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French Pages [212] Year 2007
BOUBOU HAMA Un homme de culture nigérien
Etudes Africaines Collection dirigée par Denis Pryen et François Manga Akoa
Déjà parus Marcel-Duclos EFOUDEBE, L'Afrique survivra aux afropessimistes,2007. Valéry RIDDE, Equité et mise en œuvre des politiques de santé au Burkina Faso, 2007. Frédéric Joël AIVO, Le président de la République en Afrique noire francophone, 2007. Albert M'P AKA, Démocratie et société civile au CongoBrazzaville, 2007. Anicet OLOA ZAMBO, L'affaire du Cameroun septentrional. Cameroun / Royaume-Uni, 2006. Jean-Pierre MISSIÉ et Joseph TONDA (sous la direction de), Les Églises et la société congolaise aujourd'hui, 2006 Albert Vianney MUKENA KATA YI, Dialogue avec la religion traditionnelle africaine, 2006. Guy MVELLE, L'Union Africaine: fondements, organes, programmes et actions, 2006 Claude GARRIER, Forêt et institutions ivoiriennes, 2006 Nicolas MONTEILLET, Médecines et sociétés secrètes au Cameroun, 2006. Albert NGOU OVONO, Vague-à-l'âme, 2006. Mouhamadou Mounirou SY, La protection constitutionnelle des droits fondamentaux en Afrique: l'exemple du Sénégal, 2006. Toumany MENDY, Politique et puissance de l'argent au Sénégal, 2006 Claude GARRIER, L'exploitation coloniale des forêts de Côte d'Ivoire,2006. Alioune SALL, Les mutations de l'intégration des Etats en Afrique de l'Ouest, 2006. Jean-Marc ÉLA, L'Afrique à l'ère du savoir: science, société et pouvoir,2006. Djibril Kassomba CAMARA, Pour un tourisme guinéen de développement, 2006. Pierre FANDIO, La littérature camerounaise dans le champ social, 2006.
Sous la direction de Diouldé Laya, J.D. Pénel, Boubé Namaïwa
BOUBOU HAMA Un homme de culture nigérien
Le séminaire de mars 1989
L'Harmattan 5-7, rue de l'École-Polytechnique ~75005 Paris FRANCE L'Hannattan
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Ouagadougou 12
www.librairieharmattan.com di[fusion .harmattan@wanadoo. fr hannattan [email protected] @L'Hannattan,2007 ISBN: 978-2-296-02407-6 9782296024076
A la mémoire de Jean Rouch et Mamani Abdoulaye qui participèrent à ce séminaire
SOMMAIRE INTR 0 DUCTI ON
9
PREMIÈRE PARTIE Boubou Hama écrivain PREMIÈRE 6
mars
1989,
.25
SÉANCE 8 h -12
h3
0 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
DEUXIÈME SÉANCE 6 mars
1989,
16h
-18 h. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .61
DEUXIÈME PARTIE Boubou Hama 1'homme d'ouverture TROISIÈME
SÉANCE
7 mars 1989, 8h-12h30 QUATRIÈME 7 mars
1989,
119 .121
SÉANCE 16 h -18 h. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .165
ANNEXEI Repères biographiques sur Boubou Hama
207
ANNEXE II
Bibliographie des textes édités de Boubou Hama
217
INTRODUCTION
1- LES ALÉAS DE LA MÉMOIRE COLLECTIVE Les vicissitudes et les aléas de 1'Histoire en témoignent: souvent la trace des hommes, dont la notoriété publique et sociale s'est provisoirement imposée dans un temps et dans un espace particuliers, s'amenuise et s'efface, parfois déjà de leur vivant et très rapidement après leur mort, les conduisant ainsi dans une sorte de purgatoire ou de pays des ombres que la plupart ne quitteront plus: en effet, que savons-nous encore de tels notables, de tels « grands », de telle gloire de telle époque, pour ne pas parler des humbles, des « petits », dont même le souvenir disparaît, anonyme, insaisissable dans la poussière du temps? Rien, nous n'en savons plus rien. Le Temps, comme les hommes, semble bien ingrat envers les générations anciennes, dont nous sommes pourtant les rameaux vifs et dont nous constituons, à notre tour, les maillons solidaires d'une chaîne incessante qui déroulera ses anneaux et poursuivra son chemin sans s'inquiéter plus de notre existence sur terre qu'elle ne s'est soucié de celle des autres. Néanmoins, quelques-uns, peu nombreux il est vrai, traversent ces limbes de l'amnésie collective et retrouvent une place, généralement autre que celle qu'ils ont eue de leur vivant, parce que la postérité ne retient pas les circonstances accidentelles et les vanités sociales passées: acteurs heureux ou malheureux de l'Histoire, penseurs, savants, poètes..., ils survivent, après coup, dans une nouvelle mémoire collective recentrée, qui néglige volontiers l'apparence première qui avait tant frappé les contemporains, mais qui, par contre, décèle des traits qui n'avaient pas été clairement perçus et qui découvre un sens dynamique pour ce nouveau présent et pour l'avenir, en sorte que, pourrait-on suggérer en paraphrasant l'auteur dont on va parler ici, le double d'hier (le souvenir vivant de personnes disparues) rencontre à nouveau demain (connaît une vie nouvelle dans le présent des générations ultérieures). Toutefois, ce qui occasionne ce retour en grâce dans groupe ne s'opère pas d'un coup de baguette magique, en comme allant de soi. Des résistances et des blocages se chemin de renaissance. A la volonté des anciens acteurs
la mémoire du toute facilité et dressent sur ce encore vivants
d'enterrer un certain passé (qui s'avère parfois douteux sinon honteux), s'ajoutent d'autres facteurs, nouveaux et puissants, qui retardent ou empêchent le souvenir de remonter à la surface de la communauté à laquelle, pourtant, il appartient: ainsi l'ignorance et l'inaccessibilité des traces et documents - perdus, oubliés, détruits -, ainsi le désintérêt pour ce qui a précédé dans le temps, joint à une nouvelle orientation des valeurs sociales qui gomment des tranches du passé pour se mobiliser autrement, etc. Il importe donc que des personnes agissent pour hâter et permettre ce retour en grâce de la mémoire d'un disparu en apportant au public oublieux et versatile des preuves péremptoires du bien-fondé de leur action. Contre le vent de l'oubli qui déplace les dunes du passé, les souffle et les reporte plus loin pour les disperser, il faut lutter et incessamment re-lutter pour faire réémerger et maintenir haute la mémoire de certains acteurs d'autrefois. Car, tant que la mémoire collective n'a pas accompli de vrai travail de réinsertion du passé1 - désormais digéré et compatible avec la vie actuelle du groupe -, il ne peut y avoir de repos, de peur que tout l'effort entrepris ne sombre dans le vide. Le cas de Boubou Hama illustre parfaitement cette situation. Après avoir ouvert la voie, en 1929, comme premier instituteur nigérien2 sorti de l'Ecole Normale William Ponty, après avoir mené une carrière politique militante dans les rangs du PPN-RDA pendant la colonisation, après être devenu président de l'Assemblée Nationale du Niger indépendant, jusqu'au coup d'Etat d'avril 1974, après avoir inventé cette vallée de la culture où voisinent l'IF AN (devenu IRSH), le Musée national, le Centre Culturel Franco-Nigérien et le CEL THO, après avoir littéralement inondé le pays de livres et d'écrits de toutes sortes, Boubou Hama s'est trouvé soustrait pendant près de huit ans, d'avril 1974 à sa mort en janvier 1982, à la vie publique du Niger. On se tait, on n'en parle plus, on ne doit plus en parler, son nom disparaît des lèvres et, vrai moteur de l'oubli, les jeunes ignorent tout de lui, ce qui représente un véritable effacement social, le pire qui soit pour une communauté qui se prive délibérément de son passé. Cette disparition du discours et de la mémoire collective nigérienne a dépassé largement la fin du régime politique de Seyni Kountché (1987) qui l'avait renversé3. Toutefois, en 1989, une 1 Travail qui doit, dans le cas qui nous occupe, passer nécessairement par l'école, sous peine d'être un simple feu de paille. Z « La fortune voulut qu'il fût le premier Nigérien à sortir de la plus grande école fédérale de l'époque» dit de lui-même Boubou Hama dans Kotia Nima (1968, 1ervolume, p 119). Il est à noter que dans sa promotion figuraient deux autres futurs écrivains: Abdoulaye Sadji et Ousmane Socé Diop. 3
On peut aussi ajouter les motifs obscurs et bas de certaines personnes au Niger qui
considèrent que l'appartenance sociale de Boubou Hama à une catégorie défavorisée est un motif suffisant pour ne pas le prendre en considération. 10
tentative audacieuse du Directeur de la culture de l'époque, Inoussa Ousséïni, crée un changement d'attitude, un réveil, par l'organisation officielle d'un séminaire de deux jours en mars et par la création d'un Prix Boubou Hama (doté d'un million de francs CFA) décerné par le ministère de la Culture. Cependant, malgré l'audace du geste en faveur du disparu, l'écho du séminaire ne fit pas si long feu; quant au Prix Boubou Hama, attribué tous les deux ans, il finit par disparaître au bout de quelques éditions. A cette première vague d'efforts officiels pour redonner sa vraie place à cet homme de culture, il convient d'ajouter une certaine activité d'édition et des travaux universitaires qui, après sa mort en 1982 et pendant une période de vingt-cinq ans, entretiendront, malgré tout, les braises du souvenir et manifesteront des fragments de l'œuvre, si considérable et encore, en grande partie, inédite:
a- textes inédits - En 1983, la publication des Actes du colloque et du séminaire de la SCOA auxquels Boubou Hama avait participé et dans lesquels Jean Rouch a inséré, en préface, l'article qu'il avait publié dans le journal Le Monde en février 1982. - En 1985, la publication, dans la collection « Jeunesse» de Présence Africaine, des deux volumes pour enfants d'Izé-Ganz4. - En 1988, le beau travail d'édition d'un texte inédit de Boubou Hama L'essence du Verbe réalisé par Mme Fatimata Mounkaïla et publié au CELTHO par Diouldé Laya, infatigable et toujours disponible directeur de cette institution, mais aussi ancien collaborateur de Boubou Hama.
4
On relève que:
- dans cette collection
étaient déjà parus les deux volumes des Contes populaires du Mali de Mamby Sidibé qui avait enseigné Boubou Hama à l'Ecole Primaire Supérieure de Ouagadougou et qui avait ouvert le poste de l'IFAN à Niamey d'octobre 1944 à décembre 1949, poste que Boubou Hama occupera de mars 1954 à mai 1957 (et que prendra Jean Rouch d'avril 1959 à mars 1970). Mamby Sidibé avait été aussi candidat (malheureux) au siège de député du deuxième collège pour la circonscription de Niamey aux élections de la Première Constituante en octobre 1945. - Les illustrations d' Izé-Gani sont faites par Béatrice Tanaka, qui a déjà travaillé soit avec Andrée Clair et Boubou Hama (à La Farandole La savane enchantée, 1972; Kangué Izé, 1974 ; Les fameuses histoires du village de Tibbo, 1977; aux Ed. G.P Founya le vaurien, 1975 auxquels s'ajoutent trois contes publiés après la mort de Boubou Hama dans la collection « Mille et une histoires au creux de l'oreille »), soit avec Andrée Clair seule (à La Farandole: Safia et lefleuve, 1974 ; Safia et le puits, 1976 ; Safia et lejardin, 1980).
-
Il
- Dans la collection «Mille et une histoires au creux de l'oreille5 » et sous l'impulsion d'Andrée Clair, passionnée du Niger6, en 1988 La jolie petite Bouli, en 1989, La légende de Sourou etSourou et Mounafaki. - En 1992, toujours en coproduction « posthume» avec Andrée Clair, paraît aux éditions Kaléidoscope, Le lièvre, l'éléphant et le chameau. Ce texte aura une version animée en vidéo, en 1997, dans la collection « Contes d'Afrique et d'ailleurs» du CNDP. - En 1993, aux éditions Hurtubise (Canada), Farmo Moumouni édite les carnets de prison de Boubou Hama, écrits en 1975 à Agadès, sous le titre Boubou Hama, l'itinéraire de I 'homme et du militant.
b- Rééditions- réimpressions Il s'agit de deux livres pour enfants, rédigés avec Andrée Clair: en 1985 puis en 2001, Founya le vaurien, EDICEF-NEA ; en 1989, L'aventure d'Albarka7, NEA-EDICEF-ACCT. Sans étude critique rigoureuse, il n'est pas possible de dire s'il s'agit de simple réimpression ou de véritable nouvelle édition à quoi s'ajoutent les illustrations qui peuvent changer, que le texte soit modifié ou pas.
c- Travaux critiques Il faut enfin mentionner quelques très rares travaux universitaires entrepris par des Nigériens sous forme de mémoires: de fin d'études8, de maîtrise9, de Diplôme d'Etudes Approfondieslo, de thèse de doctorat de troisième cyclell et d'habilitationI2.
5 Les textes sont accompagnés d'une cassette audio. 6 Andrée Clair est l'auteur d'une cinquantaine de livres pour la jeunesse. Par rapport au Niger, elle a produit un livre de classe (Le voyage d 'Oumarou), six livres pour jeunes avec Boubou Hama, trois livres sur le Niger et encore, individuellement, d'autres livres pour jeunes. En janvier 1974, elle avait été nommée conseillère culturelle auprès de la Présidence foste qui a été supprimé trois mois après, au moment du coup d'Etat d'avril 74. Il existe au moins quatre éditions de L'Aventure d'Albarka, en un ou deux volumes et chez des éditeurs différents, ce qui mériterait une étude critique: 1972, Julliard, 255 p ; 1973, dans un ouvrage édité par CI. Bourdet et J. Suret-Canale, L'Afrique, Ed. du Burin (préface de L.S. Senghor) ; 1981,2 volumes, NEA-EDICEF ; 1989, 1 volume NEA-EDICEF. Pour Founya le vaurien, il y a également trois éditions différentes, sans compter le texte inséré dans les Contes et Légendes du Niger. Un travail critique s'impose donc pour établir la permanence ou la variabilité du texte. S Moussa Mahamadou : « Boubou Hama 1906-1982. Essai de bibliographie », IFTIC, 1994 9 Elhadji Kollo Moustapha : Le rapport à Marx dans la formation d'une pensée politique africaine: le cas de Nkrumah et de Boubou Hama, 1992, 100 pages, Dakar, UCAD.
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12
La voie était donc ouverte mais trop peu l'ont suivie; elle est restée bien vide, presque déserte. Or sans œuvres critiques et études universitaires un écrivain reste toujours en marge du système éducatif, seul capable de donner à un auteur et à son œuvre un réel ancrage dans la communauté.
2- L'INCERTAIN CENTENAIRE D'UNE VRAIE NAISSANCE ET D'UN RETOUR POSSIBLE Or, après la tentative officielle de mars 1989, au succès mitigé, voici, en 2006, une nouvelle opportunité qui s'offre et qu'il importe de saisir: le centenaire, incertain, de la naissance de Boubou Hama. Pourquoi incertain? Parce que dans toutes les notices biographiques officielles insérées dans ses livres, et donc ayant nécessairement reçu son agrément, Boubou Hama a cautionné la date officielle de sa naissance, 1906, alors que, dans plusieurs de ses livres, il s'ingénie à proclamer, souvent dans une langue convaincante par sa beauté, qu'il est né en 1909 : « Un jour, une nuit, je ne sais, je naquis dans un petit hameau de brousse africaine, aux environs de l'année 1909. On tirait encore sur les bords du Niger, à Boubon, en pays Zarma et Sonrai: en 1906, les derniers coups de fusil de l'occupation. Je naissais donc, à l'aube d'une ère nouvelle, pleine des souvenirs du passé, d'une Afrique qui n'avait pas encore renoncé à sa fierté, prête toujours à mettre la main à l'arme, pour exiger de l'adversaire qu'il respectât sa sagesse. » peut-on lire dès les premières lignes du premier volume de Kotia Nima publié en 196813, propos qu'il réitère en 1972 dans la première page de L'aventure extraordinaire de Bi Kado, fils de Noir où il écrit: « Hama Tandaké eut deux jumeaux qui ne vécurent pas longtemps, qui moururent justement en 1906. Or, l'enfant qui naquit deux ans et quelques mois après ces jumeaux se nommait Boubou Hama. Celui-ci vint au monde au début de 1909 »14.
Mémoire de Maîtrise sous la direction de MM. Souleymane Bachir Diagne et Sémou Pathé Gueye. 10 Yacouba Moumouni : Etude critique des oeuvres historiques de Boubou Hama, Dakar, DCAD, 43 p. 11 Mme Daré Harouna Biga: Boubou Hama éducateur, Abidjan (thèse non soutenue, la candidate n'ayant pu obtenir la prise en charge de son voyage par le ministère). 12 Issa Daouda Abdoul Aziz: Ecritures nigériennes. Profil d'une littérature: œuvres narratives de Boubou Hama. Université d' Artois, Arras, mai 2005. 13Tome 1, p. Il. 14P. 35. 13
Et de même dans L'aventure d'Albarka, l'auteur déclare: « Cette brousse ... que j'ai dû quitter à huit ans ... Ceci se passait vers 1912, puisque j'étais né en 1909 »15. Cette situation contradictoire, ou du moins flottante16, n'a rien de particulièrement étonnant car ce genre de cas est fréquent en Afrique, surtout à cette époque du début de la colonisation, où l'état civil ne figurait pas dans les préoccupations des populations, d'ailleurs plus soucieuses de passer inaperçues que de se faire recenser pour payer l'impôt de capitation et être enrôlées dans les travaux obligatoires. De toute façon, peu importe la date précise de la naissance de Boubou Hama, qui n'a de valeur que symbolique. Ce qui compte pour nous tient essentiellement à l'occasion de commémorer au Niger, moins la naissance exacte de Boubou Hama que son œuvre, moins les actes et le combat de l'homme politique que l'immense héritage d'écrits, (dont personne n'a encore entrepris ni l'inventaire exhaustif ni le tour complet en tant que lecteur), moins l'homme du devant de la scène publique que l'homme de culture qui collectait des manuscrits ajami, qui veillait à bâtir des lieux où la mémoire du passé trouverait refuge pour des chercheurs avides et soucieux de comprendre les civilisations dont ils étaient issus. C'est pourquoi, qu'il soit né en 1906 ou en 1909 ne constitue pas un vrai motif d'inquiétude, mais que cette date - ou cette tranche de temps - soit une opportunité pour revivifier l'œuvre de Boubou
Hama, voilà qui constitue un vrai motif de mobilisation pour tous ceux qui, délaissant les réflexions politiques (dont l'importance ira en s'étiolant du point de vue du retentissement sur les Nigériens d'aujourd'hui et viendra prendre sa place, plus ou moins figée, dans l'histoire du pays), se préoccupent surtout de découvrir, de jauger l'œuvre multiforme de l'écrivain, d'en appréhender la vitalité actuelle. Cet aspect vital au présent est essentiel car la force abondante de ce lait, bénéfique, doit être transmise aux nouvelles générations et les nourrir. Néanmoins, on dirait que tout, ou presque tout, est à entreprendre: un chantier de taille considérable est à ouvrir dans plusieurs domaines, que ce soit la littérature orale et écrite, I'histoire, la sociologie, la philosophie, etc. Chacun, selon ses intérêts et préoccupations propres, y trouvera de quoi s'y plaire et y habiter à l'aise. Pourtant, vrai ou pas, ce centenaire ne serait en lui-même, comme date anniversaire, qu'un micro-événement, seulement propre à satisfaire quelques intellectuels et lecteurs esseulés, mais il a acquis une dimension 15L'aventure d'Albarka, NEA-Edicef, 1981, Tl, p. 10. 16Dans ses carnets écrits en prison à Agadès en 1975, on lit : « C'était au cours de l'année 1938 (...) J'avais trente-deux ans. Je venais de traverser le Front Populaire qui eut son écho très large chez tous les intellectuels africains» (p. 33 in Boubou Hama, itinéraire de I 'homme et du militant). S'il a 32 ans en 1938, il est donc né en 1906. 14
tout à fait nouvelle et autre, à partir du moment où le Niger, par la voix des plus hautes autorités de l'Etat, a décidé de lui donner une reconnaissance officielle: 2006 a, en effet, été déclaré «Année Boubou Hama »17, ce qui constitue une étape considérable puisque, désormais, les blocages sociopolitiques perdent leur intensité: la voie est libre. Mais si le carcan de la mauvaise conscience sociale est brisé, le succès possible de cette levée d'écrou pourrait, quand même, être compromis si les questions exclusivement techniques ne sont pas maintenant résolues: avoir accès aux œuvres (où sont les livres de Boubou Hama 7), les étudier dans le système scolaire seul capable de réintégrer l'auteur dans son espace culturel (mais que savent les enseignants de ce Nigérien et comment offrir les textes aux élèves et aux étudiants 7), les évaluer (qui a la capacité de maîtriser, sinon tout au moins de saisir les grands axes de l' œuvre 7), les utiliser pour dynamiser le présent et l'avenir en s'inspirant de ce qu'elles ont de plus fécond (qui connaît suffisamment ne serait-ce qu'un pan de l'œuvre pour se l'approprier et en insuffler l'énergie dans l'actualité et le quotidien 7). On réalise aisément l'ampleur des obstacles techniques qui peuvent mettre à mal ou annihiler le projet collectif libérateur. Les moyens à envisager devront donc être multiples et opérer sur divers fronts (médias, écoles, municipalités et autorités administratives, etc.). Comme chacun doit donner de lui-même sans toujours s'en remettre à autrui, il importe de participer à l'effort collectif, dans la mesure de ses moyens. Pour contribuer à ce retour de mémoire, il a donc paru utile d'éditer des documents qui puissent aider d'abord les Nigériens, parce qu'ils sont les premiers concernés, mais aussi un public plus large, africain et bien au-delà, à comprendre l' œuvre de Boubou Hama et donner envie d'y accéder directement. On n'a donc pas d'autre ambition que de susciter le goût de lire et la lecture critique des textes, que rien, pas même la meilleure introduction, ne peut remplacer. Une série de publications, sous une commune étiquette « Connaître Boubou Hama », manifeste ainsi ce désir de se réapproprier une œuvre qui échappe presque entièrement à ses destinataires. Car il ne faut pas se leurrer: la connaissance qu'a Boubou Hama, aussi bien de l'oralité que de l'écrit, le rend difficilement accessible à cause de l'ignorance dans laquelle nous baignons dans l'un et l'autre domaine. Enfants des villes et d'une modernité souvent assez superficielle, bien des jeunes méconnaissent traditions, légendes, pratiques culturelles: ils manquent de repères sociaux et éthiques; mais, en raison du même statut en porte-à-faux, ils n'ont pas non plus accès aux livres et à la lecture (Niamey, qui compte un nombre impressionnant d'écoles et une université depuis 1970, n'a pas une seule librairie, ce qui n'est pas sans poser de 17
Cf. Arrêté nOOI2/MCA/C
du 14 février 2006.
