Cahiers Simone Weil L’impersonnel et le sacré. Giorgio Agamben, lecteur de Simone Weil

A study of Simone Weil as a major influence on Giorgio Agamben (from his earliest texts to his latest). Her influence is

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French Pages 179-219 [41] Year 2021

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Cahiers Simone Weil 
L’impersonnel et le sacré. Giorgio Agamben, lecteur de Simone Weil

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'IMPERSO GIORGIO AG

LET LE SACRÉ

~EN, LECTEUR DE SIMONE WEIL

Thibaut RioULT •

UNE ENQUÊl'E PHILOLOGIQUE Giorgi0Agan1ben (1942) est considéré connne l'un des plus grands philosophes italiens vivants. Traduit à travers le monde et faisant l'objet de nombreuses études, il a su s'imposer comme un penseur critique clef de la modernité. S'étalant sur plus de cinquante ans, son œuvre multifor1ne, composée d'une trentaine d'ouvrages, est aujourd'hui 1 particulièrement influente dans le champ de la philosophie politique • Dès ses premiers ouvrages, Agarnben s'est revendiqué ouvertement de ~nseurs politiques majeurs comme Benjamin, Arendt, Foucault, Heidegger, Adorno, Schmitt, Debord, etc. tout en restant étonnamment muet sur Simone Weil. Ce silence est surprenant, car bon nombre des. ~ématiques abordées semblent en résonnance avec l'approche Sunone Weil ne lui est pas étrangère. Bien au contraire, elle est probablement l'un de ses plus vieux interlocuteurs philosophiques. • ·Texte de la co · . · nr. ·1 à New York et à lond~ . mmun1cat1on prévue pour le colloque >

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Ainsi, pour la plupart de ses biographes, c'est la P~ ~ ts : au mythique ~éminan:e dC: H_eidegge~ au Thor (cinq part1c1~aJ? ne Beaufret, Féd1er, Vezin, ams1 que Giorgio et Ginevra !) qui SI~ l'entrée véritable d' Agamben en philosophie et les amène à mini1111ser \'influence de Simone Weil face au monument Heidegger. 9. Gnoli, ; c.( Autorittrato, pp. 49-50. l o. Voir A. C. Peduzz1, >, cslt', XII 3 septembre 1989, pp. 240-255. . Voir F. Negri, La passione della purezza: Simone Weil e Cristina Campa, Il 1 Poli~~~~O·~Îln 'idea di Giorgio Agamben", Rt!porter, 911 O.. l 1-l 98S, pp. 32_33.

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récemment, l'un des biographes d' Agamben expliquait que ce mystère de la littérature grise était voué à le demeurer : -a~ Agarnben. l, nous maintenons • 1gna1ura . uectory P 209 renun, Vrin, ioOs n. 1.

1S. Au sens d' Agamben

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Dans cette étude érudite et dense, Agamben cherche à

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Cette citation puissante ne peut qu'interpeller tout lecteur un t~: 5 soit peu familier de Simone Weil. Car, si elle est confon1nc à l'e P"! 1 marxien 20, l'expression . En tant qu'activité séparée, la sphère esthétique est mise en crise par l'art contemporain à travers un chassé-croisé, un double glissement inachevé de l' œuvre vers le produit (pop-art) et du produit v~ l'œuvre (ready made). Bien plus, œuvre et produit se trou~e~! pns l'art contemporain (ready-made et pop-art) «n'advient réellement la présence 27 >>.Ils ne font qu'exhiber l'incompatibilité fondamentale de l' œuvre et du produit, qui ne peuvent coîncider que dans le néant. •

si elle ne résorbe pas la division du travail, pennet tout du moms .~ débarrasser le problème de la poiesis du concept artificiel de « traVaJ artistique>> (appartenant à la sphère esthétique):

"dégradante division du travail en travail manuel

et trava é

intellectuel'', n'est pas ici réparé, mais au contraire paUSS à son extrême : et c'est toutefois à partir de cette aut: suppression du statut privilégié du ''travail artistique'', qui deux moitiés de la production humaine, qu'il sera pos~t e un jour de sortir du marais de l'esthétique et de la tecbntq~e pour rendre sa dimension originelle au statut poétique e l'homme sur terre

