

Vers une connexion des corps de métiers, pour des microstructures améliorées pour les transports

L’INDISPENSABLE RECOURS À LA MODÉLISATION

s’il a obtenu plus ou moins 13 décibels sur l’indice d’affaiblissement. Le chimiste, avec les outils de la modélisation, dispose du lien entre cette propriété d’isolation et la microstructure du matériau utilisé. Il peut par conséquent construire la microstructure identifiée pour atteindre la performance souhaitée.

169

Chimie et transports

Figure 12 Propriétés acoustiques des multicouches. Source : Matelys

Perte de transmission de son (dB) (champ diffus)

Fréquence (Hz)

4.3. Mousses et propriétés thermiques

Figure 13 Propriétés thermiques : champ de température (A), flux de chaleur (B). Source : Matelys

A

170

Un exemple de traitement des propriétés thermiques est présenté sur la Figure 13. Sur une structure proche de la mélamine, on applique un gradient de température. La partie froide est représentée en bleu, la partie chaude en rouge ; on calcule comment se distribue le champ de température au sein de la cellule. La Figure 13 illustre uniquement la partie conductivité thermique, qui est la plus spectaculaire, mais on pourrait également s’intéresser aux propriétés de convection B

thermique et de rayonnement thermique, pour avoir l’ensemble des phénomènes dissipatifs thermiques.

4.4. Écoulements et microstructures Les matériaux utilisés, ou bien sur les réacteurs d’avion ou sur les trains à grande vitesse, sont souvent traversés par un écoulement ou situés à proximité de celui-ci. La propriété considérée est la perturbation de l’écoulement ou des ondes acoustiques, par la présence du matériau poreux. Diverses techniques permettent de lier cette propriété à la microstructure du matériau. Si un écoulement traverse une microstructure du matériau, toujours modélisée comme un ballon de football avec des ouvertures, on peut calculer comment l’écoulement est dévié, et montrer qu’à certains endroits l’écoulement est accéléré et à d’autres endroits ralenti.

Écoulements et microstructures. Source : Matelys (logiciel LaBS)

On raisonne ainsi en termes de fonctionnalités tout en gardant le lien avec la microstructure du matériau. La Figure 14 montre également un exemple de plaque per-

forée vue en coupe. On peut observer la modification des lignes de champ et déterminer l’influence du taux de perforation sur les performances de ce type de solution.

Vers une connexion des corps de métiers, pour des microstructures améliorées pour les transports Les corps de métiers, qui utilisent des vocabulaires différents, se doivent au sein d’une même entreprise, ou d’un même projet, d’adresser les mêmes problématiques. Au travers des différents exemples analysés, il apparaît que la microstructure peut faire le lien entre ces corps de métiers en permettant d’établir, par son intermédiaire, des correspondances entre le procédé de fabrication et la fonctionnalité.

Vers une connexion des corps de métiers, pour des microstructures améliorées pour les transports

Figure 14

171

7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN

combustion

et les

défis

propulsion aéronautique de la

et

spatiale

Professeur à l’École Centrale Paris et chercheur au laboratoire EM2C, CNRS, Sébastien Candel est membre de l’Académie des Sciences, de l’Académie des Technologies, de l’Académie de l’Air et de l’Espace, et membre étranger de la National Academy of Engineering des États-Unis. Il a entre autres reçu la médaille d’argent du CNRS en 1993, le grand prix Marcel Dassault de l’Académie des Sciences en 2000 et la médaille d’or Zeldovich du Combustion Institute en 2010.

La spectaculaire croissance du trafic aérien

1

Il y a environ cent ans, le 25 juillet 1909, Louis Blériot traversait la Manche – une grande première de l’aviation (Figure 1). La relation entre les États-Unis et la France était à cette époque très intense dans le domaine de l’aéronautique. Les frères

Wright avaient effectué une tournée de démonstration. Il y avait en France beaucoup d’enthousiasme pour la conquête de l’air, beaucoup d’ingéniosité et de passion. En quelques années, la France s’était hissée au premier rang des pionniers de l’aviation. Le succès de Blériot était dû, d’après Fred Culick, au fait que la France possédait à cette époque

Sébastien Candel

La

Chimie et transports

A

B

Figure 1 Louis Blériot (1872-1936) (A) et son Blériot XI (B). Source : (B) Licence CC-BY-SA-3.0, Kogo.

Figure 2 Moteur Anzani trois cylindres de 25 ch, choisi par Blériot pour sa traversée de la Manche. Photo : Xavier Cotton. Musée Régional de l’Air-Aéroport d’Angers.

176

les meilleurs moteurs au monde1, des moteurs qui avaient une puissance volumique deux fois supérieure à celles des moteurs de la même période. Blériot avait pu choisir un moteur suffisamment fiable pour lui permettre de réaliser les trente-trois minutes de vol au-dessus de la Manche (Figure 2), gagnant ainsi le prix du Daily Mail et entrant dans l’histoire comme le premier à avoir traversé la Manche en avion. En seulement une centaine d’années, l’aéronautique a progressé d’une façon remarquable. Les avions sont devenus un moyen de transport de masse. Le nombre de passagers × le nombre de kilomètres transportés (PKT) atteint au niveau mondial le chiffre considérable de quatre mille milliards par an. Le trafic annuel pourrait être multiplié par un facteur quatre entre 2000 et 2050. C’est tout au moins la tendance que l’on juge aujourd’hui probable (Figure 3). Il ne sera évidemment pas possible de multiplier le 1. F.E.C. Culick, Aeronautics, 1898-1909 : The French-American Connection, American Society for the History of Technology meeting, 1987.

trafic en augmentant les nuisances (bruit, pollution, émissions de gaz à effet de serre). Cela exige un effort de recherche et développement considérable pour définir des technologies toujours plus performantes, plus efficaces et moins polluantes, de nouvelles configurations, des matériaux nouveaux et des architectures optimisées.

Les principes techniques de la propulsion

2

Il est utile de comprendre les grands principes de la propulsion, en commençant par un peu de mécanique, avant d’aborder la combustion, qui fait intervenir la chimie et qui est directement impliquée dans le processus de conversion de l’énergie dans les moteurs. Pour que l’avion vole, il faut compenser son poids par une force que l’on appelle portance2 ou sustentation, force aérodynamique qui évolue comme la vitesse au carré et qui est donc nulle si l’avion a une vitesse nulle. 2. La portance aérodynamique est la composante de la force subie par un corps en mouvement dans un fluide qui s’exerce perpendiculairement à la direction du mouvement.

Giga PKT

10 000

Nombre de passagers transportés par kilomètre et par an (trafic mondial). Source : d’après G. Ville (cours à l’ECP 2009).

4 000 Giga PKT Trafic annuel multiplié par 4 entre 2000 et 2050

1 000 100

Trafic annuel multiplié par 100 entre 1950 et 1970 10 1950

1970

1990

2010

2030

2050

Année

Mais l’avancement de l’avion dans l’atmosphère crée une résistance à l’avancement, une force qu’on appelle la traînée3 (Figure 4), qu’il faut compenser par la poussée fournie par les moteurs. On cherche évidemment à augmenter la portance en réduisant la traînée, c’est-à-dire à améliorer le rendement aérodynamique du véhicule, la finesse aérodynamique définie comme le rapport L/D.

Figure 4 Forces s’exerçant sur un avion.

À la base de tout mouvement, il y a la loi de Newton, qui pose que le taux de variation de la quantité de mouvement d’un système est équivalent à une force selon l’égalité : d F= (mv), où m est la masse dt du système et v sa vitesse. L’avion avançant à une vitesse v 0, les moteurs absorbent de l’air dont la vitesse est v 0 et le débit entrant est appelé m0. Le

débit sortant sera le même4 puisqu’il n’y a pas d’accumulation. Cependant, les gaz éjectés acquièrent une vitesse supérieure, ve, au cours de leur passage dans le moteur. En appliquant la loi de Newton, on voit donc que la poussée résultant de cette variation de quantité de mouvement est égale au produit du débit masse m0 par la différence de vitesse (ve – v 0). Pour obtenir une poussée donnée, on peut soit augmenter la différence de vitesse, soit augmenter le débit masse entrant dans le moteur. Pour les moteurs

3. La traînée et la portance aérodynamique des avions sont étudiées notamment par Gustave Eiffel qui, à partir de ses 70 ans, développe des recherches remarquables en aérodynamique expérimentale. Pour ses travaux sur la résistance à l’avancement des avions et sur leur portance, Eiffel reçoit la seconde médaille Langley, une distinction américaine prestigieuse.

4. En toute rigueur, le débit masse de gaz en sortie du moteur est un peu supérieur au débit entrant. Le supplément correspond au débit masse de kérosène injecté dans la chambre de combustion. Comme le kérosène est très énergétique, on en brûle une quantité relativement faible, quelques pourcents du débit d’air, ce qui fait que l’on peut considérer que le débit sortant est égal au débit entrant.

La combustion et les défis de la propulsion aéronautique et spatiale

Figure 3

100 000

177

Chimie et transports

qui équipent les avions subsoniques actuels, c’est cette dernière solution qui est choisie. Elle permet d’augmenter le rendement de propulsion et de réduire la consommation spécifique. Comme la vitesse d’éjection est réduite, le bruit rayonné est aussi diminué (le bruit associé au mélange du jet turbulent évolue comme la vitesse à la puissance 8, et le gain sur cette composante du bruit peut être substantiel).

Figure 5 Fonctionnement moteurs simple/ double flux.

Pour réduire la différence de vitesse entre la sortie et l’entrée d’air du moteur tout en maintenant un certain niveau de poussée, il fallait changer l’architecture générale. Dans les moteurs à simple flux des débuts de l’aviation à réaction, le débit entrant passe en totalité dans le cœur du moteur et ce débit est éjecté à une vitesse relativement élevée. Pour obtenir un flux sortant à basse vitesse, il fallait adopter une nouvelle confi -

guration à double fl ux dans laquelle une partie du débit masse d’air entrant ne passe plus dans le cœur du moteur mais est simplement comprimé par une soufflante 5 , c’est-à-dire essentiellement une hélice carénée. Ce fl ux secondaire est éjecté à une vitesse légèrement supérieure à la vitesse d’entrée (Figure 5). La souffl ante est elle-même entraînée par la turbine située dans le cœur chaud du moteur. Dans les moteurs à double flux actuels, la partie principale de la poussée est obtenue par ce débit détourné. L’énergie dégagée dans le flux primaire est essentiellement destinée à faire tourner cette souffl ante. Aux car actéristiques qui viennent d’être introduites, à savoir la poussée qui va compenser la traînée et le débit masse de kérosène par unité de temps, on peut déjà ajouter les deux rapports suivants : − la consommation spécifique, c’est-à-dire le rapport des deux quantités précédentes ; − le taux de dilution, c’est-àdire le rapport du débit masse qui passe par la soufflante au débit masse qui passe dans le cœur du moteur. On a déjà indiqué qu’il était intéressant d’augmenter le taux de dilution.

178

5. Une soufflante est un élément constitutif d’un turboréacteur à double flux. Elle est constituée d’un rotor muni d’aubes. Située en amont du compresseur, elle est entraînée par la turbine et brasse l’air ambiant pour le comprimer. L’éjection du débit brassé par la soufflante au travers d’une tuyère crée la poussée.

…et les réalisations de moteurs

Dans les premiers turboréacteurs et dans les moteurs des avions militaires, les taux de dilution sont faibles. C’est le cas par exemple du moteur M88 (Figure 6) du Rafale (Figure 7). On trouve successivement un étage de soufflante, un compresseur basse pression, un compresseur haute pression, le foyer annulaire où

l’énergie est dégagée par la combustion, la turbine haute pression puis basse pression. Deux arbres concentriques relient les étages de compression et les étages de turbine. Les gaz passent ensuite dans un foyer de réchauffe. L’injection de kérosène dans cet élément permet d’augmenter la poussée mais au prix d’une consommation plus élevée. L’éjection s’effectue par une tuyère à géométrie

Figure 6 Moteur M88 du Rafale. Source : www.snecma.com.

La combustion et les défis de la propulsion aéronautique et spatiale

3

Figure 7 Le Rafale équipé de deux moteurs M88 Snecma.

179

Chimie et transports

Foyer

Turbine

Compresseur

Entrée d’air

variable dont la section est ajustée en fonction des conditions de pression et température des gaz.

Les moteurs à grand taux de dilution apparaissent sur le B747. À la même période, c’est-à-dire au début des années 70, Airbus lance l’A300 (Figure 10) et fait le choix de moteurs à grand taux de dilution. Cet avion gros porteur à deux couloirs et deux moteurs à grand taux de dilution surclasse les autres avions dans sa catégorie sans toutefois remporter le succès commercial qu’il mérite.

On retrouve tous les composants décrits plus haut dans le brevet initial déposé par Frank Whittle en 1932 (Figure 8) : une entrée d’air, un compresseur, le foyer, la turbine et la tuyère d’éjection. Le compresseur et la turbine sont dans ce cas centrifuges et le foyer est replié. Le premier avion à réaction construit sur la base des brevets de Whittle vole en 1941.

Le succès vient avec la série des A 320, construite autour de moteurs à grand taux de dilution (de l’ordre de cinq) comme le moteur CFM 56 (Figure 11) produit par Snecma et General Electric. Le flux primaire est indiqué en rouge et le flux secondaire apparaît en bleu (Figure 11C). Plus de vingt mille moteurs de cette série ont été produits.

Tuyère

Figure 8 Schéma du turboréacteur dans le brevet original de Frank Whittle (1932). On trouve dans ce brevet les cinq éléments principaux des turboréacteurs : l’entrée d’air, le compresseur, le foyer, la turbine et la tuyère d’éjection.

Figure 9 Un MD80 d’American Airlines. Licence CC-BY-3.0, Braves fan.

180

On voit apparaître vers la fin des années 60 des moteurs à taux de dilution modéré, de l’ordre de 1,8 pour le JT8D de Pratt et Whitney qui équipait une bonne partie des la flotte aérienne et notamment les B727 et MD80 (Figure 9).

L’Airbus A300.

A

B

La combustion et les défis de la propulsion aéronautique et spatiale

Figure 10

C

Figure 11 L’A320 avec son moteur CFM 56. Source : (A) Licence CC-BY-2.0, Mark Harkin. (B) www.snecma.com.

Sur les A380 (Figure 12), le plus gros porteur actuel, les moteurs sont particulièrement imposants avec un diamètre d’entrée d’air égal à trois mètres (le diamètre du

moteurs est égal au diamètre du fuselage d’un A320). Le taux de dilution atteint une valeur de neuf, le flux secondaire est ainsi neuf fois plus important que le flux primaire

181

Chimie et transports

Figure 12 A380 d’Airbus. Licence CC-BY-SA-2.0, rdesoras.

( Figure 13 ). L e moteur consomme 10 kg de kérosène par seconde au régime plein gaz. On peut caractériser le rendement global de ces moteurs en considérant le rapport de la puissance disponible à la puissance dégagée par la combusPuissance disponible tion = . Puissance dégagée Ce rendement est lui-même constitué par le produit du rendement de propulsion par le rendement thermique. On

Figure 13 Moteur GP 7270 équipant l’A380 d’Airbus. Ce moteur est produit par une alliance entre General Electric et Pratt et Whitney.

182

peut montrer que le rendement de propulsion est égal au double de la vitesse entrante divisé par la somme des vitesses entrante et sor2v tante = v + 0v . 0 e Nous avons déjà indiqué que pour maximiser ce rendement, il fallait que v 0 et ve soient à peu près identiques – mais pas tout à fait car une différence de vitesse DV égale à 0 demanderait un débit masse infini. Pour augmenter

0,3

0,2

0,1

0,5

0,4

0,6

0,6

Soufflante non carénée Forts taux de dilution

0,4 Turboréacteurs

Rendement et taux de dilution. En jaune : système avancé d’hélices carénées. Source : Adapté de B.L. Koff (2004). Journal of Propulsion and Power, 20 : 577-595.

Faible taux de dilution

0,2

0 0

0,2

0,4

0,6

0,8

1,0

Rendement de propulsion ηp

et d’autre part la température et le taux de compression. Au prix de technologies de plus en plus complexes on est arrivé à l’objectif de réduire la consommation spécifique (Cs) d’un facteur supérieur à deux par rapport aux années 50 (Figure 15).

ce rendement, on utilise des taux de dilution de plus en plus élevés, ce qui explique l’évolution observée depuis les turboréacteurs jusqu’aux doubles flux à grand taux de dilution (Figure 14). Pour augmenter le rendement thermique, il faut augmenter la température en sortie de la chambre et utiliser des taux de compression plus élevés. L’optimisation globale demande donc d’augmenter d’une part le taux de dilution

L’évolution des taux de compression est montrée sur la Figure 16. Lorsque ce taux de compression augmente, la taille des aubages des derniers étages de compression

Figure 15

Cs en croisière 1,05

Ghost

0,95 Turbojet

Turboréacteurs JT3

0,85 0,80

Turbofan

0,75

JT8D

0,70

Faibles taux de dilution

JT9D

TAY RB211 CFM56 V2500 PW4000 Trent

0,65 0,60

CF6

0,55

Grands taux de dilution

PW2037

0,50

PW4084 GE90 Advanced ducted propulsor

0,45 0,40 0,35 1945 50

Évolution de la consommation spécifique. Adapté de B.L. Koff (2004). Journal of Propulsion and Power, 20 : 577-595.

Pratt & Whitney General Electric Rolls Royce de Havilland

1,00 0,90

La combustion et les défis de la propulsion aéronautique et spatiale

Rendement thermique du cœur ηth

Figure 14

Rendement global η

0,8

55

60

65

70

75

80

85

90

Très grands taux de dilution 95

2000

05

Date de certification

183

Évolution du taux de compression. Adapté de B.L. Koff (2004). Journal of Propulsion and Power, 20 : 577-595.

50

Taux de compression πc

Chimie et transports

Figure 16 –P&W –PE –RR

Niveau de la mer Conditions standard

Trent GE90 4060 CF6-80 F100

40 CF6-50 30

20

JT8D J52 J57 Whittle

10

0 1930

4084 4168 V2500 4058 2037 F404

CFM56 F100 JT9D

1940

TF30

Von Ohain

J79 JT3D

1950

1970

1960

1980

JT9D-7R4

1990

2000

2010

Année

Figure 17 Formule de Breguet Leduc. R est la distance accessible à l’avion (Cs la consommation spécifique, WI la masse initiale du véhicule incluant le carburant, WF la masse finale du véhicule, g la constante de gravité, L/D la finesse aérodynamique (où L est la portance, et D désigne la trainée) et v la vitesse).

184

devient plus faible, et les jeux en bouts d’aubages sont plus difficiles à régler – des difficultés techniques que l’on a appris à maîtriser. On vient de voir comment l’évolution des moteurs a permis des gains substantiels de consommation spécifique. Il est maintenant utile de voir ce qui détermine l’efficacité de l’avion dans son ensemble. On utilise à cet effet la formule de Breguet Leduc (Figure 17) qui donne la distance qui peut être franchie par un avion. Cette formule fait apparaître la finesse ou rendement aérodynamique, c’est-à-dire le rapport entre la portance et la traînée (L/D). La consommation spécifique apparaît au dénominateur de cette expression. La masse initiale divisée par la masse finale intervient au travers du logarithme. Pour augmenter le rendement structural, il faut

R=

v(L/D) WI ln gCs WF

que la masse à vide du véhicule soit la plus faible possible, ce qui explique que les avions soient construits en matériaux légers et que leurs structures soient conçues pour être les plus légères possibles 6. Augmenter les performances de l’avion nécessite l’amélioration de la finesse aérodynamique, la réduction de la consommation spécifique et l’allégement des structures.

4

La combustion

Depuis la conquête du feu, la combustion a accompagné la civilisation. Les premiers 6. Les impératifs de l’allégement des structures sont expliqués dans le chapitre de B. Dubost (Chimie et transports, coordonné par M.-T. Dinh-Audouin, D. Olivier et P. Rigny, EDP Sciences, 2013.

On atteint actuellement des consommations énergétiques de l’ordre de 1,5 mégajoules par siège et par kilomètre. Transformés en volume de kérosène par cent kilomètres et par siège, cela conduit à environ 4 litres aux cent kilomètres par passager, valeur comparable à celle du transport automobile (sous l’hypothèse d’une pleine occupation de l’avion). Or, on se déplace ici à 900 km/h... ! Cependant la question énergétique reste une question dominante pour l’avenir de nos sociétés, ainsi qu’il est développé dans l’ouvrage Chimie et enjeux énergétiques (EDP Sciences, 2013) et résumé sur la Figure 18, et l’on peut prévoir une pénurie de kérosène à moyen terme (Figure 19).

GTEP Croissance +2 %

20 Nucléaire Renouvelables

10

Charbon Fossiles 35 % Peak oil

Fossiles 85 %

Gaz

Pétrole 40 %

1975

Consommation d’énergie en fonction du temps. Source : d’après G. Ville, cours ECP, 2009.

Pétrole 5 %

2000

2025

2050

2075

Figure 18

2100

3 000

La combustion et les défis de la propulsion aéronautique et spatiale

LES OPTIONS DE CARBURANTS POUR LES AVIONS

MTEP

300

30,0 Pénurie de kérosène ?

3,00

Figure 19

0,300 1950

1970

1990

2010

2030

2050

Année

Consommation et disponibilité du kérosène : une pénurie est prévue. 1 tep = 42 GJ.

Une possibilité envisagée par l’industrie aéronautique dans ce domaine est d’avoir recours au kérosène de synthèse, qui est proche du kérosène issu des puits de pétrole, possède la même énergie spécifique (environ 40 megajoules par kilo) et la même température de fusion, ce qui est important car l’avion vole à haute altitude et son carburant ne doit pas geler dans ses réservoirs. Incidemment, ces considérations excluent l’utilisation du bioéthanol ou du biodiester, l’hydrogène posant quant à lui des problèmes technologiques dans sa manipulation (Tableau 1). Tableau 1 Source : d’après G. Ville (cours à l’ECP 2009).

Alternatives au kérosène.

Énergie spécifique (MJ/kg)

Masse volumique (kg · m–3)

Température de fusion (°C)

Kérosène

43

800

–50

Kérosène de synthèse

40

750

–50

Bioéthanol

27

800

–110

Bio-diester

35

900

–20

Hydrogène

120

70

–250

Carburants

185

Chimie et transports

Figure 20 Chronologie de la science de la combustion.

Figure 21 La combustion, une science essentiellement pluridisciplinaire.

186

« allumages » datent peutêtre de 30 000 ans. La science de la combustion est bien plus récente et l’on peut situer son origine dans les travaux de Lavoisier (Figure 20). La première théorie des flammes prémélangées est due à Mallard et Le Chatelier. La thé or ie pr o gr e s s e ave c les travaux de Zeldovich et Frank-Kamenetski, et beau-

coup d’autres savants. Dans les années récentes, des progrès considérables sont réalisés par la combinaison de nouvelles méthodes d’expérimentation et de diagnostic (fondées sur les lasers et l’imagerie numérique), de nouveaux moyens de simulation et de nouveaux modèles. La science de la combustion est à la croisée d’un ensemble de sciences qui interviennent de façon conjointe (Figure 21) : thermodynamique, mécanique des fluides, phénomènes de transport, concernant la diffusion des espèces, celle de la chaleur… et cinétique chimique, qui détermine les taux de réactions et joue un rôle évidemment central. Le traitement de cette dernière est ici par ticulièrement difficile : les réactions à considérer sont multi-espèces, comme illustré sur le Tableau 2, qui rassemble à titre d’exemple les réactions et les constantes de réactions pour la combustion d’hydrogène

La combustion et les défis de la propulsion aéronautique et spatiale

Tableau 2 Exemple de l’ensemble de réactions à traiter simultanément, de leurs constantes d’équilibre, de vitesse et de leurs énergies d’activation E.

Nb 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19

Réaction H2 + O 2 2OH OH + H2 H2 O + H H + O2 OH + O O + H2 OH + H H + O2 + M HO2 + M H + O2 + O2 HO2 + O2 H + O 2 + N2 HO2 + N2 OH + HO2 H2 O + O 2 H + HO2 2OH O + HO2 O2 + OH 2OH O + H2 O H2 + M H+H+M O2 + M O+O+M H + OH + M H2 O + M H + HO2 H2 + O 2 HO2 + HO2 H2 O 2 + O 2 H2 O 2 + M OH + OH +M H2 O 2 + H H2 O + H H2O2 + OH H2O + HO2

et d’air. Les vitesses de réaction sont déterminées par la loi d’Arrhenius (Figure 22) : kf = BT exp(-E/RT), où kf est la constante de vitesse, E l’énergie d’activation, B le facteur préexponentiel, T la température, B l’exposant de température et R la constante universelle des gaz parfaits. La dépendance exponentielle par rapport à la température induit des difficultés mathématiques, qu’on désigne sous le nom de « raideur mathématique ». Par ailleurs, la combustion donne lieu à des phénomènes « critiques », sensibles aux valeurs des paramètres comme l’allumage ou l’extinction. Dans les confi gurations pratiques, la combustion s’effectue dans un

B

E

1,70E+13 1,17E+09 2,00E+14 1,80E+10 2,10E+18 6,70E+19 6,70E+19 5,00E+13 2,50E+14 4,80E+13 6,00E+18 2,23E+12 1,85E+11 7,50E+23 2,50E+13 2,00E+12 1,30E+17 1,60E+12 1,00E+13

47780 3626 16800 8826 0 0 0 1000 1900 1000 0 92600 95560 0 700 0 45500 3800 1800

écoulement turbulent car la turbulence permet d’augmenter les taux de réaction et permet d’atteindre les puissances volumiques nécessaires. Or on sait que la turbulence pose des difficultés sérieuses. Elle a même été qualifiée, dans Figure 22 Sven August Arrhénius (1859-1927).