15
questions sur l'enseignement lui-même). D'un côté, on ne mémorise plus le savoir oral; de l'autre le papier ne sert guère qu'à emballer des arachides ou des beignets, d'où cette sorte d'amnésie généralisée et cette inquiétude devant l'œuvre de Boubou Hama qui dépasse à la fois les champions (ou prétendus tels) de l'oralité et ceux de J'écriture: peu ou pas d'oralistes ou de traditionalistes en savent autant que Boubou Hama sur l'oralité; peu ou pas d'intellectuels maîtrisent les connaissances livresques qui étaient les siennes. Personne ne peut assumer les deux domaines. Cette difficulté à appréhender l'œuvre de Boubou Hama explique, en partie, le peu d'empressement qu'éprouvent ceux qui devraient s'atteler à la tâche et qui préfèrent se réfugier derrière divers prétextes: l'impossibilité de se procurer les livres, le caractère désuet et périmé de l'auteur, l'aspect confus et touffu des textes, etc. Les raisons ne manquent pas et permettent surtout d'excuser I' inacti on. Deux premiers volumes vont donc s'employer, autant que faire se peut, à encourager ce retour à Boubou Hama. - Le premier, que voici, présente le séminaire de mars 1989. - Le second offrira le témoignage d'un ancien compagnon de route de Boubou Hama: une biographie inédite rédigée par Léopold Kaziendé18 qui a suivi, à peu d'années près, le même sillage que Boubou Hama, dont il fut l'ami dans la famille des enseignants, dont il partagea le militantisme et dont l'idéal, quand il fut porté durant quatorze années aux fonctions ministérielles, connut, lui aussi, triomphe et déception. Ils partagèrent même l'infortune d'une prison commune, après le coup d'Etat du 15 avril 1974. D'autres volumes sont prévus, qui seront annoncés en leur temps.
3- LES GRANDS MOMENTS D'UN PETIT SÉMINAIRE INHABITUEL Le séminaire de mars 1989, organisé, avec l'approbation entière du ministre19, par le Directeur de la Culture de l'époque, le cinéaste Inoussa Ousséïni, a eu de nombreux mérites qui conduisent précisément à la publication, dix-sept ans plus tard (!), des actes de cette manifestation 18
Déjà auteur d'une volumineuse autobiographie Souvenirs d'un enfant de la colonisation (Ed. Assouli, Bénin, 1998, en six volumes faisant suite à une première édition locale à Niamey) et de Mayaki Tounfalis, gentilhomme sahélien (IBS, Niamey, s.d.). Il a également publié des articles comme « L'odyssée du vieux Daidié» in Education Africaine, 1939, ou des textes liés à ses fonctions ministérielles comme « L'activité minière au Niger en 1961 et le programme pour 1962 » in Industries et travaux d'Outre-Mer, 1962. 19 Le ministre de la Jeunesse, des Sports et de la Culture, le capitaine Abdourahamane Seydou. (II occupa ce ministère de juillet 1988 à mai 1989).
-
16
culturelle qui, si elle eut tout de même un caractère un peu confidentiel, vu le petit nombre de participants, témoigne d'une grande qualité d'argumentation et dont la portée est évidente pour des lecteurs d'aujourd'hui. D'abord, c'était la première fois, sept ans après la mort de Boubou Hama, que publiquement et officiellement il était possible d'en débattre sans avoir l'air d'un opposant politique ou d'un revanchard - d'autant plus facilement peut-être que la politique n'était pas vraiment à l'ordre du jour dans les débats. Boubou Hama sortait ainsi de cette apparente disgrâce dans laquelle il était tombé depuis le 15 avril 1974, disgrâce souvent plus supposée que réelle mais qui conduisit, bel et bien, à l'effacer du discours. Toutefois, ce silence n'était pas tout à fait sans fondements: André Salifou en fit les frais puisqu'une conférence publique sur l'histoire du Niger après la Seconde Guerre mondiale - donc de l'époque de Diori Hamani et de Boubou Hama -lui avait fait perdre, du jour au lendemain, son poste de directeur de l'Ecole de Pédagogie. C'est pourquoi sa présence comme président du séminaire des 6-7 mars 1989 témoignait que l'affaire était close et, pour les autorités militaires encore au pouvoir, oubliée. Le public Le public comprenait une trentaine de personnes environ et les intervenants furent une dizaine, mais c'étaient des personnes de qualité et fort intéressantes pour faire du débat une activité véritablement positive. Il est bon, selon nous, de les classer par catégories pour mieux comprendre le sens des discussions.
a- Les ami~ parents et sympathisants de Boubou Hama * Celui qui fut un des plus actifs dans le séminaire, comme dans la vie, c'est, en premier lieu, Jean Rouch qui connaissait Boubou Hama depuis 1942 et avec qui il partagea quarante ans d'amitié. Il s'agit bien d'une amitié partagée quand on voit la manière dont chacun parle de l'autre. Les mentions que Boubou Hama fait de Jean Rouch sont nombreuses. Sans prétendre à l'exhaustivité, loin de là, on en a tout de même relevé six dans L'empire de Gao (1952), onze dans Enquête sur les fondements et la genèse de l'unité africaine (1966), six dans Histoire traditionnelle d'un peuple: les Zarma-Songhay (1967), trois dans Essai d'analyse sur l'éducation africaine (1968), sept dans Histoire des Songhay (1968), cinq dans le troisième tome de Kotia Nima (1971), trois dans Le double d'hier rencontre demain (1973), trois dans L'empire songhay (1973). En outre, les cinquante dernières pages (p. 219-273) de Merveilleuse Afrique (1971) sont consacrées au dialogue 17
entre Jean et Mogo : deux personnages qui ne sont autres que Jean Rouch et Boubou Hama (il suffit, pour s'en convaincre aisément de lire les descriptions des lieux et des acteurs et leurs arguments). Si Rouch est bien présent dans l' œuvre de Boubou Hama, il l'est en des termes souvent élogieux et amicaux: «mon ami» est une désignation très courante et, à la p.74 du volume ill de Kotia Nima, Boubou Hama va jusqu'à parler de «Blanc sonraïsé20». De même, le livre de Jean Rouch sur la magie et la religion songhay, si souvent cité par Boubou Hama, l'est en des expressions fort chaleureuses: «très complet, mention spéciale, beau livre...» Enfin, de manière moins directe, il paraît assez plausible que les références au cinéma chez Boubou Hama soient en partie liées à l'influence de Jean Rouch. Au demeurant, la réciproque est vraie: Jean Rouch qualifie Boubou Hama, en l'associant à Hampaté Bâ, comme étant son «grand-père africain ». On sait que c'est lui qui a rédigé la belle préface du Double d'hier rencontre demain -dont il avait présenté le manuscrit à l'éditeur Christian Bourgois et qui est probablement le livre de Boubou Hama qui a connu le plus grand tirage. A la mort de Boubou Hama, Rouch écrira dans Le Monde (12 février 1982) un très bel article21. Il conviendrait donc de continuer à chercher les multiples traces de leur estime partagée dans leurs œuvres respectives. * André Salifou et Diouldé Laya furent les jeunes collaborateurs de Boubou Hama, non pas sur la base d'une adhésion politique mais d'une estime intellectuelle réciproque: l'aîné a su deviner en eux l'étoffe des chercheurs et des créateurs qu'ils sont effectivement devenus, comme en témoignent leurs publications et les places qu'ils ont occupées ultérieurement dans la vie collective nigérienne et dans la culture. De leur côté, ils n'ont pu qu'être impressionnés par cette boulimie du savoir dont témoignait Boubou Hama qui est devenu pour eux une source permanente de stimulation au travail et à la recherche. * On pourrait placer Mme Fatimata Mounkaïla comme une sympathisante de la génération suivante. Passionnée par la culture zarmasonghay, elle a trouvé certainement en Boubou Hama un modèle qu'elle s'est attachée à suivre et à prolonger: elle a travaillé (retraduits en français et classés) des documents de Boubou Hama, publiés sous le titre L'essence du verbe (1988), elle a étudié, sous forme de thèse de doctorat, les variantes 20 C'est-à-dire un Blanc qui est comme un Songhay. On trouve l'orthographe « Sonraï» (qui correspond à la prononciation) ou « Songhay » (Ie « gh » étant l'écriture officielle, mais non linguistique de l' A.P .1., du phonème concerné). 21 Article reproduit dans les Actes du séminaire de la SCOA parus en 1983. La SCOA est la Société Commerciale de l'Afrique de l'Ouest qui, en dehors de ses activités, a financé des recherches scientifiques. 18
du mythe de Zabarkane (mythe d'ailleurs évoqué par Boubou Hama dans ses travaux) et, à l'heure actuelle, elle s'est consacrée à constituer une vaste anthologie de la littérature orale zarma. Elle est vraiment dans le sillage de cet illustre devancier. * Farmo Moumouni, professeur de philosophie, est un des petits-fils de Boubou Hama22. Il a publié en 1993 les carnets de prison de son grand-père et il a également écrit un roman23.
b- Un opposant notoire: Mamani Abdoulaye Si Inoussa Ousséïni était l'ami de Jean Rouch, il était aussi celui de Mamani Abdoulaye qu'il a réussi à convaincre de venir participer au séminaire. Sa présence était significative puisque, sa vie durant, il fut l'ennemi politique de Boubou Hama: l'un au Sawaba, l'autre au PPNRDA24. Ses choix politiques conduisirent Mamani Abdoulaye (qui avait battu Diori Hamani aux élections de député à Zinder en 1959) à quatorze ans d'exil puis, après son retour en 1974, à la prison au moment de la tentative de coup d'Etat contre Seyni Kountché en 1976. Or, Mamani écrivain tient des propos intéressants sur Boubou Hama écrivain: on ne l'aurait jamais vraiment su sans ce séminaire et il arrivera peut-être un jour où on finira même par relever des similitudes entre eux25, une fois les antagonismes politiques mis effectivement entre parenthèses.
22 Boubou Hama devait éprouver une réelle fierté devant les travaux universitaires de philosophie de son petit-fils (l'enfant d'une de ses filles). On se rappellera qu'auparavant un des fils de Boubou Hama, Boubou ldrissa Maïga, avait publié deux petits livres Figure d'ange, âme de revenante (Niamey, s.d., Tareya, 105 p.) et Ridouane (Niamey, Tareya, 80 p., sans date mais probablement 1985, ainsi que le précédent) et un recueil de poésies Poésies nigériennes, enfants du grand et beau Niger (Paris, ABC). Au demeurant il est déjà cité par son père dans Essai d'analyse de l'éducation africaine. 23L'Odyssée d'un tirailleur, Ed. Cinq Continents, 2000. 24 On peut, par exemple, avant l'affrontement armé entre les deux partis, suivre leurs affrontements oratoires à l'Assemblée Constituante du Niger en 1958-1959 en lisant les procès-verbaux de cette assemblée: la Session Extraordinaire du 17 au 22 décembre 1958 et la Session ordinaire du 29 décembre 1958 au 20 janvier 1959 en donnent une bonne illustration. Mamani Abdoulaye était, à l'Assemblée, un des ténors du Sawaba et, à ce titre, il se heurtait souvent à Boubou Hama qui était déjà président de l'Assemblée et secrétaire général du PPN-RDA. 25 Citons par exemple: les questions de l'animisme, de l'oralité, de l'oppression, de la tolérance, et, bien sûr, de la Sarraounia (dont Boubou Hama a souvent parlé, mais sur le mode historique et sociologique). Plus étonnant encore: Boubou Hama a longtemps navigué dans le sillage du marxisme et, à ce titre, il est souvent proche des idéaux qui animaient le Sawaba. Aucune étude critique n'a encore été menée sur I'horizon idéologique de ces deux Partis. 19
Relevons au passage que ces deux écrivains nigériens ont eu des trajectoires différentes à l'égard du souvenir collectif. Et, de ce point de vue la position de Mamani est l'inverse de celle de Boubou Hama. De son vivant, Mamani Abdoulaye n'a pas connu de véritable consécration littéraire, - si ce n'est ce prix Boubou Hama, qui fut malheureusement la cause accidentelle de sa mort le 3 juin 1993 -, mais il ne traîne pas derrière lui un passé politique contesté, qui constitue, en revanche, un blocage au retour de Boubou Hama. De plus, par son roman, Mamani Abdoulaye est arrivé à s'intégrer dans les valeurs collectives nigériennes de telle sorte qu'un lycée, une radio, des associations, un film, des chorégraphies, etc. portent le nom de Sarraounia, offrant enfin à l'auteur une juste et légitime reconnaissance posthume d'une partie de son œuvre littéraire, même si l'on retient plus facilement le nom du personnage (à la fois fiction et réalité) que celui de l'auteur du roman dont l'action politique antérieure se trouve oubliée26.
c- Des personnes des années 80
de la nouvelle génération de la fin
Parmi les intervenants, on compte un certain nombre d'étudiants (à l'époque) et de jeunes enseignants: Boubé Namaïwa, M. lilias, Maï Moustapha, Gado Alzouma, Moutari Mamane, Soumaïla Boukari, Sani Seyni. .. Ce sont eux qui, sans a priori, interrogent leurs aînés: ou ils n'ont pas connu Boubou Hama ou ils étaient trop jeunes pour bien saisir qui il était réellement. Ils sont donc ouverts, incisifs, prêts à des jugements tranchés qui obligent leurs interlocuteurs à expliciter et à mieux faire comprendre l' œuvre de Boubou Hama.
d- Des invités de l/extérieur * Mangoné Niang, anthropologue sénégalais, à l'époque adjoint de Diouldé Laya au CELHTO, est intervenu à plusieurs reprises: il avait connu Boubou Hama après sa période politique et a pu d'une part donner un point de vue extérieur sur l'attitude des Nigériens envers leur ancien président de l'Assemblée nationale et d'autre part proposer une compréhension de l'œuvre ordonnée sur d'autres théories et d'autres approches.
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Si Djibo Bakary, après la Conférence nationale en 1991, a relancé son parti Sawaba, Mamani Abdoulaye ne l'a plus suivi, en sorte que les jeunes Nigériens ignorent tout ou presque de ses anciennes activités politiques. 20
* Plusieurs personnes extérieures avaient été invitées mais seul un Burkinabé, l'avocat Me Titinga Frédéric Pacéré, a pu être présent. Poète et essayiste, il a présenté sa vision des choses en mettant plus particulièrement l'accent sur les aspects du monde qui échappent à la rationalité - domaine, comme on le sait, qui intriguait et préoccupait beaucoup Boubou Hama. Au total donc, même si le public était restreint, sa diversité a permis une discussion ouverte, franche et de qualité.
Le texte d'un débat essentiellement
oral et spontané
Dans les colloques et séminaires tels qu'ils se déroulent habituellement, une organisation de longue haleine est de rigueur: les exposés sont préparés à l'avance et préalablement rédigés par écrit. Leur publication ultérieure a pour conséquence la nécessité d'effets d'écriture qui entraîne souvent quelque difficulté au moment de la présentation orale, relativement brève, qui n'autorise pas la lecture in extenso du texte et qui en désarçonne plus d'un. Dans le cas présent, rien de tel: si Mme Mounkaïla et André Salifou ont préparé chacun une rapide introduction aux deux parties du séminaire, leurs présentations n'étaient pas des textes lus; quant aux intervenants, ils ont réagi de manière spontanée en suivant le fil des débats. D'où cette vivacité des questions et des réparties. Pas d'écrit donc mais de l'oral. Cependant, ce procédé a son revers quand il convient de garder mémoire et trace du débat. La première trace est sonore: le séminaire a été enregistré de façon artisanale: sur des cassettes avec un magnétophone quelconque. L'inconvénient immédiat, comme on s'en rendra compte, tient aux changements de cassettes qui nécessitent une pause pendant laquelle rien n'est enregistré alors que les débats continuent. A cela, il faut ajouter plusieurs autres interruptions techniques dues à divers dysfonctionnements humains et mécaniques. Toutes les coupures ont été mentionnées: elles sont regrettables mais ne remettent pas en cause la publication des actes du séminaire. La publication est donc la seconde trace, cette fois-ci écrite. Or, comme chacun sait, l'affaire n'est pas simple. Le premier travail de transcription des cassettes a été réalisé par Boubé Namaïwa, qui fut lui-même intervenant. Cette première étape est fastidieuse mais indispensable. Elle rend possible ensuite un certain aménagement nécessaire du texte oral: car, lorsqu'on parle, il arrive qu'on commence une phrase qui se trouve abandonnée pour une autre en cours de route; on se répète; on intercale des incises ou parenthèses; on prononce autrement qu'on écrit, etc. Il convient donc de rendre lisible à l'écrit ce qui a d'abord été dit. Ce travail
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inconfortable (ainsi que le suivant) a été accompli par Diouldé Laya et J.D. Pénel. Enfin, une étape complémentaire s'impose et concerne la compréhension du texte par le public des lecteurs qui seront aussi bien nigériens que non nigériens. Un système de notes s'efforce d'abord d'expliquer les mots et expressions dont le sens peut échapper aux uns et aux autres, ensuite d'informer brièvement sur un certain nombre de personnes mentionnées dans le texte, et enfin de justifier ou de nuancer les propos tenus par les intervenants - élucidations qui ont, délibérément, été illustrées par des références puisées dans le maximum d' œuvres de Boubou Hama. Cet appareil de plus de trois cent soixante notes est parfois un peu pesant27, mais il a été jugé utile d'une part pour rendre la lecture du séminaire plus positive et, d'autre part, à certaines occasions, pour suggérer d'éventuelles recherches. Il fallait, au bout du compte que le texte soit relu par des personnes extérieures et l'on remercie N. Peiffer, A.Kouawo et A.Dogbé de l'avoir fait.