28



>>

25. Op. cit., p. 107 (Agamben souligne). 26. Ibid. 27. Op. cit., p. 108. 28. Op. cit., PP· 108-109. 1

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clôture de ce chapitre rett0uve en 29 l'avait ouvert, de nouveau sans source . · cette occultation ? Si la ventriloquie est toujours un art p0urquo1 , , , . le moment où Agamben tente de se rapprocher d 'Arendt. En témoignent: de manière indiscutable, l'envoi d'une lettre (21 février 1970) accompagnée de l'article > consacré à Benjamin et Sorel 30 ; mais également, plus subtilement, le choix des interlocuteurs principaux de L'Homme sans contenu

est

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recoupant la galaxie intellectuelle arendtienne (Heidegger, Benjamin, 31 Kafka, Aristote, Nietzsche, etc. mais pas S. Weil ). Il est aussi possible que les catégories définies par Hannah Arendt dans La Condition de l'homme moderne se soient mieux prêtées que celles de Simone Weil à une élaboration philosophique précise. La distinction entre travail (labor), œuvre (work) et action (action, praxis) ~~et à Aga111ben de rompre la >. Pour lui, en effet, l'histoire de l'Occident a conduit à l'indistinction des différents ''faires'' sous la fonne unique del'>, puis iacritic vol 39 0 o 4 (> •• 2009), pp. 103-111. v ' · ' wmter 31. Dans Condition de l'homme moderne, H. Arendt ne cite . ~ une brève note de bas de page consacrée au Journal d'p~ S. Weil (à Part d ailleurs. sa conception du travail, réduite à une pure néce881"té) usine, qui tronque 32. L Homme sans contenu, op. cit., p. 110. • 33. Op. cit., p. 114.

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l'œuvre d'art, autonomisée (s'engendrant sans artiste) et généralts e (corps, monde) : > Concluant le chapitre >, cette citation heideggéro-nietzschéenne marque le déplacement de la question du ''faire'' de l'homme à>, chapitre conclusif de l'étude. 34 . R. Chenavier, > in M. NarcY .&. . (dir·., ) Les Catéoories de I universel : Simone Weil et Hannalt A~ndl, pans, 0 assm É T: L;Ha1 i11attan, 2001, PP· 301-302. . 'uomme sans contenu, op. c1t., p. 116. 1 35. L ~ h Wille zur Macht, n. 796, cité in op. cit., p. 1 s J. 1

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Bien sûr, s'il ne s'agissait que de réattribuer une citation, cette étude pourrait être considérée à juste titre corrune simple érudition philologique oiseuse. Au contraire, comme on va le voir, c'est bien la pensée de Simone Weil qui permet silencieusement à Agamben sa percée finale décisive vers la compréhension de l'œuvre. Pour cela, revenons à l'analyse de L'Homme sans contenu.

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Une influence diffuse de Benveniste ou de Heidegger n'est pas à exclure sur ces développements. Mais rien chez eux ne pe11nettait la percée vers l' >), conduit Agamben à esquisser une analogie entre l' œuvre et la fête, dans leur rapport au temps et à son suspens ; . a pour (OC IV 1, p. 429). Elle préconise même d' > (op. cit.. , p. 426) pour conjoindre temps social et temps h11main. La fëte est la traduction sociale de l'arrêt dans la ologie weilienne (c'est-à-dire de sa ?1étaphysique de la balance, de l'équilibre dynamique) ; elle-même a penser dans le cadre plus large de sa métaxologie. Les >. pour éviter to~te fi

> (OC VI l, p. 289) Simone Weil en fait le symbole de Ja purification de l'esprit, qui ouvre à l'espace du bien impersonnel :





, Nudités, Rivages poche, 2009, p. 66. 57 · B rtleby ou /a création, Circé, 2014, p. 17. 58 • ~- sance de ne pas >>,Nudités, p. 66. 18 59 · > •

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~~· Ba~tleby ou la création, op. cit., p.