187

Chimie et transports

représentées par des lois d’Arrhenius. Bien entendu cette complexité est maintenant gérable grâce aux progrès de l’informatique. Dans les mécanismes réactionnels de la combustion, on reconnaît des réactions d’initiation (Figure 24), comme celui où une molécule d’hydrogène produit deux radicaux H• ; on identifie des réactions de ramification comme celle où un radical H• réagit avec de l’oxygène pour donner deux nouveaux radicaux, initiant des ramifications de réactions. Il y a aussi des réactions de rupture de chaînes, et c’est tout cet ensemble qui finalement intervient pour déterminer les taux de réaction effectifs.

Figure 23 Richard Phillipps Feynmann (1918-1988), prix Nobel de physique en 1965.

Figure 24 Quelques réactions élémentaires intervenant dans le mécansisme réaction d’oxydation de l’hydrogène.

les années 70, de « grand problème non résolu de la physique classique » par le prix Nobel Richard Feynmann (Figure 23). La combustion turbulente est encore plus complexe car elle fait intervenir la turbulence et son interaction avec un ensemble de réactions fortement exothermiques. Pour donner une idée de cette complexité, on peut considérer la « simple » réaction d’oxydation de l’hydrogène par l’oxygène H2 + ½ O2 → H2O. Pour décrire cette réaction il faut considérer trente-huit réactions élémentaires entre neuf espèces avec des cinétiques

Figure 25

188

Mécanisme de formation des oxydes d’azote. Ce mécanisme, dû à Zeldovich, décrit la formation de l’oxyde d’azote (NO) thermique.

En plus des réactions d’oxydation, il faut aussi considérer les cinétiques de production et destruction des polluants. On doit par exemple considérer les mécanismes qui conduisent à la formation des oxydes d’azote. Ces espèces sont notamment formées à haute température suivant un schéma proposé par Zeldovich (Figure 25). Il faut toute l’ingéniosité des concepteurs pour réussir à augmenter la température pour augmenter les rendements, tout en évitant une croissance exponentielle de la production des oxydes d’azote. Il faut pour cela réussir à stabiliser la fl amme dans tous le domaine de fonctionnement, éviter de créer des régions à très haute température, obtenir un profil de température le plus homogène possible en sortie du foyer, assurer la tenue des parois par un refroidissement adapté, réduire la production des polluants.

Les méthodes et les moyens de la recherche moderne permettent d’aborder des questions de grande complexité comme celles qu’on vient de

décrire. De façon schématique, l’analyse s’appuie sur une combinaison entre la modélisation, la simulation numérique et l’expérimentation. La simulation numérique utilise des méthodes de calcul de plus en plus performantes et elle profite des progrès extraordinaires de l’informatique scientifi que et modernes. Au niveau expérimental, les progrès sont associés à l’utilisation des diagnostics lasers et de l’imagerie numérique extrêmement performants. Ces progrès contribuent largement aux études liées à la combustion. La Figure 27A montre à titre d’exemple une configuration expérimentale « flamme swirlée », un mode de combustion dans lequel la fl amme est formée par injection des réactifs au travers d’une vrille (swirler) qui met l’écoulement en rotation. Ce type d’injection

La combustion et les défis de la propulsion aéronautique et spatiale

Il s’agit d’un problème d’optimisation particulièrement complexe (voir l’Encart : « La recherche sur la combustion est en pleine effervescence ! »). Il s’agit de réduire les émissions de CO2, donc la consommation de carburant, mais pour réduire la consommation il faut augmenter la pression et la température, ce qui conduit à augmenter la production d’oxydes d’azote… qu’il faut aussi éliminer ! La Figure 26 résume le double défi qu’il faut relever pour le développement de la combustion dans les foyers aéronautiques pour répondre aux demandes du transport aérien : réduire la consommation tout en réduisant les émissions d’oxydes d’azote.

LA RECHERCHE SUR LA COMBUSTION EST EN PLEINE EFFERVESCENCE ! Quoique brève, la présentation des problématiques de recherche du domaine de la combustion pour le transport aérien et spatial de ce chapitre suffit probablement à faire saisir la dimension des défis posés aux scientifiques et aux ingénieurs. Leur intérêt, aussi bien scientifique que pratique, motive aujourd’hui des groupes de recherche dynamiques : il existe une initiative de recherche sur la combustion avancée (INCA), qui s’est formé entre les industriels du groupe Safran (donc Snecma et Turbomeca), l’Offi ce National d’Études et de Recherches Aérospatiales (ONERA) et les laboratoires du CNRS. Les recherches dans domaine automobile sont quant à elles réalisées par l’Institut français du pétrole et des énergies nouvelles (IFPEN) et des laboratoires du CNRS. Un message pour les jeunes : n’hésitez pas à aller dans ces domaines, ils mobilisent les méthodes et les moyens les plus modernes. Ils ont beaucoup à vous offrir ! 189

Chimie et transports

Figure 26 Le double défi, énergétique et environnemental, du transport aérien.

190

est utilisé pour stabiliser la combustion dans les foyers de turbines à gaz ou de moteurs d’avions. En parallèle, on construit des modèles pour simuler la fl amme, ce qu’on sait faire de façon de plus en plus performante. La Figure 27B donne à titre d’exemple un calcul de fl amme swirlée réalisé au moyen de la simulation des grandes échelles. Un foyer annulaire aux parois transparentes permet l’observation de l’allumage de la fl amme et de son développement. Dans un travail récent, il a été possible d’utiliser un foyer comportant seize injecteurs et deux bougies (Figure 27C) dans une chambre munie de parois en quartz. L’allumage et le développement de la fl amme se font en moins d’une centaine de millisecondes. L’ensemble

du mécanisme d’allumage peut être étudié expérimentalement ou au moyen de la simulation des grandes échelles une échelle de temps que les outils modernes permettent de bien explorer. Les calculs simulant les phénomènes ont nécessité plusieurs millions d’heures au Centre Européen de Recherche et de Formation Avancée en Calcul Scientifique (CERFACS) sur une batterie d’ordinateurs travaillant en parallèle. Par cette double approche, expérimentale et théorique, il est possible d’atteindre une réelle compréhension de l’allumage. De nouveaux moteurs, dont la Figure 28 donne quelques exemples, sont en développement à partir de ces nouvelles connaissances, déclenchant une compétition industrielle.

B

C

Figure 27 A) Flamme swirlée turbulente ; B) Simulation d’une flamme swirlée turbulente ; C) Foyer annulaire multiinjecteurs. Chaque injecteur établit une flamme swirlée. Les parois latérales en quartz permettent un accès optique à la zone de flamme. Source : EM2C, CNRS.

A

B

La combustion et les défis de la propulsion aéronautique et spatiale

A

Figure 28 Architectures en compétition pour moteurs d’avions : A) Le LEAP de GE-Snecma ; B) Le Geared Turbofan de Pratt and Whitney. Source : (A) www.snecma.com.

5

La propulsion spatiale

Mettre des satellites dans l’espace est devenu indispensable à nos modes de vie : le GPS, la météo, l’observation de la Terre, tout ce que l’on sait sur l’environnement dans son ensemble vient des informations issues des satellites d’observation.

Le lancement des satellites nécessite des systèmes de propulsion à haute performance. L’impulsion spécifique la plus élevée est obtenue avec des moteurs alimentés en ergols cryotechniques d’oxygène et hydrogène stockés dans les réservoirs sous forme liquide. La pression dans la chambre de combustion du moteur dépasse les 100 bars, et la

191

Chimie et transports

Figure 29 Moteur Vulcain. Source : www.snecma.com.

puissance dégagée est considérable. Ainsi, dans le moteur Vulcain (Figure 29), cette puissance atteint 2,5 Gigawatts (par comparaison, une tranche de centrale nucléaire correspond à 1 GW électrique !). Des turbopompes alimentent le système en hydrogène et en oxygène, et le fond de chambre est constitué de plus de 500 injecteurs coaxiaux. L’hydrogène est introduit dans la chambre à très grande vitesse (plus de 200 mètres par seconde), et l’oxygène est injecté à basse température sous une forme très dense, et à une dizaine de mètres par seconde. Avant les études réalisées au cours des vingt dernières années, on ne savait pas comment la fl amme était stabilisée dans un écoulement à vitesse élevée. Cela n’a pas empêché la conception des moteurs. Il était cependant nécessaire de mieux comprendre le mécanisme de stabilisation et d’avoir des informations sur la structure de flamme. On a donc procédé à des expériences sur un foyer de laboratoire désigné sous le nom de banc Mascotte (ONERA). Les études réali-

Figure 30

192

La structure de la flamme formée par injection d’ergols cryotechniques. L’oxygène est injecté sous forme liquide. L’hydrogène est introduit sous forme d’un gaz est sa vitesse est très élevée. On voit ici une coupe de la structure de flamme moyenne obtenue à partir de l’émission de lumière de radicaux OH• et d’images de retro-éclairage moyennées. La pression d’essai dépasse les 60 bars et elle est supérieure à la pression critique de l’oxygène. Source : EM2C, CNRS.

GH2 200 m/s

Oxygène 4 m/s

GH2

Flamme

sées sur un injecteur unique alimenté en oxygène liquide et hydrogène, ou oxygène liquide et méthane, sur une large gamme de pressions et notamment à des pressions supercritiques, ont fourni les données manquantes (Figure 31). Les expériences ont permis de voir que la fl amme était stabilisée au voisinage immédiat des lèvres de l’injecteur, et il a été possible de déduire un critère pour cette stabilisation. La Figure 32 reproduit une simulation d’une fl amme ox ygène liquide- méthane gazeux dans des conditions transcritiques. Il y a un bon accord entre l’obser vation expérimentale et les résultats de la simulation. Ce bon accord est la marque des progrès considérables réalisés dans la compréhension et la maîtrise de la combustion au cours de la dernière décennie : ces progrès ne profitent pas seulement à l’industrie spatiale, mais tout autant à l’industrie aéronautique et même à l’industrie automobile. Toutes profi tent des mêmes recherches de base.

πr = p/pr Ariane 5

2,1 Fluide supercritique

Banc Mascotte

πr > 1 1 Point critique

Liquide Solide

pc(O2) = 5,04 MPa Tc(O2) = 154 K Gaz

θr < 1

A

1

θr = T/Tc

B

Diagramme thermodynamique de l’oxygène. Les moteurs de fusées comme Vulcain fonctionnent à une pression de plus 100 bars, très supérieure à la pression critique de l’oxygène (50,4 bars). Les essais sur le banc Mascotte sont effectués à une pression supérieure à 60 bars.

La combustion et les défis de la propulsion aéronautique et spatiale

Figure 31 Diagramme p-T O2

Figure 32 A) Visualisation directe d’une flamme formée par de l’oxygène liquide et du méthane gazeux. B) Résultat d’une simulation aux grandes échelles pour la même configuration. Source : Schmitt T., Méry Y., Boileau M., Candel S. (2011). Large eddy simulation of oxygen/methane vflames under transcritical conditions, Proceedings of the Combustion Institute, 33 : 1383-1390.

La chimie, au cœur de la propulsion aéronautique et spatiale Nous avons voulu, dans ce chapitre, donner un aperçu des défis technologiques rencontrés dans le développement de la propulsion aéronautique : on veut augmenter les performances pour réduire la consommation, et en même temps les émissions polluantes et le bruit.

193

Chimie et transports 194

On a aussi brièvement évoqué les questions de propulsion spatiale et décrit à titre d’illustration la structure des flammes cryotechniques à haute pression transcritique. On a aussi indiqué que dans ces deux domaines, des progrès significatifs avaient été faits, en combinant la modélisation, la simulation numérique à haute performance et l’expérimentation au moyen de diagnostics avancés s’appuyant sur les lasers et l’imagerie numérique. Il est clair que la chimie est au cœur des phénomènes de combustion. Elle fait intervenir un grand nombre d’espèces et de réactions élémentaires suivant une cinétique définie par la loi d’Arrhenius. L’interaction de la chimie et de la turbulence définit les taux de réaction dans l’écoulement, et la représentation de ce processus constitue une question clé. Les recherches dans le secteur de la propulsion réalisées dans le cadre de collaborations actives entre tous les acteurs (industriels, organismes de recherche et laboratoires du CNRS) constituent un atout important dans l’intense compétition industrielle qui caractérise ce domaine au niveau mondial.

transports

décarbonés : carburants, combustion post-traitement

et pour les transports routiers

Sophie Jullian est directrice scientifique de l’Institut Français du Pétrole Énergies Nouvelles1 (IFPEN).

La chimie est une des sciences fondamentales mises en jeu pour faire progresser la question du transport. Dans cet ouvrage, le Chapitre de S. Candel le met en évidence en ce qui concer ne l a combustion (motorisations thermiques), mais c’est vrai de façon plus générale. En effet, quels qu’ils soient, les véhicules ont besoin d’énergie pour remplir leur usage de mobilité. Et l’énergie, c’est avant tout de la chimie – puisqu’elle est associée à la transformation de la matière et provient de la rupture de liaisons à l’échelle moléculaire. Ainsi, si l’on 1. www.ifpenergiesnouvelles.fr

veut remonter aux sources de l’énergie disponible sur la Terre, on aboutit invariablement à l’énergie solaire qui a permis, par le phénomène de photosynthèse, de créer des liaisons entre atomes de carbone, à partir de la rupture des liaisons carboneoxygène du gaz carbonique et ox ygène-hydrogène de l’eau – autant de phénomènes entièrement chimiques. C’est la photosynthèse qui par ces transformations a produit toute la biomasse, laquelle a donné naissance au pétrole et au charbon ; c’est l’énergie de cette liaison

Sophie Jullian

Vers des

Chimie et transports

carbone-carbone que l’on récupère en brûlant les combustibles fossiles. Ainsi, le lien entre chimie et transport apparaît tout naturellement au travers des considérations énergétiques. Depuis ses origines, l’histoire des transports est également indissociable de la notion d’efficacité énergétique : afin de diminuer la quantité d’énergie nécessaire pour un déplacement donné. En effet, la capacité à déplacer des biens et des personnes par l’usage efficace de ressources est l’un des fondements de notre civilisation actuelle et c’est par exemple la disponibilité d’énergies fossiles liquides, à fort contenu énergétique, qui a permis l’essor de la mobilité individuelle. Cependant, « diminuer la quantité d’énergie » ne se limite pas à diminuer la consommation de carburant ; il faut aller au delà et donc regarder l’ensemble du cycle qui conduit à minimiser l’impact de cette utilisation de carburant sur l’écosystème global de la planète. Ceci amène à prendre en considération les couplages importants entre

les transports et des questions de portée plus large, comme l’impact environnemental ou la disponibilité des ressources.

Le contexte de l’évolution des transports

1

1.1. Besoins et utilisation des énergies Le contexte énergétique dans lequel nous vivons impose de réduire la dépendance vis-àvis des énergies fossiles, par nature finies ; c’est pourquoi il faut diversifier les sources d’énergie. En parallèle s’impose aussi la nécessité de contrôler le réchauffement climatique en s’attaquant aux rejets de gaz à effet de serre. Par ailleurs, évidemment, il reste fondamental d’accompagner les besoins et les usages de la mobilité, dont la société fait de plus en plus usage. La Figure 1 présente des projections de la demande totale en énergie, des émissions de CO2 et de la production de pétrole. Le monde requiert de

Figure 1 Émissions de CO2 2008/35 : + 21 %

Demande mondiale en énergie 2008/35 : + 36 %

La question de l’énergie entre la demande énergétique mondiale, les émissions de CO2 et le peak oil.

2015, 2040... ? + 1,2 %/an

+ 0,7 %/an

16,7

+ 1,9 %/an

8,7 1990 2008 2035 Gt équivalent pétrole

35

+ 1,9 %/an

29

12,2

196

Pic du pétrole ?

21

1990 2008 2035 Gt

1970

2010

2100

Premier défi : il faut maîtriser cette évolution pour éviter des catastrophes climatiques et environnementales comme par exemple le réchauffement climatique ou l’acidification des océans. La question de la disponibilité des ressources constitue un deuxième défi. Elle est résumée par la notion de « peak oil », qui marque le moment où s’amorcera une décroissance des réserves fossiles connues ou escomptées. Même si la date précise de ce peak oil – qui englobe toutes les ressources fossiles, pétrole et gaz, qu’ils soient ou non conventionnels – reste incertaine, elle se situe à un horizon assez proche selon la plupart des scénarios (certains considèrent même qu’on l’a déjà franchi !). 1.2. La demande en mobilité est en forte croissance

Millions de tonnes équivalent pétrole

La Figure 2 illustre la corrélation entre la mobilité et l’évolution du PIB, par comparai-

Vers des transports décarbonés : carburants, combustion et post-traitement pour les transports routiers

plus en plus d’énergie mais à partir de ressources fossiles, cela conduit à de plus en plus d’émissions de CO2.

son avec l’accroissement de la consommation d’électricité. L’amélioration du PIB des pays émergents – donc de leur niveau de vie – se traduit naturellement par un accroissement de leur demande en énergie électrique (courbe orange), pour des usages domestiques visant à l’amélioration de la qualité de vie. Mais l’accroissement est encore plus marqué pour la consommation liée au surcroît de demande pour la mobilité (courbe rouge). Derrière ce constat, se dessine l’extension du modèle de société occidental qui a fait du libre accès à la mobilité individuelle un de ses fondements. 1.3. Dans quelle mesure peut-on compter sur les motorisations alternatives ? Malgré les efforts importants qui sont faits pour développer des motorisations alternatives (moteurs électriques, moteurs hybrides) et malgré les succès techniques auxquels on peut encore s’attendre de ce point de vue, les moteurs thermiques (conventionnels) resteront très largement

Figure 2 3 500 3 000

2030

Impact du PIB sur la demande énergétique.

2 500 2 000

2000

1 500 1 000

1971

500 0 0

20 000

60 000 80 000 40 000 PIB (milliards de $ 1995) Mobilité

100 000

120 000

Demande en électricité

197

Millions de véhicules

Chimie et transports

bustibles) sont ce que nous avons appelé les motorisations alternatives ; tous les autres utilisent en totalité ou en partie des motorisations thermiques alimentées par des carburants constitués d’hydrocarbures liquides.

500 400 300 200 100 0 Autres

Hybrides 2010-20

Conventionnel

OCDE

Figure 3 Taux de véhicules alternatifs ou traditionnels dans les pays occidentaux et émergents pour 2010-2020 et 2020-2030.

Autres

Hybrides 2020-30

Conventionnel

Non-OCDE

majoritaires dans les décennies à venir, à l’échelle planétaire, tirés notamment par les besoins des pays émergents. En effet, même s’il se dessine une tendance forte sur les pays occidentaux à aller vers des solutions à l’efficacité énergétique accrue, via l’hybridation et des motorisations alternatives, cette tendance mettra davantage de temps à apparaître dans les pays émergents. Cette situation est résumée sur la Figure 3, issue d’une publication de l’OCDE2. Ces tendances générales ressortent aussi d’une étude de prospective récente du World Energy Council. Deux scénarios extrêmes y ont été envisagés : l’un dit « régulé » grâce à des actions incitatives ou dissuasives des États (Figure 4A), l’autre « dérégulé » (Figure 4B). Ces figures représentent, dans chacun des scénarios, l’évolution à 2050 de la répartition entre les modes de motorisation utilisés pour les véhicules terrestres. Les rectangles rouges (voitures électriques) et gris (voitures à pile à com-

198

2. Global Transport Scenarios 2050 – Worls Energy Council, 2011.

Dans le scénario dérégulé, celui où aucune contrainte forte ne vient orienter les choix des usagers, il n’y a quasiment que le véhicule à motorisation traditionnelle qui apparaît ; en revanche, s’il y a un accompagnement réglementaire (scénario régulé), on observe alors l’émergence progressive d’une proportion de véhicules alternatifs. Toutefois, même dans ce cas, cette proportion restera à un niveau modéré : vraisemblablement moins de 10 % du marché en 2030. Même s’il ne s’agit que de scénarios prévisionnistes, on peut considérer qu’ils fi xent tout de même le cadre d’un avenir probable sur lequel se fonde la justification des axes de recherche et des moyens qui y sont consacrés. Or, à cet égard, il faut bien constater que la solution du problème de l’énergie dans les transports ne reposera pas seulement sur l’arrivée des motorisations alternatives. La priorité d’action pour améliorer les motorisations conventionnelles se justifie à la fois pour des questions de ressource (efficacité énergétique et rejet de CO2) du fait de l’urgence relative qu’il y a à maîtriser les émissions de CO 2 (voir ci-après), mais aussi pour des questions environnementales (émissions polluantes et qualité de l’air) qu’il ne faut pas négliger.

B 2 200 2 000

2 000 1 800 1 600 1 400 1 200 1 000 800 600 400

1 800 1 600 1 400 1 200 1 000 800 600 400

Scénario « régulé »

Scénario « dérégulé »

Diesel de type ICEV

Essence de type hybride

Diesel de type hybride

Véhicule électrique

Gaz fioul ICEV

Gaz fioul hybride

Hydrogène hybride

Essence de type ICEV

Combustible liquide pour voiture électrique rechargeable

50

45

Pile à combustible à hydrogène

20

40

20

35

20

30

20

25

20

20

20

15

20

10

20

20

20

50

45

20

40

20

35

20

30

20

20

25

20

20

15

20

10

20

05

20

20

05

200 0

200 0

Figure 4 A) Évolution du mix énergétique pour la mobilité (cas régulé). Le déploiement de solutions « exemptes de thermique » va se situer durablement entre marginal et modéré (< 10 % dans le monde en 2030). B) Évolution du mix énergétique pour la mobilité (scénario dérégulé). ICEV = « Internal Combustion Engine Vehicle » (véhicule avec moteur à combustion interne).

Un champ de progrès important pour les motorisations conventionnelles se trouve dans l’amélioration de leur efficacité, comme l’illustre la Figure 5 tirée d’une publication de l’Agence internationale de l’énergie3 (AIE). Celle-ci fournit une indication du poids énergétique de différentes formes de mobilité, dont il ressort que le transport routier offre une marge de gain considérable. En accroissant l’efficacité des motorisations associées, on peut donc espérer des réductions importantes des émissions de CO2 qui seront déterminantes pour l’objectif de limitation du réchauffement climatique. La Figure 6 fournit par ailleurs une présentation des dif férentes sources pri3. Technology Roadmap - Fuel Economy of Road Vehicles/AIE – 2012.

maires d’énergie conduisant à une diversité des solutions énergétiques pour les motorisations. D’un côté, plusieurs ressources alimentent la production de nombreux vecteurs énergétiques utilisables pour mettre en œuvre la mobilité. De l’autre, différentes motorisations mettent en jeu un ou plusieurs de ces vecteurs. La multiplicité de

Figure 5 Évolution dans le temps de l’énergie nécessaire à fournir selon les véhicules.

180 Référence pour l’utilisation des combustibles

160 140 Énergie utilisée (EJ)

Les recherches pour l’amélioration des motorisations et la diversification des ressources en carburant

2

Vers des transports décarbonés : carburants, combustion et post-traitement pour les transports routiers

A

120 100 80 60 40

Combustible restant avec amélioration de son économie

20 0 2010

2020

2030

2040

2050

Économies en : Camions et bus : référence haute

Véhicules légers

Camions et bus : référence efficace

Écart sur la route

Carburants de remplacement et transfert modal

Évolution de la demande énergétique selon le le scénarion de réchauffement climatique de l’IAE à + 2 %

199

Chimie et transports

Figure 6 Panorama des ressources et des vecteurs énergétiques pour les différentes formes de motorisation.

200

ces derniers et des chemins possibles, qui sont autant de fi lières, met en évidence la diversité des voies possibles et pointe ainsi les besoins en R&D pour arriver aux solutions requises, voies pour lesquelles la chimie est une clé d’entrée majeure. Les progrès accomplis au cours des deux dernières décennies ont permis de réduire bien entendu les rejets polluants en Europe, grâce aux règlements édictés (aujourd’hui Euro V), mais aussi la consommation des véhicules et donc les émissions de CO2. On observe donc que ces améliorations ont été supérieures depuis 2001, essentiellement sous l’impulsion de la réglementation (voir l’Encart : « Axes de progrès pour les motorisations thermiques »).