Un texte qui introduit à la réflexion Il est vrai que les temps changent et qu'on ne peut toujours jauger le présent à l'aune du passé ou le regretter nostalgiquement (sur l'air du : «Ah, le bon vieux temps ») s'empêchant du même coup de voir ce qui advient autour de soi et qui, aussi, innove. Néanmoins, quelles que soient les erreurs et errances commises - et pour lesquelles la sanction politique au régime Diori a déjà été donnée -, on ne peut manquer de mesurer chez Boubou Hama l'importance de la réflexion et du goût pour la culture nigérienne et humaine à travers toutes ses dimensions, et l'ensemble de son processus historique de transformations. Les problèmes africains et mondiaux sont toujours abordés dans une perspective large et historique - en remontant même, s'il le faut, jusqu'à la naissance de l'humanité. En plein cœur de cette «guerre froide» idéologique, qui a suivi la Deuxième Guerre mondiale et séparé le monde en deux blocs antagonistes, et après avoir mûri politiquement et intellectuellement, Boubou Hama rejetait le socialisme à la soviétique (qui s'est effondré depuis) mais aussi le capitalisme qui n'a d'autre ressort que l'argent et la vanité de l'acquisition et de la consommation des seuls biens 27 Pour les généralités historiques et sociales sur le Niger, on s'est souvent référé à Samuel Decalo Historical Dictionary of Niger, Scarecrow Press 1979, François Martin Le Niger du Président Diori, L'Harmattan 1991, Maman Chaïbou Répertoire biographique, Ed. Démocratie 2000. 22
matériels (y réfléchit-on assez ?). C'est au nom d'une éthique que Boubou Hama refuse ces deux modèles sociaux (dont le second nous envahit aujourd'hui jusqu'à nous noyer) ; c'est en vertu de principes moraux qu'il pense le passé et le présent et qu'il trace des horizons pour l'avenir; c'est en cherchant un autre modèle d'existence pour l'Homme, une voie différente de ce qui nous est proposé qu'il déploie sa réflexion et nous amène à nous interroger. Or, il est indéniable que cette dimension totalisante de la réflexion, ordonnée sur des valeurs, fait aujourd'hui cruellement défaut autant chez la plupart des décideurs politiques et des intellectuels que chez la plupart de ceux qui détiennent quelques parcelles d'autorité, sous toutes ses formes: on se contente de gérer l'instant présent (avec déjà, il faut le dire, ses mille incommodités) mais jamais le Temps, et on n'a souvent guère d'autres mobiles d'action que les opinions changeantes du moment et des préoccupations essentiellement autocentrées. Tout au contraire, ce qui frappe chez Boubou Hama, quels que soient par ailleurs les jugements qu'on peut porter sur lui, ce sont ce souffle et cette vision large de l'Homme à travers ses figures historiques et même ses contradictions. A l'évidence, lire Boubou Hama ou déjà, au moins, suivre ces débats de deux jours de mars 1989, c'est s'ouvrir soi-même et se situer dans ce monde global, dont il ne cesse de parler à travers ses textes. La lecture du séminaire devrait donc pouvoir convaincre les lecteurs de la qualité des discussions mais bien plus encore de la nécessité de se replonger dans les textes de Boubou Hama et de capter le souffle qui les anime, quitte à trouver qu'il faut le prolonger ou le dépasser.
4- INVENTORIER L'INÉPUISABLE: OU LE PÉRILLEUX ET INDISPENSABLE TRAVAIL DU BIBLIOGRAPHE Après le texte du séminaire, on pourra consulter une bibliographie des textes publiés par Boubou Hama, en incluant des ouvrages posthumes. La liste est probablement assez complète (ou presque). Mais l'œuvre de Boubou Hama ne s'arrête pas là car elle comprend aussi:
- des centaines d'articles publiés par l'auteur; mais, à ce jour, seuls les articles parus dans Le Niger et Le Temps du Niger ont été exhaustivement répertoriés par M. Idi Ousmane. Or, Boubou Hama a publié des articles dans beaucoup de revues etjoumaux qui n'ont pas été inventoriés. - Les nombreux documents ronéotés, souvent fort volumineux, dont on trouve des exemplaires à I'IRSH, au CELHTO et aux Archives nationales du Niger. Une liste en a été dressée par Diouldé Laya mais il conviendrait
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de voir si les textes portant les mêmes titres sont effectivement les mêmes travail particulièrement long et fastidieux non encore réalisé. - Les manuscrits (donc les « écrits à la main») de Boubou Hama qui n'ont jamais été dénombrés et collectés. - Les déclarations dans les institutions officielles dont il était membre: à l'Assemblée nationale du Niger, au Grand Conseil de l'AOF à Dakar, à l'Assemblée de l'Union Française à Versailles, au Sénat de la Communauté à Paris - or seules les déclarations à l'Assemblée de l'Union française ont été recensées par M. Idi Ousmane. - Les discours et prises de parole publics qui ont pu être enregistrés l'ORTN ne disposant que de peu de bandes.
-
Plusieurs notices bibliographiques de l'œuvre de Boubou Hama mêlent les documents édités et ronéotés, les articles et les livres - l'auteur ayant luimême parfois produit une version ronéotée avant la publication avec des titres identiques ou proches (sans qu'on sache si le texte n'a pas été modifié) ; il arrive même que le titre d'un livre soit cité de façon variable; tout cela entretient donc une grande confusion et témoigne d'un manque de rigueur dans l'inventaire des productions. Un constat malheureux s'impose en conséquence: jusqu'à présent, c'est-à-dire vingt-cinq ans après sa mort, on n'a pas encore cerné les grandes lignes de l'œuvre de Boubou Hama! Cette tâche paraît devoir se placer en tête de toutes les autres car, pour bien analyser une pensée, son évolution et ses composantes, encore faut-il savoir quelle est son étendue exacte. Ce travail, si impérieux soit-il, n'enthousiasme pas les éventuels candidats étant donné son ampleur, ainsi que la durée et les moyens qu'il requiert. Néanmoins, il faudra bien qu'il soit accompli: un travail collectif serait, à l'évidence, le plus rapide et le plus satisfaisant. On espère, déjà, dans les prochains volumes, apporter une contribution appréciable dans ce sens. J.D. Pénel Niamey, juillet 2006
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PREMIÈRE PARTIE
Boubou Hama écrivain
PREMIÈRE SÉANCE
6 mars 1989, 8h-12h30
André Salifou Mesdames et messieurs merci! Je crois pouvoir traduire l'opinion de mes deux collègues28 en vous disant combien nous apprécions la confiance que vous placez en nous en nous faisant l'honneur de nous confier la direction de cette journée et celle de demain aussi. Nous avons donc deux journées de réflexion sur l'œuvre de feu Boubou Hama. Ce que nous avons l'intention de faire, c'est ceci: dans le cadre d'une sorte de comité préparatoire à cet événement, nous avons pensé à deux thèmes. Le premier est Boubou Hama écrivain afin de voir dans quelle mesure la tradition orale et la culture orale africaines ont pu influencer et alimenter l' œuvre de Boubou Hama et comprendre comment cet homme, en dépit de la fréquentation de l'Ecole Normale William Ponty29 et de la lecture de tous les classiques30 que nous connaissons, était resté profondément africain dans sa façon de réagir, dans sa façon de raisonner et comment justement cette Afrique de l'oralité est quand même restée présente dans sa démarche intellectuelle et dans la structure qu'il donnait à 28
Il s'agit des deux vice-présidents de séance - dont Mme F. Mounkaïla. 29L'école normale fédérale de l'AOF William Ponty a été créée en 1913 dans l'île de Gorée (occupant un immeuble construit au XVlllème siècle). C'est le gouverneur Clozel qui a donné à cette école le nom de « William Ponty» (1866-1915), ancien administrateur puis Gouverneur général de l'AOF, de 1907 à sa mort en 1915 : il fit déménager l'école normale de Saint- Louis à Gorée et la rattacha au gouvernement général de la Colonie. Cette école a formé toute l'élite de l'Afrique de l'Ouest pendant plusieurs décennies. 30 Classiques peut être pris au sens restreint du terme, quand on voit par exemple tous les auteurs français cités par Boubou Hama rien que dans le T3 de Kotia Nima: Vigny, Lamartine, Musset, Hugo, Corneille, Racine, La Fontaine, La Bruyère, Bossuet, Montesquieu, Lamenais, Mistral, Mallarmé... Mais, plus largement, il conviendrait de recenser les très nombreux livres (histoire, anthropologie, littérature, philosophie...) cités et utilisés. On aurait alors la mesure de la masse des lectures et de la nature de la formation livresque de Boubou Hama.
ses textes. Voilà le premier objet que nous avons l'intention de vous proposer comme thème de réflexion. Le second thème sera: Boubou Hama l'homme de l'ouverture. Nous envisagerons alors Boubou Hama par rapport à cette dimension continentale qu'il avait prise, en d'autres termes: Boubou Hama et la Conscience africaine. Vous n'êtes pas en effet sans savoir que Boubou Hama était un homme pour qui la subdivision de l'Afrique en micro-Etats, obligés de se chercher quotidiennement, était un spectacle qui le révoltait. Ce qui l'intéressait, c'était l'Afrique berceau de 1'humanité, ce qu'elle avait été, ce qu'elle est et ce qu'elle devrait pouvoir devenir, puis à quelle(s) condition(s) ce devenir pourrait être réalisé. Voici donc les deux thèmes sur lesquels nous avons l'intention de conduire nos débats pendant les prochaines quarante-huit heures. Pour nous faciliter la tâche, nous avons également envisagé que chacun de ces deux thèmes soit introduit par un collègue. Juste une introduction! Il appartiendra aux amis qui sont dans la salle d'intervenir soit pour enrichir le débat par leur apport personnel soit pour poser des questions, ce qui est également une forme d'enrichissement; et aux plus jeunes notamment, je me permets personnellement de demander qu'ils n'hésitent pas à poser toutes les questions qui leur viennent à l'esprit et surtout s'il y a des interrogations qu'ils ont dans la tête à propos de Boubou Hama, l'homme et son œuvre, nous ne considérerons pas comme une insulte le fait qu'ils les posent, même s'ils doivent insinuer que Boubou Hama, ici ou là, a raconté des «histoires ». S'il vous plaît, dites-le-nous! Parce que ce qui nous intéresse, c'est que ces réflexions nous permettent justement d'avancer, même si, et c'est sûr, ce n'est pas en deux jours qu'on peut épuiser une réflexion sur l'œuvre de cet homme. Toutes vos interrogations pourraient non seulement servir de créneau de recherche à un certain nombre de chercheurs qui s'intéressent à Boubou Hama et à son œuvre, mais aussi représenter le thème de futures journées de réflexion qu'on pourrait être amené à organiser. Donc dans ce pays, ne croyez pas que nous sommes là pour être en admiration béate devant un homme qui, sans doute, est admirable, mais qui, comme vous et moi, était un être humain avec ses qualités et ses défauts. Nous ne sommes pas là pour éluder ses défauts. Si vous avez des questions à poser, posez-les. Si vous avez des critiques à avancer, avancezles. La seule chose dont j'aimerais pouvoir bénéficier de votre part, c'est la tolérance. Qu'il y ait entre vous et nous l'ouverture nécessaire, l'esprit de tolérance qu'il faut, la courtoisie qui s'impose dans les rapports humains. Mais, une fois que ceci est entendu, il serait à la limite tout à fait décevant
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que nous soyons une trentaine de personnes dans la salle et tous du même avis. Je n'aimerais pas diriger de tels travaux. Cela dit, chers collègues, je désire, avec votre permission, donner la parole à Madame la vice-présidente, Mme Mounkaïla, qui a décidé d'accepter ce pensum qui consiste à introduire le premier thème Boubou Hama écrivain. Madame Mounkaïla s'il vous plaît!
Madame Mounkaïla Boubou Hama, je voudrais en parler d'abord et uniquement en tant que lecteur. Je dois dire qu'en tant que lecteur l'œuvre de Boubou Hama m'a longtemps paru comme une sorte de silo sans entrée apparente, alors même que je me doutais bien qu'il y avait des choses, des richesses à l'intérieur de ce silo et peut-être même des trésors. Donc, on tourne autour, on voudrait bien entrer, mais on ne trouve pas l'accès. L'accès a été pour moi, personnellement, assez difficile. Je dois dire que je m'y suis attachée et j'ai fini par trouver une brèche. C'est grâce au CELHTO qui, il y a deux, trois ans a entrepris de faire éditer un recueil de textes inédits, deux recueils même je devrais dire: L'Essence du Verbe3] et Sentences, Maximes, Proverbes et Locutions Songhay-Zarma, Peul, Haoussa et Bambara. Ce n'est pas l'œuvre la plus représentative de l'auteur, mais c'est une composante de la partie vraiment «littérature» de l' œuvre de Boubou Hama. Et c'est donc par ce canal que j'ai commencé à lire, assise sur ma chaise, l'œuvre de Boubou Hama. Alors, auparavant, qu'est-ce qui se passait? On veut bien pénétrer l' œuvre. On commence; on passe les textes, puis ma foi, on est assailli par une foule d'informations, une masse de données telle qu'au fond on bat en retraite parce qu'on a peur d'être submergé, un peu aussi parce qu'on n'a pas été préparé, au fond, comme lecteur, à lire ce genre de texte. En effet, comme le professeur André Salifou le disait tout à l'heure, dans son approche,
dans son raisonnement
pédagogique
- parce
que cet
aspect de l'écrivain, moi, m'intéresse particulièrement-, donc dans sa démarche pédagogique, il a cette façon de mener les choses qui décourage quelquefois les lecteurs formés comme nous le sommes, parce que finalement, en tant que « talibé-chercheur », quand j'aborde Boubou Hama, c'est pour trouver une information et je m'attends au fond à ce que cette information, je la trouve un peu comme on démontre un théorème, un 31 L'essence du Verbe, Niamey, CELHTO, 1988, Collection Cultures africaines, 185 pages (présentation de Fatimata Mounkaï1a). La deuxième partie sur les proverbes devrait paraître en 2006 aux « Classiques Africains ». Mme F. Mounkaïla a publié de nombreux articles et travaux, dont, en 1989, sa thèse: Le mythe et l 'histoire dans la geste de Zabarkâne (CELHTO, 242 p.). 29
postulat. Or, que constatons-nous? On doit chercher puis, une fois trouvé, voilà le résultat encadré et peut-être souligné de deux traits si possible pour éviter de se fourvoyer sur l'essentiel. Donc, j'ai parlé de la difficulté de ces textes et ces difficultés sont multiples, et à mon avis, nous, aujourd'hui, en tant que lecteurs formés à lire des œuvres présentées selon une autre logique, au fond, on n'est pas préparé à la lecture de Boubou Hama. Ça, je l'avoue et je le dis parce que, dans cette œuvre, les informations nous sont livrées en masse. Trop d'informations à la fois. Ce que nous attendons évidemment nous ne le trouvons pas selon la démarche à laquelle nous sommes habitués, parce que, je viens de l'expliquer, on attendait une démonstration avec donc un résultat, mais qu'est-ce qu'on rencontre dans Boubou Hama? C'est le Monsieur qui vous annonce qu'il va vous parler d'histoire songhay et en premier il vous sert d'abord vingt, trente, quarante peut-être même cinquante pages sur les Touaregs. Evidemment, on a tendance à reculer devant cette démarche et devant cette difficulté. Or, en parlant de l'aspect pédagogique du problème, je me demande si, lorsqu'on a rappelé que Boubou Hama était d'abord un instituteur32, ce n'est pas vraiment l'enseignant qui, au fond, met en marche une méthode pédagogique. Tout compte fait, en livrant cette information de cette manière, il oblige un peu l'apprenant à aller lui-même chercher l'information et à la trouver par lui-même. C'est une méthode qui a été expérimentée depuis l'Antiquité et on retrouve au fond cette pratique de l'apprenant qui doit s'enquérir lui-même, ou qu'on doit amener à chercher et à trouver l'information. Elle est vraiment ici. On la trouve dans Boubou Hama. Maintenant, comment expliquer cette démarche, cette approche, de l'information à livrer? Je pense qu'elle tient à une, deux peut-être même à trois choses. La première c'est que Boubou Hama est resté profondément attaché à l'oralité africaine. Cette oralité lui a fourni ses sources d'inspiration et c'est sur le plan littéraire que je voudrais en parler, et je crois aussi qu'elle lui a fourni des techniques. Au niveau thématique, c'est la réalité africaine qui est objet d'analyse et d'interrogation chez lui. Ce n'est pas une spécificité de Boubou Hama. Je pense que de nombreux écrivains africains, et pas seulement des gens qui sont restés le plus proches de la tradition, procèdent de cette manière. Maintenant, au niveau formel: c'est là où il semble que l'influence de l'oralité est la plus importante. On rencontre dans cette œuvre de Boubou Hama une façon de raconter des choses, et l'on se demande continuellement: « Qui parle?» Alors, premier aspect, première caractéristique, que je soulignerai, c'est l'omniprésence du narrateur dans le 32
Il commence à enseigner en 1929. 30
texte. Et on est continuellement balancé entre un narrateur-narrateur qui serait un effet de fiction d'écriture et un narrateur réel qui se cacherait comme un double: en d'autres termes il y a un «Je» et on se demande qui il est. Celui qui parle est-il le personnage qui est concerné ou est-ce un narrateur qui est extérieur à l'intrigue ou à l'événement33? Donc, cette manière de s'exprimer, on la trouve chez Boubou Hama, mais on la remarque chez d'autres écrivains; je pense par exemple à Jean Malonga dans La Légende de Mpufumu ma mazomo34 où nous observons également ce procédé littéraire de la narration. Il y a un second point qui me paraît important. C'est la volonté didactique manifeste, qui apparaît tout le long de la démonstration, à partir et autour de l'information qu'il donne. Je me suis demandé si ce n'était pas le vestige d'une conception de l'éducation traditionnelle ou de l'éducation dont tout adulte de la cité était chargé; disons, au fond, de l'éducation de la cité. Et que ce soit chez Boubou Hama ou chez d'autres écrivains, on décèle ce désir presque perpétuel de donner un caractère didactique à ce qui est dit. Et cela, on le rencontre y compris dans des genres qui sont des genres de fiction totale comme les romans35. Il Y a un troisième caractère que je soulignerai. C'est une sorte de mélange de genres qu'on trouve aussi bien dans Boubou Hama que chez d'autres écrivains. En effet, dans ses écrits, au'ils soient romanesques ou autres, on va du conte à l'expression théâtrale3 , puis au roman comme dans 33 Dans ses autobiographies, Boubou Hama parle de lui comme d'un autre et, en plus, il se désigne sous des noms différents selon les livres: Kotia (dans Kotia Nima), Bi Kado (dans L'extraordinaire aventure de Bi Kado, fils de Noir), Assa (dans Cet Autre de l'Homme), Albarka (L'aventure d'Albarka). Plus étonnant encore dans ses livres d'histoire, il se cite comme s'il s'agissait d'une autre personne: par exemple dans Histoire des Songhay (1968), il emploie souvent l'expression « L'un de nous, Boubou Hama », alors qu'il est, en principe, le seul auteur nommé du livre. Dans Essai d'analyse de l'éducation africaine (1968), on lit : «Le président Boubou Hama qui est de Fonéko, nous a affirmé que tous les habitants sont d'une même famille» (p. 123) ; on se demande alors qui est ce « nous », qui ressemble à un «je» qui n'est autre que Boubou Hama lui-même. Pourtant, si paradoxal que ce soit, dans ses livres d'histoire, il fait aussi un usage incessant du « Je» personnel: «je pense, je crois, je remarque, je connaissais... » qui traduisent une considérable intrusion du subjectif, inhabituelle dans la rigueur du récit historique. 34Le Congolais Jean Malonga (1907-1985) est contemporain de Boubou Hama. La Légende de Mpufumu ma mazomo a été publiée en 1954 et rééditée à Présence Africaine en 1973. 35 Nombre de romanciers et nouvellistes nigériens écrivent en effet dans cette perspective. Boubou Hama n'a pas écrit de roman; toutefois une œuvre de fiction comme Le double d 'hier rencontre demain manifeste clairement cette visée didactique. 36 Beaucoup de livres de Boubou Hama comportent des séquences présentées, comme dans une pièce de théâtre, avec le nom des personnages (deux amis, un maître et son disciple...) qui dialoguent entre eux. Par exemple, Bagouma et Tiégouma (1973), Hon si suba ben, 31
Kotia Nima, par exemple qui est une biographie avec un dédoublement du Je. En effet, dans la première page de Kotia Nima37, le narrateur commence par: « Un jour, une nuit, je ne sais, je naquis dans un petit hameau de brousse africaine, aux environs de l'année mille neuf cent neuf 38»Puis, ce « Je » est comme métamorphosé. Il devient autre. Et cet aspect est présent dans Boubou Hama; il est présent dans d'autres œuvres, et je pense aussi à quelques écrivains nigériens par exemple Issa Ibrahim dans Nous de la Coloniale39. On a exactement la même démarche, un « Je» qui est à la fois observateur et agissant. Je ne vais pas continuer à citer toute l'influence de l'oralité sur la technique, donc sur l'écriture de Boubou Hama. Mais, pour conclure, je dirai d'abord que la littérature orale me semble, au fond, une espèce d'œuvre finie de tous les savoirs de la tradition. Les savoirs sont tous là et évidemment on a cherché également la forme la plus apte à être mémorisée pour enfermer ce savoir, donc la littérature orale. C'est un peu la bibliothèque, ce qu'il faut conserver de la tradition qui se trouve donc être mis là dans la meilleure forme possible, pour être retenu, mémorisé. Par conséquent, lorsque Boubou Hama écrit, il fait d'abord de la littérature ce qui, peut-être, explique pourquoi aucun des spécialistes (de littérature, d'histoire, d'anthropologie...) n'est véritablement content de ce qu'il trouve, parce que, lui, il fait de la littérature au moment où les autres s'attendent à trouver une démonstration d'histoire, un exposé de faits ethnologiques ou simplement une œuvre purement littéraire. Donc on a le Tout, Tout en Un, et cela me semble être une des caractéristiques, en tout cas tout à fait marquantes40, du personnage: c'est-à-dire qu'il fait de la
Aujourd'hui n'épuise pas demain (1973), Changer l'Afrique (1973), Prospective (1973), Le double d 'hier rencontre demain (1973), etc. 37Kotia Nima a obtenu le grand prix littéraire de I'Afrique noire en avril 1971. 38Kotia Nima, Présence Africaine, 1968, Tome I, Rencontre avec l'Europe, p. Il. 39Nous de la coloniale, La Pensée Universelle, 1982, 125 p. 40La préoccupation de Boubou Hama est, en effet, d'appréhender I'Homme dans sa totalité, à travers l'ensemble de ses manifestations et de ses processus de transformations historiques et culturelles. Quand il s'intéresse au temps, il ne s'attache pas qu'au passé; il se soucie tout autant du présent et de l'avenir. Quand il parle du savoir, il n'élimine aucune forme si elle offre un contenu utile: l'écrit (livres, documents, manuscrits ajami) et l'oral (récits, traditions, légendes...). Quand il s'attache à la définition de l'humain, il prend ensemble le rationnel et ce qui le dépasse, le matériel et le spirituel. Quand il s'exprime, il use de l'exposé didactique en prose mais il peut y introduire de la poésie ou du lyrisme, y adjoindre des schémas géométriques (qu'il affectionne) pour offrir d'autres modalités de compréhension que le discours, etc. Même dans certains jugements, il gardera volontiers ensemble des personnes ou des situations pourtant antagonistes (comme Sonni Ali Ber et Askia Mohamed, etc.). Il s'agit donc bien d'une caractéristique marquante de Boubou Hama que ce « Tout en Un ». 32
littérature mais de la littérature au sens total du terme, là où les gens attendraient qu'il leur parle de spécialité.