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un?ne Weil souligne le rapprochement entre suspens, contemplation ~t desœuvrement divin (shabbat) dans une note lapidaire : >, CSW, XLIII 4, 01 re 2020, pp. 349-372. ~: Voir. « Sur l'impossibilité de dire Je. Paradigmes épistémologiques et Pocb tgmes poétiques chez Furio Jesi >> ( 1999), La Puissance de la pensée Rivages che e! 2011, pp. 123-139 ; L'Ouvert, p. 137 ; ''1iqqun de la noche ,, La èomun ·1i, co ~iene•. Torino, Bollati Boringhieri, 2001, pp. 91-93 ; « Une de bœ ~ ~ (v ~td~1ons sur le shabbat, la Œte et le désœuvrement >>, Nudités u · 0 tr aussi p. 18) ; Le Règne et la Gloire, 8.22-25, pp. 628-638 ' pp. 141-153 65. L 'Usage des corps, op. cit., 6.4, p. 1128. ·

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Comn1e en atteste l'avant-dernière note des Cahiers, prise à

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l'hôpital Middlesex en août 1943, la fête fut aussi pour Simone Weil un sujet majeur de réflexion. En elle, dans sa matérialité spéciale, i.e. extra-ordinaire (ou sur-naturelle), se joue la possibilité de la joie, seul contrepoids au malheur : > (OC VI 4, p. 394)

. ·OCtlie(c

Cette autre usage des choses dans le temps de la tète est donc analogue au hOs më (comme non) qui caractérise. Comme Jacob Taubes (principale influence d' Agantben s~ Paul et lecteur de S. Weil) l'avait bien vu, Paul est un anti-césaris~qut vise à subvertir le droit romain 69• Ce sera également le geste anomique d'aille11rs chez elle la mobilisation de l'usus pauper franciscain contre e 66. Nudités, op. cit., p. 150. Voir aussi, « Vers une théorie de la pui~ destituante >> (2013), /undi".'alin #45, 2~ j~vier 2016 [https://lundi.amJvers-unetheorie-de-la-puissance-destitu~te-Par-G1org10-AgambenJ.

Le Temps qui reste, op. c1t., p. 50. . 67

68. lb ~-, "~ La Théo/ogre politiq~ de Paul, éd. du Seuil, 1999. pp. 36 sq. 69.1. .1au1~

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du non-agir. C'est justement ce terreau indien, typiquement we1l1en, qui sert de point d'appui à la méditation du dernier Agamben dans son Karman : Court traité sur /'action, la faute et le geste, paru en 2017, au moment de son retour à Simone Weil ! Le geste n'y est plus 71 .Et le désœuvrement y est pensé comrne le ( 1993 ), Moyens sans fins, Payot & Rivages, poche, 200 '

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humain lui-même dans sa dimension impersonnelle. Chez Simone Weil, c'est l'escl~ve qui devient le paradigme de la condition de l'holllme moderne. Cette figure rend- d'ailleurs peut;êtr: mi~ux que les paradigmes agambeniens (marqués surtou~ par 1 8?t1état1sme) compte de la double capture de l'homme par 1 économique (marché) et le policier (État), par l'exploitation et l'oppression. Reprochant à

Marx d'avoir> (OC V 1, P· 605) - pensée co1rune un> (voir infra) - Simone Weil inaugure

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Ainsi, chez Simone Weil comme chez Agarnben, ces figures se situent toutes au-delà du droit.

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La singularité quelconque (l 'Aimable)

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La Communauté qui vient (1990) est sans doute l'ouvrage ayant assuré à Agamben une véritable renommée philosophique : internationale. Son sous-titre Théorie de la singularité quelconque en ,

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que de toute façon il importe 91 >>, libéré de toute assignation identttaJJ'C ~~ . ~itio ~~- n q1 réductrice, mais non condamné au néant pour autant. ~ On peut établir un point de jonction entre Simone Weil et Agamben dans le rôle exemplaire dévolu à l'amour dans l'accès à l'être~ sa

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agambenienne de la . Badiou peut ainsi préciser Ja positivité de cette trajectoire théorique : > Mais se dévoile simultanément le risque de l'indifférence. Car cette construction est conditionnée à une conversion. Elle est ce qui peut venir, si l'honnne aliéné des sociétés contemporaines parvient à prendre appui sur son aliénation même. Agamben évoque cette luisis où s'esquissent les deux voies qui s'offrent à l'humanité, dans une

sans doute l'oor~ ommée ~ilœJP ni/arité quelcowr ' ~ , lécrire 1enouve1~ J;,., «J'éfrf ~ 'est-à-uu" ..