Si la nature et la qualité des carburants contribuent significativement à la réduction des émissions de polluants, dans le cas du CO2, une part essentielle des progrès est venue d’avancées dans les technologies « moteur ». Comme indiqué dans cet encart, différents axes d’innovation ont contribué à ce résultat, aussi bien pour les moteurs à essence que diesel. L’amélioration des carburants se fait d’une part dans une logique de meilleure adéquation avec les nouvelles technologies de moteur pour permettre leur fonctionnement optimal. On est alors dans une démarche d’évolution continue des formulations. Il peut aussi s’agir de proposer des formulations avancées plus complexes qui seront élaborées pour permettre le

Un autre axe de progrès, motivé par la finitude des ressources fossiles mais aussi sur des critères de durabilité, porte sur l’introduction progressive de carburants alternatifs, plus pérennes ou plus propres (carburant gazeux, biocarburant, carburant synthétique). Dans tous les cas, bien entendu la chimie et la catalyse sont des disciplines essentielles : pour adapter les procédés tant aux nouvelles exigences réglementaires qu’aux nouvelles ressources, comme dans le cas des biocarburants, mais aussi pour en concevoir de nouveaux ou pour optimiser ceux existant d’un point de vue du coût énergétique (voir l’Encart : « Recherches sur les carburants à l’IFPEN »). L’utilisation croissante du gaz naturel véhicule (GNV) appellera aussi de plus en plus de développements faisant appel à la chimie et au génie des procédés, pour amener ce type de carburant aux standards requis et pour optimiser les motorisations correspondantes. 2.1. Les biocarburants Les biocarburants, issus de la biomasse, sont une forme déjà très avancée de carbu-

AXES DE PROGRÈS POUR LES MOTORISATIONS THERMIQUES Essence Distribution variable : – 10 % Injection directe – combustion par auto-infl ammation : – 15 % Injection directe d’essence – downsizing : – 25 % Hybridation et moteur optimisé : – 40 % Diesel Downsizing : – 10 % Hybridation et moteur optimisé : – 30 %

rants non fossiles puisque la 1re génération est déjà sur le marché, en mélange avec les carburants traditionnels. Ce sont d’un côté l’éthanol pour la filière essence, et d’autre part les esters d’huiles végétales pour le gazole. D’impor tants effor ts sont actuellement consacrés au développement des nouvelles générations de biocarburants liquides, mais il faut aussi garder à l’esprit que les biocarburants peuvent aussi être gazeux, par exemple le biogaz, le bioDME (diméthy léther ), ou bien encore l’hydrogène bio-sourcé. Pour l’accès au marché, on peut donc imaginer qu’à un horizon plus ou moins lointain, les biocarburants liquides se retrouvent concurrencés par ceux-ci, au même titre que par l’électricité. La Figure 8 montre l’évolution prévisible des carburants alternatifs d’ici à 2030. On voit que la 1ère génération occupera encore une part significative mais relativement

Vers des transports décarbonés : carburants, combustion et post-traitement pour les transports routiers

meilleur fonctionnement possible de moteurs utilisant de nouveaux modes de combustion, comme par exemple la combustion diesel homogène. Cependant, le contexte réglementaire est l’un des drivers principaux de ces évolutions, aboutissant à des contraintes de formulation de plus en plus sévères pour les carburants.

201

Chimie et transports

RECHERCHES SUR LES CARBURANTS À IFPEN Quelques mots autour des travaux qui ont été menés à IFP énergies nouvelles ! De nombreux travaux ont été menés dans le domaine de la catalyse. Ils ont conduit à une amélioration régulière de la qualité de l’essence. Un certain nombre de nos lecteurs ont connu les essences plombées. Depuis de nombreuses années, il n’y a plus de plomb dans l’essence, sans déperdition en termes de performance. Pour ne pas perdre en performance et puisque le plomb est un booster d’octane*, il a fallu améliorer les indices d’octane des essences, donc modifier la composition moléculaire des essences. En parallèle à cette modification, il a fallu désulfurer les essences et les gazoles de façon à éliminer les émissions d’oxydes de soufre mais aussi d’éviter l’empoisonnement et la désactivation des catalyseurs de post-traitement des émissions polluantes. Par ailleurs, l’amélioration de la qualité des gazoles est aussi un axe important de travail dans le domaine du raffinage (hydrotraitement, procédé d’hydrocraquage,…). Dans tous ces programmes, il s’agissait de travaux de chimie, de catalyse ; à partir du pétrole, le but était d’avoir des procédés de production d’essence, de gazole ou de kérosène, de meilleure qualité. Ces recherches ont été bien entendu des travaux de chimie, des travaux traditionnels de catalyse, d’analyse pour mesurer les compositions, caractériser les catalyseurs, les effluents, etc. Mais il faut souligner l’intense utilisation qui est faite de la « chimie computationnelle** », ce qu’on appelle du « in silico pre-screening ». Tous les travaux de chimie prédictive à base de modélisation moléculaire jouent un rôle essentiel pour accélérer la mise au point de nouveaux catalyseurs (par exemple le catalyseur de la Figure 7).

Figure 7 Modélisation à l’échelle atomique des sites actifs d’un catalyseur versatile basé sur des nano-cristallites hexagonaux de CoMoS. Source : Krebs E., Silvi B., Daudin A., Raybaud P. (2008). Journal of Catalysis, 260 : 276. *Un booster d’octane permet d’améliorer l’indice d’octane d’un carburant. On ajoute des produits antidétonants (par exemple du tétraéthyle de plomb, maintenant interdit dans le monde entier pour les carburants automobiles, et encore utilisé dans les essences aviation) comme inhibiteur de cliquetis. Ces produits permettent l’utilisation du carburant additivé dans un moteur à plus haut taux de compression, et donc dans un moteur à plus haut rendement. **La chimie computationnelle (ou chimie numérique, ou chimie informatique) est une branche de la chimie qui utilise les lois de la chimie théorique exploitées dans des programmes informatiques afin de calculer structures et propriétés d’objets chimiques (molécules, solides, surfaces…), appliqués à des problèmes chimiques réels. Les propriétés recherchées peuvent être la structure (géométrie, relations entre constituants), l’énergie totale, l’énergie d’interaction, les charges, fréquences vibrationnelles, réactivité ou autres quantités spectroscopiques… 202

Millions de barils par jour équivalent pétrole

Les carburants alternatifs en 2030 seront en pleine croissance. Ils représenteront près de 10 % des carburants pour transports terrestres (estimation Axens – mai 2011).

4,5 4,0 3,5 3,0 2,5 2,0 1,5 1,0 0,5 0 2005

2006

2011 2015 2020 2025 2030 est. est. est. est. est. Charbon liquide + liquéfaction directe du charbon Gaz transformé en liquide Éthanol 2e génération Biodiesel à partir de la biomasse transformée en liquide Éthanol 1re génération Biojet (huile végétale hydrogénée) Biodiesel (ester méthylique d’acides gras + huile végétale hydrogénée)

stabilisée, tandis que les autres formes s’appuyant sur des ressources qui ne sont pas en compétition avec l’alimentaire devraient représenter une proportion croissante de la demande en carburants pour la mobilité, à la fois terrestre et aérienne. Il existe ainsi plusieurs voies parallèles dont on prévoit le débouché sur le marché malgré leurs contraintes respectives en termes de performance, de coût et d’investissements à l’horizon 2020-2025. Pour produire ces différents carburants, des travaux de recherche importants sont en cours dans le but de développer les procédés. Aujourd’hui, une grande part de ces travaux porte sur les biocarburants de deuxième génération, qui, au lieu d’utiliser des ressources saccha-

rifères, amylacées ou oléagineuses, utilisent la biomasse ligno-cellulosique, c’està-dire du bois, de la paille, des matières premières non comestibles, et ne posent pas de problème en termes de concurrence avec les filières alimentaires. Deux voies à forte composante chimique sont étudiées (Figure 9) : − une voie biochimique : à l’interface chimie-biologie, cette voie recourt aux biotechnologies pour opérer les transformations de la cellulose, et s’appuie sur des cultures dédiées pour produire de l’éthanol dit de deuxième génération (donc pour la filière essence) ; − une deuxième voie thermochimique, qui consiste à décomposer thermiquement la ressource (paille, bois…) pour aboutir au gaz de synthèse,

Vers des transports décarbonés : carburants, combustion et post-traitement pour les transports routiers

Figure 8

5,0

203

Chimie et transports

Résidus agricoles (pailles) et forestiers

Cultures dédiées (taillis à croissance rapide)

Synthèse

Voie thermochimique (gazéification)

Gaz de synthèse

Hydrocarbures

Mélange au gazole

Fermentation Voie biochimique

Mélange à l’essence

Sucres

(hydrolyse enzymatique)

Éthanol

Voie thermochimique : différents produits possibles à partir du gaz de synthèse (y compris carburants d’aviation) Voie biochimique : moins de contraintes de taille d’installation possibilité d’une ligne dédiée au sein d’une éthanolerie G1

Figure 9 Voies thermodynamique et biochimique de production de biocarburant. Source : IFPEN

204

composé de monoxyde de carbone et d’hydrogène, puis pour les recomposer, comme dans un jeu de lego, sous forme d’hydrocarbures de synthèse via une synthèse de type Fischer-Tropsch (ce sont les carburants synthétiques appelés Btl, « biomass to liquids »). Cette voie, qui fait appel à des conditions de pression et température élevées, est plus énergivore et passe par une phase gaz : elle offre l’avantage de produire des substituts du gazole d’excellente qualité (sans aromatiques, sans soufre) mais aussi des substituts du jet Fuel, puisque il est possible par la chimie de reconstruire des hydrocarbures au choix. Pour le développement de ces biocarburants de deuxième génération, les objectifs de progrès qui guident la recherche diffèrent (Figure 10). Pour la voie thermochimique,

l’enjeu est avant tout énergétique et autour du bilan carbone, et passe notamment par la voie catalytique, grâce à laquelle il est possible d’abaisser les barrières d’énergie pour la transformation. Mais il s’agit aussi d’améliorer les rendements des procédés, en terme opératoire. À l’inverse, la voie biochimique, plus douce, requiert surtout des travaux de compréhension et de maîtrise des processus enzymatiques, avec la nécessité de développer une ingénierie de conception/sélection des enzymes les mieux adaptées. Mais dans les deux cas, l’enjeu économique reste primordial, d’où le besoin d’optimiser l’ensemble des opérations, l’agencement des procédés et leur coût de développement qui pèse aussi sur leur rentabilité.

1 400

Gaz de synthèse (CO, H2, CO2, CH4)

Gazéification

Synthèse Fischer-Tropsch d’hydrocarbures (PCShydrocarbures = 44 MJ/kg4)

700 Liquéfaction Thermo-chimique Résidus agricoles (pailles) et forestiers

500

Upgrading Pyrolyse rapide (PCShuile de pyrolyse = 20 MJ/kg1)

Mise en œuvre catalytique 300 Quelles sont les réactions pertinentes à catalyser ? Cultures dédiées (taillis à croissance rapide)

Voie Biochimique < 100 Extraction des sucres fermentiscibles

Fermentation alcoolique

1[Huber et al., 2006]

2[Goudriaan et al., 2000]

2.2. L’hydrogène carburant Le fort contenu énergétique massique de la molécule d’hydrogène (illustré par sa propension à engendrer des réactions explosives lorsqu’il interagit avec l’oxygène), couplé à sa grande abondance sur Terre – puisque c’est l’un des constituants des hydrocarbures… mais aussi de l’eau –, a suffi à convaincre les futurologues qu’ils tenaient là le carburant du futur. Ressource illimitée et combustion sans pollution : rien ne pourrait lui être reproché ! S’il est vrai que l’utilisation de l’hydrogène pourrait utilement contribuer au mix énergétique, il demeure un certain nombre d’écueils avant qu’il devienne un vecteur énergétique banalisé pour les transports. De grosses difficultés existent depuis sa production jusqu’à son usage, qui toutes ont trait à sa très faible den-

Bioéthanol (PCSéthanol = 30 MJ/kg1) 3[Kleinert et al., 2008]

sité énergétique volumique par comparaison avec les carburants liquides. Il y a tout d’abord les questions de sécurité des réservoirs qui sont très prégnantes dans le cas du stockage sous pression et qui ont fait l’objet de développements technologiques multiples, dont on peut penser qu’ils pourraient aboutir à cour t ou moyen terme, sous réserve d’acceptation sociale. Ce n’est en tout cas plus un verrou technique. Une autre voie pour le stockage est la solubilisation dans des solides, lequel lève la barrière de la sécurité mais pose des problèmes fonctionnels dans le contexte des véhicules : à la fois en termes de quantité stockable et de réversibilité (cinétique de désorption). Cette question relève très fortement de la chimie et des matériaux. Différentes voies sont étudiées : par chimisorption

Mélange à l’essence

4[Norton et al., 1999]

Figure 10 Gammes de température pour la production des biocarburants de deuxième génération.

Vers des transports décarbonés : carburants, combustion et post-traitement pour les transports routiers

Température (°C)

205

Chimie et transports

Figure 11 Coût de production de l’hydrogène en fonction des filières de production actuelles ou potentielles. SMR : Steam methane reforming (reformage du méthane à la vapeur). EVHT = électrolyse vapeur d’eau à haute température.

(cas des hydrures) ou par physisorption sur des solides poreux, dotés de grandes surfaces spécifiques (charbons actifs, zéolithes, nanotubes de carbone, etc.). Le stockage cryogénique est une autre manière d’augmenter la densité du stockage mais qui est très énergivore et pose également des problèmes de mise en œuvre auxquels la chimie pourrait apporter des améliorations, notamment en termes de réservoirs de stockage (isolation thermique/ matériaux). À ce jour, la production d’hydrogène est essentiellement basée sur des processus d’extraction chimique à partir de ressources fossiles : il repose ainsi de manière très majoritaire sur des procédés de raffinage (ex : vaporeformage du gaz naturel) qui offrent la voie la plus économique, par comparaison aux procédés électrolytiques (voir la Figure 11), mais qui sont émetteurs de CO2. Sa production in situ par des procédés embarqués dans

le véhicule est une autre voie, plus « rupturiste », qui a déjà été envisagée et qui permettrait de résoudre les problèmes de sécurité liés au stockage mais dont la mise en œuvre se heurte à de nombreuses difficultés. Le principe employé repose alors sur un processus réactionnel qui libère l’hydrogène : par exemple, un processus de déshydrogénation d’un composé hydrocarboné. 2.3. Autres carburants Pour terminer sur ces pistes, encore au stade de la R&D, qui concernent les carburants alternatifs, on se doit de citer celles visant à l’utilisation plus efficace du gaz naturel, comme le système dual fuel (gazole/gaz) étudié par IFPEN. Les recherches ne portent pas sur le carburant proprement dit mais concernent la technologie moteur : système de combustion, d’injection, et aussi les systèmes d’allumage pour améliorer l’initiation de la

10

Coût de l’hydrogène en €/kg

9 8 7 6 5 4

Coût électricité futur (prévision rapport Energie 2050)

3 2

Coût électricité actuel (centrales nucléaires amorties)

1 0 SMR sans compensation CO2

206

SMR avec pénalité CO2 : 50 €/t

Électrolyse EVHT haute T°

Électrolyseur alcalin couplé à un champ d’éoliennes et sans connection au réseau

3

La combustion (cas du moteur diesel)

3.1. Rappel du principe de fonctionnement Si les réactions chimiques mises en jeu dans la combustion sont bien connues,

leur optimisation au sein d’un moteur est loin d’être atteinte. L a maî trise des multiples paramètres (de température, de pression, de concentration des constituants, d’injection), qui déterminent le cours de la réaction de combustion et qui sont extrêmement variables en fonction des conditions de fonctionnement, est une réelle difficulté (Figure 12). L’optimisation de la réaction de combustion nécessite leur maîtrise, laquelle s’appuie sur l a connaissance de l’hydrodynamique des gaz au sein du moteur. Ainsi, la question de la combustion n’est pas seulement chimique, mais s ollicite aus si l a compr éhension des phénomènes aérodynamiques lors du remplissage du moteur (turbulence, écoulement…). Pour les moteurs diesel, cette interaction entre turbulence et chimie conditionne l’optimisation du mélange

Figure 12 La combustion : résultat d’interactions entre turbulence et chimie (cas du Diesel).

Vers des transports décarbonés : carburants, combustion et post-traitement pour les transports routiers

combustion du gaz. Le principe des systèmes dual fuel consiste à générer un allumage « chimique », obtenu par injection initiale de gazole dans un cycle diesel, ce qui permet d’améliorer le rendement de combustion. De cet usage du gaz comme carburant, il résulte des émissions de fumée quasiment nulles grâce à l’homogénéité optimale du mélange air/carburant et à l’absence en son sein de précurseurs de suie (aromatiques, naphtènes). En outre, le post-traitement se trouve simplifié par l’utilisation d’un catalyseur trois voies.

207

Chimie et transports 208

des réactifs chimiques, et finalement la combustion au plan macroscopique – auto-inflammation, vitesse de combustion. Au pl an microscopique, on a aussi besoin pour progresser de comprendre comment l a combustion se déroule et comment elle génère les molécules parasites qui produisent les polluants – les suies, les particules et les oxydes d’azote (NOx). Cette compréhension s’appuie sur des travaux de modélisation numérique qui font le lien entre ces deux échelles. De nombreux laboratoires (voir le Chapitre de S. Candel) sont actifs sur ces questions dont l’enjeu est important aussi bien pour améliorer l’efficacité énergétique (la consommation de carburant), que pour contrôler l’impact environnemental – et en définitive pour atteindre l’équilibre souhaité entre ces deux impératifs. La modélisation tridimensionnelle, aujourd’hui accessible grâce aux puissances de calcul des ordinateurs et aux logiciels adaptés, permet de comprendre finement le fonctionnement de la chambre de combustion. Cette connaissance permet d’ajuster les paramètres avec précision pour réaliser l’équilibre souhaité entre contraintes d’ordre énergétique (consommation) et d’ordre environnemental (rejets). Dans le cas du moteur diesel, pour lequel ce dernier critère est important, notamment pour les émissions de suies et de NOx, un mode de remédiation s’appuie sur la filtration des gaz d’échap-

pement ; cependant, cette technologie a un coût et ne favorise pas le rendement énergétique global. La modélisation ouvre une autre voie : en indiquant les conditions de formation de ces polluants, elle permet de comprendre les conditions de leur apparition et donc de déterminer celles pour lesquelles ils n’apparaissent plus – ou en tout cas, en moindre quantité. Pour les NOx, le recyclage des gaz d’échappement et la catalyse SCR (réduction catalytique sélective) permettent de contrôler ces polluants, mais là aussi, la modélisation a un apport extrêmement bénéfique. Par ailleurs, la modélisation numérique accompagne de plus en plus les études de chimie expérimentale, et particulièrement dans le domaine de la combustion moteur, leur combinaison joue un rôle fondamental. Elle permet aux motoristes de concevoir des chambres de combustion mieux adaptées aux besoins, d’optimiser les systèmes d’injection, d’améliorer le système énergétique global du véhicule, ou même de préciser les potentialités des motorisations alternatives. Ainsi, quand on parle d’hybridation, on parle de deux vecteurs énergétiques, un vecteur électrique et un vecteur carburant liquide ou gazeux : il faut associer l’un et l’autre dans un souci d’optimisation de la gestion de l’énergie à bord et d’agrément d’utilisation. Cette optimisation est rendue possible par la modélisation de l’ensemble et par la capacité qui en résulte à

Traitement des polluants issus de la combustion.

choisir en continu la source à utiliser, soit seule soit en combinaison, pour atteindre la dépense énergétique et l’impact environnemental minimaux. 3.2. Traitement des polluants

LES DÉFIS POUR LE TRAITEMENT DES POLLUANTS Défis technologiques − intensification du procédé : vers un catalyseur 4-voies (CO, CxHyOz, NOx, suies) ;

Vers des transports décarbonés : carburants, combustion et post-traitement pour les transports routiers

Figure 13

− diminution de la quantité de métaux précieux dans le catalyseur ; − impact du carburant utilisé sur la réactivité des suies ;

Quoiqu’il en soit, malgré tous les efforts consacrés à améliorer la combustion, le problème des polluants émis demeure. L’intérêt de les éliminer reste donc un enjeu fort qui continue à stimuler des travaux de recherche dans le domaine de la catalyse (Figure 13 et Encart « Les défis pour le traitement des polluants »).

− augmentation de la durabilité (de 100 000 à 160 000 km pour la conformité des émissions). Solutions développées à IFPEN − conception multi-échelles du procédé, du site catalytique à l’intégration au véhicule ; − contrôle de l’injection du réducteur (urée) pour éviter l’encrassement de la ligne et la fuite d’ammoniac ; − minimisation de l’empoisonnement et du vieillissement du catalyseur (SOx, cendres…). 209

NO2

s t c/ for NO 2 t for

f (c/s)

fort NO2

s

Chimie et transports

faible c/

NO

ONO2

NO

Exempt de particules  Paroi du canal

/s) 2 f (c e NO bl

NO2

SORTIE

Extrémité bouchée

fai

ENTRÉE

CO2

Extrémité bouchée

fort c/s

Ocal

O2

O faible c/s

Suie 

fort c/s

O

O2

fort c/s

fort c/s

NO2

NO

NO2 NO Pt

CexZr1–xO2

Figure 14 Mécanismes catalytiques pour le traitement des particules diesel. Un modèle d’oxydation des suies par des mélanges NOx + O2 a été développé prenant en compte le degré de graphitisation et le rapport massique catalyseur /suie (c/s). Cela a permis de mettre en évidence la contribution de voies purement thermiques à fort rapport c/s.

En ef fet, la minimisation de l’impact environnemental des motorisations thermiques repose aujourd’hui majoritairement sur le posttraitement des gaz d’échappement. Or l’usage des systèmes de post-traitement est une source d’accroissement de la consommation d’énergie, en raison des pertes de charges qu’ils occasionnent. Par ailleurs, certains font l’objet de régénérations périodiques (comme les filtres à par ticules, les pièges à NOx), et tous doivent garder leur effi cacité dans la durée. L’amélioration de leur fonctionnement sur ces différents aspects est donc nécessaire.

210

Pour le traitement des particules de diesel, une démarche de compréhension des phénomènes a été suivie par les chercheurs d’IFPEN. Elle a consisté à développer des modèles d’oxydation des suies et à simuler l’ensemble

des contributions physicochimiques mises en jeu à la fois à la formation de ces particules et à leur destruction (Figure 14). 3.3. Les émissions du puits à la roue Un élément déterminant pour le choix des fi lières repose sur l’analyse des cycles de vies. Il s’agit d’une approche qui consiste à comparer une voie énergétique en termes de rejets de gaz à effet de serre évalués depuis le moment de la production de la fi lière énergétique jusqu’au moment où l’énergie a été récupérée sur le véhicule. La Figure 15 illustre le positionnement des ces différentes filières en terme d’émissions de gaz à effet de serre ramené à leurs consommations énergétiques respectives, et guide quant aux progrès attendus.

sans dégrader les usages ni le coût !

Essence et gazole 200 ref. gas. 2002 100 GNV 0 Bio-diesel BtL

Éthanol

–100

–200 0

100

Essence Gazole GPL Gaz naturel comprimé Biogaz comprimé Éthanol de betterave sucrière

200

300 400 Énergie WtW (MJ/100 Km)

Éthanol de blé Éthanol de cellulose Éthanol de canne à sucre Méthyl t-butyléther/éthyl t-butyléther Biodiesel Diesel de synthèse à partir de gaz naturel

Figure 15 Performance environnementale et énergétique relative des carburants.

500

600

Diesel de synthèse à partir de charbon Diesel de synthèse à partir de bois Diméthyléther à partir de gaz naturel Diméthyléther à partir de charbon Diméthyléther à partir de bois

Vers des transports décarbonés : carburants, combustion et post-traitement pour les transports routiers

300

ref. gas. 2002

Émissions GES WtW (g CO2/100 Km)

400

Les véhicules à motorisation thermique de demain : des défis à relever pour la chimie Des travaux de recherche importants qui font la part belle à la chimie, seule ou en combinaison avec d’autres disciplines, sont nécessaires pour relever les défis scientifiques dans le domaine des véhicules à motorisation thermique, c’està-dire via la combustion de carburants liquides ou gazeux.

211

Chimie et transports 212

Les besoins qu’ils visent à satisfaire en termes de performance énergétique ou environnementale seront de plus en plus contraignants, dans la mesure où le moteur thermique restera pendant encore de nombreuses années le mode privilégié pour la propulsion des véhicules terrestres (et aéronautiques). Cette tendance qui paraît inéluctable ressort essentiellement de la demande croissante de mobilité individuelle des pays émergents – malgré la tendance escomptée des pays occidentaux à s’orienter vers des alternatives à dominante électrique. En résumé, les objectifs de progrès pour l’amélioration énergétique des véhicules sont les suivants : – viser des carburants à impact CO2 minimisé, en s’orientant vers des biocarburants qui permettent de tendre vers la neutralité carbone ; – continuer à développer de nouveaux carburants – carburants alternatifs diversifiés ou traditionnels – et des modes de combustion adaptés pour optimiser leur usage ; – pour les carburants conventionnels, il faut poursuivre l’amélioration de la combustion dans les moteurs ; mieux comprendre et mieux modéliser les phénomènes qui ont lieu à l’intérieur des chambres de combustion pour améliorer l’adéquation du carburant au moteur et améliorer leur rendement de combustion (c’est-à-dire leur taux de transformation), et par la même occasion minimiser les rejets ; – enfin, améliorer le post-traitement qui reste un enjeu fort, en particulier pour le moteur diesel, notamment sur la question des particules et des oxydes d’azote. Pour les chercheurs, l’espace est très ouvert. De nombreux travaux de recherche et voies de développement sont aujourd’hui possibles dans le domaine des carburants pour la propulsion

Vers des transports décarbonés : carburants, combustion et post-traitement pour les transports routiers

des véhicules, qu’ils soient conventionnels avancés ou alternatifs. Le contexte actuel et à venir conduira à la diversification des modes de propulsion et des sources d’énergie mais il reste beaucoup à faire pour améliorer les solutions dites conventionnelles. Dans tous les cas, la palette des améliorations possibles est large, en combinant le recours aux sciences dures, dont en grande partie la chimie, avec un autre ingrédient tout aussi accessible aux jeunes diplômés, à savoir la créativité.