André Salifou Merci, Madame Mounkaïla. Non! Vous n'avez pas du tout été longue! Nous étions encore toute ouïe et c'est avec plaisir que nous aurions encore aimé continuer à être à votre écoute. Voici donc un exposé introductif sur Boubou Hama écrivain notamment dans ses rapports avec l'Afrique de l'oralité. La parole va être renvoyée dans la salle et ceux qui aimeraient la prendre voudront bien se faire inscrire. Quelqu'un veut-il intervenir? Monsieur, s'il vous plaît!
Mamani Abdoulaye Je vous remercie, Monsieur le Président. Je suis surtout ému parce que c'est quand même un hommage à la mémoire d'un disparu que j'ai bien
connu, Boubou Hama: d'abord en tant que pédagogue - c'était un grand pédagogue nigérien- et en tant que collègue à l'Assemblée Territoriale et à l'Assemblée Nationale du Niger41, et ayant milité dans les différents mouvements de l'époque coloniale et de l'époque des indépendances. C'est vraiment, pour nous qui avons connu Boubou, un dernier hommage qu'on puisse rendre à sa mémoire. Vous avez fait un petit programme qui est très intéressant. Mais au niveau du point deux, il aurait fallu inscrire Boubou Hama, homme d'action. On ne peut pas séparer Boubou Hama l'écrivain de ce que fut Boubou Hama, homme d'action, qui ajoué un rôle très important au Niger. Boubou Hama, Mme Mounkaïla l'a dit, dans sa démarche littéraire paraît, aux jeunes, assez difficile à pénétrer. Et je reviens à la question où tout à l'heure André Salifou a mis les jeunes à l'aise, en leur disant de ne jamais laisser de points d'ombre et s'ils ont des interrogations, de les formuler, puisque je sais que les jeunes ont besoin de comprendre Boubou Hama. J'ai un exemple: en 1958, Boubou Hama avait commencé à publier dans Niger Informations 42 un petit reportage: «Le cotonnier, le coton et son histoire ». Après un débat à l'Assemblée, où nous avons croisé le fer 41
Mamani Abdoulaye, en tant que membre du Sawaba, fut un opposant acharné de Boubou
Hama
- ce
qui lui valut 14 ans d'exil (1960-1974).
Quand il prend la parole au séminaire de
1989, il est connu et reconnu comme l'auteur de Sarraounia (1980), mais il a aussi publié des poèmes (Poémérides, 1972), du théâtre (Le balai, 1972), des nouvelles (Une nuit au Ténéré, 1987). 42 Les Cahiers nigériens, distribution gratuite, étaient devenus Niger Informations. Le nOl date du 13 mars 1955. 33
puisqu'il était quand même le porte-parole d'un groupe et moi d'un autre43, je lui ai dit: «Mais maître, au fond, pourquoi vous écrivez ce truc qui n'a apparemment rien à avoir avec votre formation de pédagogue? » Il m'a dit: « Fiston44, les temps sont durs, j'ai besoin de parler. Et pour parler, j'écrivais sur n'importe quel sujet; en attendant de trouver ma voie, j'écris ». Boubou Hama était un homme qui avait besoin d'écrire; il écrivait sur tous les sujets; il écrivait. Or, c'est ça qui est très intéressant chez feu Boubou Hama. Et on était très jeunes à l'époque; quand nous lisions «Le cotonnier, le coton et son histoire », on rigolait. Mais Boubou Hama savait pourquoi il écrivait ça. Et il me l'a dit. Et bien sûr, après l'indépendance, il a pris son envol et il s'est mis à écrire et fort bien d'ailleurs. Je me souviens qu'en 1973, quand j'étais à Alger, mon éditeur45 PierreJean Oswald m'a demandé de venir le voir. Il m'a donc invité à Honfleur en Normandie. C'est là-bas qu'il avait sa maison d'édition. Or, il venait de recevoir un livre et un manuscrit de Boubou Hama. Pierre-Jean Oswald, qui était mon ami et mon éditeur, m'a interrogé: « Ecoute, j'ai reçu un livre, un papier assez curieux qui s'intitule Aujourd'hui n'épuise pas demain, ou quelque chose de ce genre; je me demande s'il faut le publier ». On était au café à Honfleur. Je lui ai répondu: « C'est de Boubou, il faut le publier. Ça, c'est l'esprit de Boubou. Pour vous les Européens, vous ne comprendrez jamais où il veut en venir. Mais en Afrique, c'est un bon bouquin, parce que les Africains ont besoin d'énigmes46 ». Et cette œuvre, Pierre - Jean Oswald l'a publiée quand même, mais il s'inquiétait de l'éventuel succès commercial et m'a dit: «Ecoute, mon ami, je te dis que franchement ma maison d'édition c'est un petit truc. Je ne veux quand même pas faire faillite ». Je lui ai répondu: «Non, il n'y a pas de problème. Tu publies; Boubou est capable de couvrir les frais d'édition». A l'époque, il était président de l'Assemblée Nationale, donc il avait les moyens de couvrir l'édition. Et Pierre-Jean Oswald l'a publié et le livre a eu du succès47. Alors vous voyez, c'est pourquoi je mets les jeunes à l'aise. Si vous avez des 43Boubou Hama militait au PPN-RDA et, à l'opposé, Mamani Abdoulaye au SAWABA. 44 Boubou Hama est né en 1906 ou 1909, Mamani Abdoulaye en 1932, d'où l'échange: « Maître », « Fiston ». 45 Mamani Abdoulaye avait publié Poémérides chez Pierre-Jean Oswald en 1972, soit un an avant la conversation qu'il rapporte ici. Pierre-Jean Oswald, né en 1931 (un an avant Mamani Abdoulaye), est mort en septembre 2000. 46 Cette appréciation de Mamani Abdoulaye est intéressante et se rapproche fort de celle de Jean Rouch sur Le double d'hier rencontre demain (publié par C. Bourgois). 47En définitive, Pierre-Jean Oswald a publié quatre ouvrages de Boubou Hama: 3 en 1973 d'abord Hon si suba ben / Aujourd'hui n'épuise pas demain; ensuite, en trois volumes, Les problèmes brûlants de l'Afrique: Tl Pour un dialogue avec nos jeunes, T2 Changer l'Afrique, T3 Prospective; enfin L'empire songhay. Et 1 en 1974 : Les grands problèmes de l'Afrique des indépendances. 34
questions, vous avez de la chance. Dans la salle il y a, pour vous répondre, des gens comme Jean Rouch, Jacques Chevrier48, comme moi-même qui connaissions bien Boubou Hama pour avoir discuté maintes fois avec lui. Pour nous, en tout cas sur le plan littéraire, Boubou Hama a ouvert de grandes perspectives aux jeunes. D'ailleurs, il a fait aimer la littérature orale au Niger. Et ce n'est pas pour jeter des fleurs à notre ami Diouldé Laya49, qui a pris sa succession, mais je rappelle que Boubou Hama, avant, avait été fonctionnaire à l'IF AN. L'IFAN c'était un petit centre de recherche sur l'Afrique Noire et c'est ce qui est devenu, je crois, le CELHTOso, à la naissance duquel, en tout cas, il a contribué. Or, en ce temps, Boubou Hama a donné une importance capitale à la littérature oraleS]. C'est ça le mérite de Boubou. Maintenant, quand nous en viendrons au deuxième point, sur l'homme d'action, nous aurons certainement à répondre à des questions et à soulever bien des pans qui semblent assez obscurs aux jeunes et nous expliquerons l'attitude habituelle de Boubou face à tel ou tel problème auquel l' Afrique a été confrontée pendant les trente dernières années.
André Salifou Je vous remercie, Monsieur Mamani Abdoulaye. Je crois, en effet, qu'il ne faut pas hésiter. Ce sont nos aînés qui sont dans la salle. Il faudrait accorder de l'importance aux anecdotes qu'ils peuvent nous relater. Ce sont des choses vécues dans des circonstances précises. Je crois enfin qu'il faut les rappeler parce qu'elles illustrent, mieux que n'importe quoi, tel ou tel aspect de ce personnage, tel ou tel aspect de l'œuvre, tel ou tel aspect de sa démarche, que celle-ci ait été strictement une démarche d'action ou une 48 Spécialiste de littérature africaine, auteur de nombreux ouvrages (Littérature nègre, L'arbre à palabres, Les Blancs vus par les Africains, Littératures d'Afrique noire de langue française, N ouvelie Anthologie africaine. ..), articles et communications. 49 Diouldé Laya, à cette époque directeur du CELHTO, est l'auteur de nombreux livres, parmi lesquels on citera: Anzuru: traditions historiques de l'Anzuru (CRDTO, 1970), La tradition orale (CRDTO, 1972), Les zamu ou poèmes sur les noms (CNRSH, 1972), Recherche et développement (CNRSH, 1973), Laawol JuJulde (Université de Paris X, 1978), La voie peule (NUBIA, 1981), Traditions historiques des Songhay de Téra (Karthala, 1998), etc. On peut aussi consulter le site « Dioulde Laya » sur Google. 50Le centre IFAN, Institut Français d'Afrique Noire, de Niamey (que Boubou Hama dirigera de 1954 à 1957), rattaché à Dakar, deviendra Centre de recherches en Sciences humaines (CRSH) en décembre 1964. Boubou Hama a contribué à la création en 1968, dans le cadre de l'UNESCO, du CRDTO (inauguré en juillet 1972), qui deviendra CELHTO, Centre d'Etudes Linguistiques et Historiques par Tradition Orale de l'Union Africaine centre qui jouxte l'IRSH et qui est parfois confondu avec lui. 51 Dans son Anthologie de la poésie de combat (malheureusement inédite), Mamani Abdoulaye a fait une place importante à la littérature orale et se trouve, sur ce point, en phase avec Boubou Hama.
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démarche de créateur. Je crois que c'est très important. Il va falloir que les autres anciens qui sont dans la salle s'en inspirent. La parole est à M. Moustapha MaÏ. Moustapha
Mai
Tantôt la Vice-Présidente parlait de la démarche littéraire de Boubou Hama. Je reviendrai là-dessus. Nous aussi, nous avons eu des anecdotes avec Boubou Hama. Je prendrai pour témoin d'ailleurs un de ses petits-fils qui est dans la salle52. C'était quelqu'un: il était président de l'Assemblée Nationale, mais à notre âge, à l'époque, on ne s'en souciait pas. Mais il adorait être entouré par des petits enfants. Ce qui nous agaçait à l'époque, c'était sa manière d'expliquer les choses. Il allait très loin et il venait petit à petit jusqu'à l'explication. A l'époque, nous n'avions pas beaucoup de temps à lui consacrer, et nous ne savions pas ce que nous perdions. On avait d'autres soucis. Mais il nous a quand même beaucoup appris les rares fois où nous avons eu l'occasion de rester longtemps avec lui. On a souvent parlé de l'aspect religieux de Boubou Hama. A l'époque, on disait qu'il ne priait pas et tout ça. Or, il priait. Parce qu'un jour, on était là-bas avec beaucoup de jeunes gens et il y avait des chrétiens avec nous. C'était l'heure de la prière, et il a dit d'aller prier. Les autres ont dit: « Ah, nous on est des catholiques». Il dit: «Qu'à cela ne tienne! Nous on fera Allahou Akbar, et vous ferez Notre Père qui êtes aux cieux ». Et c'est ainsi que ça s'est passé. Concernant sa démarche littéraire, quand on voit que Boubou Hama a écrit des livres pour enfants et quand on prend Kotia Nima ou Le Double d 'Hier rencontre Demain, on se demande pour qui il écrit. En tout cas, moi je me demande pour qui il écrit. Il a ce souci d'éduquer, d'instruire, mais il a aussi ce souci de pénétrer un monde qui semblait le refuser: je ne sais pas, on a l'impression qu'un aspect de sa création c'était son souci de croiser le fer avec des universitaires. Je m'interroge et je me suis toujours demandé s'il avait trouvé son public: pour quel public réellement voulait-il écrire, puisqu'on ne peut pas passer de l'écriture pour enfants à celle destinée aux universitaires puis revenir à celle du commun? Là est ma question.
52 Il s'agit de Farmo Moumouni, qui interviendra plus loin et qui publiera en 1993 Boubou Hama, L'itinéraire de I 'homme et du militant (Edition Hurtubise, Québec) qui est les carnets de Boubou Hama écrits en prison à Agadez en 1975.
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Jean Rouch Je dirai toute mon émotion et toute ma gratitude pour tous ceux qui ont eu l'idée de tenir ce colloque, d'instituer un prix Boubou Hama53; et ce rituel, que nous sommes en train de faire, peut-être que peu d'entre vous s'en rendent compte, consiste à rendre quelqu'un immortel après sa mort. Donc, moi je ne peux pas trouver meilleur hommage rendu à Boubou Hama. Comment ai-je fait la connaissance de Boubou? Pendant la Seconde Guerre mondiale54, j'étais un jour, encore très jeune, responsable de 20.000 manœuvres. Des gens qui faisaient des routes avec rien. Je le rappelais l'autre jour. Il n'y avait pas d'essence. Il n'y avait pas de fer. Il n'y avait pas de pioche, pas d'outils. Il n'y avait pas d'habits. On s'habillait de bandes de coton. On ne pouvait pas acheter à la boutique de la SCOA55qui était située, à l'époque, à peu près là où il y a l'hôtel Gawèye. Et on ne pouvait rien acheter; on ne trouvait rien. On mettait du miel dans le thé ou dans la citronnelle. Et j'étais un des seuls à avoir une flottille de camions vénérables et usés qui roulaient au gazogène. L'occasion qui m'a amené à avoir un contact avec Boubou est très simple. Un jour, sur un des chantiers situé pas très loin d'ici, dans le Gourma, à Ganguel, la foudre tue cinq ou six manœuvres et je reçois, dans un petit morceau de bois fendu56, un papier du chef de chantier qui s'appelait Panouf, m'apprenant que le Dongo57 avait tué quatre personnes. Je m'adressai aux gens du Bureau des Travaux Publics, mais, en France, on ne m'avait pas appris ce qu'il fallait faire sur un chantier quand la foudre tue les gens. Boubacar Cissé, qui était le commis des Travaux Publics58, m'a déclaré: «Ce n'est pas notre affaire ». Je ne savais pas quoi faire. Mais, 53Le premier prix Boubou Hama sera décerné, à titre posthume, à Ibrahim Issa, en 1989. 54 Jean Rouch est affecté au Niger en 1941 comme ingénieur des Travaux Publics des Colonies. 55 SCOA : Société Commerciale de l'Ouest Africain; le supermarché Pariscoa a été inauguré en décembre 1966. En fait, la boutique à laquelle Jean Rouch fait allusion était celle de Personnaz et Garden. Il est à noter que le personnel français de la SCOA a été lié à la vie
politique locale: parmi les députés du 1er collège (1946-1952)figure Marcel Dutheil, agent
de la SCOA ; en 1957, Georges Bret, directeur de la SCOA fut élu sur la liste PPN RDA de Tillabéry en même temps que Boubou Hama. 56Les messages étaient ainsi insérés dans un bâton de bois et portés par les messagers. 57 Dongo, divinité de la foudre. Cf. par exemple Boubou Hama L'empire de Gao (1952) p. 69 ; Essai d'analyse de l'éducation africaine 1968, p 79-86. Voir aussi Le mythe de Dongo (CRDTO, 1983) par Daouda Sorko, Jean Rouch, Damouré Zika et Diouldé Laya. 58Boubacar Cissé (1909-1989), fidèle ami de Jean Rouch fut plus tard un homme politique député RDA en 1957 à Niamey en même temps que Diori Hamani, Gabriel D'Arboussier et Moumouni Dioffo. Son fils, Amadou Cissé, a occupé, lui aussi, des fonctions politiques. Boubacar Cissé est cité comme informateur par Boubou Hama dans Enquête sur les fondements et la genèse de l'unité africaine (1966), p. 138.