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Il serait trop complexe de dire briè~ement en quelle mesur~. cette communauté est à la fois proche et distante de la pensée we1l1enne (et, de même, l'impropriété de l'impersonnel). Remarquons seulement 94. Intervention d' Agamben (in Badiou, op. cit.) . 95. A. Badiou, op. cil. 96. Auschwitz, op. cit., 2.20, p. 863 .. 97. La Communauté qui vient, op. c1t., pp. 66-67.

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C'est tout l'enjeu de Simone Weil et d' Agarnben: rendre àl'homme l'usage de sa condition.

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Le dépassement du Bloom

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Comme l'expose Agarnben lors d'une interview : >C'est donc sur irijqlln 1, 1999, l cette figure du > aliéné, faisant l'expérience de son néan~ mais porteur possible de la >.Arrêtons- ,. nous un moment sur ce concept de>, défini en 1999 ~ ~ une revue collective d'ultragauche française au nom très agambenten ~ de Tiqqun. ! L'influence réciproque d' Agamben et du groupe Jiqqun n'a rien 0 d'l1n secret. Lors de sa parution, l'italien manifestait un fort intérêt P ~ cette >. Un point de contact, souligné par le philosophe lui-mê~e: nous intéresse ici tout particulièrement, celui de ,Les vendredis de la philosophie, France Culture, 01-02-2008, -50 min; Voir Auschwitz, p. 814. .11 99. Qu'est-ce qu'un dispositif?, p. 47. Voir aussi Grelet et Potte-Bonnevt , Vacarme 4, n° IO (1999), p. 7 : . ·11 · ·b ·d 100. Grelet et Potte-Bonnev1 e, art. c1t.,' ' .

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Le déracinement de toutes choses, la sépar-ation en fragments stériles de chaque totalité vivante et l'autonomisation de ceux-ci au sein du circuit de la valeur sont l'essence même de la marchandise, l'alpha et l'oméga de son mouvement. Le caractère hautement contagieux de 102 cette logique autonome prend, chez les hommes, Ja fo11ne d'une véritable ''maladie du déracinement'' qui veut que les déracinés ''se jettent dans une activité tendant toujot11-s à déraciner, souvent par les méthodes les plus violentes, ceux qui ne le sont pas encore ou ne le sont qu'en partie ... Qui est déraciné déracine'' (Simone Weil, L 'Enracinement [OC V 2, pp. 146-147]). Il revient à notre époque le prestige douteux d'avoir porté à son comble la fébrilité proliférante et multitudinaire du "caractère destructeur".» (nqqun 1, 26-27)

(1:UJqun 1, 1999, p. 23-45). S'y révèle la compatibilité profonde du diagnostic critique weilien et du concept de bloom.

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101 . Autoritratto, op. cit., p. 38; voir aussi "nqqun de /a noch .. 102. Version La Fabrique : >. e ·

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Cet article de 1993 donne également une première théorisation de · · e de ... la vie nue de la créature hurnaine sur laquelle se fonde sa cnttqu la biopolitique. On y retrouve clairement ici l'opposition structurante {.. créature I droit de ses travaux des années 70. (~· ·· . . ' cien i , .

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entre aujourd'hui dans les préoccupations premières de 112 et devient, pour ainsi dire, son fondement terrestre • »

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Au fil des années, la pensée d'Agarnben s'affinera sur ce rJtle mettant en avant l'importance de 1' acte de séparation. Arrivé au te 107. «Au-delà des droits de l'homme » ( 1993 ), Moyens sans.fins, Rivages pachC• 2002, pp. 25-37. 108. Op. cit., p. 25. 109. Op. cit., p. 26. t 10 . Op. cit., p. 37. 11 i. Homo sacer, op. c_lt., 6.3: p. 1OO. . . , , op. c11., p. 33 (trad. modifiée). 112

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naturelle des êtres est la vie nue • >> On pourra d'ailleurs regretter qu'Agamben n'ait jamais interrogé cette autre séparation qu'est 114 l'anathema, équivalent grecque du sacer , et qui constitua pour Simone Weil la pierre d'achoppement l'empêchant d'entrer dans l'Église (OCV 1, p. 410 et p. 534). Mais à l'origine de l'intuition du concept d'homo sacer, il est également possible d'identifier la présence de Simone Weil, au-delà d'Hannah Arendt (cette dernière n'est d'ailleurs pas du tout évoquée dans son Autoportrait !). Signalons d'abord que, toujours en 1993,