213

7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN

comparé

moteur électrique au

Enjeux et contraintes Henri Trintignac est président de A&H Conseil, cabinet spécialisé dans le conseil aux dirigeants et aux actionnaires d’équipementiers automobile notamment sur les enjeux liés à la transition énergétique et à la mutation du marché de l’automobile. Il a été auparavant directeur de la stratégie Véhicules Électriques et Hybrides de Valeo ; il a été aussi directeur général des activités Contrôle Moteur Essence et Électronique de Puissance Monde pour successivement SAGEM, JCI puis Valeo ainsi que directeur général de l’activité électronique habitacle Europe de SAGEM et JCI. Ayant une double formation d’ingénieur, Henri Trintignac a exercé différentes fonctions au sein de la direction R&D de Magneti Marelli puis de SAGEM. Henri Trintignac est diplômé de l’ENSPM et de l’ENSAM, il a aussi enseigné à l’ENSPM et à Paris VI.

Ce chapitre est organisé autour de deux thèmes : une comparaison rapide entre la motorisation électrique et la motorisation thermique, puis dans un deuxième temps, la généralisation de l’électrification des véhicules et sa contri-

bution à l’abaissement des émissions de CO2 en automobile1. Nous ne traiterons dans 1. Par convention, par « émissions de CO2 », on entend ici uniquement émissions « du réservoir à la roue ».

Henri Trintignac

moteur thermique Le

Chimie et transports

ce chapitre que des émissions de CO2, dites du réservoir à la roue.

Motorisation thermique vs. motorisation électrique

1

1.1. Comparaison entre les moteurs (Tableau 1) Les puissances spécifiques sont de mêmes ordres de grandeur entre les moteurs électriques et les moteurs thermiques. Les rendements sont par contre assez différents. Un moteur thermique évolue entre 0 % (quand le véhicule est à l’arrêt moteur tournant) et 35 % de rendement au mieux. Pour le moteur électrique, les rendements sont beaucoup plus élevés, entre 60 et 92 %, voire même un peu plus. Le coût : le potentiel d’évolution du coût est favorable au moteur électrique. Un moteur thermique est constitué de 200 à 250 pièces élémen-

taires, toutes très techniques. Plus de la moitié d’entre elles sont usinées avec des tolérances au micron, reçoivent plusieurs traitements thermiques. On retrouve à l’intérieur d’un moteur électrique environ une cinquantaine de pièces. Pour un groupe motopropulseur thermique, 90 % de la valeur est sous forme de mécanique et 10 % sous forme d’électronique. La proportion est inversée lorsque l’on prend un groupe motopropulseur électrique : on estime aujourd’hui la part de l’électronique à 60 % et celle de la mécanique à 40 %. Or les perspectives de baisse des coûts sont beaucoup plus importantes et rapides en électronique qu’en mécanique. Ainsi il y a vingt-cinq ans, les premiers PC « de base », coûtaient environ 50 000 francs (7 500 €). Aujourd’hui, le PC de base (1 000 fois plus puissant), coûte entre 500 et 750 €, soit environ dix fois moins (en monnaie courante). Dans le même temps, la 205 GTI, il y

Tableau 1 Thermique vs. électrique, quelques chiffres.

1 à 1,5

2à3

Rendement

0 % à 35 %

60 % à 92 %

Nombre de pièces

200 à 250

< 50

Part mécanique/ électronique prix

90/10

40/60

Puissance spécifique (kW/kg)

216

1.2. Comparaison des performances en matière de stockage d’énergie On retrouve, pour le stockage d’énergie, des ordres de grandeur d’écart entre l’électrique et le thermique, notamment en ce qui concerne les énergies spécifiques (Tableau 2). Dans un kg d’essence (le diesel serait à peu près équivalent), on trouve 47 300 kJ. Pour une batterie lithium-ion classique, l’énergie spécifique est de l’ordre de 300 à 600 kJ par kg. Mais c’est la puissance de charge qui différencie le plus l’électrique et le thermique. Quand on fait le plein d’un véhicule à essence, on transfère 60 litres en deux minutes soit un demi litre ou 0,4 kg par seconde, ce qui correspond

Le moteur thermique comparé au moteur électrique Enjeux et contraintes

a 25 ans, valait 60 000 francs (9 000 €) et sa remplaçante d’aujourd’hui, la 208 GTI, vaut 25 000 €, soit environ trois fois plus en monnaie courante.

à une puissance de charge de presque 20 MW. La puissance de charge d’une batterie aujourd’hui varie entre 3 et 6 kW pour une charge normale, et de 80 kW pour une charge rapide. Par ailleurs, le coût du contenant de l’énergie (le réservoir d’essence) est de moins d’une centaine d’euros. Par contre, pour une batterie qui donne une autonomie d’une centaine de kilomètres à un véhicule électrique, à 400 € du kWh (le prix couramment admis aujourd’hui), on est plutôt sur 8 000 €. À l’inverse, le coût énergétique sur la vie du véhicule (sur les 100 000 premiers kilomètres) favorise le véhicule électrique. Il est d’environ 9 600 € pour le véhicule thermique et de 1 500 €, en France aujourd’hui, pour le véhicule électrique. À noter que la somme des coûts du contenant et de l’énergie sur la vie du véhicule sont très proches dans les deux cas.

Tableau 2 Thermique vs. électrique : le stockage d’énergie.

Énergie spécifique Puissance de charge Coût « contenant »

(kJ/kg) (kW) (€)

Coût énergie 100 000 km (€)

47 300

300 à 600

18 920

3 à 80

0,4 kg/s

< 100

8 000 20 kW·h 400 €/kW·h

9 600

1 500

6 l/100 km 1,6 €/l

150 W·h/km 0,1 €/kW·h

217

Chimie et transports

1.3. Quelles conclusions peut-on tirer de ces comparaisons ? Que ce soit en matière de performances ou en matière de potentiel de coût, le moteur électrique est un sérieux concurrent au moteur thermique. Par contre, du fait du stockage d’énergie et plus particulièrement de la charge, le véhicule électrique à batterie n’est pas une alternative au véhicule thermique. Ceci tient à l’usage auquel l’automobile répond ; une étape de 600 km, suivi d’un arrêt de cinq minutes, pour ensuite repartir. Du fait de la contrainte sur la charge, cet usage n’est pas envisageable avec un véhicule électrique à batterie. Il n’en serait pas de même pour les véhicules exclusivement utilisés pour des déplacements courts. On estime que 25 % des véhicules neufs vendus en France ne parcourent jamais plus de 80 km. Ils sont le deuxième véhicule d’un foyer et disposent d’un emplacement de stationnement où la batterie peut être chargée. Pour cette part du marché, le véhicule électrique à batterie est une alternative sérieuse au véhicule thermique.

218

La commercialisation des véhicules électriques demande le développement d’un nouveau modèle d’affaires puisque, si le coût total d’usage du véhicule électrique est comparable avec celui du véhicule thermique, le profil des décaissements dans le temps est en revanche très différent. Le véhicule électrique est vendu neuf avec sa

batterie – un investissement très coûteux –, mais que le faible coût du fonctionnement (coût de l’énergie) compense dans le temps. Certains constructeurs proposent de vendre le véhicule électrique sans sa batterie et de louer cette dernière, ramenant le profil des décaissements à celui prévalant avec le véhicule thermique. Ce nouveau modèle d’affaires présente en plus l’avantage pour le client de garantir les performances de la batterie pendant toute la vie du véhicule, et pour le constructeur d’entretenir un lien suivi avec son client, lien qui n’existe pas avec le véhicule thermique. À la lumière des bénéfices que le constructeur peut tirer du nouveau modèle d’affaires et de la part de marché accessible (25 % tout de même), on comprend mieux pourquoi plusieurs constructeurs automobiles développent une offre de véhicules électriques.

2

Type de motorisation et émissions de CO2

La réduction des émissions de CO2 par le transport automobile est devenue un objectif depuis que la réalité de son effet sur le changement climatique est admise. La Figure 1 illustre les efforts qui ont été réalisés dans différentes régions du monde. On notera que l’Europe est plutôt vertueuse et volontaire. La Figure 2 montre les émissions de CO 2 (en grammes par kilomètre) de chacun des véhicules commercialisés au cours de l’année 2010 en Europe. Elle met en évidence

Véhicules utilitaires légers Véhicules utilitaires légers américains Véhicules utilitaires légers canadiens Union européenne Japon Chine Corée du Sud Australie

260 250 210 190 170

États-Unis : 35,5 mpg 2016 150 130

États-Unis 2025 : 107 Chine 2020 : 117 Japon 2020 : 105 54,5 mpg 2025 UE 2020 : 95 2020 2025

Points pleins et lignes : performance historique ; Points pleins et lignes pointillées : objectifs adoptés ; 110 Points pleins et pointillé : objectifs proposés ; Points creux et lignes pointillées : objectifs à l’étude ; 60 2005 2005 2010 2015

La baisse des émissions de CO2 par les voitures dans le monde. * NEDC (New European Driving Cycle) : nouveau cycle européen de conduite. C’est un cycle de conduite automobile conçu pour imiter de façon reproductible les conditions rencontrées sur les routes européennes.

Source : http://www.nhtsa.gov/ staticfiles/rulemaking/pdf/cafe/ Oct2010_Summary_Report.pdf

Figure 2

500 450

Émissions de CO2 (en gramme par kilomètre) des voitures commercialisées en Europe en 2010 en fonction de leur masse.

400

Émissions de CO2

Figure 1

Le moteur thermique comparé au moteur électrique Enjeux et contraintes

Grammes de CO2 par kilomètre normalisés au NEDC*

270

350 300 250 200 150 100 CO2

50 0 500

1 000

1 500

2 000

2 500

3 000

Masse

une forte dépendance entre les émissions de CO 2 et la masse du véhicule. Sur la Figure 3, on a indiqué la moyenne des émissions obtenue en pondérant les émissions de CO2 de chacun des véhicules par son volume de vente en 2010 : on obtient une valeur de 140,9 g de CO2 par kilomètre parcouru. En Europe, l’objectif – qui pourrait se transformer en réglementation contraignante – est de 95 g de CO2 à l’horizon 2020, soit une réduction de 33 % des émissions, c’est-àdire une réduction équivalente de la consommation de carburant, ce qui correspond à une amélioration de plus

de 50 % du rendement. C’est donc un effort considérable qui est demandé à l’industrie automobile en un temps très réduit. Pour y parvenir, on devra agir sur sept leviers. Le premier levier est la diminution de la masse des véhicules (Figure 4). Il s’agit aussi de mieux utiliser l’énergie fossile, donc utiliser moins de carburant pour parcourir la même distance. Le deuxième levier, c’est l ’amélior ation de l ’aérodynamique du véhicule, le troisième la réduction des frottements et le quatrième l’amélioration du rendement du moteur thermique. Le

219

Émissions de CO2 des voitures en Europe : moyenne et objectif. Objectif réalisé en 2010 : 140,9 g/km ; objectif 2020 : 95 g/km, soit + 51 % de rendement en dix ans.

500 450 400

Émissions de CO2

Chimie et transports

Figure 3

350 300 250 200 Moyenne 2010

150 100

Cible 2020

50 0 500

1 000

1 500

2 000

2 500

3 000

Masse

Figure 4

450 400

Émissions de CO2

Réduction des émissions de CO2 par réduction de la masse.

500

350 300 250 200 Moyenne 2010

150 100

Cible 2020

50 0 500

1 000

1 500

2 000

2 500

3 000

Masse

cinquième c’est de n’utiliser ce dernier que lorsqu’il est nécessaire ; retenons qu’il a fallu attendre un siècle pour mettre en œuvre cette idée simple, qui est d’arrêter le moteur thermique dès que le véhicule ne roule plus. C’est le système Stop/Start qui a été commercialisé pour la première fois en 2003. Le sixième levier, très prometteur, est de récupérer de l’énergie cinétique du véhicule pendant les phases de freinage pour la réutiliser ensuite, c’est qu’on appelle l’hybridation (Figure 5).

220

Enfin, le septième levier consiste à utiliser une source d’énergie non fossile pour certains usages ; cela permettrait d’annuler les émis-

sions de CO 2 pendant ces usages (Figure 6). Parmi les sept leviers de réduction des émissions, quatre d’entre eux font depuis plusieurs dizaines d’années l’objet d’optimisations constantes de la part de l’industrie automobile, à savoir : − réduction de la masse ; − amélioration de l’aérodynamique ; − réduction des frottements ; − amélioration du rendement du moteur thermique. Trois sont plus nouveaux : − utilisation de l’énergie non fossile ; − arrêt du moteur thermique dès que possible ; − récupération d’énergie.

450

Émissions de CO2

400 350 300 250 200 Moyenne 2010

150 100

Cible 2020

50 0 500

1 000

1 500

2 000

2 500

3 000

Réduction des émissions de CO2 par une meilleure utilisation de l’énergie (amélioration de l’aérodynamique, réduction des frottements, amélioration du rendement du moteur thermique, arrêt du moteur thermique dès que possible, récupération d’énergie). L’accroissement du rendement correspond à une diminution de la pente de la droite moyenne.

Masse

Figure 6

500 450

Réduction des émissions de CO2 par l’utilisation d’énergie non fossile.

400

Émissions de CO2

Le moteur thermique comparé au moteur électrique Enjeux et contraintes

Figure 5

500

350 300 250 200 Moyenne 2010

150 100

Cible 2020

50 0 500

1 000

1 500

2 000

2 500

3 000

Masse

Le recours à un ou plusieurs moteurs électriques dans la chaîne cinématique du véhicule (c’est qu’on appellera l’électrification du véhicule dans la suite de ce chapitre) permet d’actionner ces trois leviers. Seule l’électrification permet d’actionner les trois leviers à la fois.

3

Mise en œuvre de l’électrification

L’électrification n’est pas un rêve mais c’est déjà une réalité puisqu’on trouve des véhicules électrifiés disponibles sur le marché. On notera même que ces véhicules mettent en œuvre une grande diversité de solutions. Un consensus existe pour regrouper les

véhicules électrifiés en six grandes familles ainsi qu’indiqué sur la Figure 7. Les véhicules appartenant à une même famille sont très différents, ils n’ont pas la même architecture, n’utilisent pas les mêmes types de moteur, de tension d’alimentation, de technologie de batterie, de capacité de stockage d’énergie, etc. Nous sommes encore loin d’un consensus technique par famille. On notera que plus on va vers la droite de la Figure 8, plus le niveau d’électrification est impor tant. Retenons deux règles simples : 1 - plus on va vers la droite de la figure, plus la part d’énergie électrique est grande ; pour les trois familles de la

221

Chimie et transports

Figure 7 L’électrification : les six grandes familles.

Figure 8 Les caractéristiques des six familles.

Figure 9 Diminution des émissions de CO2 pour chacune des six familles.

gauche de la figure, la seule source d’énergie est le carburant fossile, alors que pour celle la plus à droite, elle est seulement électrique ; pour les deux familles intermédiaires, le véhicule fonctionne en électrique en usage urbain et redevient thermique hors des villes ;

222

2 - plus on va vers la droite de la figure, plus la puissance du moteur électrique augmente, plus il participe à la traction et plus fréquemment le moteur thermique est arrêté. On ne retrouve pas de moteur thermique dans les véhicules de la famille la plus à droite, alors que pour les véhicules de la famille la plus à gauche, la

traction est assurée exclusivement par le moteur thermique, le moteur électrique, souvent un simple démarreur, ne servant qu’à démarrer le moteur thermique. On peut associer à chacune des six familles de véhicules un potentiel de gain de réduction des émissions de CO2 comparé à celles d’un véhicule thermique de performances équivalentes. Les valeurs données dans la Figure 9 correspondent aux valeurs généralement admises dans l’industrie automobile. Ce potentiel de gain va de 5 % à 10 % pour le Stop/Start jusqu’à 100 % pour le véhicule électrique à batterie.

Sur le segment B, celui des véhicules urbains, la Peugeot 208 (Figure 10) succède à la Peugeot 207 qui, avec le même niveau de performances et d’habitabilité, émet 99 g de CO2 par km, à comparer aux 145 g/km de la 207 équivalente. Ce gain est principalement lié à deux facteurs : − la baisse de la masse, la 208 est 110 kilos plus légère que la 207 (soit près de 10 %) ; − l’adoption d’un nouveau moteur à trois cylindres à la place du moteur quatre cylindres dont le rendement a été amélioré. Le futur véhicule d’entrée de gamme qui remplacera peutêtre la 208 à l’horizon 2020 devra émettre beaucoup moins que les 95 g/km de l’objectif 2020 – certainement moins de 75 g/km. Comment obtenir un gain supplémentaire d’au moins 20 g/km ? Une solution possible est de combiner l’adoption d’une hybridation du type « Mild Hybrid » (voir la Figure 8), associée à la poursuite des efforts sur l’allégement, l’amélioration des rendements et la réduction des frottements. L’évolution des véhicules haut de gamme, du segment E (Figure 11), suit le même chemin de réduction, comme le montre l’exemple du haut de gamme de la série 5 de BMW. Le véhicule actuel est

déjà « downsizé » et électrifié, ainsi le moteur V8 de 5 litres du modèle précédent a été remplacé par un moteur six cylindres de trois litres suralimenté assisté par un moteur électrique ; le véhicule appartient maintenant à la famille « full hybrid » avec à la clé un gain d’environ 40 % en émission de CO2. Il est fort à parier qu’afin d’atteindre l’objectif 2020, les émissions de CO2 du véhicule remplaçant devront être inférieures à 100 g/km. Le recours à un moteur électrique plus puissant et l’usage de l’énergie électrique en ville permettront de faire passer les émissions de CO 2 de ce véhicule sous la barre des 100 g/km ; il appartiendrait alors à la famille des « Plug in Hybrid », il présenterait en plus l’avantage d’émissions

Figure 10

Le moteur thermique comparé au moteur électrique Enjeux et contraintes

La réduction des émissions de CO 2 est une préoccupation constante de l’industrie automobile depuis déjà de nombreuses années qui se poursuivra encore. Illustrons cela avec deux exemples pris sur les deux extrémités du marché automobile.

Évolution de la Peugeot 207.

Figure 11 Évolution de la BMW 550i.

223

Chimie et transports

nulles en villes, ce qui le rendrait « acceptable » d’un point de vue sociétal. Bien entendu, ces deux exemples ne sont là qu’à titre purement indicatif et ne reflètent en rien ce que les constructeurs préparent pour leurs futurs modèles. Néanmoins, ils permettent d’appréhender le fait qu’abaisser les émissions moyennes de CO2 des véhicules vendus en 2020 à 95 g/km est techniquement possible. Toutefois, l’atteinte de cet objectif reste économiquement problématique. En effet, le recours à des moteurs électriques plus puissants, à des batteries contenant plus d’énergie coûte beaucoup plus cher. À quoi cela servirait-il de concevoir des véhicules préservant mieux l’environnement en émettant moins de CO2 mais invendables du fait d’un coût de revient trop élevé ? (voir l’Encart : « L’équation économique et l’avenir de l’électrification »). L’industrie automobile ne dispose que de deux à trois ans pour arriver à définir les architectures, et que d’environ quatre à cinq ans pour développer des composants optimisés qui lui permettront d’atteindre l’objectif d’émission de CO 2 de 2020 en respectant l’équation économique. Elle mettra à profit cette période pour simplifier les architectures, faire un juste dimensionnement des composants, développer la technologie de ces composants – soit déployer beaucoup d’efforts de recherche et de développement.

224

Elle devra à marche forcée introduire de nouvelles technologies en grande série sans

mettre en jeu la sécurité des utilisateurs et sans altérer la qualité. On a récemment vu que l’introduction de batterie lithium-ion dans le Boeing « Dreamliner » ne s’était pas faite sans problème. On comprendra dans ce contexte qu’il est important de figer au plus tôt le maximum de paramètres entrant en compte dans l’équation économique et d’aider l’industrie automobile dans son effort de recherche, de développement et d’industrialisation. Jusqu’où pourra-t-on baisser les émissions de CO2 ? Au-delà de 2020, il sera nécessaire de poursuivre l’effort afin de diminuer les émissions, mais à quel rythme ? On parle d’un nouvel objectif à 60 g/km, mais à quel horizon ? 2020 ? 2030 ? Cette baisse est-elle sans limite ? Est-il envisageable de faire tendre les émissions de CO2 de l’automobile vers zéro ? Nous allons tenter d’apporter des réponses. Faisons l’hypothèse que l’objectif de 95 g/km d’émission de CO2 est atteint en 2020 avec un mix entre les familles de véhicules tel que défini dans la Figure 12, pourcentage de gauche dans la case verte, soit par exemple 30 % des véhicules en 2020 font partie de la famille « Stop & Start ». Ce mix correspond à un consensus de l’industrie. Faisons maintenant l’hypothèse, toute théorique, d’évolution de ce mix vers les chiffres que l’on trouve à droite des cases vertes de la Figure 12. Soit la part des véhicules de la famille « Stop & Start »

Réduire les émissions de CO2 coûte cher. On rapporte ce surcoût au gramme de CO2 dont on a évité l’émission (en euros par gramme de CO2). Toutes les solutions techniques sont évaluées puis comparées les unes par rapport aux autres. À ce jour, aucun consensus technique ne s’est dégagé mettant en évidence une ou plusieurs solutions meilleures que les autres. L’équation économique, c’est la comparaison entre ce coût et le prix supplémentaire que l’acheteur est prêt à payer – le seuil acceptable. Ce seuil dépend du constructeur, du segment du véhicule. Il est clair qu’on n’accepte pas le même surcoût pour l’achat d’un véhicule à 75 000 € ou d’un véhicule à 7 500 €. Rentrent en ligne de compte dans cette équation des facteurs externes tels que le prix du carburant fossile, difficilement prévisible à horizon 2020, ou le montant d’éventuelles incitations, fortement variable de pays à pays et dans le temps.

Le moteur thermique comparé au moteur électrique Enjeux et contraintes

L’ÉQUATION ÉCONOMIQUE ET L’AVENIR DE L’ÉLECTRIFICATION

On conviendra que, dans ce contexte, la tâche n’est pas aisée pour les constructeurs automobiles qui doivent figer les architectures qui seront retenues pour les véhicules vendus en 2020 d’ici deux à trois ans. D’autres facteurs, sociétaux par exemple, peuvent rendre l’électrification incontournable, par exemple un jour il pourrait devenir inacceptable de rouler en ville avec un gros 4×4 de luxe autrement qu’en électrique. Une équation économique résolue est une condition nécessaire pour que la solution s’impose mais elle n’est pas suffisante. En effet, prenons l’exemple du véhicule électrique. Nous avons vu plus haut que le coût de la batterie du véhicule électrique auquel on ajoute le coût de l’énergie sur la vie du véhicule se compare favorablement à celui du coût de l’énergie sur la vie du véhicule thermique. Si on fait l’hypothèse que le coût du véhicule électrique hors batterie est équivalent à celui du véhicule thermique, alors l’équation économique du véhicule électrique est résolue. Les industriels s’accordent à dire que ces conditions devraient être réunies avant 2020 et que prenant en compte les incitations fiscales existantes en France aujourd’hui, elles sont d’ores et déjà réunies. Pourtant, la part de marché des véhicules électriques aujourd’hui est très loin des 25 % atteignables (voir plus haut). En effet, il convient de prendre en compte l’acceptation par le grand public des contraintes du véhicule électrique, notamment la limitation de l’autonomie. Le temps nécessaire à cette acceptation est difficilement quantifiable. Rappelons-nous qu’il a fallu plus de dix ans pour que la Smart prenne une place significative sur le créneau des citadines et qu’une offre concurrente, la Toyota iQ, soit introduite sur le marché.

Figure 12 Hypothèse d’évolution à l’horizon 2030-2040.