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heureusement, à côté de moi, une petite voix m'a dit: « C'est l'affaire de ma grand-mère ». C'était Damouré Zika59,qui travaillait comme pointeur (il pointait les gens des travaux forcés qui travaillaient sur le chantier de «Niamey bas» où on construisait des maisons). Il m'a affirmé: «C'est l'affaire de ma grand-mère. Elle habite à Gawèye. Elle s'appelle Kâlia ». Nous sommes donc partis en gazogène60 et j'ai assisté pour la première fois de ma vie, et la demière6I, à un rituel extraordinaire auquel je n'ai rien compris, qui était dramatique et dirigé par une de ces merveilleuses « ladies» africaines qu'était Kâlia, une grand-mère remarquable62. Et je ne comprenais rien. Le même Damouré Zika a poursuivi: «J'ai été l'élève de Boubou Hama, qui est professeur; il faut aller le voir. Il sait beaucoup de choses làdessus ». Je suis donc allé voir Boubou qui, à ce moment-là, était enseignant à l'Ecole Primaire Supérieure, située à côté du vieux garage central. Et il m'a remis tout de suite deux textes tapés à la machine, sur ce qu'étaient le Holley, la religion, etc. qu'il avait publiés dans le Bulletin des instituteurs de l'AOP3. Il m'a donné ça très simplement, en me disant:« Tu lis ça d'abord - il m'a tutoyé tout de suite- et tu viens me revoir ». Et j'ai lu le texte. C'était mon introduction à ce monde qui était le sien, le monde des Holley, qui est le monde de la grande mythologie de la vallée du Niger. Et il m'a demandé de revenir le voir. J'avais un peu travaillé au musée de l'Homme. Il m'a demandé de venir un jour dans sa classe parler aux élèves de Lévy-Bruhl. Lévy-Bruhl était un personnage un peu mythique que nous avons eu dans l'histoire ethnologique française. C'est lui qui a parlé de la pensée prélogique et qui a eu l'extraordinaire courage quelques années avant sa mort d'écrire un texte disant que tout ce qu'il avait écrit était très 59Damouré Zika fut, toute sa vie durant, l'informateur, le collaborateur, le complice de Jean Rouch, en même temps qu'il fut acteur dans ses nombreux films de fiction. A l'époque de cet événement, Damouré Zika était jeune (cf. « une petite voix ») et c'est donc lui qui a introduit J.Rouch dans ce monde des esprits songhay ; c'est lui aussi qui le conduira jusqu'au seuil de l'au-delà puisqu'il se trouvait à côté de J.Rouch au moment de l'accident mortel qui lui coûta la vie en février 2004. 60Pendant la Seconde Guerre mondiale, la pénurie d'essence avait obligé à imaginer d'autres carburants. 61 Le rituel organisé pour les personnes foudroyées a été filmé par Jean Rouch en 1968 sous le titre Yenendi de Gangue l, le village foudroyé. 62 Dans L'empire de Gao (1954), le Dr Boulnois (plutôt que Boubou Hama, d'après nous) fait une remarque selon laquelle Kâlia aurait, plus tard, trompé Jean Rouch à propos d'un « authentique bâton de Faran Maka» qu'elle lui avait remis et qu'il avait déposé à l'IF AN à Dakar mais qui n'était, en fait, rien de tel (p. 111). Il aurait donc été, cette fois, victime de la duperie de la vieille femme. En tout cas, Jean Rouch a toujours été louangeur à l'égard de Kâlia. 63 Education africaine « Note sur le Hole ». Numéro de 1941-1943 (numéro groupé puisque c'était la guerre). 38
bon au point de vue des informations, mais qu'au point vue des conclusions il pensait qu'il s'était trompé. Je ne connais pas beaucoup d'universitaires qui aient eu ce courage. Et je dis ça à Boubou, qui me dit: «Moi, j'ai beaucoup d'admiration pour lui. C'est dommage qu'on ne puisse pas en ce moment le récupérer de Paris» - Bien sûr! c'était l'occupation allemande « C'est dommage qu'on ne puisse pas s'adresser à lui, car je crois que LévyBruhl n'avait pas tort; je crois que notre pensée est prélogique, car elle est l'origine de la pensée et la pensée a existé avant d'être logique» 64. Alors moi, j'étais en face de quelque chose de bizarre et j'étais tout de suite frappé par la façon dont il parlait, dont il racontait les histoires. Ce que tu as dit sur sa façon de parler aux enfants est très vrai. Il parlait à ses élèves de cette façon-là. Et, la suite, je la raconte très vite. J'étais arrivé au Niger appartenant à cette génération qui a reçu la plus grande humiliation de sa vie, juste au moment où on est très jeune, c'est-àdire de recevoir une fantastique raclée par les Allemands. Et j'ai commencé ma vie d'ingénieur en faisant sauter des ponts en France, dont le pont de Château-Thierry, sur lequel se promenait M. La Fontaine65. Je viens ici pour 64Les allusions et les discussions des idées de Lévy-Bruhl (1857-1939) sont fort nombreuses dans les œuvres de Boubou Hama et mériteraient une analyse à elles seules. Rappelons que cet ethnologue a publié entre autres: Les fonctions mentales dans les sociétés inférieures (1910), La mentalité primitive (1922), L'âme primitive (1927), La mythologie primitive (1935), L'expérience mystique et les symboles chez les primitifs (1938) et ses Carnets (1939) dans lesquels il avoue s'être trompé. Mais, évidemment, Boubou Hama ne pouvait en aucune manière, sur le fond, en accepter les présupposés. Voici ce qu'il en dit sans ambiguïté dans le T3 de Kotia Nima : C'est «le droit de Kotia-Nima de réfuter la prétendue mentalité prélogique, primitive, cristallisée à jamais (Lévy-Bruhl) des Noirs, interprétation osée et fausse, à base de documents interprétés, de la part de l'auteur de La Mentalité Primitive. Kotia cependant nuance son jugement sur ce professeur, quand il sait qu'il est revenu sur la théorie du Nègre prélogique avant sa mort. Mais le livre est là, écrit de main de maitre. Au sujet des Noirs, de leur mentalité primitive, stagnante, Kotia ne peut que verser l'œuvre de Lévy-Bruhl au dossier des erreurs de l'Europe colonisatrice, comme sources d'inspiration de tous les racismes qui ont justifié les horreurs de la colonisation» (p 34-35). Même chose déjà dans Essai d'analyse de l'éducation africaine (1968) p 8. Dans Enquête sur lesfondements et la genèse de l'unité africaine (1966), Boubou Hama s'en prend à Lévy-Bruhl plusieurs fois (p 359, 447-449) et au Gouverneur général Jules Brévié qui a utilisé les thèses de la mentalité prélogique des Noirs pour défendre la colonisation (par exemple dans son livre Islamisme contre naturisme au Soudan français, 1923). 65 Le célèbre fabuliste Jean de La Fontaine (très souvent cité par Boubou Hama dans l'ensemble de ses textes) était originaire de Château-Thierry. Rappelons que Boubou Hama a écrit un conte dont le titre est inspiré de la morale du « Lièvre et la tortue» : Rien ne sert de courir, ilfaut partir à point (Conte zarma), 1969, Niamey, IGN. Boubou Hama aurait très certainement été honoré de savoir qu'après sa mort certains de ses contes ont été publiés avec des fables de La Fontaine: Ainsi dans Mille et une histoires au creux de l'oreille (1988-89), « La jolie petite Bouli », « La légende de Sourou », « Sourou et Mounafiki » de Boubou Hama et Andrée Clair figurent au côté de « La cigale et la fourmi », « Le chêne et le roseau}) et également. .. « Le lièvre et la tortue ».
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faire des routes et des ponts et on faisait les routes comme les Romains. On faisait des ponts. Il y en a encore sur la route de Torodi. Vous êtes sûrement passés sur un de ces ponts. C'est nous qui l'avons fait. C'est un font romain, taillé en voûte comme les aqueducs, tel celui du pont du Gard6 ; ce sont les mêmes. Donc on faisait ce travail très extraordinaire. Et juste quelques jours avant le débarquement des Alliés en Afrique du Nord, je suis expulsé67 de ce pays comme gaulliste, ce qui à cette époque était très grave, et remis à la disposition du gouverneur général Boisson68 à Dakar. C'était aussi très grave, car Boisson était passé ici, à l'aviation quelques mois auparavant, pour nous dire de fourbir nos baïonnettes pour envahir le Nigeria et de chasser les Anglais du sol africain. C'était quand même un discours fantastique! Il a d'ailleurs été puni par le destin. J'ouvre une parenthèse pour vous raconter ce que peu de gens savent et je pourrais écrire une très belle pièce là-dessus. Boisson était un ancien combattant de la guerre 1914-1918. Il Y avait perdu une jambe. Il avait donc une jambe en bois. Un jour, on l'avait fait monter sur une petite estrade qui servait à cette époque pour charger les bagages dans les petits avions. Or, cette estrade était un peu mangée par les termites. Et sa jambe de bois a traversé le truc et il est tombé. C'était à la fois dramatique et horrible. Je dois dire que nous tous, qui étions là et habillés en «pique-bœuf », puisqu'on s'habillait en blanc à cette époque, on a éclaté d'un rire horrible. C'était horrible! Je ferme la parenthèse car Boubou Hama n'avait rien à voir là-dedans. Je suis donc renvoyé à Dakar. Et là, je suis accueilli par Théodore Monod, le directeur de l'IF AN69, qui me connaissait car j'avais écrit quelques petits textes70 sur ce que j'avais observé des phénomènes de possession. Et très 66
Très célèbre aqueduc construit par les Romains dans le Sud de la France. 67 Par le Gouverneur du Niger, le général Falvy. Rappelons que dans Boubou Hama, l'itinéraire de I 'homme et du militant, Boubou Hama a décrit longuement le fonctionnement du régime de Vichy au Niger et les démêlés qu'il a eus avec le même gouverneur. 68 Il fut gouverneur général de l' AOF de 1940 à 1943. A ce titre, il repoussa l'attaque des Anglais et de De Gaulle sur Dakar. Dans ses carnets de prison, Boubou Hama, l'itinéraire de I 'homme et du militant (1993), Boubou Hama raconte comment le général Falvy, gouverneur du Niger, lui créa des problèmes lors de la visite du Gouverneur général Boisson à Niamey (p. 53-56). 69 L'empire de Gao (1954) de Boulnois et Boubou Hama est dédié à Théodore Monod et à Marcel Griaule; et c'est Monod qui en écrit la préface (semble-t-il en 1943 ou aux alentours). 70En 1943, Rouch a publié dans Notes Africaines n020, à Dakar, un petit article « Aperçu sur l'animisme songhay». Dans l'avant-propos de La religion et la magie songhay (1989), on lit : « A la fin 1942, j'avais réuni une première documentation sur la mythologie songhay, une collection d'objets rituels employés dans les danses de possession, des photographies, et surtout j'avais acquis quelques éléments de la langue songhay. A Dakar, où mobilisé, j'attendais de partir pour l'Afrique du Nord, l'IF AN m'accueillait et avec les précieux
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rapidement je vois arriver un autre exclu, Amadou Hampâté Bâ71,qui, bien sûr, connaissait Boubou Hama72: ce sont eux deux que j'appelle mes grands-pères africains73. En tout cas, on ne pouvait être formé, je crois, à meilleure école. Voilà l'explication; il Y en aura beaucoup d'autres; on les fera paraître au fur et à mesure qu'on avancera. Je ne vais pas vider mon sac tout de suite. Je voudrais parler du problème qui a été posé ici. Et là je vais réagir violemment, mais il le faut. Il y a un mot que tu as oublié, qui est le mot poésie. Tu dis littérateur. Mais Boubou Hama était un poète. Et un poète, c'est quelqu'un qui est le maître de son verbe et qui sait le manier74. On a conseils du professeur Monod, je commençais un travail de bibliographie et de rédaction» (p. 14). En 1945, J.Rouch publiera dans le Journal de la Société des Africanistes (Vol. 15) un article: « Culte des génies chez les Songhay ». 71Amadou Hampâté Bâ (1901-1991) a été affecté à l'IF AN en 1942, grâce à Th. Monod. Ses livres principaux sont: L'empire peul du Macina (1951), Vie et enseignement de Tierno Bokar, le sage de Bandiagara (1957), Kaïdara, récit initiatique peul (1969), L'étrange destin de Wangrin (1973), etc. Ses Mémoires seront publiés après sa mort Amkoul/el (1991), Oui, mon commandant (1994). 72 Dans L'Aventure extraordinaire de Bi Kado (1971), on lit à propos de Ouagadougou en 1924-25 : « Il y avait aussi dans ce quartier Amadou Hampâte Ba (I'humaniste bien connu )} (p. 523). 73Dans la dédicace de La religion et la magie songhay (1989), on lit en effet: « Ce conte, je le dédie à mes deux grands-pères africains, à I'Hampaté Ba de La mère de la calamité et à Boubou Hama du double d'hier rencontre demain» p. 11. C'est bien sûr une façon de parler: Jean Rouch est né en 1917 et Boubou Hama en 1906/1909 ! Par contre Hampâté Ba était né au début du siècle en 1900/1901 et avait donc une quinzaine d'années de plus que lui. 74On pourrait prendre le terme Poésie en deux sens: le premier, au sens large, qui désigne la création et l'activité créatrice de Boubou Hama; le second, au sens restreint, opposé à la prose: or, on s'aperçoit que tous les grands livres de Boubou Hama (qui cite Lamartine, Musset, Hugo, etc.) incluent des vers libres en français parfois de manière ponctuelle et isolée, parfois en de longs déroulements: L'Aventure extraordinaire de Bi Kado, Kotia Nima, Cet Autre de l'Homme, Aujourd'hui n'épuise pas demain, etc. - sans compter les traductions en français de poésies orales. En outre, en dehors de cette forme poétique spécifique, il arrive souvent que la prose de Boubou Hama devienne lyrique et poétique comme on peut s'en rendre compte aussi bien au cours d'un exposé historique touffu dans Histoire des Songhay (1968) où, soudain, l'auteur s'enflamme pour Sonni Ali Ber et Askia Mohamed, tout comme dans les méandres initiatiques que suivent Bi et Souba dans Le double d'hier rencontre demain (1973). Enfin, on se rappellera la dernière phrase du Double d 'hier rencontre demain: « Que ta bouche garde le silence pour laisser voir tes yeux, pour qu'un jour puisse te parler ton cœur de poète ou ton âme de sage}) (p. 406). Boubou Hama lui-même se qualifiait de poète. Ainsi dans Bi Kado (p. 431) : « Le souvenir n'est beau que dans le ressouvenir qui l'embaume de sa poésie douce Oui! la poésie a des ailes qui embrassent l'espace et le temps d'un seul tire-d'aile, infini, indéfinissable ». Ainsi, encore, en 1975, dans ses carnets de prison, en se parlant à lui-même, il écrit: « Je sais que tous ces comportements, hors de ton tempérament, ont meurtri ton cœur de poète» (p. 26) ou encore «Frère, en toi, j'ai écouté le poète et, sur l'aile de la culture, ensemble, nous avons 41
très souvent parlé de cela avec Diouldé Laya. En fait, Boubou Hama est sans doute le plus grand écrivain vivant en Songhay. Je ne suis pas capable de juger le style de ce qu'il y a par exemple dans les proverbes75. Mais cette façon de transcrire, cette façon d'écrire une langue orale, est quelque chose de très, très étonnant. Je vais donner un tout petit exemple qui montre comment il travaillait. Dans Le Double d'Hier rencontre Demain, il y a une danse de ces petits nains, Atakourma76. On est dans le domaine de l'imaginaire (l'imaginaire, on en reparlera), et ils se mettent à chanter. Et lui, il cite les deux chansons l'une en songhay et l'autre dans la traduction française. Et toutes les deux sont parfaites. « Kouara borey I no ga nel Atakourma I bon tefal kan ga dirai ka lamti hol Lamti man til fala nol kala ma koy I ni nia do ka douma! wala ni baba do ka douma
»77.
Voilà le texte. Est-ce un texte? Moi, je serais tout à fait prêt à penser que c'est un texte qu'un Atakourma lui a dit un jour78 ! On en reparlera, c'est très important. Ille traduit: « Ce sont les hommes du village I qui disentl Atakourmal à la grosse têtle», non voilà, le texte est là : «Atakourma! à la grosse tête,1 qui es en train de marcherl à la recherche du sésame I; le sésame n'est pasl facile. Non! ISi tu ne vas
franchi la porte de la sagesse» (p. 27) in Boubou Hama, l'itinéraire de l 'homme et du militant (1993). Léopold Kaziendé a parlé du goût de Boubou Hama pour Vigny et Musset, pour les poètes parnassiens qu'il apprenait par cœur; il a également relevé les traits de son style particulier: « Il affectionnait les phrases longues, incommensurables. Mais, en dévidant patiemment les écheveaux qu'il enroulait, on retrouve les idées directrices d'une noblesse infinie. Il n'était pas Senghor, ni Césaire, ni Rabemananjara, ni même ses camarades d'école Sadji Abdoulaye et Ousmane Socé». 75 Il s'agit du recueil ronéoté et encore non édité Sentences, maximes, proverbes et locutions zarma, songhay, haoussa, peul et bambara. 76Jean Rouch: « « Ce sont de petits nains à grosse tête, à cheveux longs, à grosses fesses, à corps noir. Ils habitent dans les termitières et ils sont les bergers des biches et des pintades». On peut les considérer comme les plus archaïques divinités du Songhay» La religion et la magie songhay, (1989) p. 65-66. Boubou Hama, qui les appelle parfois des lutins, écrit de son côté: « Au bas de l'échelle de cette hiérarchie, il y a les génies, les diables, les Atakourma qui sont des esprits mais mortels comme les hommes» Merveilleuse Afrique, p. 113. Tout le chapitre 2 du Double d'hier rencontre demain leur est consacré (p. 35 à 96). Et déjà dans L'empire de Gao (1954) p. 124-126. 77Dans L'empire de Gao (1954), l'écriture est sensiblement différente, p. 126. 78 Cette remarque, qui semble relever de la boutade, est pourtant homogène et compatible avec l'exposé de Boubou Hama dans Le double d'hier rencontre demain (1973), où ce sont les Atakourma qui expliquent une partie du monde à Souba. Jean Rouch ne fait donc, d'une certaine manière, que transposer à Boubou Hama ce que ce dernier dit lui-même de ses personnages.
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pas /chez ta mère le planter/,. ou si tu ne vas pas/ chez ton père, chez lui / »79. Voilà une traduction qui est faite en suivant ce rythme et c'est comme cela qu'il travaillait. Je crois que la clé de Boubou Hama, c'est qu'il suivait cette tradition. Et le jour où les jeunes qui sont ici comprendront que cette tradition orale africaine est une tradition de la pure poésie, et si vous n'oubliez pas que la poésie est à la naissance de la connaissance, à ce moment-là on peut voir pourquoi Boubou Hama était prêt à fracasser les portes des temples des universités et que, pour lui, il y est entré de plein droit car il manipulait une langue très extraordinaire. On a parlé tout à l'heure des publications faites par Oswald. Moi, je suis au courant de celle-ci, puisque c'est moi qui ai porté le manuscrit de Boubou Hama à Christian Bourgois. Christian Bourgois est un personnage qui risque d'être de plus en plus célèbre et qui, avec un très grand courage, a publié des œuvres difficiles et dangereuses. Il a lu le texte de Boubou Hama; il m'a interrogé: « Qui c'est? » Je lui ai expliqué. Il m'a avoué: « Je n'ai jamais lu quelque chose d'aussi extraordinaire. Je n'ai jamais pu rentrer dans la poésie ». (La seule œuvre qu'il connaissait sous le même rapport était, à cette époque, le manuscrit de Hampâté Bâ). Donc, Le Double d'Hier rencontre Demain80 ce n'est pas Présence Africaine qui l'a publié, c'est Christian Bourgois dans la collection 10/18, c'est-à-dire en livre de poche. La première édition de ce livre a été publiée, je crois, à 20.000 exemplaires. Le livre se vendait dans les gares en France. Et moi, j'ai reçu des lettres de gens, des instituteurs, des cultivateurs, des Bretons, qui lisaient ce livre et qui voulaient en savoir davantage. Autrement dit, il se 79Le double d'hier rencontre demain p. 43-44. Dans L'empire de Gao (1954), on en trouve la première version un peu différente: «Atakourma à la grosse tête, / Toi qui marches à la recherche du sésame, / Le sésame n'est pas facile à cultiver / Si tu ne vas pas chez ta mère le faire planter, / Ou si tu ne vas pas chez ton père» (p. 126). 80Le double d 'hier rencontre demain, Paris, DGE, 10/18, 1973, 445 pages. Jean Rouch en a écrit la courte et belle préface, datée de décembre 1972. Dans La religion et la magie songhay (1989), il écrit: «Il y a plus de 15 ans aujourd'hui que Boubou Hama publiait aux éditions 10/18 de Christian Bourgois un livre étonnant Le double d'hier rencontre demain. Présenté comme un conte, il permettait à Boubou Hama de dire l'indicible. Ceci explique sans doute pourquoi il ne figure dans aucune bibliographie des travaux récents sur les phénomènes de possession. Je me souviens aussi d'une émission de la Radio nigérienne où nous n'avions été que deux, Diouldé Laya et moi, à oser en parler. Et pourtant dans ce récit aussi extraordinaire que les aventures les plus fantastiques de Lovecraft, il y a toutes les clés des questions posées par cet essai. J'en avais écrit la préface « à la diable ». Je l'ai relue avec une très grande émotion et une immense fierté. Christian Bourgois me disait récemment que ce livre continuait à se vendre (bien sûr beaucoup moins que le Wangrin d'Hampaté Ba) mais qu'il était très heureux d'avoir sorti, en livre de poche, une œuvre aussi difficile. Et je considère maintenant que toute recherche sur ces sujets qui n 'y ferait pas référence, ne vaut pas la peine d'être lue» p. 323. 43
trouve - comme pour le cinéma africain, mais je m'arrête là parce que je vais partir trop loin- que l' œuvre de Boubou Hama était connue bien davantage par les lecteurs français que par les lecteurs nigériens. Je termine en disant que nous avons fait un jour avec Diouldé Laya une émission qu'on avait enregistrée au radio clubs1 ; on était les deux à parler à de jeunes étudiants de ce livre qui pourrait être incontournable, comme un grenier fermé. On ne savait où était la porte. Quand on entrait dedans, on ne savait pas comment en sortir. Bon, on était tous les deux à parler de ça, d'ailleurs, avec des arguments certainement très violents et peut-être très faux, en disant qu'il n'y a qu'à rentrer par un bout et qu'on en sort par l'autre. Ce qui n'est pas vrai. De toute façon, moi je suis très heureux de pouvoir parler de ça et de saluer Diouldé.