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en tension (critique) avec le sacer et Je bouc-émissaire 115 weilien • Mais avant tout, c'est bien dans > que s'enracine en réalité Agamben. Plus de cinquante ans après sa première lecture, il n'hésite d'ailleurs pas à affi.11ner: moins deux raisons. La première est la critique sans réserve du concept de personne, qui [ ... ] n'a rien perdu de son actualité. La seconde - sans doute tout aussi actuelle - est Ia recherche difficile et passionnée d,un principe qui se place au-delà des institutions, du droit et des libertés démocratiques, et sans ·1· é 116 lequel celles-ci perdent tout sens et toute ut1 it . >> . 113. Agamben répondant à Ganjipour, >, colloque Homo sacer. Giorgio Agamben et/ 'usage de /a métaphysique (08.04.2016), (https://www.youtube. Com/watch?v=hUiZHjL_kkA], -53 min. . . 114. Sanctius F Minerve ou les causes de la langue latine (1587), Lille, P.U.L., 1982, pp. 355-358 ;' > . 11 S. Voir> (1993), La Fin du poème, op. cit., p. 129 : (1990 , oyeBns eville ' ~V-

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Chaque soldat est contraint de sacrifier sa vie elle-même aux exigences de l'outillage militaire, et il y est contraint par la menace d'exécution sans jugement que le pouvoir d'État , suspend sans cesse sur sa tête [... ] tout Etat en guerre est contraint · d'employer cette méthode. [... ] La grande erreur de presque toutes les études concernant la guerre [... ] est de considérer

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> (OC II l, p. 293) ~

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On retrouve ici la thématique complexe de la négation de la mort ou, selon l'expression terrible de Heidegger et d'Arendt, de la 128 >. Sous le nom d'Auschwitz, Agantben tente à son tour de saisir l'horreur absolue du xxe siècle : >

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musulman >> désignait le >. C'est la fonne ultime de

> (p. 859) . . 129. lbid. 130. Améry, Par-delà le crime et le châtiment, Actes Sud, 1995, p. 32, cité an Auschwitz, op. cit., 2.1, p. 838.

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vivant. Si Simone Weil est décédée trop tôt pour découvrir l'horreur des camps, elle n'en fournit pas moins quelques outils précieux pour penser cette dégradation de l'homme. Dans > (OC II 3, p. 227) La force déchire l'ân1e de ceux sur lesquels elle s'exerce : [•..J~ œ ~

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Ce ne sont pas des hommes vivant plus durement que d'autres, placés socialement plus bas que d'autres ; c'est une autre espèce humaine, un compromis entre J'hoimne et le cadavre. Qu'un être humain soit une chose, il y a lâ, du point de vue logique, contradiction; mais quand l'impossible est devenu une réalité, la contradiction devient dans 1'ârne déchirement. Cette chose aspire à tous moments à être un honune, une femme, et à aucun moment n'y parvient. C'est liriqit f$ff :. '

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une mort qui s'étire tout au long d'une vie ; une vie que la mort a glacée longtemps avant de 1'avoir supprimée. >> (Op. cit., p. 231) Pour Agamben le > est un paradigme. Il est le >. Cette lacune est due à l'incommunicabilité, l'intémoignabilité, du néant où il se trouve. Il a fait seul l'expérience, jusqu'au seuil de la mort, de ce qu'est fondamentalement le camp ; mais cette même expérience l'a condamné au silence. A ce titre, il est le « témoin intégral » du camp .

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131. Auschwitz, op. cit., 2.23, pp. 867-868. 132. Ibid.

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probablement de mémoire au vu de sa légère altération - cette sentence lapidaire, qui illumine d'un éclair la figure du musulrnan : « Weil : seuls des êtres humains tombés au de1·nier degré de la dégradation sociale ont la possibilité de dire la vérité, tous les a11bes mentent 111. » Mais cette proxi1nité a paradoxalement pour lieu l'impossibilité de ce dire. > (op. cit., p. 231 ).