225

Chimie et transports 226

passe de 30 % à 0 %, ou celle des « Electric Vehicle » passe de 3 % à 20 %. Calculons, de manière purement arithmétique, sans prendre en compte la faisabilité technique ou économique, le gain d’émission de CO 2 associé au changement de famille. Le résultat de ce calcul est que les émissions moyennes de CO2 seraient divisées par deux, c’est-à-dire bien en dessous des 60 g/km. Sous quelles conditions ce calcul théorique pourraitil devenir une réalité ? D’un point de vue technique, nous avons vu que nous n’avons joué que sur le mix entre différentes familles de véhicules qui chacune existe déjà en série. Prenons l’exemple du segment B, l’un des plus compétitifs du marché, celui des citadines comme la Peugeot 208, la Renault Clio ou la Volkswagen Polo, dont les prix publics s’échelonnent entre moins de 10 000 € et jusqu’à 25 000 €, voire plus pour des modèles « premium ». On trouve aujourd’hui disponible sur le marché la Renault ZOE appartenant à la famille « Electric Vehicle » à partir de 13 700 €, prime écologique déduite et hors batterie, ou la Toyota Yaris Hybride appartenant à la famille « Full Hybrid » à partir de 18 500 €, prime écologique déduite. Une offre existe déjà mais elle se situe, en prix de vente, plutôt sur la partie haute du segment et surtout elle bénéficie d’une incitation qui n’a pas vocation à durer. Cet exemple permet de comprendre que l’effort devra porter sur la réduction du coût de l’électrification du véhicule. Les deux postes les plus importants de ce surcoût

sont la batterie et l’électronique de puissance. Les constructeurs concevront plusieurs générations successives de véhicules électrifiés, ils optimiseront les architectures, ils standardiseront les composants, ils les dimensionneront au plus juste, ils feront naître des standards, ils offriront des volumes plus élevés à leur fournisseurs et les mettront en concurrence, ainsi le surcoût de l’électrification baissera. Ces efforts ne seront pas suffisants ; il faudrait lancer dès maintenant des efforts importants de recherche notamment sur l’électronique de puissance et sur les batteries. En matière d’électronique de puissance, il faudrait particulièrement travailler sur les commutateurs de puissance. Ces composants sont assimilables à des interrupteurs que l’on ouvre et ferme plusieurs milliers de fois par seconde et dans lesquels passe un courant. Ces phases de commutations suivies de phases de conduction s’accompagnent de pertes de Joules et donc d’un échauffement qui limite la puissance transmise. Les recherches doivent porter à la fois sur les matériaux pour arriver à diminuer les per tes et augmenter les températures de fonctionnement, et sur le « packaging » (c’est-à-dire l’arrangement des éléments constitutifs du composant électronique) de manière à évacuer au mieux la chaleur. Le deuxième grand axe de recherche porte sur le stockage d’énergie, ce qu’on appelle les batteries, avec un travail

« Plug in Hybrid », « Range extender » et « Electric Vehicle », et une batterie avec un rapport puissance/énergie important pour les véhicules des familles « Mild Hybrid » et « Full Hybrid », où l’on utilise la batterie pour récupérer l’énergie pendant les phases de freinage.

Deux types d’applications différentes sont concernés : une batterie à forte puissance massique pour les véhicules rechargeables des familles

Peut-on aller encore plus loin ? Atteindre une émission zéro ? L’Encart « Deux scénarios pour l’avenir » se lance dans un peu de prospective.

Le moteur thermique comparé au moteur électrique Enjeux et contraintes

important à fournir sur de nouveaux matériaux associés à de nouveaux procédés pour obtenir une baisse de coût, sur une amélioration de la sécurité des batteries ; il faut aussi travailler sur la substitution des matériaux rares et stratégiques par des matériaux plus accessibles.

DEUX SCÉNARIOS POUR L’AVENIR Nous avons vu plus haut que le véhicule électrique n’était pas une alternative au véhicule conventionnel du fait son autonomie limitée. Contourner le principal handicap du véhicule électrique – la recharge des batteries – a fait foisonner les imaginations. Voici deux scénarios possibles parmi une multitude : dans l’un, le véhicule va générer de l’électricité pendant qu’il roule et dans l’autre, il va capter de l’électricité alors qu’il se déplace. Premier scénario Le véhicule est évidemment à traction électrique, il dispose d’une réserve d’énergie, d’une batterie qui lui donnent quelques dizaines de kilomètres d’autonomie et il dispose aussi d’un générateur alimenté en carburant non fossile. Le générateur recharge la batterie dès que son niveau de charge est trop bas. Il n’y a pas besoin que la puissance de traction et la puissance du générateur soient égales. Le générateur est dimensionné sur le besoin de puissance maximum en régime permanent du véhicule, puissance nécessaire pour rouler sur le plat à 130 km/h si l’on prend un véhicule à usage routier. La puissance de traction est dimensionnée pour atteindre le niveau de performances d’accélération. La batterie est rechargée sur le secteur à chaque fin de trajet. Les petits trajets du quotidien sont parcourus uniquement avec l’énergie contenue dans la batterie. On ne recourt au générateur que pour les grands trajets. La capacité du réservoir de carburant et son remplissage sont compatibles de l’usage que l’on fait aujourd’hui des véhicules conventionnels. Quel carburant ? L’hydrogène est un vecteur d’énergie répondant à ce cahier des charges, on peut stocker dans un véhicule la quantité nécessaire pour parcourir 600 kilomètres et faire le plein en cinq minutes. Ce carburant peut être obtenu à partir de différentes énergies primaires, il peut être obtenu sans émission de CO2. Des démonstrateurs existent, plusieurs véhicules roulent à l’hydrogène, plusieurs stations-service permettant de faire le plein d’hydrogène en moins de cinq minutes ont été déployées (voir le Chapitre de D. Larcher et F. Darchis). La prospective autorisant toutes les audaces, on peut envisager l’installation d’une infrastructure de distribution d’hydrogène peu dense, en dehors des grands centres urbains, où l’on produit sur place à partir d’énergie renouvelables. À noter que la production d’hydrogène peut aussi servir de moyen de stockage d’énergie à grande échelle.

227

Chimie et transports

Deuxième scénario : la captation d’énergie en roulant Le véhicule est toujours à traction électrique, il dispose d’une réserve d’énergie, d’une batterie qui lui donne quelques dizaines de kilomètres d’autonomie et d’un dispositif de captation d’électricité permettant de recharger la batterie en roulant. Il recharge la batterie dès que son niveau de charge est trop bas. Les petits trajets du quotidien sont parcourus uniquement avec l’énergie contenue dans la batterie. On ne recourt au dispositif de captation que pour les grands trajets, une infrastructure de charge a été déployée sur les chaussées d’autoroutes, voies express et rocades (les 12 000 km de réseau français présentés dans le Chapitre d’H. Van Damme). Comment capter de l’électricité en roulant ? Des bornes de recharge sans contact pour véhicules électriques existent déjà, elles assurent la charge de la batterie à l’arrêt. Des démonstrateurs de pistes avec recharges sans contact de véhicules en mouvement existent aussi, une ligne de bus électrique se rechargeant sans contact à l’arrêt et en roulant sur les premières dizaines de mètres après l’arrêt sera bientôt mise en service en Allemagne. Ces deux scénarios – bien entendu très « prospectifs » – permettent chacun de rendre un véhicule à traction électrique polyvalent, c’est-à-dire compatible de l’usage que l’on fait aujourd’hui des véhicules conventionnels, et sans émission de CO2, tout au moins du réservoir à la roue.

Quel avenir pour le véhicule électrique ?

228

Aujourd’hui, le véhicule électrique n’est pas une alternative au véhicule thermique. Il a son propre marché, qui est important, ce qui justifie d’ailleurs que des industriels investissent dans ce créneau. Deuxièmement, l’électrification est la seule voie qui permette de baisser durablement les émissions de CO2, d’atteindre les objectifs de 2020, de continuer à les faire baisser au-delà, voire les faire tendre vers zéro. Le défi porte sur la baisse du surcoût lié à l’électrification. Enfin, de très importants efforts de recherches – notamment dans les domaines de l’électronique de puissance et des batteries – sont à déployer pour rendre l’équation économique de l’électrification possible. Dans les deux cas, l’invention et le développement de nouveaux matériaux sont des verrous clés.

stockage

énergie monde

de l’

dans le des

transports

Dominique Larcher est professeur à l’université de Picardie Jules Verne et dirige des recherches sur des batteries au lithium au Laboratoire de Réactivité et Chimie des Solides1. Francois Darchis est Directeur de la Société pour les activités Recherche et Développement, Nouveaux Métiers Innovation et Technologies, Propriété Intellectuelle, Ingénierie et Construction, et pour la Branche d’Activité Industriel Marchand (IM) du groupe Air Liquide2.

Les accumulateurs électrochimiques pour les transports : lithium-ion et nouvelles chimies1

1

par Dominique Larcher

à laquelle est adossé un club d’industriels français ; − un réseau européen plus ancien (Alistore 4 ), créé en 2004, qui regroupe industriels européens et chercheurs de laboratoires européens.2

− le Réseau sur le Stockage Électrochimique de l’Énergie (RS2E)3 : une fédération de laboratoires français (FR 3459)

Il est intéressant de comparer les performances des systèmes de stockage de l’énergie sur un diagramme ÉnergiePuissance, dit de Ragone (Figure 1). On y positionne, pour un système donné, sa puissance spécifi que (W/kg) en fonction de son énergie

1. www.u-picardie.fr/labo/lrcs 2. www.airliquide.com

3. www.energie-rs2e.com 4. www.alistore.eu/

La recherche aux niveaux français et européen dans ce domaine est structurée à travers deux réseaux fédérateurs :

Dominique Larcher et François Darchis

Le

Chimie et transports

Figure 1 Diagramme de Ragone : énergie spécifique (Wh/kg) vs. puissance spécifique (W/kg) pour différents systèmes de stockage électrochimiques de l’énergie et systèmes thermiques à combustion interne.

230

spécifique (Wh/kg). Dans le domaine de l’automobile, cette énergie et cette puissance dictent respectivement l’autonomie et la vitesse (vitesse de décharge du système de stockage) du véhicule. À noter que la puissance reflète aussi l’aptitude du système à être rapidement rechargé. En fait, il existe une étroite et systématique interdépendance entre énergie et puissance : pour un système de stockage donné, la quantité d’énergie disponible sera d’autant plus faible que la puissance demandée sera élevée. Ainsi, les accumulateurs électrochimiques tels que plomb-acide, nickelcadmium (Ni-Cd), Ni-métal hydrure (Ni-MH) ou lithiumion (Li-ion) libèreront d’autant moins d’énergie qu’ils seront sollicités sur un intervalle de temps court. Il s’agit d’une notion dynamique générale liée à des limitations d’ordre cinétique. Dans le cas d’une automobile, ceci implique donc que l’autonomie sera d’autant réduite que la vitesse sera élevée.

D’après le diagramme de Ragone, il est clair que les différents systèmes de stockage énergétique ne sont pas égaux face à cette interdépendance, ni en termes de puissance et d’énergie spécifiques stockées, les réactions de combustion étant encore de loin les plus performantes sur ces deux aspects à la fois. Alors que les super-condensateurs peuvent rivaliser avec les moteurs à combustion en termes de puissance, la quantité d’énergie qu’ils peuvent stocker est plusieurs ordres de grandeur plus faible. Entre ces deux extrêmes se situent les accumulateurs électrochimiques, dont la puissance peut maintenant rivaliser avec les systèmes thermiques mais dont l’énergie spécifique se situe encore un ordre de grandeur en dessous. 1.1. Moteur électrique ou moteur à combustion : critères du choix de technologie D’autres diagrammes ÉnergiePuissance (non « spécifiques ») permettent de comparer l’évolution des besoins énergétiques selon la technologie mise en œuvre, c’est-àdire le niveau d’électrification du véhicule, qui peut être faible (Start-Stop), totale (Full EV), ou intermédiaires (hybride léger, hybride complet, hybride rechargeable) (Figure 2). Selon l’autonomie et le voltage requis, les technologies et les chimies mises en œuvre seront différentes mais de nombreux autres paramètres sont à prendre en compte pour orienter le choix de la technologie, comme par exemple la

Puissance 100 kW

Hybride rechargeable

Full Hybrid (strong boost, regen braking, small e-drive)

10 kW

Pur EV

Puissance et énergie nécessaires en fonction du type d’électrification du véhicule. Source : F. Orsini, Renault

Système HV (300-400 V)

Mild Hybrid (> 100 V) Start & Stop Système 14 V

1 kW Véhicule conventionnel

100 Wh

1 kWh

densité d’énergie volumique (Wh/L), la densité de puissance volumique (W/L), la durée de vie et la stabilité du système en fonctionnement et au repos. La sécurité du système, l’approvisionnement en matière première, le coût énergétique et en CO2 de la fabrication de la batterie, ainsi que le recyclage en fin de vie, seront aussi des critères importants à prendre en compte. Au final, le coût de fabrication de l’accumulateur, mais aussi le coût amorti du stockage (€/ cycle/kWh) restent des critères de sélection majeurs !

10 kWh

100 kWh Énergie utilisable

Une voiture à propulsion thermique consomme environ 48 litres pour parcourir 800 kilomètres (6 L/100 km), ce qui représente une quantité d’énergie d’environ 120 à 140 kWh. Actuellement, les meilleurs accumulateurs sont capables de libérer ~200 Wh/kg, ce qui nécessiterait d’en embarquer ~600 kg pour parcourir cette distance (Figure 3), soit un surpoids et un coût prohibitifs qui ne militent certainement pas en faveur du véhicule électrique face au thermique. Augmenter la capacité massique des accumulateurs doit donc être vu

Le stockage de l’énergie dans le monde des transports

Figure 2

Figure 3 Comparaison entre alimentation électrique et alimentation thermique d’un véhicule. Impacts respectifs de la capacité du matériau d’électrode (anode/ cathode) sur la capacité de l’accumulateur final complet.

231

Chimie et transports

comme une nécessité économique afin de rendre compétitive la propulsion électrique, avant d’être vu comme une réponse à une autonomie en apparence faible mais qui suffit à subvenir à la majorité des déplacements motorisés quotidiens en France. L’objectif actuellement affiché est de multiplier cette capacité par un facteur trois pour réduire d’un facteur trois la quantité de batteries à embarquer (i.e. 200 kg pour parcourir 800 km sans recharge). Comment procéder ? Modifier la nature des matériaux électro-actifs… Oui, mais pas n’importe comment. Une stratégie s’impose car une augmentation de la capacité électrochimique (mAh/g), selon qu’elle s’applique au matériau anodique ou au matériau cathodique, n’aura pas le même impact sur la capacité massique de l’accumulateur complet donc sur le nombre de cellules à embarquer. Pour rappel, cette capacité électrochimique (Q), souvent exprimée en « mAh/g » est une mesure du nombre d’électrons que peut accueillir un gramme de matériau actif, avec 1 mAh égale à 3,6 Coulombs.

232

Prenons comme base le cas d’un accumulateur Li-ion classique où le matériau actif de la cathode est LiCoO2 et celui de l’anode est le graphite. Un doublement de la capacité électrochimique de la cathode n’augmentera que de 15 % la densité d’énergie de l’accumulateur complet alors qu’un doublement de la capacité de l’anode l’augmentera d’environ 50 % (Figure 3). Donc, si

l’objectif est de multiplier par trois la capacité de l’accumulateur, nous pouvons envisager trois stratégies : − augmenter très fortement la capacité de l’anode, c’està-dire utiliser des réactions d’alliage qui peuvent délivrer jusqu’à dix fois la capacité du graphite (ex : 3 600 mAh/g pour le système Li/Si) ; − augmenter fortement la capacité de la cathode, ce qui impliquera l’utilisation de couples redox faisant intervenir plus de deux électrons par métal 3d ; − provoquer une rupture en abandonnant la technologie Li-ion basée sur des processus d’intercalation (RockingChair) et en en développant de nouvelles telles que lithiumair (Li-O2) (voir le Chapitre de J. Botti) et Li-soufre (Li-S), ou appliquer le principe des systèmes Li-ion à d’autres alcalins (exemple : Na-ion). La non-linéarité et la nonéquivalence entre la capacité des matériaux électro-actifs et la capacité de l’accumulateur Li-ion sont dues à la complexité du système complet, où ces matériaux ont besoin de tout un environnement pour fonctionner de manière optimale. 1.2. Les accumulateurs lithium-ion (Li-ion) 1.2.1. Principe de fonctionnement La Figure 4 montre le schéma et le fonctionnement d’un accumulateur Li-ion (LiFePO 4 / graphite), avec ses deux électrodes et les couples redox qui y sont associés (LiFePO4/ FePO4 et LiC6/C6). Lors de la

En charge

FePO4

LiFePO4 Électrode positive

LiC6

Li+

Li+

Électrolyte (solvants/sels/ additifs)

C6

C

Électrode négative

B e–

Électrode positive

Cu Potentiel d’électrode

PF6–

Collecteur de courant

Al

Collecteur de courant

e–

En décharge

= ΔG

Différence de potentiels : Tension (V)

Électrode négative

Li+

FePO4 LiFePO4

Li+

PF6–

LiC6 C6

Collecteur de courant

Al

Collecteur de courant

Nb de lithium par unité formulaire

Le stockage de l’énergie dans le monde des transports

A

Capacité (mAh/g) Cu

D Matière active Liant polymère Carbone conducteur

charge (Figure 4A), des électrons (e–) quittent l’électrode positive (LiFePO 4 ) par l’intermédiaire du circuit électrique externe, et sont captés par l’électrode négative (C6). Cette circulation électronique externe est compensée par un transport équivalent d’ions Li+, également de la cathode vers l’anode, mais au sein de l’accumulateur, au travers de l’électrolyte organique liquide (mélange de solvants, sels, additifs) et isolant électrique, où baignent les deux électrodes. Pendant cette charge, le potentiel de l’électrode po-

sitive augmente, le potentiel de l’électrode négative diminue. On augmente donc la différence de potentiel (Volts) ; on stocke alors de l’énergie dans le système (Figure 4C). Pendant la décharge (Figure 4B), ces deux processus de transport sont inversés, le potentiel de l’électrode positive baisse, celui de l’électrode négative augmente. On diminue la différence de potentiels ; le système libère donc spontanément de l’énergie. La quantité d’énergie libre (∆G) échangée en charge ou en décharge entre les électrodes est à la fois

Figure 4 Schéma simplifié d’un accumulateur Li-ion et de son fonctionnement. L’accumulateur lithium-ion actuel comprend deux matériaux d’intercalation aux électrodes, avec plus d’une dizaine de constituants chimiques et plusieurs interfaces.

233

Chimie et transports

proportionnelle à la différence de potentiels et à la quantité n d’électrons/lithium échangés (∆G = –n·F·∆E) (Figure 4C). À chaque électrode, les électrons sont canalisés par un collecteur de courant dont la nature chimique est dictée par la technologie. L’aluminium s’alliant irréversiblement au lithium à bas potentiels, il sera plutôt utilisé comme collecteur de courant à la cathode, tandis que le cuivre, non réactif vis-à-vis du lithium, sera utilisé comme collecteur de courant à l’anode. Le cuivre étant dense et cher, cette contrainte se traduit donc par un surcoût et une masse inactive importante. Mais tout ceci ne suffit pas encore pour assurer le bon fonctionnement du système. Les matériaux actifs doivent être mis en forme au sein d’électrodes composites (Figure 4D) où les grains actifs sont mélangés à une fine poudre de carbone utilisé comme additif conducteur, et à un liant polymère qui assure le maintien mécanique de l’ensemble en cours d’utilisation.

234

Bilan : matériaux actifs, collecteurs de courant, solvants/ sels/additifs de l’électrolyte, liant polymère, additif conducteur, séparateur… un accumulateur contient donc une dizaine de constituants chimiques et plusieurs interfaces. Il faut savoir choisir et produire les premiers, et savoir contrôler les secondes. Ces constituants doivent être chimiquement, thermiquement et mécaniquement compatibles, on doit fixer leurs proportions, choisir la structure, la taille et la texture des grains des matériaux, etc., ce qui ouvre certes la voie à de

multiples combinaisons mais implique aussi de nombreuses contraintes, justifiant le faible nombre de technologies différentes jusqu’alors industrialisées. 1.2.2. Fabrication d’une électrode Les différents constituants de chaque électrode sont dispersés (solides)/dissous (liant) dans un solvant pour former une pâte visqueuse qui est uniformément étalée sur le collecteur de courant (Figure 5A). Le solvant est ensuite évaporé de manière contrôlée pour obtenir un dépôt composite solide de quelques dizaines de micromètres d’épaisseur et fortement adhérent au collecteur (Figure 5B). On procède de même pour les deux électrodes puis on place entreelles un séparateur isolant électrique, généralement un film de polymère plastique poreux, pour former la base active de la cellule électrochimique (Figure 5C). Ces assemblages multicouches (Cu/anode // séparateur // cathode/Al) peuvent être empilés pour obtenir des cellules dites « prismatiques » (Figure 5D) ou enroulés sur eux-mêmes pour former des cellules « spiralées » (Figure 5E). La Figure 6 représente les proportions massiques des différents constituants d’un accumulateur LiFePO 4 /Graphite complet : les matériaux d’électrodes n’y comptent que pour un peu plus de la moitié, tandis que le collecteur de cuivre + le boîtier pour environ un quart. On voit donc bien la complexité de ces systèmes et le nombre

Le stockage de l’énergie dans le monde des transports

A

B

C

D

E

Figure 5 A-B) Préparation d’une électrode négative par enduction d’une encre conductrice et séchage sur un collecteur de courant (Cu) ; C) schéma d’une unité Cu/anode // séparateur // cathode/Al ; D) batterie prismatique ; E) batterie cylindrique.

important de critères sur lesquels il est possible de jouer pour en améliorer les performances, le coût, la sécurité, la recyclabilité, l’impact environnemental… A u - d e l à d e to u te s ce s contraintes, du choix des matériaux et des étapes de fabrication, le très large éventail de matériaux actifs disponibles/potentiels confère à la technologie Li-ion un avantage indéniable sur les autres technologies et explique en grande partie sa flexibilité et son adaptabilité (médical, spatial, automobile, électronique portable… et même cigarette électronique). Ceci

Électrode positive

14 %

Électrode négative

5% 3% 3%

Boitier

38 %

Électrolyte Liant-Polymère

7%

Carbone additif 13 %

Collecteur aluminium

17 %

Collecteur cuivre

contraste par exemple beaucoup avec la technologie Pbacide qui utilise les mêmes matériaux et les mêmes couples redox depuis son invention… en 1859 !!

Figure 6 Proportions massiques des constituants d’une cellule LiFePO4 / graphite. 235

Chimie et transports

1.3. Amélioration des performances des systèmes lithium-ion Cette diversité de matériaux d’électrodes résulte de l’existence de trois axes de liberté (Figure 7) : 1) La nature de la réaction se produisant aux électrodes. Trois mécanismes de réaction redox différents peuvent être utilisés (Figure 7A) : − réactions d’intercalation : les ions Li+ s’insèrent dans des sites cristallographiques vides de la structure du matériau qui est maintenue. Forte réversibilité mais faibles capacités. Faibles variations volumiques. Toutes les batteries Li-ion actuellement commercialisées fonctionnent sur ce principe à l’anode comme à la cathode ;

Figure 7 Présentation des degrés de liberté relatifs aux choix des matériaux d’électrodes.

B

+Li

Intercalation

+Li M + Li-X

M-X +Li

3 MnO2 2

M

Plusieurs mécanismes

236

Li-M

Vanadium oxides [V2O3, LiV3O8]

0 0

Composite alloys [Sn(O)-based] [Sn(M)-based] Carbons Graphite 200

400

Positive material: of Li ion limited RT cycling of Li metal

Li-ion potential 3d-Metal oxides

1

Alliage

C

Li1–xCo1–yMyO2 Li1–xNi1–y–zCoyMzO4[M=Mg, Al,…] Polyanionic compounds [Li1–xVOPO4, LixFePO4] LixMn1–yMyO2[M=Cr, Co,…]

Li-metal potential

Negative material: (

of Li ion limited cycling) of Li metal

Nitrides LiMyN2

600 800 Capacity (Ahkg–1)

Li metal 1 000

3 800

Un grand choix de compositions (oxydes, phosphates, métaux, carbone)

Texture, morphologie et taille

Negative materials

Conversion

Potential versus Li/Li– (V)

Li-M-X

2) Une large gamme de compositions chimiques (Figure 7B). Pour les électrodes positives, on peut utiliser des oxydes, des phosphates, des sulfates, des mixtes… À l’électrode négative, outre le graphite, on peut citer des oxydes métalliques, des (semi)métaux, des hydrures et des phosphures.

Li1–xMn2–yMyO4

4

M-X

− réactions d’alliage : le lithium s’allie à un (semi-) métal (Si, Sn, Zn, Mg…). Très fortes capacités mais très faible réversibilité. Très fortes variations volumiques. Réactions non matures pour implantation dans des batteries commerciales.