André Salifou Merci, Jean Rouch. J'allais demander aux collègues de bien vouloir prendre cette précaution: évidemment, en donnant la parole, j'annonce déjà celui qui va parler, mais je préfère que chacun dise son nom avant de commencer. Ça nous facilitera la tâche au moment de la transcription du texte. La parole est à M. Namaïwa.
Boubé Namaïwa Merci, Monsieur le Président. Il est très redoutable de prendre la parole après des dinosaures comme Mamani Abdoulaye, Jean Rouch et Mme Mounkaïla, en sachant que derrière soi vont certainement intervenir Diouldé Laya, Mangoné Niang, Farmo Moumouni - celui qui m'initia à la lecture des textes philosophiques au lycée et qui, de surcroît, est le petit-fils de Boubou Hama -, vous-même et tant d'autres. Prétendre parler de Boubou Hama devant un tel auditoire est plus que déroutant, étant entendu qu'on a, en plus, parlé du style déroutant de Boubou Hama. Vous, c'est Boubou Hama qui vous déroute. Moi, c'est plutôt vous qui me terrorisez. Comprenez-moi; je ne suis qu'un simple étudiant de deuxième année de philosophie. Ai-je les mains assez propres pour prétendre partager le plat des grands ou, comme disent les Grecs, participer à un si grand banquet? Mais comme c'est vous-mêmes qui m'y invitez, alors souffrez que je plonge mes « mains saless2 » dans votre akushi ou tuwo comme on dit en haoussa et en songhay, respectivement, pour désigner ce qu'on appelle « assiette» en
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L'association des Radio-clubs du Niger a été créée en décembre 1962. Il Y a bien
sûr une allusion
aux Mains
sales
de 1.P. Sartre.
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langue vulgaire (le mot est de Descartes lui-même83).Après tout, j'aime que l'on me rappelle que je dois les laver. Personnellement je n'ai Ras connu l'homme Boubou Hama, puisqu'en 1974 je n'avais que huit ans 4. En plus, j'étais dans une campagne reculée de l'arrondissement de Tillabéry, plus précisément dans un petit village songhay qui s'appelle Famalé, et donc très loin de Niamey pour pouvoir bénéficier de l'attention toute particulière que Boubou Hama accordait aux jeunes gens, encore qu'il n'est pas évident que j'aurais pu en bénéficier, étant un fils de paysan. Cependant, je n'ai pas tout perdu puisqu'il a écrit. Libre à tout un chacun d'aller puiser dans l'immensité de son œuvre et de ressusciter Boubou Hama afin qu'il lui parle. C'est ce que j'ai fait. J'ai donc connu l'homme à travers son œuvre. Et la plus consommée est sans aucun doute Bi Bio da Souba. J'ai simplement remarqué que, dans ce texte, il est question de la cosmogonie songhay. Autrement dit, dans ce texte, que je pourrais considérer comme une Bible ou un Coran pour être plus dans le contexte nigérien, Boubou Hama nous emporte d'abord dans un univers inconnu: celui de l'invisible avant de revenir progressivement dans celui des humains, pour poser en fin de compte une espèce de parallélisme, de continuité ou prolongement voire de complémentarité entre deux mondes dont la réalité aux yeux des Songhay est incontestable. Cela me rappelle la structure du Coran. Les premières sourates sont totalement métaphysiques avant de finir dans une sorte de somme de préceptes moraux qui doivent régir notre vie en société. La fin du texte, Le Double d'Hier rencontre Demain, dont il est question ici, est très significative à ce sujet. Lorsque Souba et Bi Bi085entrent dans le monde des humains après avoir parcouru celui des génies et autres forces surnaturelles, c'est l'humain Souba qui va prendre la direction des choses, pour montrer à l'autre, Bi Bio, une autre réalité que la sienne qu'il avait eu le privilège de montrer à Souba. Evidemment, cela ne pouvait être possible sans la participation, ou l'éclairage d'un maître mi-homme mi-génie, qui se pose en intermédiaire entre les deux mondes ou entre les deux êtres, pour une intelligence de cette notion d'interpénétration des deux mondes. Il n'y a pas de contradiction fondamentale entre ces deux mondes, tout comme il n'y a pas de contradiction fondamentale à l'intérieur de chacun des mondes. Partout se 83
Pour Descartes, le français était langue vulgaire par rapport au latin; comme le haoussa et le songhay sont langues vulgaires par rapport au français dans le contexte nigérien. 84 C'est-à-dire l'année du coup d'Etat, quand Boubou Hama perd son rôle politique et est emprisonné. 85Le double d 'hier rencontre demain, p. 28 : «Bi, hier et Souba, demain, sont deux termes entre lesquels se déroule le destin ». Et p. 47 : « Je m'appelle Bi Bio, « l'ombre d'hier», « le double du passé, la mémoire des anciens» ». 45
trouve la complémentarité. Complémentarité et solidarité entre les deux mondes se prolongent entre les communautés avant de finir dans les catégories sociales. Quel cercle pouvait être plus intéressant que celui-là? Car en fin de compte tout est une question d'anneaux, dont trois sont importants: le noir, le rouge et le blanc86. Le cuivre fait appel à l'unité des races. Si Boubou Hama nous emporte dans ce monde merveilleux qui est à la fois différent et identique au nôtre, c'est pour nous rappeler l'unité des races, des ethnies, des clans, des professions. A ce sujet, une analyse du panthéon Holley est illustrative. Mais hélas, on ne s'en inspire plus, tenaillés que nous sommes entre le désir de s'affirmer en tant que soi et les exigences d'une réussite personnelle. Comment construire un peuple, une nation si on n'a pas une idée claire de la commune destinée et celle d'une différence identifiée? Il Y a quelque chose de plaisant dans ces textes. Il m'est même arrivé souvent de procéder à une analogie entre ce que faisait Alexis Kagamé87 et ce que faisait Boubou Hama. D'abord, on peut sans doute les classer parmi cette catégorie de philosophes (Rouch disait qu'il y a un mot qui manquaitcelui de poésie-, en fait il y en a deux, car le mot philosophe doit apparaître aussi) qu'on a, à tort ou à raison, taxés d'ethnophilosophes. Mais ils ont eu leur mérite à n'en point douter. Puis, ce souci de faire passer nos langues du statut de langue orale à celui de langue écrite; il Y a une véritable ébauche de l'écriture de nos langues aussi bien avec Kagamé qu'avec Boubou Hama. S'agit-il alors d'un moyen de conservation de nos langues ou bien plutôt de celui de la transmission fidèle de la tradition africaine? Dans les deux cas de figure, on y gagne! C'est ainsi que nous retrouvons des poèmes, je ne sais pas s'il faut les appeler « poèmes» ou proverbes, écrits en langue songhay. Cependant, à travers l' œuvre de Boubou Hama, il y a une espèce de rétention de l'information. Et cela gêne quelqu'un comme moi qui veux coûte que coûte apprendre. J'ai toujours eu un sentiment d'inachevé en sortant de la lecture de Boubou Hama. Je suis d'accord, il est vrai, qu'il ne pouvait pas tout dire ni tout savoir, pour plusieurs raisons d'ailleurs, dont la plus importante à mon avis est le caractère même de nos sociétés qui sont des sociétés secrètes (nous pouvons en rediscuter). Alors, à travers l'œuvre 86Dans le chapitre 2 du Double d 'hier rencontre demain, on suit la progression: la bague de cuivre rouge (p. 41-49), la bague de cuivre blanc (p. 49-52) et la bague de cuivre jaune (p. 52-59). 87Alexis Kagamé, (1912-1981), prêtre rwandais, auteur de livres sur la pensée africaine dont La philosophie bantou rwandaise de l'être (Bruxelles, 1956). Il a participé en septembre 1967, à Niamey, à un séminaire sur la méthodologie de la tradition orale, organisé par l'UNESCO. 46
de Boubou Hama, il y a toujours ce quelque chose qui nous échappe. Je donne un exemple: Il peut commencer: « Ey Sali Ndebi ga ! Ndebi ma Sali Nga Koy ga. Ey Sali bene iya ga. Ey Sali ganda iya ga. Ey Sali weyna huney. Ey Sali weyna kamey. Ey Sali azawa kambe. Ey Sali dendi Kambe88 » et tout d'un coup, il s'arrête. Plus rien dans ce sens, du moins en songhay, puisque cela continue en français. Or la parole est ainsi altérée. Elle n'a plus de valeur autre qu'une valeur littéraire. Elle perd sa force car ce sont les mots qui en sont porteurs. Nous ne saurons plus rien. Est-il victime de ce problème lié au secret, car réservé pour initié: par obligation, on ne peut ou ne sait transcender l'obstacle du silence. On a l'impression que Boubou Hama, qui veut transmettre à la jeunesse ce que l'Afrique a de plus merveilleux, de plus nécessaire, s'arrête à un certain moment comme s'il arrivait devant une porte interdite. Monsieur Jean Rouch, vous êtes là, et je crois que dans votre film, La chasse au lion à l'arc89, c'est exactement le même problème que rencontre votre acteur principal et chef des chasseurs, Tahirou Kôro90, puisque à un certain moment il se renferme sur lui-même, et le message ne passe plus entre l'initiateur et celui qui est à initier. De la même manière, le chef des Sorko dans votre film intitulé La chasse à l 'hippopotame91. Alors, je me demande si, réellement, il veut transmettre la totalité de ce qu'il détient comme information à la jeunesse africaine. Nous savons tous que ce qui caractérise la science c'est son caractère public. Sa publicité s'oppose ici à la notion de savoirs secrets. Comment dès lors faire de la science dans ces conditions? 88Traduction de Boubé Namaïwa: «Je m'adresse à Ndebi ; Ndebi s'adresse à son maître (Dieu). Je m'adresse aux sept cieux. Je m'adresse aux sept terres. Je m'adresse à l'est, je m'adresse à l'Ouest, je m'adresse au Nord, je m'adresse au Sud ». On trouve ce texte et des traductions un peu différentes dans presque tous les livres de Boubou Hama. Dans Katia Nima, T3, p. 90 : «Kotia cite en témoignage l'introduction suivante des textes de la magie sonraï: Je m'adresse à Ndebi, Ndebi s'adresse à son maître. Ndebi, c'est le Nabi et son maître c'est Dieu, maître de toute chose ». Même chose dans Merveilleuse Afrique (1971), p. 97. « Je m'adresse à Ndébi, Ndébi s'adresse à son maître (Dieu). Je m'adresse aux sept cieux, je m'adresse aux sept terres. Je m'adresse à l'horizon de l'est... de l'ouest... du nord... du sud ». Autre variante, dans le même livre p. 246 : «Je m'adresse au côté du soleillevant...du soleil couchant... du Nord, du sud... ». Idem dans Les problèmes brûlants de l'Afrique, T3, p. 30-32, etc. Idem dans Le retard de l'Afrique, p. 32. Idem dans Essai d'analyse de l'éducation africaine (1968) p. 41... Quant au texte songhay lui-même, il est graphié de manière différente selon les livres. 89La chasse au lion à l'arc a obtenu le Lion d'or à la XXVIème Mostra internationale d'Art cinématographique de Venise en 1965. 90Dans La religion et la magie songhay (1989), Jean Rouch fait mention de ce chef chasseur ~.1 316-317 et des problèmes liés au tournage de La chasse au lion à l'arc. Ou plutôt Bataille sur le grandfleuve (1953). 47
D'un autre côté, j'ai l'impression, en parcourant Le Double d'Hier rencontre Demain, que je me fais gruger, en tant que lecteur et apprenant. S'agit-il d'un mythe ou d'une réalité ou bien d'un mythe et d'une réalité? Autrement dit est-ce une réalité ou une construction imaginaire de l'auteur comme a su si bien le faire Mamani Abdoulaye avec son roman Sarraounia 92? Boubou Hama rencontre-t-il effectivement ces fameux Atakourma, puisque Rouch disait tout à l'heure qu'il est certain que ses textes lui ont été dictés par un Atakourma. Je suis dubitatif quant à l'existence réelle de ces « êtres ». Je n'arrive pas, de par ma formation de petit philosophe apprenti de la rationalité cartésienne, à comprendre la possibilité d'un tel monde. J'ai aussi le droit de ne pas comprendre ce qui ne m'a jamais été montré, y compris ce que vous pouvez imaginer et dont je ne citerai pas le nom. Sur tout un autre plan, je voudrais demander qu'au-delà de sa dénonciation (essentiellement politique) l'on rende justice enfin à Boubou Hama.
J'ai
remarqué
que par exemple
on utilise
son œuvre
-
puisque
jusqu'ici il semble être le seul Nigérien dont les œuvres peuvent le permettre-, on se sert de certains de ses textes pour tourner des films sans pour autant mentionner quelque part son nom. Ce procédé déloyal contribue à détourner la jeunesse de son œuvre par ignorance. Je comprends que la propagande officielle ou le zèle de certains puisse les amener à l'ignorer. Un exemple, sinon deux pour illustrer mon propos: les pièces théâtrales Sonni Ali Ber93 et La force du lait4 ont été produites par Télé Sahel, et reprises par la troupe du CCOG95 en haoussa. J'ai été scandalisé de ne pas voir le nom de l'auteur apparaître. La télévision aurait pu dire que c'était un produit tiré de Boubou Hama. La même chose se remarque avec Laforce du lait. Il faut rendre à César ce qui appartient à César, sinon c'est un pillage. Ailleurs, on aurait assisté à des procès. Mais comme nous sommes au Niger et que c'est un organe de presse contrôlé par l'Etat qui le fait..., bon, mais au nom de quoi? Moustapha Alassane96, lui, a fait preuve d'une honnêteté intellectuelle certaine en mentionnant que son film Toula ou le génie de
92
Le roman date de 1980. Le film de Med Hondo, présenté en 1986, reçoit l'Étalon du
Yennenga au FESPACO en 1987. 93 Sonni Ali Ber ou le destin, pièce en sept tableaux, Niamey, Association Amicale de Niamey, 1971. 94La force du lait, pièce en huit tableaux, Niamey, Association Amicale de Niamey, 1972. 95 CCOG : Centre Culturel OumarouGandaà Niamey. 96 Parmi les films de Moustapha Alassane, on citera: Aouré ; en 1966, La mort de Gandji (film d'animation) et Le retour d'un aventurier; en 1972, FVVA et Toula en 1973. 48
['eau est produit à partir d'une idée de Boubou Hama, d'un texte de Boubou Hama97.
André Salifou Merci, Monsieur Namaïwa. J'aimerais maintenant donner la parole à Monsieur Inoussa Ousseïni.
Inoussa Ousseini En fait, je voudrais surtout soulever une question relative au style, effectivement déroutant, de Boubou Hama. En réalité, il me semble qu'au sujet du style de Boubou Hama, à l'analyse des contes et aussi à l'écoute des épopées
racontées
par les griots
-
mais enfin des personnes
plus
compétentes sont dans la salle et pourront peut-être donner leur point de vue sur la question-, il me semble d'abord qu'une des raisons de cette déroute à la première lecture tient à son mode de pensée: en définitive, même si Boubou Hama écrit en français, il pense en zarma-sonraï, en sonraï. Et je crois qu'il traduit ce mode de penser traditionnel en poésie et exprime ainsi le reflet d'une culture, d'un individu. Et quand on fait l'analyse des contes et des épopées, on se rend bien compte très fréquemment que, lorsqu'un individu tout d'un coup décrit un marché ou un itinéraire, il peut lui arriver effectivement de parler de géologie. En parlant de la géologie, si son histoire l'amène à traverser simplement une rivière, il abandonne effectivement la traversée de la rivière pour apporter une connaissance sur tout ce qui a trait à l'hydrogéologie et aussi, disons, à la vie aquatique etc. Et je crois que parmi les écrivains en langue française, c'est un des rares qui utilise, qui traduit, qui pense vraiment dans sa langue, même s'il écrit en français. Et je crois que c'est son originalité. C'est un trait fort de vouloir, tout en empruntant une langue étrangère, rester soi-même dans le mode de penser, mais aussi dans le style. Et ce n'est pas par hasard que les cinéastes98 s'intéressent de plus en plus aux écrits de Boubou Hama99, parce que, tout simplement avec
97Boubou Hama a raconté I'histoire de Toula en plusieurs endroits: dans le premier volume des Contes et légendes du Niger (Présence Africaine, 1973), dans L'aventure d'Albarka (NEA EDICEF) tome 1, p. 90 à 95 ; un texte ronéoté (Niamey, 1971, 101 pages) lui est entièrement consacré. A noter enfin que, si Moustapha Alassane s'inspire du texte de Boubou Hama, il prend tout de même quelque liberté avec lui. 98 Inoussa Ousséïni, directeur de la culture de 1985 à 1990, a déjà produit neuf films au moment du séminaire sur Boubou Hama; il a également été, de 1979 à 1984, directeur général du consortium de distribution cinématographique (CIDC) et du centre interafricain de production de films (CIPROFILMS) à Ouagadougou. 49
l'histoire de l'écriture cinématographique, on s'est rendu compte que, même dans les pays à culture cartésienne comme la France, l'écriture linéaire ne correspond plus au besoin d'un art total, multidimensionnel tel que le cinéma. D'où toute une théorie d'ailleurs, qui s'est développée dans l'écriture cinématographique après 1968 et ayant pour thème la déconstruction. Et je crois que cette déconstruction, quand on l'utilise, permet de rendre compte totalement d'une tradition, d'une culture autre qui intéresse de plus en plus les gens. Par exemple, aujourd'hui quand on prend le cinéma africain, qu'est-ce qui popularise le mieux le style d'une manière générale? On constate que le peu de films africains qui ont effectivement un succès au niveau des autres cultures différentes se trouvent comme par hasard être justement des productions qui ont utilisé cette écriture déconstruite qu'on qualifie d'hétéroclite ou d'éclectique chez un écrivain comme Boubou Hama! C'est LumièrelOO de Souleymane Cissé; c'est Ceddo101 de Sembène Ousmane. Donc, il importe qu'on comprenne que Boubou Hama, en parlant des choses, traduit toute une culture africaine. Quand vous prenez un film comme Finyé102,il n'y a pas de début, il n'y a pas de fin ; c'est comme ça. Et je crois que la bonne histoire africaine, elle est un peu de ce genre. Quand on prend une épopée comme celle de Bakary Dia, vous pouvez commencer où vous voulez, vous pouvez rentrer dans Bakary Dia au milieu ou quitter avant la fin ; ou encore, vous regardez la fin, I'histoire recommence et vous êtes toujours dedans. Et je crois que c'est ça ce style. Moi, personnellement, il m'intéresse parce qu'on y est à la fois sans y être tout le temps. Enfin c'est ce que je voudrais dire sur le style littéraire qu'on a évoqué.