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Le silence constitue le cœur de l'essai sur>, , . car c'est justement de l'échec de la langue à traduire son expenence que jaillit le cri de l'ârne qui en appelle au Bien. L'impersonnel habite là où se défait le langage, à ses deux extrémités que sont le cri et le chant, au point de jonction avec le silence. Aux lirnites du langage, il ne peut s'exprimer que par l'afTrr1nation tautologique d'un pur nom : le Bien, le Beau. En ter1nes agarnbeniens : >

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De manière radicale, Simone Weil expose l'impuissance d~ langage et de l'intelligence à accéder au réel : > (Op. cit., 228) Selon une métaphore puissante - auquel Agarnben fait peut-être brièvement allusion ~ son autobiographie •3 s - l'honune est comparable au prisonnier •

133. Autoritratto, op. cit., p. 53 ; voir aussi Gnoli, « Giorgio Agam~~»,~ Repu.bblica, 28/10/2018 [https://www.quodlibet.it/recensione/3310]. La c1tatigréon de tirée des EL, p. 255 : >, évoqué vaguement comme >. Ce texte lui donne accès au malheur co1rune >.

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A -d là du droit et de la personne >>, op. cil., pp. 20-21 üe souligne). 137. > Critique 2017/1 (n° 836-837), pp. S-13.

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dépa_ssé Simone Weil (ce point mériterait des recherches approfondies). Quoi qu'il en soit, il semble cependant en retenir l'opération ien (un hapax dans son œuvre !) : ~

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Elle pense que [le malheur est] ce qui advient [ ... j à l'instant où nous[ ... ] percevons notre vie "cormne un simple fait qui ne porte aucun caractère de bien'' [OC VI 4, p. 388]. C'est certes atroce mais c'est aussi la vérité qu'il ne faut pas ' . cesser de contempler, si nous voulons accéder au bien dans 143 sa forrne la plus pure • >> (ou ce>, cf. OC IV 2, p. 419) est - pour le dire avec Simone Weil - la minuscule graine de bien de cette force infime est justement la faiblesse : (cf 2 Cor 12, 9-10), en tant que désœuvrement (katergein) 147 et usage (chresthai). Ainsi, même la situation d'exception la plus noire renferme en elle une possibilité sur-naturelle, la possibilité d'une purification, d'une décréation (supprimant le personnel). L'impersonnel qui s'y découvre est, certes, celui du malheur, mais il peut être également celui de son contrepoison : la joie.

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Et cet élément impersonnel est ce qui correspond à cette joie qu'un des derniers fragments écrits à Londres oppose avec force au malheur : ''La joie est un besoin essentiel de l'ân1e. Le manque de joie, qu'il s'agisse de malheur ou simplement d'ennui, est un état de maladie où l'intelligence, le courage et la générosité s'éteignent. C'est une asphyxie. La pensée humaine se nourrit de joie.'' 14s >> (EL, p. 168 ; OC V 2, p. 398] est en français dans le texte. I~ s'agit pour l'italien d'un i~tra~uisible co.~,me le soulignait déjà Margherita Pieracc1 dans ''Malheur e bellezza ''! ~zmone Weil (pp. 4 7-50), lors du > (Cnst1na Campo, p. 51) de la revue Letteratura, Vil, 0 ° 39-

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malheur... Bien que longue, cette liste est loin d'épuiser la fécondité de cette > agambenienne. Elle met en l111nière la large influence de la philosophe française sur le penseur italien.



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Cette étude appelle critiques et discussions, prolongements et approfondissements. Parmi d'autres pistes, resterait à établir l'importance de la>, de la communauté, de lafonne-de-vie, de l'usage ou encore de la faiblesse messianique chez ces deux auteurs. Leurs rapports critiques à la science, la politique ou la religion mériterait un exa1nen croisé. Dans cette première ébauche, nous avons préféré insister sur ce qui les rapproche mais 1e11rs

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oppositions seraient également à éclaircir. Le charnp de recherche ~u~ert est vaste. À travers Agarnben, c'est également l'actualité ethique et politique de Simone Weil qui s'éclaire.

La longue absence de Simone Weil semble être Je signe par-adoxal e revele par éclats dans les interviews, précisément là où se mobilisent ~Pontanément les auteurs les plus familiers. Ainsi, lire Ag?rnben, c'est ecouter un dialogue dont on n'entendrait qu'une seule voix.

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