Positive materials

A

− réactions de conversion : le matériau est un sel (oxyde, nitrure, sulfure…) d’un métal

de transition et est totalement réduit par le lithium. Fortes capacités, bonne réversibilité, sauf au premier cycle, et très forte polarisation. Ces deux derniers points empêchent pour le moment l’utilisation commerciale de ces réactions ;

4 000

3) La texture, la morphologie et la taille des grains de matériau (Figure 7C) : pendant très longtemps, les matériaux micrométriques ont été préférés, mais maintenant on possède le savoir-faire pour intégrer des matériaux nanométriques qui peuvent apporter des possibilités réactionnelles inédites. Chacun de ces trois axes représente une voie de re-

Le stockage de l’énergie dans le monde des transports

Notons que l a c apacité (mAh/g) est beaucoup plus fortement modulable pour l’anode que pour la cathode, et inversement quant au potentiel de réaction (Volts).

cherche et de développement, cer taines déjà exploitées par l’industrie. Le Tableau 1 repor te, pour dif férent s constructeurs automobiles, les fabricants des batteries utilisées et les différentes « chimies » d’électrodes qui y sont mises en œuvre. Les chimies (oxydes, carbones, phosphates) comme les structures (2D ou 3D) sont, comme on peut le voir, diverses et variées (Figure 8). Notons une exception dans ce tableau : les batteries « Bolloré » ne sont pas basées sur des cellules Li-ion à deux matériaux d’intercalation, mais sur des cellules Li-métal où l’électrode

Tableau 1 Matériaux d’anode, de cathode et électrolyte utilisés par différents fabricants de batteries et constructeurs automobiles associés. De nombreuses combinaisons pour une technologie flexible ! Source : Takeshita 2010 adaptée

Constructeurs

Fabricant de batteries

Véhicules

Cathode

Anode

Électrolyte

Toyota

PEVE

HEV/PHEV

NCA

Graphite

Liquide

Toyota, VW/audi

Sanyo

HEV/PHEV

NMC

Soft C.

Liquide

Mitsubishi, PSA

LEJ

EV

LMO/NMC

Soft C.

Liquide

VW

Toshiba & EnerDell

EV

LMO

LTO

Liquide

Hyndai GM Volt

LGC

HEV/PHEV

LMO/NMC

Hard C.

Liquide

Nissan Renault

AESC

EV

LMO/NCA

Graphite

Liquide

Nissan

AESC

HEV

LMO/NCA

Hard C.

Liquide

Dailmer S 400, BMW series 7

JCS

HEV/PHEV

NCA

Graphite

Liquide

Think Chrysler

A123

PHEV/EV

LFP

Graphite

Liquide

Think Volvo

Enerdel

EV

NMC

HC

Liquide

Fisker

Enerdel

HEV

LMO

LTO

?

BMW

SB-Limotive

PHEV/EV

LMO

Graphite

Liquide

BYD auto

BYD

PHEV/EV

LFP

Graphite

Liquide

Pinifarina

Bolloré

EV

LFP

Li

Solide

Heuliez

E4V

EV

LFP

Graphite

Liquide

237

Structures et compositions de quelques matériaux d’anode et de cathode implantés dans des batteries commerciales.

négative est constituée de Li à l’état métallique et où seule l’électrode positive est intercalante. 1.4. Les réactions d’alliage : exemple du système lithiumsilicium (Li-Si) Le silicium réagit avec le lithium pour former un alliage lithium-silicium jusqu’à la composition électrochimique limite Li15 Si 4 . Cette réaction (4 Si + 15 Li+ + 15 e – Li15Si4) fait donc intervenir un nombre élevé d’électrons et de lithium par gramme de matériau actif (Si), d’où une capacité électrochimique décuplée (3 600 mAh/g) par rapport au graphite (~350 mAh/g). Ce simple chiffre justifie l’intérêt de la communauté des batteFigure 9 Présentation de la réaction entre Li et Si. A) Modifications texturales au cours de l’incorporation de Li, puis au cours de son extraction. B) Courbe Voltage-Composition correspondante.

A

ries pour ce matériau depuis plusieurs décennies ; mais alors comment expliquer qu’il n’ait toujours pas supplanté le graphite dans les batteries commerciales ? Au cours de la réaction d’alliage, chaque atome de Si va réagir avec environ 4 atomes de Li, chaque grain de Si va donc voir son nombre d’atomes multiplié par ~5, ce qui va se traduire par un fort gonflement du grain (volume : + 300 %), et donc de grandes modifications texturales dans l ’électrode composite au cours des cycles charge/décharge. La principale conséquence de ce phénomène est la décohésion de l’électrode et la déconnexion des grains de Si et de carbone additif (Figure 9A), et donc la faible C additif

B Collecteur de courant (Cu)

Potentiel (V vs. Li•/Li)

Chimie et transports

Figure 8

2 1,6 1,2 0,8 0,4 0 0

1 000

2 000

3 000

Capacité (mAh/g de Silicium)

238

Particules déconnectées partiellement dé-lithiées Grains totalement dé-lithiés

Une des solutions proposée pour pallier ce problème est donc logiquement de modifier la nature et la proportion du liant. Le choix s’est porté sur un dérivé de la cellulose, la Carboxy-Méthyle Cellulose (CMC) et sur une composition massique d’électrode = 1/1/1 (Si/carbone/CMC) (Figure 10A). La CMC présente l’intérêt de comporter de nombreux groupements carboxyles (-COOH) pouvant se lier, de manière covalente

ou non (ce que l’on sait contrôler), à la couche de silice (SiO2) naturellement présente à la surface des grains de silicium (Figure 10C). Les électrodes obtenues ont une forte porosité qui permet de tamponner en grande partie le gonflement des grains de Si, donc de limiter les variations volumiques de l’électrode (Figure 10B). Dans ces conditions, la réversibilité de la réaction entre Si et Li est fortement améliorée (Figure 11), certes au prix d’une capacité totale plus faible puisque l’électrode composite ne contient plus que 33 % de Si, mais cette capacité demeure encore supérieure d’un facteur trois à celle du graphite. Sur les cent premiers cycles, on évalue à 0,2 % par cycle la perte moyenne de capacité de stockage de cette électrode (Figure 11 à droite).

Figure 10 Formulation d’une électrode Si/C/ CMC (= liant). A) Diagramme de phase entre le carbone (C), le silicium (Si) et le liant (CMC) ; B) image par microscopie électronique à balayage (MEB) d’une électrode Si/C/CMC illustrant sa forte porosité ; C) nature des liaisons pouvant se former entre la couche de silice SiO2 à la surface des grains de Si, et le liant CMC.

Le stockage de l’énergie dans le monde des transports

réversibilité de la réaction (Figure 9B). En effet, certains grains lithiés (Li x Si) seront électroniquement déconnectés du collecteur de courant (perte de percolation électronique) et ne pourront donc plus être totalement de-lithiés pour redonner Si, d’où une perte de capacité régulière au cours des cycles charge/ décharge de l’accumulateur.

A

CMC = Carboxy-Méthyle Cellulose = Porosité : 60 % C

Si

B

1 µm

C

Liaisons CMC-Silicium faibles (hydrogène)

Liaisons CMC-Silicium fortex (covalentes) 239

400

800

1 200

1 600

2 Theorie

3 000 1,2 2 000

0,8

1 000

0,4 0 0

1 000 2 000

3 000

4 000

Capacité (mAh/g of Si)

À première vue, cette réversibilité de 99,8 % semble excellente, voire proche de la perfection, mais ces performances sont est en réalité encore très loin d’être suffisantes. En effet, si l’on extrapole, au bout de 1 000 cycles, on peut évaluer la capacité résiduelle égale à (0,998)1 000 = 13 %. Dans ces conditions, une automobile rechargée quotidiennement aura perdu environ 90 % de son autonomie au bout de 1 000 jours, c’està-dire un peu plus de deux ans et demi. Il est clair que cela n’est pas viable. Si l’on se fixe comme objectif de maintenir 80 % de l’autonomie d’un véhicule après cinq ans d’utilisation quotidienne, la réversibilité du système, et donc des réactions aux électrodes, doit atteindre la valeur de 99,97 %.

240

4 000

1,6

Passer du rendement actuel (99,8 %) à 99,97 % constitue donc le verrou qu’il nous faut lever pour une application industrielle. Ceci fait actuellement l’objet de nombreuses études impliquant de nombreux laboratoires et industriels tant au niveau français qu’européen, en particulier grâce aux deux réseaux évoqués en début de ce chapitre.

0

20

40

60

80

100

Capacité (mAh/g Si)

Performances de l’électrode Si/C/ CMC lors de sa réaction avec Li. À gauche, évolution du potentiel en fonction de la capacité/composition pour les premiers cycles. À droite, évolution de la capacité en fonction du nombre de cycles charge/décharge.

Capacité  (mAh/g du composite) 0

Potentiel (V) 

Chimie et transports

Figure 11

0 120

Cycle #

Lutter contre cette faible réversibilité n’est que l’un des aspects de nos recherches. Parmi d’autres problèmes à résoudre : comment concilier une forte capacité massique (grand nombre de lithium insérés par gramme d’électrode) avec une forte capacité volumique (grand nombre de lithium insérés par cm 3 d’électrode), si le maintien de la réversibilité nécessite le recours à des électrodes de plus en plus poreuses ? Les paris sont ouverts… 1.5. Les réactions de conversion : une autre voie vers des batteries plus performantes Lorsqu’un oxyde métallique peut être totalement réduit électrochimiquement par M• le lithium (2 Li + MO + Li2O), les grains de métal M• (ex : Co, Ni, Fe) sont formés à l’échelle nanométrique et sont inclus dans une matrice de Li2O (Figure 12). Cette texture composite génère une grande quantité d’interface M•/Li2O qui assure la réversibilité de la réaction mais qui dépend aussi du choix du métal M. Ces réactions de

− ces réactions mettent généralement en jeu plusieurs (2 à 6) électrons/Li par métal 3d (Tableau 2), d’où des capacités électrochimiques doubles, voire triples de celle du graphite. Par exemple, la réaction entre CoO et Li correspond à un échange théorique de 2 moles d’électrons (Co +IIO Co •) par mole de CoO, soit environ 700 mAh/g, soit le double du graphite ; − ces réactions peuvent s’avérer fortement réversibles comme illustré pour CoO (Figure 13). On peut alors se demander ce qui bloque l’utilisation de ces réactions dans les systèmes commerciaux ? La

Tableau 2 Réactions de conversion, des réactions non spécifiques aux oxydes et qui peuvent faire intervenir jusqu’à 6 Li/e– par métal. L’électronégativité de X fixe l’ionicité de la liaison M-X et permet de contrôler le potentiel de la réaction avec Li.

0,7 V

Électro négativité

3,5 V

NiP2 + 6 Li

Ni• + 2 Li3P

CoS + 2 Li

Co• + Li2S

CoO + 2 Li

Co• + Li2O

RuO2 + 4 Li

Ru• + 2 Li2O

CoCl2 + 2 Li

Co• + 2 LiCl

CoF3 + 3 Li

Co• + 3 LiF

FeF3 + 3 Li

Fe• + 3 LiF

Le stockage de l’énergie dans le monde des transports

conversion ne sont pas l’apanage des oxydes puisqu’elles sont aussi obser vées pour d’autres anions (X n– ) : hydrures (H – ), fluorures (F – ), chlorures (Cl–), sulfures (S2–), nitrures (N3–) ou phosphures (P 3–)… Le choix de l’anion est primordial car son électronégativité dicte le caractère ionique (ionicité) de la liaison M-X et permet donc un contrôle du potentiel de la réaction. Le potentiel de la réaction de conversion sera ainsi d’autant plus faible que la liaison M-X sera covalente (ex : phosphures), et d’autant plus élevé que la liaison M-X sera ionique (ex : fluorures). Ceci est illustré par quelques exemples dans le Tableau 2 où l’on peut voir que les potentiels peuvent ainsi s’étendre de 0,7 Volts (NiP 2) à 3,5 Volts (FeF 3) vs. Li+/Li•. Ces réactions de conversion peuvent donc être aussi bien utilisées à l’électrode positive qu’à l’électrode négative, mais ce n’est là qu’un de leurs atouts :

courbe Voltage-Composition associée à la réaction CoO/Li (Figure 13) nous l’explique. On y observe en effet que : − la réversibilité n’est excellente qu’au-delà du premier cycle, ce premier cycle étant entaché d’une très forte irréversibilité signifiant qu’une part importante du Li initialement incorporée dans CoO ne peut pas en être extraite. Audelà du premier cycle, cette part deviendra donc inactive et constituera une « masse morte » pour l’accumulateur ; − il existe une forte surtension (hystérésis) entre la charge et la décharge, ce qui signifie qu’une grande partie de l’énergie apportée au système sous forme électrique n’est pas récupérée sous cette même forme, en raison de limitations à la fois cinétiques et thermodynamiques ;

Figure 12 Principe de la réaction de conversion appliquée à CoO, et image de microscopie électronique en transmission (MET) du produit en fin de réduction (Co + Li2O).

241

Évolution du potentiel en fonction de la capacité/composition pour les premiers cycles d’une cellule CoO/Li. En rouge, les principaux freins à l’utilisation de cette réaction dans des batteries commerciales.

Réaction incomplète au premier cycle 3,5 3

Forte Hystérésis intrinsèque à la réaction

Voltage (V vs. Li)

Chimie et transports

Figure 13

2,5 2 1,5 1 0,5 0 0

0,5

1

1,5

2

2,5

3

3,5

x in “LixCoO” Réaction de l’électrolyte

− de manière surprenante, on peut faire réagir plus de deux électrons par CoO car, à bas potentiels, l’électrolyte peut être électrochimiquement dégradé, ce qui est évidemment indésirable. Résoudre ces problèmes nécessite de comprendre en profondeur les phénomènes associés, et c’est de nouveau par l’intermédiaire d’études fédératives que nous progressons dans ce sens. En particulier, l’intimité de ces réactions de conversion est maintenant beaucoup mieux appréhendée grâce à des investigations théoriques et à des approches de modélisation physico-chimiques qui nous guident également dans les voies à explorer en priorité. 1.6. Les nouvelles pistes

242

Les exemples décrits cidessus montrent que les problèmes scientifiques à résoudre sont nombreux sur le chemin de l’accroissement des performances des accumulateurs Li-ion. Cependant, les progrès ont été et de-

meurent constants puisque leur s densités d’énergie massique et volumique ont déjà été multipliées par un facteur 2-3 depuis leur première commercialisation en 1991, et il ne fait aucun doute que les études en cours auront les mêmes effets bénéfiques. Mais l’urgence énergétique nous pousse à explorer toutes les options possibles, et à envisager le développement rapide de nouveaux systèmes déviants de la technologie Li-ion, dont la maturité est certes une base saine aux progrès incrémentaux mais peu propice aux ruptures scientifiques. Le système Li-O2 en est un très bon exemple. 1.6.1. Un exemple : les accumulateurs lithium-air (Li-O2) Le système Li-O 2 (abusivement appelé « lithium-air ») est, parmi tous les systèmes explorés actuellement, celui sur lequel portent les plus grands espoirs (voir Chapitre de J. Botti), mais aussi celui qui pose le plus de problèmes à régler.

− Ce système ne nécessite pas l’utilisation de larges quantités de métaux 3d à la cathode, puisqu’elle est constituée d’un mélange composite poreux de catalyseur et de carbone. Le matériau actif de la cathode est le dioxygène de l’air (Figure 14A). Quels sont les verrous ? − L’anode est en lithium métallique, ce qui pose les problèmes de stabilité inhérents à ce métal, à savoir la croissance de dendrites en cyclage, et le risque de courts-circuits. − La réaction en charge (Li2O2(s) 2Li(s) + O2) est cinétiquement très limitée, justifiant l’utilisation d’un catalyseur afin de minimiser la polarisation encore prohibitive de cette réaction (Figure 14B). − Il s’agit d’une réaction redox dont le produit (Li2O2) est un solide qui obstrue les pores de la cathode où l’accès du dioxygène dissous dans l’électrolyte doit être cependant maintenu.

A

e–

Anode en lithiummétal (–ve) Électrolyte

e–

Li2O2 Catalyseur Carbone 

O2 O2

− Le dioxygène provient de l’air, mais ses autres constituants (N2, H2O, CO2) réagissent aussi avec Li, ce qui pose le problème de l’approvisionnement et/ou du stockage en oxydant pur. − La première étape de la réduction du dioxygène est la formation d’ions superoxydes (O2–) et ces radicaux (espèces ayant un nombre impair d’électrons) réagissent fortement avec les molécules des solvants organiques classiquement utilisés en systèmes Li-ion. − L’électrode positive est le lieu où se produit une réaction entre un gaz (O2) et une espèce dissoute (Li+), à la surface d’un solide (carbone/catalyseur), ce qui est l’équivalent du point triple des piles à combustible et qui constitue toujours un des problèmes qui en limite l’utilisation à grande échelle. Comme on peut donc le voir grâce à cet exemple, le chemin sera long avant que ce système atteigne une maturité suffisante pour en assurer la commercialisation à grande échelle, mais savoir relever ce type de défis est une nécessité. Ces deux stratégies (améliorer les systèmes

Figure 14

B 4,5

2Li+ + 2e– + O2

Li2O2

4,0 3,5

Catalyseur

3,0

Principe et constituants d’un accumulateur Li-O2 (A) et sa courbe Voltage-Composition avec réactions associées (B).

2,5

2Li+ + 2e– + O2

2,0

Électrode composite poreuse (+ve)

Le stockage de l’énergie dans le monde des transports

− La réaction utilisée (2Li(s) + O2 (dissous) Li2O2 (s)) est théoriquement capable de fournir une densité d’énergie égale à 2 300 Wh/kg. Un système complet ne pourra guère fournir plus de 500 Wh/kg mais cela représente déjà près du double d’une batterie Li-ion dernier cri.

− La réversibilité et la cinétique de la réaction demeurent faibles.

Tension (V)

Quels sont ses atouts ?

0

200

400

600

2Li2O2 800

1 000

Capacité (mAh/g)

243

Chimie et transports

existants et en développer de nouveaux) ne sont pas antagonistes, elles doivent être poursuivies de concert et en étroite collaboration. Il existe bien d’autres défis à relever dans ce domaine, chacun portant une partie de l’avenir du stockage électrochimie de l’énergie à grande échelle. 1.6.2. D’autres voies en cours d’exploration Le système lithium-soufre (Li-S)

244

Il utilise la réaction suivante : Li2S(s). Il partage 2Li2(s) + S(s) beaucoup d’atouts avec le système Li-O2 : mêmes capacités élevées et oxydant bon marché et non métallique (S), mais aussi quelques-uns de ses inconvénients tels que l’anode constituée de Li métallique. Ce système présente aussi de grands avantages : l’oxydant n’est pas gazeux, la cinétique de la réaction en charge ne nécessite pas l’utilisation de catalyseurs, le solvant n’est pas attaqué par un produit de la réaction. Mais alors, où est le problème ? Il se situe principalement au niveau des polysulfures, les intermédiaires réactionnels entre S(s) et son produit final réduit, Li2S(s). Ces polysulfures (Sx2– avec x > 2) partiellement réduits sont solubles dans l’électrolyte, ils peuvent donc y migrer, à l’intérieur de l’accumulateur, de la cathode vers l’anode, où ils sont alors réduits et forment une couche isolante de Li2S. Il en résulte un blocage de fonctionnement et une perte irréversible de matière active. De nombreuses avancées ont été récemment réalisées pour éviter ce problème, ce qui laisse prévoir une issue commerciale positive pour cette technologie.

La technologie Na-ion où le lithium est substitué par le sodium Ceci peut sembler à première vue chimiquement simple, mais nous ne disposons pas encore d’un panel de matériaux d’électrode suffisamment large, ni des électrolytes adaptés, pour que ce système soit pour le moment viable. Au cours des cinq dernières années, les progrès ont été conséquents, les efforts nombreux, au point qu’on peut à présent envisager une commercialisation d’ici une dizaine d’années. L’attrait pour cette technologie est lié à l’abondance du sodium, et donc au plus bas coût de ses dérivés par rapport au Li, mais aussi à la possibilité de remplacer le collecteur de courant en cuivre (cher et dense) par un collecteur d’aluminium qui ne s’allie pas à Na. Au bilan, la masse molaire de Na (~23 g·mole –1) étant nettement plus élevée que celle de Li (~7 g·mole –1), les densités d’énergie massique et volumique d’un accumulateur Na-ion seront plus faibles (~15 %) que celles d’un accumulateur Li-ion, mais son coût sera diminué d’au moins 30 % environ. Les accumulateurs dits « à circulation » ou « Redox-Flow » Ils sont à mi-chemin entre les accumulateurs classiques et les piles à combustible, et sont commercialisés depuis une vingtaine d’années pour des applications stationnaires de grande échelle, souvent associés à des parcs d’éoliennes. La particularité essentielle de cette technologie et son aptitude à découpler énergie et puissance. Comment parvenir à ce résultat surprenant ?

PUISSANCE

Red1 ÉNERGIE Réservoir 1

Red2 Ox2

e-

Red1

ÉNERGIE Réservoir 2

Red2

Ox1 anions

Ox2

Cellule Électrochimique Les substances électrochimiquement actives sont des espèces en solutions (Ox 1 et Red2), stockées dans des cuves externes d’où elles sont pompées pour alimenter la cellule électrochimique où a lieu la réaction (Ox1 + Red2 Ox 2 + Red1). Les produits de la réaction (Ox 2 et Red1) retournent ensuite dans la cuve de stockage. Ce découplage permet de fixer indépendamment l’énergie et la puissance que peut délivrer le système. Plus les volumes de solutions actives (anolyte et catholyte) sont importants, plus la quantité d’énergie stockée sera importante. Plus la taille/surface de la cellule sera élevée, plus le système sera puissant. Les systèmes installés reposant sur ce principe utilisent des solutions aqueuses, relativement peu concentrées en espèces actives en comparaison d’électrodes solides, d’où des densités d’énergie peu élevées (30 kW/kg) mais un coût très compétitif. L’un des objectifs à atteindre étant d’augmenter de manière notable la densité d’énergie, l’une des solutions proposées

et actuellement à l’étude est d’utiliser des suspensions conductrices (encres) de grains solides actifs (Li-ion), plutôt que des solutions. Les problèmes rencontrés sont alors d’ordre dynamique, rhéologique, tribologique, et nécessitent donc une expertise en dynamique des fluides et des suspensions.

Le stockage de l’énergie dans le monde des transports

Ox1

Figure 15 Principe de la technologie RedoxFlow (batteries à circulation) montrant le découplage possible entre énergie et puissance.

La synthèse de matériaux d’ électrodes à température ambiante Actuellement, produire une batterie Li-ion qui stocke 1 kWh requiert une dépense énergétique d’environ 400 kWh, ce qui signifie que le bénéfice énergétique n’apparaîtra que bien au delà de plusieurs centaines de cycles d’utilisation. Ceci justifie un autre de nos axes de recherche voué à la biominéralisation, c’est-à-dire l’utilisation de micro-organismes tels que des bactéries, dont certaines disposent d’un métabolisme permettant la concentration d’espèces dissoutes dans leur milieu de vie, et la précipitation de matériaux solides à partir de ces éléments concentrés. Nous

245

Chimie et transports

cherchons également à tirer bénéfice de ces phénomènes biologiques pour contrôler la composition, la structure cristallographique et l’organisation de ces matériaux d’origine biotique. 1.7. Conclusions Le défi énergétique mondial actuel est multi-échelles mais nous n’avons pas d’autre choix que de réussir cette transition « énergies fossiles » → « énergies renouvelables ». Disposer de systèmes de stockage d’énergie transportables qui soient à la fois performants, bon marché, sûrs et aisément recyclables n’en est qu’un maillon, mais il est essentiel à la réussite de l’ensemble. Comme montré au travers de ces quelques exemples, les progrès dans ce domaine sont constants, et les pistes restant à explorer sont nombreuses. Atteindre ce but est possible, à conditions de favoriser encore davantage les échanges avec les autres communautés (théoriciens, biologistes, mécanique des fluides, recyclage, sécurité…). Au-delà du stockage pour le transport, rappelons que l’Humanité n’est actuellement capable de stocker qu’environ 1 % de sa consommation énergétique. Une transition énergétique vers plus de sources d’énergies renouvelables, intrinsèquement intermittentes et diffuses, nécessitera donc de progresser aussi, par exemple, dans la conception de réseaux de distribution optimisés (smart-grid).

246

L’énergie est notre bien commun. Nous ne pourrons réussir qu’ensemble.

2

Chimie et transport, quel rapport ? par François Darchis

On peut se poser la question de savoir si le transport et la chimie ne sont pas deux industries complètement séparées, la chimie n’intervenant que sur quelques éléments comme les plastiques et autres matériaux du véhicule. Ce chapitre montre qu’une entreprise comme Air Liquide traditionnellement classée dans le domaine de la chimie est concernée au-delà des matériaux qui composent l’automobile. L’industriel répond en général à une sollicitation du marché ; il commence donc par se poser la question de savoir quels sont les marchés et voit ensuite en quoi son entreprise, avec son savoir technologique, est capable de satisfaire ces marchés. Dans le domaine des transpor ts, les marchés, ceux d’aujourd’hui comme ceux de demain sont, étonnants dans la mesure où ils sont et seront créés par la contrainte. 2.1. L’industrie des transports va devoir se réformer Aujourd’hui, notre société évolue selon des grandes tendances. Ces évolutions ont bien sûr une influence sur nos transports. Tout d’abord, l’une des grandes tendances de notre société que l’on peut citer est l’augmentation de la population mondiale : les projections à 2050 sont à neuf milliards d’habitants, et cette population sera surtout issue

Figure 16

Population mondiale : estimations et projections (en milliards d’habitants)

Prévisions d’évolution de la population mondiale de 1800 à 2025.