André Salifou Merci, Monsieur Inoussa Ousseïni. Oui, Monsieur Mangoné Niang. Allez-y!
99 Outre les raisons invoquées par Inoussa Ousseïni, on rappellera l'intérêt de Boubou Hama pour le cinéma: L'aventure extraordinaire de Bi Ka da, fils de Nair est entièrement conçu comme le déroulement d'une série de séances de projections de film. Le personnage, Bi Kado, est filmé par un Blanc, M. Sandoz - peut-être comme Jean Rouch aurait pu filmer Boubou Hama? 100Le film Yeelen (La lumière), du cinéaste malien Souleymane Cissé, a obtenu le prix du jury du festival de Cannes en 1987. 101Sembène Ousmane a présenté son film Ceddo en 1977. 102Avec Finyé (Le vent), tourné en 1982, Souleymane Cissé a obtenu l'Etalon du Yenenga au FESPACO de 1983. 50
Mangoné
Niang
Merci. Monsieur le Président, ce que vient de dire M. Inoussa Ousseyni me semble très important, et d'ailleurs je crois qu'un jour il faudrait réfléchir sur le rapport entre les caractéristiques de l'art africain et aussi d'une certaine modernité, parce qu'il y a quelque part des rencontres. Je veux dire qu'il y a des écrivains africains qui écrivent exactement, enfin de la même façon que des écrivains français modernes. Donc, ce serait intéressant de réfléchir, un jour, au problème de la rencontre entre l'esthétique négro-africaine ou l'esthétique africaine et l'esthétique du XXe siècle. A propos de Boubou Hama, je veux dire un certain nombre de choses. Je ne l'ai pas connu longtemps. Je ne l'ai connu que quand je suis arrivé ici, grâce à Diouldé Laya. Et à ce moment-là, je pense qu'il avait besoin de parler. J'allais le voir avec un certain nombre d'amis, il y a huit ansl03.Mais ce qui m'a frappé quand je me suis intéressé à Boubou Hama, aux textes de Boubou Hama - évidemment les premiers documents je les avais lus il y a très longtemps avant de venir ici -, c'est qu'il y avait comme un - je pense que ceci aussi il faut en rétablir un peu le réquisitoire-, il y avait comme un rejet, c'est-à-dire que Boubou Hama on ne le citait pas. On ne le citait pas avec des guillemets, mais on le réécrivait sans guillemets: c'est vrai, il suffit de parcourir les thèses qui ont été faites sur les régions d'ici pour s'en rendre compte. Alors c'est comme si on avait honte. En effet les caractéristiques qui ont été définies ici (par exemple le manque de rigueur dont on a parlé, certaines tendances mystiques qui bouleversent son propos) en ont peut-être aussi été la cause. Il y a peut-être également d'autres raisons que je ne connais pas, sans compter ce qu'a dit M. Abdoulaye Mamani et qui m'a frappé: « J'ai besoin de parler ». Moi je pense que ceci peut expliquer à lui seul le style de la totalité qu'on retrouve chez Boubou Hama. Boubou Hama était un scribe. Ce qui l'intéressait c'était de rendre compte, de perpétuer une certaine mémoire. Je me demande dans quelle mesure il avait l'impression de décrire lui seul, parce que des fois il dit « Le sabre de tel prince que l'un d'entre nous a vu au Daoura ». Alors, je ne sais qui est-ce qui parle? Est-ce Boubou Hama? Je veux dire que quelque part on a l'impression que c'est une écriture plurielle, et ça c'est propre au scribe. La question que je voudrais enfin poser et qui m'intéresse beaucoup, c'est en rapport avec ce qu'a dit M. Jean Rouch. C'est le lien entre Boubou 103Soit 1980. Donc ses rencontres datent de la période entre la libération et la mort de Boubou Hama. 51
Hama et Hampâté Bâ parce qu'ils n'ont pas, si vous voulez, la même origine intellectuelle. Je voudrais donc connaître les deux voies d'influence de la recherche africaine, c'est-à-dire l'information sociologique, ceux qui ont été des interprètes pour les chercheurs occidentaux donc Hampâté Bâ et de l'autre l'Ecole Normale William Ponty donc Boubou Hama. Je veux dire que ce serait intéressant qu'on ait des éclairages: est-ce qu'ils s'entendaient bien? Est-ce qu'ils avaient conscience de faire à peu près le même travail104? Parce que l'homme à qui on peut comparer Boubou Hama tout de suite, c'est Hampâté Bâ. Si on fait un schéma à trois têtes, Oumar Bâ est moins important. Il fait partie de la même génération mais il serait intéressant de savoir comment ces deux influences s'interpénétraient.
André Salifou Merci, Monsieur Mangoné Niang. Alors, je reviens sur ma recommandation de tout à l'heure; commencez par vous présenter, s'il vous plaît, avant de parler. Farmo Moumouni Farmo Moumouni, répétiteur de philosophie. On a parlé tout à l'heure du style déroutant de Boubou Hama. Alors, je voudrais poser une question très simple. C'est la suivante: je me demande si ce n'est pas le lecteur sorti des méandres de la pensée occidentale qui arrive lui-même dérouté à l' œuvre de Boubou Hama?
André Salifou Merci, Farmo. Oui, Monsieur Diouldé Laya.
104
A titre d'exemple de préoccupationcommunede ces deux penseurs, on peut rapprocherle
livre d'Amadou Hampâté Bâ sur Tierno Bokar et les belles pages que Boubou Hama a consacrées au même Tierno Bokar dans Kotia Nima, T2 et T3 (p. 132-137) et ailleurs (cf. Aujourd'hui n'épuise pas demain, 1973, p. 101...). Dans Prospective (1973), on lit: « Cette expression est de mon maître Amadou Hampaté Bâ» p. 25, note 1. Dans Essai d'analyse de l'éducation africaine (1968) p. 380-381, Boubou Hama parle longuement de lui et rappelle les circonstances où il l'a connu: «J'ai connu Hampâté Bâ dès ma tendre enfance, pour la première fois à Dori où il était l'ami de notre professeur d'alors, Kola Coulibaly. .. » etc. Il cite le texte Kaydara que Hampâté Bâ venait de publier. L'expression «mon maître Amadou Hampaté Bâ» se trouve aussi dans Hon si suba ben, Aujourd'hui n'épuise pas demain (1973) p. 108, juste après un commentaire sur Tierno Bokar (p. 101-102). 52
Diouldé Laya Je suis rentré de Ouagadougou ce matin: Ola Balogun le cinéaste nigérian et Basile GuissouI05 ont été très heureux de savoir que ce matin se déroulait cette cérémonie; ils ont beaucoup insisté pour être associés à la grande réunion qui va se tenir et qui est projetée. Je voudrais d'abord remercier Mamani Abdoulaye pour avoir évoqué l'article «Le coton, le cotonnier et son histoire », puisque ces articles étaient sortis au moment où nous étions à l'université et nous en riions effectivement. Nous nous demandions pourquoi cet article « Le coton et le cotonnier ». Seulement, aujourd'hui nous sommes obligés de nous rappeler que nous désirons comprendre les différents phénomènes scientifiques. Par exemple, le Niger a de l'uranium; quelles sont les utilisations possibles de l'uranium? Quel est l'avenir de l'uranium? Quel sera l'avenir de l'uranium nigérien? Nous demandons qu'on nous explique des problèmes scientifiques et technologiques que nous ne connaissons pas. En clair, nous insistons pour que ce que l'on appelle de la vulgarisation scientifique se développe, et je crois que maintenant on peut dire que aussi c'était une façon de vulgariser les connaissances scientifiques. C'est loin 1958 ! C'est vraiment très loin! Et je ne veux pas parler des conditions dans lesquelles je l'ai connu. Je pense que je mesure très bien le privilège dont j'ai bénéficié par rapport aux autres Africains, c'est-à-dire d'avoir eu une formation de sociologue et de trouver un président de l'Assemblée Nationale106 qui était capable, qui aimait la recherche, et pour qui la recherche représentait tout et il le disait. Il fallait simplement savoir l'écouter. Pour lui, la recherche était prioritaire et fondamentale. Et il a d'ailleurs dit un jour que si son poste devait lui servir à quelque chose, c'est d'abord à financer la recherche. Je crois que ce n'est pas théorique, puisque les preuves matérielles existent. Et il était donc de mon devoir d'exploiter cette situation: j'ai eu tort ou j'ai eu raison, mais ça je l'ai décidé et je crois que j'ai été beaucoup aidé, en ce sens, par Jean Rouch qui m'avait découvert. Je l'avais traité d'ailleurs d'ignorant lui qui ne savait pas analyser «nya ka fo sin tarey»107. Il n'avait pas fait de linguistique. Il ne savait donc pas décomposer « nya ka fo sin tarey ». Mais il m'avait quand même demandé de venir, après mes études, au Centre IFAN du Niger.
105Sociologue burkinabé qui fut ministre des Affaires étrangères de Thomas Sankara. 106Boubou Hama a été président de l'Assemblée Territoriale (en décembre 1958) puis président de l'Assemblée Nationale de juillet 1960 à avril 1974. 107Traduction: « descendant de la même mère» (c'est-à-dire un parent utérin). 53
Pour le style, j'ai eu des discussions très dures avec le vieux (je l'appelle comme ça)108.Un jour, je lui dis: «Ah! Monsieur le Président, les universitaires disent que vous écrivez très mal. Par exemple, moi, je ne comprends pas ce que vous écrivez là. Je ne comprends pas. Ça veut dire quoi? » Il me regarde et puis il me dit: « Mais enfin il faut lire! ». Moi, je ne comprends pas. Bon je laisse le texte comme ça. Toutefois, j'ai modifié certains textes, ceux qui étaient très arides par rapport à son style. Je crois qu'il faut apprendre vraiment à le lire. Et c'est vrai, je crois que c'est en lisant Boubou Hama que je me suis posé beaucoup de questions sur le raisonnement africain. Non, il ne faut pas dire que notre mentalité est prélogique. Ça, ce n'est pas exact! Mais la logique du texte oral, la logique du discours africain, il faut découvrir cette logique. De toutes les façons, tout le monde sait que les paysans rient de vous parce que vous avez votre logique qui ne correspond à rien du tout et qui est vide pour eux. Vous n'arrivez pas à retrouver la logique du paysan; vous n'emportez pas sa conviction. Il faut découvrir la logique du texte, et si on peut l'utiliser, il faut le faire. Je pense d'ailleurs que les politiciens l'ont compris et, eux, ils n'ont pas de problème à ce sujet-là. Ce sont les écrivains qui ont des problèmes. II faut donc essayer de comprendre la logique dans les différents écrits de Boubou Hama. Je crois que c'est vraiment une tâche urgente. On a demandé enfin à qui s'adressait Boubou Hama. Je crois qu'il s'adresse à tout le monde. Il écrit pour des chercheurs par exemple. Il fait de l'ethnologie, de la sociologie; il fait de ]'histoire; il écrit sur le Gobir, sur les Zarma. Bon, les historiens en font ce qu'ils veulent. Mais il écrit aussi pour les élèveslo9, parce qu'il se demande:« Ah! Les élèves de l'école primaire, qu'est-ce qu'on va écrire pour eux? ». Et, par exemple, l'un des derniers ouvrages inédits intitulé: Proverbes, Sentences et Maximes inclut des locutions proverbiales peul, bambara, songhay, toucouleur, mossi, gourmantché, etc. Or, ce texte, il le destinait aux enseignants. Il pense aux élèves et donc aux enseignants. Voilà donc un livre destiné à un public très 108En 1971, dans Bi Kado, p. 224, Boubou Hama dit de lui-même: «Voici comment Boubou Hama, le « vieux» comme vous dites, a retracé sa vie dans un livre intitulé L'histoire de Sabou Monzon ». Et encore p. 431 : « J'étais Bi Kado et je suis aussi « le vieux ». Je suis le souvenir frais surpris, mais encore le passé qui s'actualise dans un souvenir ayant traversé ce passé qui se présente de lui-même dans l'auréole voilée de son mystère prenant comme une merveille qui vous cloue de son extase éblouissante ». 109Dans la conclusion de Cet Autre de l'Homme (1972), Boubou Hama s'exclame: «Et voilà, les enfants, j'ai fini ce livre qui est écrit pour vous ». On ne peut être plus explicite sur le public ciblé; mais il en va de même pour la plupart des livres dont le style et le mode d'exposition sont adaptés à un public identifié. On se rappellera aussi qu'il a écrit deux livres d'histoire pour les élèves du CE (Niger, récits historiques) et du CM (Histoire du Niger, l'Afrique, le monde, 1965). On pense aussi à tous les livres pour enfants: L'aventure d'Albarka, etc. 54
précis et je crois que l'ouvrage est vraiment très bien. Le CELHTO va le reprendre, l'imprimer. Boubou Hama a donc des publics variés. Il écrit aussi pour les Européens. Jean Rouch pourra en parler. Oui, le dernier point c'est Sonni Ali Ber et Laforce du lait: ce sont des pièces de Boubou Hama interprétées pour la première fois par l'Amicale de NiameyllO, amicale qui a été dissoute en 1974, après le coup d'Etat, par S. Kountché ; or la troupe actuelle du CCOG111est constituée par nos cadets. Ce sont nos jeunes qui ont joué la pièce. Mais ce sont des pièces de Boubou Hama. Vous avez tout à fait raison; je crois que nous allons demander que la rectification soit faite. Mais ce sont des pièces de Boubou Hama. En tout cas, je suis très heureux que cette manifestation sur Boubou Hama se déroule ainsi. Et je crois qu'il y a vraiment un travail scientifique très sérieux à entreprendre sur les œuvres de Boubou Hama. A un moment, je discutais avec André Salifou pour savoir s'il ne fallait pas réécrire les ouvrages. Je crois que nous ne sommes pas tombés d'accord. Il a estimé qu'il fallait peut-être les laisser dans ce style-là. Mais je crois qu'il faut vraiment les revoir, ne serait-ce que par exemple pour citer les ouvrages de manière claire et donner des références claires. Vous prenez une thèse écrite par un Africain et soutenue brillamment devant une université: il va souvent manquer la date ou on va vous mettre la date avant le lieu d'édition, alors qu'il y a des règles précises. Mais on ne peut reprocher à Boubou Hama d'ignorer ces règles-là qui ne sont pas respectées par des universitaires néo-coloniaux.
André Salifou Merci, Monsieur Diouldé Laya. Si vous n'y voyez pas d'inconvénients, avant de nous séparer, puisqu'il va être bientôt 12h 30, je vais passer la parole à notre hôte et l'après-midi nous reprendrons ce débat. Que nos amis se rassurent: tout ce qui a été formulé ici sous forme de questions est mentionné et on vous y répondra.
Maître Paceré Titinga Frédéric Je vous remercie, Monsieur le Président. C'est Me Paceré Titinga Frédéric, président de l'Union des Gens de Lettres du Burkina Faso112.Je 110L'Association amicale et sportive de Niamey (on dit: L'Amicale) semble dater de 1936. Elle a été précédée en 1935 par La Jeunesse française de Niamey dont Boubou Hama était le secrétaire. En 1939, Boubou Hama est vice-président de l'Amicale. A noter qu'en 1942 Diori Hamani et Djibo Bakary s'occupent de la section « sport» de cette association. 111Centre Culturel Oumarou Ganda. 112Au moment du séminaire, il a déjà publié une quinzaine de livres (poèmes et essais). 55
voudrais à travers votre personne adresser mes sincères remerciements à Monsieur le Ministre chargé de la Culture pour avoir bien voulu me convier à prendre part aux travaux de ce colloque. Pour des raisons de dernière minute, parce que moi-même je me suis retrouvé à l'extérieur, il n'a pas été possible de me communiquer le thème de vos travaux, ce qui fait que je n'ai pas pu avoir tous les éléments d'étude, d'appréciation, d'analyse, pour pouvoir intervenir à la mesure de ce qui est souhaité, encore que, ne serait-ce que pour le temps qui nous reste, le maximum pourra être fait pour une contribution telle que vous la souhaitez. J'ai écouté les différentes interventions, par vous et par Mme Mounkaïla et par tous les confrères: plusieurs idées ont été émises, portant sur Boubou Hama et sur ce qui est inexpliqué, à savoir son originalité vis-àvis de sa culture et de l'expression toujours unique et sûre de cette culturelà. On a demandé pour quel public il écrivait, mais surtout on a fait état de son style déroutant. Je pense que pour un tel colloque il était bon qu'on puisse évoquer d'autres expériences. C'est pour cela que je voudrais faire état de ma propre expérience, de mon propre cheminement, de mes propres connaissances, surtout relativement à un autre homme, aîné uniquement en âge par rapg0rt à Boubou Hama. Il s'agit de l'écrivain du Burkina Faso Dim Delobsoml 3 qui a subi également les mêmes critiques mais qui a connu une autre fin : en effet, un jour, alors qu'il se portait bien, le 13 juillet 1940, il était au milieu de sa famille; on est venu lui apporter près de trente présents dont une boisson qu'il a consommée et dont il est mort sur place. C'était l'un des plus grands chercheurs du Burkina Faso et l'un des plus grands écrivains puisqu'il aura fait paraître deux grands ouvragesl14, - disons huit au total -, mais deux grands ouvrages faisant plus de trois cents pages chacun et cela dès 1932. Si j'en fais état avant de développer mon propos, c'est que Boubou Hama, Dim Delobsom et les autres de leur génération se sont retrouvés dans une situation quelque peu de tampon. Pourquoi? Ils relèvent d'une 113Le rapprochement est d'autant plus justifié que Boubou Hama connaissait Dim Delobsom puisqu'il lui rendait visite quand, jeune élève, il fréquentait l'Ecole Primaire Supérieure de Ouagadougou en 1924-25 - cf L'Aventure extraordinaire de Bi Kado, fils de Noir (1971), p 524 : «Au sud-ouest de Mohimet se tenait une concession presque solitaire, celle de Dim Dolobsom, l'écrivain moga bien connu, qui écrivit des livres importants sur les traditions du pays mossi. Je cite en passant La cour du Moro-Naba ». cf aussi, Cet Autre de I 'Homme (1972) p 73 : «Le vieux toussa une troisième fois et la ville de Ouagadougou s'étala sur un grand tableau: Et, voilà! Dapoya, I la maison de Dim Delopso, le grand Ihistorien mossi » la graphie du nom Dim Delopso est dans le texte. On peut se reporter aussi au témoignage de L. Kaziendé qui a parlé des liens entre Boubou Hama et Dim Delobsom. 114Dim Delobsom (1897-1940) : L'empire du Morho-Naba (1933) et Les secrets des sorciers noirs (1934), livre qui a obtenu le grand prix de l' AOF.