8

6

Nous avons vécu ces vingt ou trente dernières années avec l’idée d’une séparation entre d’un côté les classes moyennes dans les pays développés, et du coté des pays émergents, des classes laborieuses fabricant des produits pour les classes moyennes. Cette vision a tendance à disparaître, et l’appétit pour les produits de classes moyennes comme ceux des industries du parfum, de l’automobile, du textile est désormais plus fort dans les pays dits en développements, qui vivent une accélération de croissance plus forte que ce que l’on a pu connaître en Europe. Le graphique de la Figure 17 montre q u ’e n 2 0 0 9, 1 200 000 000 de personnes appar tenaient à la classe moyenne dans les pays à économie avancée contre 400 000 000 dans les pays émergents. En 2030, il y aura égalité entre les deux, et en 2050, il y aura deux milliards de personnes appartenant à la classe moyenne dans les pays émergents contre un milliard quatre cent millions de personnes dans les pays avancés, c’est-à-dire à peu près autant qu’aujourd’hui.

4

2 Pays développés 0 Pays en développement 1750 1800 1850 1900 1950 2000 2050

L’appétit, en ter mes de consommation, de ces deux milliards d’habitants des pays à économie émergente sera égal à l’appétit de consommation que nous connaissons aujourd’hui dans les pays à économie avancée. Évidemment, tout cela entraîne et entraînera des contraintes extrêmement fortes, sur l’alimentaire, sur les loisirs mais également sur le transport avec une demande plus forte de transports individuels. Enfin, la croissance de la population mondiale et de la classe moyenne va de pair avec une urbanisation croissante de cette population (Figure 18), qui ne se bornera pas à vivre dans la ville mais y circulera,

Figure 17 Évolution de la taille de la classe moyenne riche sur les cinquante prochaines années. Source : Carnegie

2 500

Population (millions)

Ensuite, les conséquences de l’évolution démographique sur les transports résultent non seulement de l’effet d’une augmentation de population mais aussi de celui d’une population qui a des envies, et essentiellement des envies de classes moyennes.

Le stockage de l’énergie dans le monde des transports

des pays en développement (Figure 16). Or, une population plus nombreuse implique une demande en transports plus importante.

2 000 1 500

1 000

500 0 2009

2020

Économies avancées

2030

2050

Économie émergente du G20

247

Chimie et transports

Londres Paris

Moscou Istanbul Lahore

Los Angeles New York

Karachi Lagos

Le Caire

Mexico Rio de Sao Paulo Janeiro

Kinshasa

Pekin New Séoul Delhi Dacca Shanghaï

Canton Shenzhen Bombay Calcutta (Mumbai) Madras (Chennai) Djakarta

Tokyo Osaka-Kobe Manille

Buenos Aires Perspectives de croissance des agglomérations Millions de citadins Évolution 35 1950 20 10 2007

Figure 18 Prévisions à 2025 de l’évolution de l’urbanisation mondiale. Une urbanisation croissante pour une concentration du trafic jamais vue. Source : World urbanization prospects : the 2007 revision, UNDESA, population division, New York

ce qui entraînera une concentration de trafic jamais vue. La population de la classe moyenne se retrouvera essentiellement dans des villes. Les prévisions convergent donc sur trois points : plus de monde, avec un fort appétit de consommation de transports, en particulier individuels, dans des zones urbanisées : c’est l’indication d’une catastrophe assurée (Figure 19) si rien n’est fait : − embouteillages géants et récurrents, bruit permanent ; − dégradation de la qualité de l’air ; − changement climatique. On commence déjà à atteindre les limites du système actuel de transports : par exemple en Chine, quand Beijing ou Shanghai sont touchées par la brume sèche (brouillard de pollution), il est impossible de vivre et respirer sainement.

248

En tant qu’industriel et en tant qu’entreprise technologique, Air Liquide se pose la question suivante : y aurait-il de nouvelles technologies à introduire pour éviter cette catastrophe ? Comment pouvons-nous contribuer à relever ce défit ?

2025 (projections des Nations unies)

2.2. Un défi à l’échelle mondiale que relève de l’Europe C’est l’Europe qui a été la première à se poser la question de savoir comment réduire les émissions de CO2, au delà du protocole de Kyoto. L’Europe a agit dans ce sens, d’une part parce qu’elle a une forte implantation de l’industrie de l’automobile, et d’autre part parce qu’elle possède une conscience citoyenne assez forte, liée aux démocraties qui la composent. Le graphique de la Figure 20 montre que l’objectif de l’Europe est une réduction globale de 80 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050, et que l’un des secteurs qui a le plus fort potentiel de réductions de ses émissions est celui du transport. 3 Ainsi, on peut atteindre dans le secteur de l’énergie entre 95 % et 100 % d’abattement5, mais seulement 20 % dans l’agriculture, car il est vrai que dans ce secteur, les baisses d’émissions sont plus com5. Voir l’ouvrage Chimie et enjeux énergétiques, coordonné par M.-T. Dinh-Audouin, D. Olivier et P. Rigny, EDP Sciences, 2013.

Le stockage de l’énergie dans le monde des transports Figure 19 Changement climatique, saturation, embouteillage, dégradation de la qualité de l’air… l’industrie du transport de nos jours rencontre des limites ! Crédits : Licence CC-BY-2.0, NOMAD

Figure 20 Objectifs des réductions d’émissions de gaz à effet de serre en Europe par secteur d’ici 2050. L’Europe s’engage à réduire de 95 % des émissions de CO2 pour les transports routiers. Source : www.roadmap2050.eu Secteur 5,9 5,2

5,3

5,4

1,2

1,2

1,2

0,9

0,9

1,0

0,5

0,6

0,7

1,1

1,0

1,0

0,9

0,9

0,9

0,5

0,3 0,4

0,3 0,3

Énergie

–80 %

0,2

1990

2010

2030

2050

1,2 0,4 0,6 – 0,3

2050 réduit 

0,1 0,1 0,0 – 0,2

95-100 %

Transport routier

95 % 

Transport aérien et maritime

50 %

Industrie

40 %

Bâtiment

95 % 

Déchets

100 %

Agriculture Forêts

Prévisions de l’IEA (International Energy Agency)

Réduction totale

20 % –0,25 Gt CO2e

249

Chimie et transports

pliquées à réaliser : une vache émettra toujours autant de méthane que par le passé, d’autant qu’il y aura de plus en plus de vaches ! En ce qui concerne l’habitat, cela s’améliorera progressivement mais la volonté de l’Europe est que l’industrie du transpor t réduise ses émissions au delà des 80 % prévus, avec comme objectif 95 % pour les transports routiers. L’industrie de l’automobile en 2050 devra donc être capable d’émettre 95 % d’émissions de CO2 en moins par rapport aux années prises en référence, sachant que la population sera à peu près la même, donc que l’on aura à peu près le même nombre de personnes à transporter sur à peu près les mêmes distances. C’est donc un enjeu absolument colossal. 2.3. La voiture à hydrogène est-elle une réponse possible ?

250

La Figure 21 permet de comparer différentes motorisations de voitures en fonction de critères facilement compréhensibles pour chacun ; c’est-à-dire d’une part les émissions en gramme de CO2 par kilomètre du puits à la roue (de l’extraction et de la synthèse du carburant ou du vecteur d’énergie jusqu’à son utilisation dans le moteur) et d’autre part l’autonomie. L’autonomie est le vrai défi du transport : nous voulons tous aller à l’endroit qui nous fait envie, sans devoir nous restreindre au niveau du transport. De plus, la réflexion ne peut pas se limiter au transport urbain car c’est une vue

de l’esprit de considérer que tout le monde aura deux voitures, une pour la ville et une seconde pour aller d’une ville à une autre. Les contraintes des transpor ts inter-cit y et intra-city devront donc converger. Aujourd’hui, nous utilisons l’essence et le diesel, qui permettent une autonomie de l’ordre de mille à mille trois cents kilomètres. La moyenne des émissions de ces véhicules, aujourd’hui de 190 g de CO 2 par km peut au mieux d’après les constructeurs baisser à 100 g de CO2 par km d’ici 2050 (Figure 21), ce qui est loin de l’objectif fixé pour les transports routiers (-95 % c’est-à-dire 10 g CO2 /km). Par ailleurs, pratiquement tous les cinq ans, il y a une diminution du niveau d’émissions autorisées par les normes Européennes. L’hybride permet de diminuer les émissions tout en conservant une assez grande autonomie. En 2050, les véhicules hybrides devraient être autonomes sur 1 000 à 1 200 km mais ils n’ont pas le potentiel d’atteindre les 95 % de réduction d’émissions puisqu’audelà de 200 km au plus, la propulsion se fait via le moteur thermique et l’essence ou le diesel, ce qui émet autant de CO2 qu’un véhicule classique (le mix électrique européen pour l’alimentation de la batterie). Étant donné le mix électrique européen, le véhicule à batterie émet aujourd’hui environ 60 g de CO2 par kilomètre. Il a le potentiel d’atteindre l’objectif de 10 g de CO 2 /km en 2050 avec la mise en place de plus d’électricité décarbonée

2010

180 160

Essence/diesel

140

2010

120

2010

Hybride

100 80

2050 2050

Hydrogène

60

2010

40

Batterie

20

2050

2050

0 0

200

400

600

(renouvelable ou nucléaire). Cependant, même en 2050, les constructeurs estiment aujourd’hui que l’autonomie de ce véhicule sera limitée à environ 200 km. Or, il n’est pas possible de demander à l’utilisateur d’un véhicule de ne rouler que deux cents kilomètres afin de respecter ce niveau d’émission. Une solution possible est l’hydrogène (Figure 21) : on en parle depuis cinquante ans, et pourtant les voitures à hydrogène ne roulent toujours pas en nombre sur nos routes. Il n’empêche qu’aujourd’hui déjà, les voitures à hydrogène fabriquées par les constructeurs ont une autonomie de 600 km, environ pour un plein de trois minutes, et des émissions de CO 2 20 à 30 % plus faibles que les véhicules à essence ou au diesel. Elles n’émettent que de l’eau au pot d’échappement, ce qui permet de régler le problème de pollution par les particules fines, et sont aussi silencieuses que les voitures à batteries puisqu’elles

800

1 000

1 200

1 400 1 600 Autonomie (km)

Diagramme de l’émission de CO2 en gramme de CO2 du puits à la roue par km, en fonction de l’autonomie du véhicule (constructeurs ayant participé à l’étude qui a permis de produire ce graphique : BMW AG, Daimler AG, Ford, General Motors LLC, Honda R&D, Hyundai Motor Company, Kia Motors Corporation, Nissan, Renault, Toyota Motor Corporation, Volkswagen. Source : rapport EU coalition

Le stockage de l’énergie dans le monde des transports

Figure 21

Émissions (gCO2/km) 200

sont elles aussi équipées d’un moteur électrique. Ce moteur est alimenté en électricité via une pile à combustible qui assure la transformation de l’hydrogène en électricité. De plus, les 120 g de CO2/km émis aujourd’hui viennent du fait que l’hydrogène est surtout produit à partir de gaz naturel, procédé qui émet du CO2. Mais un certain nombre de projets sont en cours pour limiter, voire éliminer la production de CO2 lors de sa production (séquestration de CO 2, utilisation de biométhane dans le process de réformage, électrolyse avec électricité décarbonée ou gazéification de biomasse). Grâce à ces actions, la voiture à hydrogène a le potentiel d’atteindre l’objectif de réduction de 95 % des émissions en 2050 du puits à la roue (10 g CO2/km), tout en offrant une autonomie de l’ordre de 600 à 800 km. Voici donc le lien que l’on peut faire entre transport et chimie puisqu’à partir du moment où l’on cite le mot hydrogène, on entre dans le domaine de la chimie…

251

Chimie et transports

L’hydrogène est une molécule chimique, il faut la produire, la stocker, la distribuer et la convertir (Figure 22) en électricité.

Figure 22 Le cycle de production d’électricité à partir de l’hydrogène. Source : Air Liquide (sauf centrale thermique, réservoir et véhicule électrique à hydrogène)

252

L’hydrogène est l’un des atomes les plus abondants de l’univers, mais on le trouve très peu isolé d’autres éléments sous la forme de dihydrogène (H2), qui est la molécule que l’on utilise pour faire de l’électricité dans une pile à combustible. Cette molécule est cependant facilement synthétisable. La production à partir du gaz naturel est la voie la plus traditionnelle qui permet de concentrer en un seul endroit l’émission de CO2. Mais un certain nombre d’autres solutions permettent de produire l’hydrogène : − la biomasse, peut être utilisée soit pour produire du biométhane qui peut être réformé en H2 comme le gaz naturel,

soit pour être gazéifiée et produire un syn gaz riche en hydrogène ; − l’hydrogène peut être fabriqué à partir d’électricité (éolien, photovoltaïque et centrales thermiques, nucléaire) ; − le procédé de fabrication d’hydrogène à partir de gaz naturel peut être complété par des moyens de captage et de séquestration du CO2. Produire de l’hydrogène n’est pas difficile : Air Liquide par exemple a aujourd’hui un chiffre d’affaires de l’ordre de 1,5 milliards d’euros de production d’hydrogène pour le raffinage essentiellement. Une fois la molécule produite, il faut la stocker, et deux options sont possibles : à l’état liquide ou gazeux. L’état liquide est un peu compliqué à gérer car il faut se placer à des températures extrêmement basses. Le stockage

Distribuer l’hydrogène n’est pas un souci. Aujourd’hui, il est distribué par pipeline et camions. La dernière étape est la conversion de l’hydrogène en électricité, et c’est le domaine de l’électrochimie que maîtrisent les fabricants de l’automobile qui sont à la recherche de la meilleure pile à combustible. La pile à combustible La pile à combustible, à la différence de la pile lithium-ion ou tout autre pile, est faite de matériaux relativement simples. À une électrode, l’hydrogène est dissocié : H2 → 2H+ + 2e–. Les électrons libérés circulent dans le circuit extérieur vers l’autre électrode, où ils réagissent avec l’oxygène de l’air : O2 + 4e– → 2 O2–. Dans la pile, le courant est assuré par les ions H+ qui migrent à travers une membrane et réagissent à l’électrode alimentée en air pour former de l’eau : 4H+ + 2O2– → 2 H2O. Le principe de la pile à combustible est simple, mais néanmoins, la rendre compétitive est encore difficile (Figure 23). Les véhicules équipés de pile à combustible sont encore aujourd’hui très

Le stockage de l’énergie dans le monde des transports

gazeux est la solution la plus simple, l’hydrogène se comprime assez bien à 700 bars.

chers car ils sont produit en petit nombre, mais ils ont un potentiel de réduction de coût de l’ordre de 90 % d’après les constructeurs (rapport EU coallition). Actuellement, l’hydrogène coûte déjà le même prix que le fioul à condition que la station qui le distribue ait un passage important : s’il faut environ huit litres d’essence pour rouler cent kilomètres, cela coûte hors TVA environ 8 × 1,2 € = ~10 €. Or, pour rouler 100 km, un véhicule hydrogène consomme 1 kg d’hydrogène à 10 € si la station est beaucoup utilisée. Donc le coût total de possession d’une voiture à hydrogène est aujourd’hui beaucoup plus élevé que celui d’un véhicule essence ou diesel. En plus du prix qui est l’élément qui prime, la compétitivité d’une nouvelle technologie dépend d’autres facteurs car les consommateurs ne veulent pas changer leurs habitudes : − le premier point est la sécurité hydrogène (véhicule et pompe); − la fiabilité : la station d’hydrogène et le véhicule doivent être toujours disponibles ; − la proximité : il doit y en avoir partout ; − la rapidité : le plein d’hydrogène doit pouvoir être fait en quelques minutes.

Figure 23 Compétitivité prix et hors prix de la filière à hydrogène. Photos : Air Liquide/Fabien Mangeot

253

Chimie et transports

Le champ des contraintes n’est pas négligeable, et il en est de même actuellement pour la voiture électrique pour laquelle peu de clients sont prêts à accepter qu’elle se recharge en huit heures. Rendre la voiture à hydrogène compétitive représente donc un défi pour lequel il faut prendre un cocktail impressionnant de mesures qui concernent : − d’abord la proximité : il faut avoir une distribution géographique des stations qui permette de circuler sans contrainte. Cela repose sur une décision politique car la seule possibilité pour arriver à cette fonction est la puissance publique. C’est ce qui est fait en Allemagne (Figure 24), mais ce n’est pas encore le cas en France. En Allemagne un programme associe l’ensemble des partenaires Daimler, Shell, Total, OMV, Linde et Air Liquide, pour installer d’ici 2070 un réseau de remplissage hydrogène cohérent qui permettra de traverser le pays sans rencontrer de souci de remplissage, sachant qu’une fois que l’on est arrivé à la station, la vitesse de remplissage demeure la même que

Figure 24 Exemple de plan de distribution de stations à hydrogène en Allemagne (objectif H2 Mobility Germany) : on commence par les grandes agglomérations et les grands axes qui relient entre elles avant de mailler tout le territoire.

254

pour un véhicule diesel ou essence : en trois minutes le plein sera fait ; − le prix : les automobilistes pourront accepter de payer une voiture « propre » 20 à 30 % plus cher, notamment pour des véhicules du haut de gamme, et les premiers usagers auront envie de démontrer le caractère vert comme c’est relativement le cas en Allemagne. Pour cela, l’alliance des constructeurs automobiles est absolument indispensable. Aujourd’hui, Daimler Renault-Nissan et Ford se sont associés pour codévelopper une pile à combustible, et Toyota et BMW sont en train de concevoir l’ensemble de la chaîne de propulsion ; − pour la sécurité, beaucoup de travaux sont en cours, essentiellement normatifs de concert avec les autorités, notamment au niveau de l’Europe ; − pour la fiabilité, des programmes sont en cours de démonstration. On passera systématiquement par des programmes qui mettront des véhicules sur la route et qui démontreront en particulier à la population que ni la sécurité ni la fiabilité ne sont à mettre en cause.

Les solutions existent, notamment la voiture à hydrogène, mais comme pour le « Guépard » : « pour que rien ne change il faut tout que tout change ».

teur de ce changement parmi tant d’autres : les autorités, pour tout ce qui concerne l’aspect règlementaire ; les pétroliers, qui devront construire des stations hydrogène ; d’autres industriels du gaz pour mettre les technologies à disposition, ainsi que les constructeurs automobiles.

À savoir que pour que chacun puisse prendre la voiture, aller à l’endroit où il veut, avoir l’autonomie, l’utiliser en pleine sécurité, se sentir bien dans la voiture électrique, il faut tout changer.

Il faut que tout change :

Un industriel de la chimie comme Air Liquide est un ac-

…un énorme défi pour l’industrie.

− la perception des consommateurs ; − les acteurs ; − la technologie ;

Le stockage de l’énergie dans le monde des transports

2.4. Le développement durable des transports automobiles représente un énorme défi industriel

− le modèle d’affaire.

255

7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN

et

mobilité

Daniel Bursaux est Directeur général des infrastructures des transports et de la mer au ministère de l’Écologie, du développement durable et de l’énergie.

La chimie est au cœur des enjeux techniques et économiques des transports − enjeux d’innovation et de compétitivité pour les matériaux, les équipements, les moteurs… ; − enjeux environnementaux, en ce qui concerne la réduction des effets non souhaités des transports, en termes par exemple d’émissions de gaz à effet de serre, de bruit ou de pollution atmosphérique… ; − enjeux de développement durable, avec la recherche de sources d’énergies nouvelles pour une consommation énergétique plus sobre et mieux maîtrisée, et de techniques innovantes de construction d’infrastructures de transport qui soient toujours plus économes des ressources naturelles. Mon propos sera tourné vers la prise en compte de ces aspects dans les politiques publiques de transport que le gouvernement souhaite mettre en œuvre. Plus particulièrement : − comment les améliorations du génie chimique contribuentelles à nous faire retrouver une qualité de vie parfois détério-

rée par les nuisances liées au transport ? − comment les progrès de la science chimique rendent-ils nos systèmes de transport plus performants ? − et enfin, quelle place occupe la chimie dans nos grands programmes publics de recherche et d’innovation consacrés aux transports et à la mobilité ?

La politique génerale des transports

1

Mais avant d’aborder ces trois points plus en détail, je voudrais poser quelques perspectives qui mettent en relief notre politique générale des transports. En effet, « la mobilité des biens et des personnes a vu de profonds changements et notre siècle pourrait connaître un accroissement considérable des déplacements, pour toutes les catégories de population ». Le besoin de se déplacer et de transporter des produits est indissociable du fonctionnement des économies, et plus généralement de la

Daniel Bursaux

Qualité de vie

Chimie et transports

Figure 1 Le transport est indissociable du fonctionnement de la société humaine, et contribue au développement de la vie personnelle et sociale.

société humaine. Il est devenu au fil du temps incontournable. Le secteur des transports représente lui-même un poids économique considérable dans l’activité économique française : la seule branche « transport » représente plus de 1,2 millions d’emplois directs ; la dépense totale de transport représente quant à elle quelque 350 milliards d’euros, soit 18 % du PIB. Or, offre et demande de transport s’influencent mutuellement : la mobilité interagit avec l’aménagement du territoire et l’occupation des sols, les activités économiques et les modes de vie. Les choix en matière de transport sont donc indissociables des politiques économiques et industrielles ainsi que d’aménagement du territoire et d’urbanisme. Les économistes disent que le transport est un « bien in-

termédiaire », c’est-à-dire en principe non recherché pour lui-même. C’est néanmoins un service essentiel qui permet de répondre aux besoins fondamentaux de nos entreprises et de nos concitoyens (acheminement de matières premières ou de produits finis agricoles et industriels, trajets domicile-travail, accès aux services publics…). Les transports permettent aussi de contribuer au développement de la vie personnelle et sociale (culture, tourisme, ouverture sur les autres…). Les services de transport sont donc créateurs de valeurs (Figure 1). Ainsi le bon fonctionnement des systèmes de transport est-il un facteur essentiel, non seulement à la compétitivité de l’économie, mais aussi à la solidarité entre les personnes et entre les territoires. Le principal enjeu pour l’État dans ce domaine est donc de conduire une politique permettant de concilier ces enjeux et les attentes sociales des Français, qu’ils soient clients quotidiens ou occasionnels, riverains, mais aussi employés des entreprises de ce secteur. Mais les transports génèrent aussi des nuisances, comme le bruit, la pollution, la consommation des espaces et des ressources non renouvelables. En 2011, notre appétit pour la mobilité se traduisait par 27 % de nos émissions nationales de gaz à effet de serre, 36 % de nos émissions de CO2 et 32 % de notre consommation énergétique finale1.

258

1. Corrigée du climat, hors consommation du secteur de l’énergie.

Qualité de vie et mobilité Selon un sondage de l’INSEE effectué en 2010, parmi les « problèmes » qui concernent le plus nos concitoyens dans leur vie quotidienne, sont cités en priorité : le manque de transports en commun (20 %), l’excès de bruit (19 %) et la mauvaise qualité de l’air (13 %), bien devant la dégradation générale de l’environnement et les risques naturels ou industriels (7 % à 3 %). J’y reviendrai. La croissance continue des déplacements : effectivement la croissance économique mondiale depuis la Seconde Guerre mondiale a été dynamisée par le développement des échanges de marchandises (Figure 2), de l’ordre de 6 % par an en moyenne depuis 1950. Ces échanges ont été eux-mêmes rendus possibles par le faible coût unitaire relatif du fret : à l’international celui-ci est en effet passé, en pourcentage de la valeur de la marchandise, de 12 % en 1950 à 5 % aujourd’hui. Et les prévisionnistes anticipent une poursuite de la croissance des échanges, même si ce sera certainement à un rythme plus modeste. S’agissant des transports de personnes, leur évolution illustre bien l’effet « système »

qui pèse sur les politiques de transpor t et d’urbanisme. C’est ainsi que la distance moyenne des déplacements domicile-travail s’est allongée de 20 % en quinze ans, entre 1994 et 2008, en relation avec l’étalement urbain. En revanche le temps de trajet évolue peu : mais si les Franciliens consacrent en moyenne 1 heure 20 par jour à leurs déplacements, la structure de ce territoire est telle qu’ils mettent en moyenne plus d’une demi-heure pour aller travailler, contre 17 minutes en province (données 2010).

Figure 2 Le besoin de transporter des produits (matières premières, marchandises) a considérablement augmenté depuis un demi-siècle.

Et pourtant 2 , les évolutions constatées au cours de la dernière décennie dans les comportements de mobilité des personnes marquent une rupture avec les tendances passées. Nous constatons un ralentissement de la croissance de la mobilité individuelle depuis 2004-2005. Et, grâce à une politique volontariste de tous les acteurs, le recul de la voiture est aujourd’hui ef fec tif dans

2. Le point sur la mobilité urbaine en France, Centre d’études sur les réseaux, les transports, l’urbanisme et les constructions publiques, 2012.

259

Chimie et transports

mars 20114 pose le défi de « rompre la dépendance du système de transport à l’égard du pétrole, sans sacrifier son efficacité ni compromettre la mobilité ». À l’horizon 2050, il affiche l’objectif d’une réduction de 60 % des émissions de gaz à effet de serre pour le secteur des transports, par rapport à leur niveau de 1990. En France, la feuille de route pour la transition écologique, issue de la Conférence environnementale de septembre 2012, rappelle l’urgence de l’efficacité énergétique. Figure 3 La fréquentation des transports collectifs a explosé devant les transports induviduels.

certaines grandes agglomérations, où sa part modale est passée sous la barre symbolique des 50 % 3, alors qu’elle est de 66 % dans les villes « moyennes ». La fréquentation des transports collectifs a, quant à elle, littéralement explosé, puisqu’elle a crû de 30 % entre 2000 et 2010 dans les agglomérations de plus de 250 000 habitants (Figure 3). Mais, à l’avenir, un facteur clé sera indubitablement le coût et la disponibilité de l’énergie. Nous voyons déjà progresser la « dépendance énergétique » par rapport aux nécessités fondamentales que sont le chauffage et le transport. Cela est vrai notamment chez les familles habitant des espaces peu denses (en périurbain, ou en rural) et cela se vérifie à chaque poussée du prix du pétrole ou du gaz. C’est un enjeu tellement essentiel que le Livre blanc sur les transpor ts de la Commission européenne de

260

3. Lyon, Grenoble, Strasbourg.

Avant de parler plus précisément de chimie, je souhaite vous donner un rapide éclairage sur les grandes orientations du ministère. Après une période de lancement de grands travaux (quatre LGV 5 en construction), le gouvernement entend maintenant donner la priorité aux transports du quotidien, à la réduction de la fracture territoriale, à la rénovation des réseaux existants et au soutien à la compétitivité économique du pays. C’est dans cet esprit que le ministre a installé en octobre 2012 une commission nommée « Mobilité 21 », composée de parlementaires et d’experts reconnus, afin d’établir un diagnostic global sur la pertinence et la faisabilité des nombreux projets prévus au Schéma national des infrastructures de transport. Cette commission a pour tâche de 4. Feuille de route pour un espace européen unique des transports – Vers un système de transport compétitif et économe en ressources, Commission européenne, mars 2011. 5. Ligne à Grande Vitesse.

En Ile-de-France, le Premier ministre a donné, le 6 mars 2013, un nouvel élan à la modernisation du réseau d e t r a n s p o r t s . Av e c l e « Nouveau Grand Paris », plan qui regroupe le Grand Paris Express (montant de 26 Mds€ à l’horizon 2038) et le plan de mobilisation pour les transports de la Région (7 Mds€ à l’horizon 2017), le Gouvernement a décidé de s’engager avec le Conseil régional pour mettre fin à la saturation du réseau et le moderniser, désenclaver les territoires et stimuler l’économie régionale. Hors Ile-de-France, l’État participe également au développement des réseaux de transport collectif. Le gouvernement va prochainement annoncer le lancement d’un nouvel appel à projets : 450 M€ seront ainsi destinés à promouvoir de nouveaux réseau de BHNS, tramways, métro ou navette fluviales. Entre 2008 et 2016, ce sont ainsi entre 1 000 et 1 200 km de tramway et de Bus à haut niveau de service qui auront été créés grâce au soutien de l’État. Autant d’infrastructures favorisant le report modal. Et l’État va engager, dès cette année 2013, le renouvellement du matériel « Intercités » à bout de souffle. Après avoir parlé des transports en général, j’en viens

maintenant plus directement à notre sujet, le rôle de la chimie dans ceux-ci.

2

Le rôle de la chimie dans les transports

Qualité de vie et mobilité

dégager des recommandations portant sur les principes d’un Schéma national de mobilité durable, reposant à la fois sur les infrastructures et les services nationaux de transport de voyageurs et de marchandises. Ses recommandations sont attendues pour le mois de juin de 2013.

Comment le génie chimique (ou plus largement la physicochimie) permet de réduire certains effets non souhaités des transports sur notre environnement et notre cadre de vie ? En commençant par le bruit : les 2/3 des Français se disent gênés par le bruit à leur domicile6 et, pour un peu plus de la moitié (54 %) de la population, ce sont les transports qui représentent la principale source de nuisances sonores. La chimie est appelée pour réduire autant que possible les émissions sonores à la source : − en agissant au niveau du contact entre le véhicule et le sol, singulièrement le contact pneumatique – chaussée ( voir les Chapitres de D. Aimon et de H. Van Damme). Il s’agit de travailler à la fois sur l’élastomère et sur l’enrobé bitumineux. C’est un compromis qui doit être trouvé entre la sécurité routière – qui exige une bonne adhérence à la route, avec une capacité de freinage sur courte distance – et la réduction du bruit – qui nécessite de réduire les frottements ; − en agissant sur le véhicule lui-même, certes au niveau de sa forme et de son moteur, mais aussi au niveau des systèmes de freinage, en particulier pour les matériels 6. Sondage TNS SOFRES, mai 2010.

261

Chimie et transports

ferroviaires (voir le Chapitre de D. Cadet). La chimie a permis de développer des semelles de freins en composite qui réduisent les émissions sonores tout en étant aussi efficaces. Le coût n’est toutefois pas le même, mais l’obligation législative a été faite aux entreprises ferroviaires de contribuer « à la réduction du bruit dans l’environnement en adaptant notamment les dispositifs… de freinage de leurs matériels roulants »7.

véhicules et à l’usure des routes, des caténaires, des pneus et des freins. Les émissions liées à l’abrasion représentent entre la moitié et le tiers des PM. Un problème spécifi que se pose dans les enceintes confinées, comme les stations et couloirs du métro ou du RER, caractérisées par des concentrations importantes en particules fines et en éléments métalliques issus du frottement des éléments mobiles en contact.

La qualité de l’air est une préoccupation majeure. On estime que plusieurs millions de Français vivent dans des zones où les valeurs limites annuelles relatives aux particules fines (les « PM8 ») ne sont pas respectées. Mais quelle est la part des transports ? Un peu moins de 20 % des particules fines lui sont imputables, cette proportion étant plus élevée dans les grandes agglomérations et, naturellement, dans le proche voisinage des grandes infrastructures routières ; le transport émet près de 60 % des oxydes d’azote, dont la formation dépend beaucoup des conditions de combustion dans les moteurs. Le transport est également responsable d’une partie des oxydes de soufre, formés à partir du soufre contenu dans les carburants, et notamment dans les hydrocarbures lourds brûlés par les navires de mer.

La chimie est ainsi mobilisée à plusieurs titres. Non seulement pour réduire les émissions de particules et de métaux dues à l’abrasion, mais aussi pour améliorer la combustion dans les moteurs et permettre aux constructeurs automobiles de mettre sur le marché des véhicules qui respectent les différentes normes d’émission fixées au niveau européen, appelées « normes Euro » (Chapitre de S. Candel). Une législation européenne récente (directive « Eurovignette » révisée) demande aux États membres de mettre en place une modulation des redevances routières pour favoriser les véhicules respectant les normes Euro les plus élevées ; à cet égard, pour l’écotaxe sur les poids lourds, qui sera effective en octobre 2013, il est prévu une modulation d’amplitude significative de plusieurs dizaines de pourcents entre les classes Euro extrêmes.

Les émissions de particules des transports sont dues à la fois à l’échappement des

262

7. Loi n°2010-788 portant engagement national pour l’environnement, dite « Grenelle 2 ». 8. Particulate Matters.

La chimie est également mobilisée pour opérer le « rétrofit » des véhicules existants, c’est-à-dire notamment les équiper de pots catalytiques ou d’autres dispositifs de piégeage ou de transformation

Toutefois le « rétrofit » ou l’amélioration de la thermodynamique du groupe motopropulseur ne sont pas toujours suffisants. Il convient alors d’opérer des changements radicaux avec des carburants de substitution (Chapitre de S. Jullian). Pour finir sur ce sujet de la qualité de l’air, je souhaite rappeler que le 6 février 2012, la ministre de l’Écologie, du développement durable et de l’énergie a présenté les 38 mesures d’un Plan d’urgence pour la qualité de l’air (PUQA). Les transports ont également des incidences sur la qualité des eaux, tant en mer qu’à terre. La chimie nous permet de mieux connaître les conditions dans lesquelles se forment ces impacts et, partant, elle nous donne les moyens de les réduire voire de les éliminer. À terre, je mentionnerais essentiellement les eaux de ruissellement des platefor m e s au tor ou tièr e s , qui contiennent des métaux lourds relâchés par la circulation routière (pneumatiques, freins) et l’entretien des voies. 9. Directive 1999/32/CE.

S’agissant des sujets maritimes pour lesquels j’ai retenu trois thèmes, je commencerais par les sédiments de dragage. Le volume de sédiments dragués dans les ports français est de plus de 50 millions de mètres cubes annuellement, dont la majeure partie est immergée (95 %). Cette immersion est soumise à une procédure administrative, notamment en fonction de la teneur en métaux lourds, en hydrocarbures et en divers composés organiques, selon des seuils fi xés par arrêtés pris au niveau national10. Les sédiments non immergés font l’objet d’une gestion à terre en vue d’un stockage ou d’un traitement. Ils peuvent être réutilisés dans la construction, pour l’agriculture, pour des aménagements paysagers, ou être laissés sur place après traitement physique, chimique ou biologique le cas échéant.

Qualité de vie et mobilité

des éléments indésirables (Chapitre de J.-P. Brunelle). C’est ainsi que sur certains navires de mer, pourront être installés des scrubbers (ce sont des tours de lavage pour l’épuration des fumées sortant des cheminées des navires) pour répondre aux exigences de l ’Organisation maritime internationale (OMI) et d’une directive européenne9.

La chimie est largement sollicitée pour la lutte contre les pollutions marines qui, hélas, affectent encore parfois nos côtes. Nous avons en tête la pollution aux hydrocarbures causée par le naufrage de l’Erika en 1999. Les services POLMAR mettent en œuvre des matériels et des produits souvent très sophistiqués, comme les absorbants. On cherche le meilleur compromis entre leur prix de revient au litre de pétrole piégé et leur capacité d’absorption (en poids et en volume), ainsi que leur compatibilité avec les autres produits qui pourraient être mis en œuvre, la facilité à les récupérer et à les éliminer après usage. 10. Arrêté du 9 août 2006 et arrêté du 8 février 2013.

263

Chimie et transports

Le troisième sujet concerne les eaux de ballast, ou de lestage. Ces masses d’eau, embarquées généralement dans les doubles fonds des navires, contribuent, avec la cargaison, à équilibrer le navire. Lors des opérations commerciales de chargement et de déchargement des navires, l’eau des ballasts peut être rejetée, partiellement ou non. Des espèces aquatiques envahissantes, des virus et des bactéries, peuvent être chargés à bord dans les eaux de ballast, y survivre, puis, une fois rejetées dans le milieu à un autre bout du monde, s’y installer et proliférer. Une convention de l’OMI prévoit qu’en 2016, tous les systèmes de gestion des eaux de ballast des navires devront satisfaire à des normes sanitaires ad hoc. Les progrès de la physique-chimie ont permis de concevoir un grand nombre de système de traitement par substances actives, par rayonnement ou par filtration, approuvés par l’OMI et disponibles sur le marché. Je voudrais maintenant donner quelques exemples montrant que les progrès de la science chimique, pour peu que les innovations soient financièrement soutenables, rendent nos systèmes de transport plus performants.

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Le premier axe concerne les matériaux et les produits. L’accident du Titanic en 2012, au large de Terre-Neuve, a mis en évidence la nécessité d’améliorer la résistance des aciers aux chocs sous basses températures. Que de progrès ont été accomplis depuis lors, non seulement en ce qui concerne cette « résilience »

de l’acier, mais aussi pour permettre les soudures en grande épaisseur ou réduire la corrosion de l’acier. On a su également ralentir le vieillissement du béton, mettre au point des procédés à teneur en eau réduite tout en assurant des résistances mécaniques et une durabilité satisfaisantes. Tout cela concourt à augmenter la durée de vie des infrastructures de transport. Que de progrès également pour introduire les matériaux traditionnels dans le cycle vertueux du recyclage ! Réutilisation des produits de démolition, du fraisage des chaussées, des sédiments de dragage, des profilés métalliques, des déchets de pneus, etc. De nouvelles propriétés désirables ont vu le jour. On a abondamment parlé du poids, en évoquant l’allégement des véhicules (Chapitre de B. Dubost), l’aptitude au formage, au collage. Il y a aussi la volonté de réduction de l’empreinte carbone, qui a conduit au développement de nouveaux ciments et de bétons dits « verts », ou fibrés, à la recherche de molécules qui rendent le bitume soit plus dur, soit plus souple, soit plus durable, à la recherche des meilleurs sels de déneigement, ou « fondants routiers »…, voire à des innovations plus radicales comme les liants à base d’algues… Et l’impérieuse nécessité de mieux entretenir notre patrimoine a conduit à l’utilisation de matériaux composites pour renforcer les infrastructures existantes. La chimie contribue également à l’invention de produits

Le deuxième axe concerne les carburants et la motorisation. Comme on l’a vu, il s’agit de trouver sans cesse le meilleur compromis entre le poids et l’autonomie du véhicule, entre la sobriété énergétique et la sécurité, entre les énergies fossiles et les énergies renouvelables. Là aussi, que de progrès dans l’allongement de la durée de vie des véhicules et des moteurs, dans l’espacement des révisions périodiques ! Et ce n’est pas fini : il ne se passe pas de semaine au cours de laquelle on n’aborde, dans les grands médias nationaux, la question du véhicule électrique, des batteries et des infrastructures de recharge (Chapitres de H. Trintignac et de D. Larcher et F. Darchis). Le Premier ministre, en clôture de la conférence environne-

mentale de septembre 2012, a fixé l’objectif de développer d’ici une dizaine d’années des véhicules consommant 2 litres aux 100 km. On met au point en ce moment à Bruxelles un projet de directive sur les réseaux des futures « stations-ser vices » délivrant des carburants alternatifs : l’hydrogène, le gaz naturel liquéfié (GNL) et l’électricité. En France, le déploiement de bornes de recharge pour les véhicules électriques et hybrides rechargeables et le développement de l’électromobilité font l’objet d’une mission qui a été confiée en octobre dernier à M. Hirtzmann. Et l’équipement de nos ports en distributeurs de GNL est aussi à l’ordre du jour.

Qualité de vie et mobilité

de substitution aux produits dangereux utilisés durant des années dans la construction des infrastructures et matériels de transport. Je pense à l’amiante, à la créosote qui protège le bois des traverses de chemin de fer, à l’arsenic, substance active biocide. Il a fallu trouver des solutions de substitution. De nouveaux produits voient le jour pour réduire les fumées de bitume sur les chantiers routiers, en jouant sur la composition chimique des produits et sur la température de mise en œuvre ; pour trouver de nouvelles peintures à appliquer sur les coques des navires (peintures anti-fouling) ; pour lutter contre la prolifération d’organismes nuisibles qui pourraient se développer dans les conteneurs et les cales de navires, etc.

Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que la chimie occupe une place de choix dans les grands programmes publics de recherche et d’innovation consacrés aux transports et à la mobilité. Ce sera l’objet de mon dernier point. La recherche liée au secteur des transports fait appel à de nombreuses disciplines : physique, chimie, mathématiques appliquées, informatique, économie, sociologie etc., qu’elle rassemble autour de projets concrets. Nous avons vu que la chimie était omniprésente pour les matériaux, implicitement présente et entremêlée avec d’autres disciplines pour les véhicules et systèmes de transport. Un exemple de projet pluridisciplinaire, « intégrateur », touchant tout ensemble à l’infrastructure et au véhicule, est celui de la « Route de cinquième génération ». Ce projet assemble des briques

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Chimie et transports

technologiques aussi diverses que la récupération d’énergie sur les couches de roulement, l’alimentation électrique des véhicules, l’automatisation des circulations, l’information en temps réel du conducteur, le tout sur des chaussées « truffées » de capteurs, construites avec des matériaux avancés.

PRIMEQUAL11. Les thématiques principales couvrent les motorisations décarbonées, l’amélioration des performances énergétiques et environnementales des moteurs thermiques, l’analyse et la réduction de la pollution de l’air, du bruit, des impacts sur les écosystèmes et les paysages.

Les priorités du programme « Transports durables et mobilités » de l’Agence nationale de la recherche s’adressent aux motorisations thermiques d’une part, à la conception et au cycle de vie du véhicule d’autre part. Les relations entre Transports et Chimie sont plus explicites dans les thématiques étudiées par le groupe opérationnel « Énergie et Environnement » du PREDIT, en lien avec le programme

Ces programmes se veulent complémentaires des Investissements d’Avenir, et notamment des démarches pilotées par l’ADEME à travers le « Véhicule du futur », plus « intégratrices », couvrant les modes terrestres et maritimes et les systèmes de mobilité. 11. Programme de recherche interorganismes pour une meilleure qualité de l’air à l’échelle locale.

Les défis pour l’avenir À ce stade, petit clin d’œil, il y aurait beaucoup de choses à dire sur ce que les transports apportent à la chimie ! À commencer par la capacité d’échanger physiquement les produits issus de l’industrie chimique. Mes services passent un temps non négligeable à répondre aux préoccupations de nos concitoyens et de nos élus sur le transport de matières dangereuses. Mais je ne voudrais pas allonger mon propos déjà trop long. Pour conclure, je voudrais énumérer quelques grandes questions qui se posent pour les années qui viennent12. Comment accélérer la transition vers des transports décarbonés ? La voiture 266

12. Le point sur la mobilité urbaine en France, Certu, 2012.

Qualité de vie et mobilité

va-t-elle trouver une nouvelle place parmi les autres moyens de transport et va-t-on, pour elles, se tourner vers « l’économie de l’usage » ? Serat-on contraint, à cause du prix du transport, de limiter la mobilité et les kilomètres parcourus ? À quel rythme va se poursuivre cette tendance émergente à la réorganisation des systèmes productifs vers « l’économie circulaire » et les circuits courts ? Comment aboutir à une meilleure maîtrise des localisations respectives des lieux d’habitat, de travail et de production ? De la réponse à ces questions dépendra, en partie, l’avenir de nos modes de vie. Ce sont de vraies questions de société.

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Collection « L’Actualité Chimique - Livres »

Chimie et enjeux énergétiques Jean-Claude Bernier, Bernard Bigot, Bernard Boullis, Patrick Criqui, François Drain, Léon Duvivier, Marc Florette, Bruno Goffé, Claude Gudin, Sébastien Henry, Sophie Jullian, François Loos, Marion Perrin, Jean-François Rous et Jean-Pierre West

Ce livre aborde l’état de la recherche et de la technique pour faire face à l’épuisement du pétrole, aux rejets de gaz à effet de serre et à l’augmentation de la consommation énergétique mondiale. Après un panorama de la situation et de l’avenir énergétiques, les solutions en cours de recherche et développement sont présentées : utilisation de l’énergie de la matière vivante (plantes, algues), nouvelles batteries pour stocker l’électricité, matériaux pour éviter les pertes dans le transport de l’électricité, solutions pour le recyclage du combustible nucléaire, etc. Au cœur de ces thématiques, la chimie tient une place majeure. • septembre 2013 • ISBN : 978-2-7598-0973-8 • 276 pages • 24 €

La chimie et la nature Jacques Amouroux, Éric Blin, Marina Coquery, Marc Fontecave, Bruno Goffé, Françoise Guéritte, Samuel Martin Ruel, Pierre Monsan, Jean-Louis Morel, Michel Rohmer, Christophe Rupp-Dahlem, Clément Sanchez, Jean-François Soussana et Éric Villenave

Comment la chimie agit-elle pour protéger la nature ? Il s’agit de comprendre les milieux naturels (atmosphère, sols, eaux), puis d’enrayer leurs dégradations : c’est la naissance de l’écologie ou de la chimie des écosystèmes, ou encore le traitement des émissions de CO2. L’homme s’inspire aussi des mécanismes ingénieux de la nature pour inventer matériaux et médicaments ; il recycle les métaux et exploite la matière végétale comme alternative au pétrole ; il analyse la façon dont la nature capte et utilise l’énergie du soleil d’où elle tire la vie, et s’en inspire. • octobre 2012 • ISBN : 978-2-7598-0754-3 • 300 pages • 24 €

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La chimie et l’habitat Jean-Claude Bernier, Alain Ehrlacher, Daniel Gronier, Patrice Hamelin, Marc J. Ledoux, Carole Leroux, Daniel Lincot, Jacques Méhu, Jean-Marie Michel, Guy Némoz, Valérie Pernelet-Joly, Dominique Plée, Daniel Quénard, Juliette Ruchmann, Johann Souvestre et Jean-Paul Viguier

Les progrès de la chimie conditionnent cette activité traditionnelle de l’humanité qu’est l’aménagement de son habitat. Elle offre à l’architecte une palette riche. À côté des bois ou des bétons, c’est l’irruption des vitrages modernes, textiles nouveaux et matériaux polymères. Face aux défis du développement durable et à la recherche du confort, la chimie permet d’éviter le gaspillage, d’utiliser l’énergie solaire ou le biogaz issu des déchets ménagers, de recycler des matériaux des bâtiments vétustes, ou encore de fournir des peintures issues de végétaux. Quant au confort, s’il est lié aux matériaux, il exige aussi le contrôle de la qualité de l’air intérieur. • octobre 2011 • ISBN : 978-2-7598-0642-3 • 292 pages • 25 €

La chimie et le sport Alain Berthoz, Jean-François Caron, Marie-Florence Grenier-Loustalot, Charles-Yannick Guezennec, Pierre Letellier, Claude Lory, Denis Masseglia, Nicolas Puget, Isabelle Queval, Yves Rémond, Fabien Roland, Jean-François Toussaint et Jean-Luc Veuthey

Débattre sur les rapports entre chimie et sport illustre l’extrême diversité de la chimie : on y sollicite autant la chimie moléculaire que la chimie des matériaux. Loin de n’être qu’une activité ludique, facteur du bien-être physique et mental, le sport est un véritable révélateur de la quête du « toujours mieux » qui caractérise l’humanité. L’analyse de la progression des performances sur la longue durée montre de façon impressionnante la symbiose entre deux approches a priori si distinctes : progression régulière par une meilleure maîtrise du corps, progrès discontinus par les innovations technologiques. Dans les deux domaines, c’est la chimie qu’il faut convoquer ; on ne s’étonnera donc pas que le sportif qui s’attache à déborder des limites « naturelles » rencontre la chimie dont c’est aussi l’objectif constant. • janvier 2011 • ISBN : 978-2-7598-0596-9 • 264 pages • 25 €

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La chimie et l'alimentation Marie-Josèphe Amiot-Carlin, Marc Anton, Monique Axelos, Valérie Baduel, Michel Barel, Catherine Bonazzi, Cécile Canlet, Sylvie Chevolleau, Jean-Pierre Cravedi, Laurent Debrauwer, Marc Desprairies, Patrick Etiévant, Pierre Feillet, Vincent Gros, Sylvain Guyot, Claude-Marcel Hladik, Sabrina Krief, Xavier Leverve, Gérard Pascal, Pierre Stengel, Hervé This et Gilles Trystram

La bonne alimentation et la chimie seraient incompatibles. Le livre montre que c'est pourtant grâce à la chimie que l'industrie agroalimentaire peut garantir la sécurité sanitaire de ses produits et qu'elle peut de mieux en mieux satisfaire les demandes des consommateurs. Les experts scientifiques et industriels donnent toutes les informations qui permettent de se forger une opinion personnelle sur la place de la chimie dans une « bonne alimentation » et de comprendre son rôle dans les processus de transformation, de conservation et d'assimilation des aliments. • octobre 2010 • ISBN : 978-2-7598-0562-4 • 242 pages • 25 €

La chimie et l'art Christian Amatore, Anne Bouquillon, Sophie Descamps-Lequime, Rose Agnès Jacquesy, Koen Janssens, Jean-Claude Lehmann, Michel Menu, Marc Thébault, Bernard Valeur et Philippe Walter

Ce livre, issu d’un colloque entre artistes et chimistes témoigne de l’importance de ces deux mots pris ensemble. Car avant l’émotion, avant l’existence, l’oeuvre d’art n’est que matière – le bois du violon, le pigment de la couleur, la substance de la sculpture. • juin 2010 • ISBN : 978-2-7598-0527-3 • 228 pages • 25 €

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La chimie et la santé Jean-François Bach, Mireille Blanchard-Desce, Patrick Couvreur, Frédéric Dardel, Carine Giovannangeli, Jean-Pierre Maffrand, Daniel Mansuy, Bernard Meunier et Marc Port

L'ouvrage présente un panorama de la coopération multiforme mise en oeuvre entre la chimie et la santé. Ce livre veut surtout nous faire saisir la révolution médicale en cours : allongement de la vie, recul des maladies les plus graves, combat contre la douleur..., représentant un programme de décennies de recherches. • janvier 2010 • ISBN : 978-2-7598-0488-7 • 182 pages • 20 €

La chimie et la mer Stéphane Blain, Jean-Luc Charlou, Chantal Compère, Daniel Desbruyères, Yves Fouquet, Guy Herrouin, Catherine Jeandel, Michel Marchand, Georges Massiot, François-Xavier Merlin, Françoise Quiniou, Paul Rigny, Louis-Alexandre Romana et Paul Tréguer

La mer est un formidable laboratoire chimique, autant qu’un centre immense de ressources innombrables ; en même temps, cet écosystème est d’une grande fragilité. Ce livre a pour objet de faire connaître la mer sous un angle chimique (réactions, processus, composition…) afin de participer à la compréhension de cet élément complexe et vital pour l’humanité. Pour agir, il faut connaître : c’est l’objet de ce livre tout en couleur. • août 2009 • ISBN : 978-2-7598-0426-9 • 208 pages • 25 €

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