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civilisation - disons le mot encore que nous l'ayons combattu dans nos propres travaux-, la civilisation de l'oralité. Qu'est-ce que c'est? Je m'excuse de développer un peu pour être compris. Certains viennent de Ouagadougou où ils ont été à la cour du Moro Naba. Ils se sont certainement aperçus d'une chose: le vendredi matin, un monsieur bat son tam-tam et souvent d'autres répondent. Certains se mettent à rire ou souvent à pleurer parce que le tam-tam transcrit un message et on converse entre hommes de culture par le langage tambouriné qui n'est pas le langage oral et certainement pas le langage écrit. Or la phrase du tam-tam n'est pas formulée: sujet + verbe + complément, mais comme une juxtaposition de devises, chaque devise étant composée en son temps et impliquant un choix, choix au moment de la nomination de la personne, choix au moment de l'institution de la circonscription administrative, etc. Cela signifie quoi? Que pratiquement toute la culture des Mossis se trouve enfermée dans le langage du tam-tam. Il suffit donc de l'étudier; il suffit de la maîtriser et on refait toute I'histoire, toute la politique, tout le culturel des Mossis, ce qui fait qu'en ce qui concerne le Burkina Faso, Dim Delobsom a passé une grande partie de sa vie à l'étudier pour pouvoir la maîtriser et pour pouvoir la diffuser. En conséquence, ces devises étant choisies en n'importe quel temps, et la phrase étant une juxtaposition, le sens exprimé peut commencer au présent et se terminer au passé. La phrase peut ne pas supposer un sujet mais avoir avec un complément, ce qui fait que nous nous retrouvons avec une logique spécifique; nous nous retrouvons devant des concepts et des procédés de littérature où les règles, je veux dire les règles occidentales, sont battues en brèche. Il faut donc plutôt prendre nos hommes, qui ont étudié leurs cultures, par rapport à leurs cultures et non par rapport à une autre culture qu'on voudrait universelle mais qui ne peut pas l'être. Nous avons des chercheurs qui ont fait des études. Ils interrogent tel vieux aujourd'hui; ils interrogent un autre vieux demain etc., mais ils s'aperçoivent d'une chose: tout ce qui constitue la mémoire de l'Afrique se retrouve enfermé comme des archives dans des boîtes crâniennes, c'est-àdire qui sont périssables. Boubou Hama, s'il ne fait pas de telles recherches, s'il n'arrive pas à tout emmagasiner et à tout reproduire, il sait que ceux qu'il interroge dans vingt ans, dans trente ans auront disparu. Dim Delobsom, au Burkina Faso, s'est aperçu que certains vieux, s'il ne les interrogeait pas, ils risquaient de mourir dans les quarante-huit heures. D'ailleurs, j'en ai fait ma propre expérience, puisque j'ai plus de deux mille heures d'enregistrement de cassettes vidéo, films etc. et certains hommes que j'ai enregistrés sont morts dans les vingt-quatre heures qui ont suivi. Et donc ces hommes travaillent; ils veulent livrer leur secret, disons leur travail. On se retrouve dans un même ouvrage à parler d'anthropologie, de littérature, d'histoire, de 57
sociologie. Si vous prenez L'Empire du Moro Naba de ce fameux Dim Delobsom, vous avez tout à l'intérieur, ce qui fait que Boubou Hama se retrouve également dans la même situation, c'est-à-dire que cet homme pensant, à tort ou à raison, être une certaine chance de plusieurs civilisations, à un moment donné, est obligé de tout livrer à la fois; dans ces conditions d'urgence et compte tenu justement du problème du temps qui se pose, que l'on m'excuse, si on a été formé sur « le tas », le style paraît être secondaire. Je préfère même à la limite que l'on maintienne ce style-là, mais que le chercheur puisse passer tout son temps à pouvoir enregistrer, à pouvoir réaliser tout ce qui constitue les archives sonores ou écrites afin de permettre aux jeunes générations de pouvoir disposer de quelque chose et d'employer
ultérieurement
le style qu'il faut
- académique,
cartésien
ou
autre. Mais concernant ces chercheurs africains, il faut savoir en effet que le style peut être déroutant. Voici ce que je peux dire au niveau de la philosophie de tous ces travailleurs. V ous savez, il y a un critique littéraire qui a rappelé dans son ouvrage
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je ne sais pas si c'est mon confrère Jacques Chevrier ou un autre - que ce sont les premiers écrivains de la négritude, Senghor ou Césaire, en fait les premiers écrivains de l'Afrique francophone, qui se sont surtout d'abord grandement intéressés à l'anthropologie, c'est-à-dire à tous les aspects concernant ces sociétés-là car ils voulaient disposer des éléments de la vraie connaissance de l'Afrique pour pouvoir la diffuser. II y aura beaucoup à dire sur l'écrivain Boubou Hama et c'est l'une des grandes sommités intellectuelles de cette époque. Mais si je préfère ne pas encore trop m'aventurer, c'est parce que j'avoue que, même si j'ai lu certains de ses livres, je n'en ai pas lu le dixième, puisque je me suis aperçu, en parcourant le bulletin local, que l'intéressé a fait près de deux cents écrits. Donc c'est pour dire que je ne prétends pas avoir tout lu ! Boubou Hama est l'une des plus grandes sommités de l'Afrique. Et le colloque que vous avez décidé d'organiser constitue en tout cas l'une des premières grandes manifestations pour tenter de saisir une certaine Afrique qui semblait être méconnue, sinon quelque peu même combattue, par certains qui risquent de ne rechercher de l'Afrique que ce qu'on connaît déjà de l'extérieur et qu'on voudrait transplanter sur cette Afrique-là.
Néanmoins, il faut savoir qu'il y a toujours des limites. Par exemple chez Dim Delobsom lui-même, puisque j'ai fait beaucoup de travaux sur cet homme-là, il y a beaucoup de limites à tous points de vue: au niveau du style, au niveau conception, mais peu importe. Ce qu'il y a d'intéressant, c'est de voir qu'au moins sur cent éléments d'un domaine déterminé, que ce soit I'histoire
ou l'anthropologie,
si on a pu sauver au moins 51 %
- et
certainement on a sauvé, dans le cas de Boubou Hama, près de 80% -, c'est de l'inespéré. II y a donc vraiment de quoi favoriser la recherche au niveau 58
Niger, au niveau du continent africain et surtout il y a de quoi ne pas laisser s'éteindre la flamme mais prendre le flambeau: nous demandons aux jeunes générations de faire ce que les anciens ont voulu faire, quitte là aussi à révéler de telles limites. Une fois de plus, je vous remercie pour cette invitation et je souhaite plein succès à nos travaux.
André Salifou Merci à notre confrère du Burkina Faso et je ne doute pas que vos interventions spontanées ont été à la hauteur et peut-être même ont-elles été plus intéressantes que celles que vous auriez faites si un mot vous était parvenu vous demandant de préparer une communication. Cela dit, j'aimerais faire le mauvais élève. Pourriez-vous me dicter le nom de votre référent? Me Paceré Titinga Frédéric Dim Delobsom, 1897-1940. Il est mort empoisonné, parce qu'il s'est intéressé à trop de choses. Jusqu'à aujourd'hui on ne sait pas qui l'a empoisonné mais, dans toutes mes études, c'est la première fois que je vois un homme qui puisse rassembler autant d'ennemis contre sa propre personne parce qu'il avait beaucoup d'idéesl15.
André Salifou Oui, j'ai posé la question du nom de cet homme, parce que, dans le décryptage de ce que nous enregistrons, il faudra présenter au public cet aîné, ce devancier. Chers collègues, il est pratiquement 12h 30. Je crois que nous pouvons nous séparer et peut-être envisager de nous retrouver à partir de 15h 30, pour reprendre nos travaux par de nouvelles questions et par des réponses aux questions qui ont été posées.
115Un an après ce séminaire, en 1990, Pacéré Titinga a publié à Ouagadougou un livre de 174 pages intitulé Dim-Delobsom, l 'homme et I 'œuvre.
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DEUXIÈME SÉANCE
6 mars 1989, 16h-18h
André Salifou Je vous remercie chers amis; il est 16 heures passées. Nous allons donc reprendre nos travaux. La démarche que je vous propose est la suivante: s'il y en a qui, à la lumière de ce qui a été dit ce matin, ont encore un complément d'information à apporter ou des questions à poser, je leur donne la parole. Dans le cas contraire, j'essaie d'apporter un début de réponse à ce que je crois avoir perçu comme interrogations ce matin ce qui n'empêchera pas d'autres personnes dans la salle de prendre la parole pour compléter, expliciter ou nuancer mes propos. S'il y a donc des collègues dans la salle qui veulent intervenir, je leur donne la parole que ça soit pour apporter un témoignage ou pour poser des questions. Oui, Diouldé Laya ! Diouldé
Laya
J'avais oublié ce matin de donner une petite information sur la question relative à la limite qu'il ne faut pas dépasser, donc au problème de secret. Boubou Hama était-il tenu de ne pas dire tout ce qu'il savait? Un fait est sûr. Un jour, il m'a dit qu'il était tenté d'étudier le tyarkaw tarey1l6, la sorcellerie, mais il lui semblait que c'était très difficile. Je sais qu'il a essayé, mais que, finalement, il était déçu par les informations qu'il avait obtenues et il lui a paru impossible de pénétrer, d'aller au fond de cette question et ça nous en avons discuté. Et c'est une question difficile, parce qu'il faut savoir quel est le point de départ. Dans les sociétés nigériennes, on ne connaît pas la notion de sociétés secrètes telles que nous les
116Tyarkaw: mangeur d'âmes. Sur l'origine féminine des tyarkaw et leur transmission par « la voie du lait », voir La religion et la magie songhay (1989) p. 301-303 ; et sur la lutte contre les tyarkaw p. 305-306.
observons au Soudan Occidental117, disons dans les pays Manding par exemple; ici elles n'existent pas. Mais en même temps, nous savons que, quand un monarque nous pointe comme ça du doigt quelque part ou que quelqu'un vous pointe du doigt vous disparaissez. Nous ne faisons pas la relation, mais nous constatons qu'il n'y a pas de sociétés secrètes telles qu'elles existent au Soudan Occidental. Les sociétés secrètes telles qu'elles existent au Soudan Central ne sont pas aussi bien organisées et aussi manifestes dans le Soudan Occidental. Est-ce que cette institution est le produit d'une certaine évolution et qu'y a-t-il derrière cette notion: est-ce une société secrète? Qu'est-ce qui se cache derrière un fait dont on parle dans toutes les sociétés, les uns n'hésitant pas à dire que les autres ont cette capacité-là? Voilà donc un problème très précis qu'il aurait voulu étudier, mais sur lequel, je crois, il n'y a pas grand-chose. Je pense que, dans l'un de ses derniers ouvrages, il y avait un texte en zarma, - bon, je vais dire Zarma pour faire plaisir, sinon on dit Songhay -, avec la traduction en français. J'avoue que j'étais très réticent à le faire paraître et j'avais demandé que le texte original ne soit pas publié, qu'on donne la traduction et qu'il soit publié de telle sorte qu'il ne soit pas dangereux. Cela veut dire qu'il faut faire attention à ce qu'on publie118;prenez ça comme vous voulez, mais, de toutes les façons, on est souvent prévenu. Ainsi, dans les informations qu'ils nous donnent, les SorkoII9 disent: «C'est dangereux; ça, ce n'est pas dangereux ». Quand ils disent que c'est dangereux, je crois qu'il vaut mieux le garder, si on peut, dans la tête et, pour nous qui n'avons pas de mémoire, il faut noter ça peut-être sur une feuille, peut-être cacher la feuille. Il y a là un problème très sérieux et par exemple Youssouf Tata CisséI20 qui est tout à fait capable de conserver, de taire les secrets, a très peur d'entendre des secrets, parce qu'il n'est pas sûr de ne pas les divulguer. Donc voilà les deux aspects concernant cette question. De toutes les façons, je pense que tant que je n'aurai pas atteint un certain âge, je suis actuellement indigne de recevoir les secrets. C'est en toute modestie que je le dis, parce que nous sommes très bavards. Nous ne savons pas nous taire.
117Sur les notions de Soudan occidental et de Soudan central, se référer à D.T. Niane (Dir. Vol.) Histoire Générale de l'Afrique, Tome IV L'Afrique du Xllème au XVlème siècle, UNESCO, 1985. 118Essai d'analyse de l'éducation africaine (1968). 119Les pêcheurs le long du fleuve Niger, détenteurs des louanges des génies magistraux (TorDu). 120Membre du CNRS, enseignant à l'université, il est, entre autres, l'auteur de La grande geste du Mali des origines à la fondation de l'Empire, Paris, Karthala, 1988. 62
Boubé
Namaiwa
En fait, c'est M. Diouldé Laya qui vient de me réveiller, parce que je voudrais savoir s'il y a une différence entre le tyarkaw songhay et le mayé haoussa, puisque au niveau des Songhay,je crois ?u'il y a deux classes, si je ne me trompe: il yale tyarkaw et le Sohantye12 . Et on retrouve à chaque moment une sorte d'opposition entre ces tyarkaw et ces Sohantye. Est-ce à dire que ces tyarkaw peuvent être assimilés aux mayu haoussa ou bien estce tout juste une caste ou une classe songhay ? Jean Rouch Nous avons souvent parlé de ces histoires avec Boubou Hama pour une raison qui était simple. Damouré Zika, Lam122et moi, nous avons été les premiers à aller vivre un mois à Wanzerbé123,pays de Sohantye, donc des descendants de Sonni Ali Ber. C'était un endroit où les gens ne s'arrêtaient jamais. Nous, on y est allé parce qu'on était jeune. Quand on dit que quelque chose est interdit, on saute par-dessus le mur pour voir ce qu'il y a. D'autre part c'était une recherche très intéressante également sur le plan historique. A cette époque, il n'y avait pas de magnétophone. C'était une grande chance. Car on était obligé de transcrire, mot à mot, les textes soimême, de les traduire immédiatement en juxtalinéaire et de faire une interprétation. Les Sohantye en particulier parlaient du problème de korté124, du problème des charmes magiques, et ils nous ont donné des formules très belles. Je les relisais tout récemment, puisque ma thèse va être republiée125. Ils en venaient quelquefois à nous donner les noms des choses qu'il ne faut pas dire, qu'il ne faut pas publier. Après en avoir parlé ultérieurement avec Damouré, vous verrez que, dans ma thèse d'Etat, les textes des Holey126sont traduits en juxtalinéaire, alors que tous les textes de Korte sont uniquement en français. Et je pense que c'était sage vis-à-vis de cette espèce de respect de secret professionnel des gens qui y croient. 121Voir le texte «Les magiciens sohantye» dans La religion et la magie songhay (1989), p. 298-313. A noter que Boubou Hama, comme on le faisait à l'époque, écrit cerko pour tyerkaw et sonianké pour Sohantye. Mais dans L'Empire de Gao (1954), on lit Songnianké. 1221. Rouch avait trois inséparables complices, tout à la fois aides, collaborateurs, acteurs et concepteurs de films: Damouré Zika, Lam Dia et Tallou Mouzourama mort en octobre 2006. 123Le film Les magiciens de Wanzerbé date de 1949. 124Sur les korte, voir La religion et la magie songhay (1989), p. 303-305. 125Il a soutenu sa thèse d'Etat en février 1952. La religion et la magie songhay a été publié au PUF à Paris en 1960; la deuxième édition revue et augmentée est parue en 1989 aux éditions de l'Université de Bruxelles. Le séminaire de Niamey sur Boubou Hama a eu lieu un peu avant la réédition puisque Rouch explique que sa thèse va être republiée. 126Les holey sont les génies. On peut dire que La religion et la magie songhay leur est presque uniquement consacrée. 63
J'ai parlé d'un cas qui s'est posé, il y a un an, quand j'ai présenté ici 127 un film sur Wanzerbé. L'un des Sohantye, un soir, nous donne un maîtremot, qui est le nom de la mère de Dieu. Le nom de la mère de Dieu c'est quelque chose de grave. Et le lendemain, il revient nous dire: « Je vous le demande: barrez le nom de la mère de Dieu que vous avez écrit. Il ne faut pas le dire» et on s'est engagé à ne pas le dire. Je sais que ce qui est important, ce n'est pas de connaître le nom de la mère de Dieu, mais c'est de savoir que les gens utilisaient le nom de la mère de Dieu. Si on connaît le nom de la mère de Dieu, ça veut dire qu'on est supérieur à Dieu. C'est comme ça qu'ils l'utilisaient.
Et Boubou Hama m'a, un jour, demandé
- on
était avec Damouré - de dire ce nom. Moi, je lui ai rétorqué: « Ce n'est pas possible ». Et on a beaucoup discuté de ce problème. Effectivement, je crois qu'il y a un certain nombre de secrets: ne serait-ce que parce que les gens vous ont donné une information sous le sceau du secret. En fait, je répète, ce n'est pas important en soi. L'important c'est l'utilisation. Et, Damouré et moi-même, nous n'avons jamais répété ce nom. Puis, la question s'est posée autrement quelques années rlus tard. Nous travaillions chez les Dogons avec Germaine Dieterlenl2. Pendant les funérailles d'un vieil homme, le vieil Anai, mort à cent vingt-deux ansl29,on récitait ses devises et les devises commençaient par les noms des quatre mères de Dieu. Là, ça semblait devenir plus compliqué. Or, en fait - je vous dis ce que j'en pense-, avec les Dogons on a discuté, mais les noms des quatre mères, c'est simple: ce sont l'Air, le Feu, l'Eau et la Terre, c'est-àdire les Quatre Eléments. Dans ce cas, ce n'était pas secret. Quand j'ai dit ça à Boubou Hama, il m'a demandé:« Oui, mais on dit ça à quelle occasion? Est-ce que là c'est secret? ». Je lui ai répondu: «Pas du tout. C'est récité publiquement. C'est une invocation par laquelle on commence un rituel».
127
Jean Rouch est venu en 1988 présenter son film Les magiciens de Wanzerbé au Centre culturel franco-nigérien de Niamey. Il raconte l'épisode du Sohantye Baraké, forgeron de Batakala, et son refus après-coup de ne pas divulguer le nom de la mère de Dieu dans une longue note de La religion et la magie songhay (1989), p. 315-316. 128Germaine Dieterlen (1903-1999) commença ses travaux en Afrique dès 1937. Son premier livre, Les âmes des Dogons, date de 1941. Il fut suivi de Signes graphiques soudanais (1951), Essai sur la religion bambara (1951), Textes sacrés d'Afrique noire (1965), Le renard pâle (1965) en collaboration avec Marcel Griaule, Le titre d'honneur des Arous (1982), Le mythe cosmogonique (1991), L'empire du Ghana (1992), La notion de personne en Afrique noire (1993)... Elle a coproduit plusieurs films avec Jean Rouch. Relevons aussi un texte de conte publié avec Amadou Hampâté Ba, Koumen (1961, Mouton). Boubou Hama se réfère souvent à ses œuvres, ainsi dans Enquête sur les fondements et la genèse de l'unité africaine (1966) : p. 168-169, p. 404-408. 129Rouch a produit un film en coréalisation avec Germaine Dieterlen en 1972 Funérailles à Bongo: le vieil Anaï. 64
J'aimais discuter très souvent avec Boubou Hama et à propos de ses textes qui se trouvent actuellement au CELHTO ; il Y a parmi ces textes des textes dangereux qui permettent effectivement de donner la mort à quelqu'un, etc. Donc, il avait décidé à ce moment-là de ne publier que le texte en français qui n'est pas utilisable, car, même si on est très fort en songhay, si on est fort en thème, on ne retrouvera jamais les mots précis des formules. Or, il faut la phrase exacte. Alors, on a discuté de cela avec Diouldé Laya et puisqu'on a parlé de ces problèmes-là, et tu l'as dit avec beaucoup d'émotion et de sincérité, aujourd'hui très ouvertement, je pense que c'est un sujet à débattre. Qu'est-ce qu'il faut faire dans ce cas-là? En France quand il y a des choses de ce genre, on peut déposer un manuscrit aux Inscriptions des Belles Lettres et il ne sera accessible que cent ans plus tard ou des choses de ce genre. Que faut-il faire dans ce cas présent? Est-ce que, dans cent ans, ce sera la même chose? Je n'en sais rien. Ce qui est certain, c'est que si on fait de la recherche, il est bon d'essayer de conserver un certain nombre de choses sans dépasser une certaine limite. Ce matin, quand on a parlé de la mort de Dim Delobsom, parce qu'il avait révélé des secrets de poison, etc. c'est exactement ce problème qui s'est posé. Alors, moi personnellement, j'ai une position, elle est très simple: nous avons travaillé beaucoup sur ces problèmes-là et sur beaucoup de ces problèmes je n'y comprends encore rien. Mais je ne fais pas partie par exemple de la société des Holey. Je n'ai jamais été possédé. Je ne suis pas non plus un berger. C'est quelqu'un qui suit! Si vous voulez, lorsqu'on me demande si je suis croyant, je réponds: « Je suis croyant à la croyance des autres ». A partir du moment où des gens pensent que leur grand-mère est possédée par Dongo, je crois que, dans cette société, les gens croient qu'une femme peut être possédée par le génie du tonnerre. C'est, à mon avis, la seule façon, ce qui est très difficile à réaliser, de faire une enquête sur ces problèmes-là. Le problème du tyarkaw qu'a soulevé Diouldé Laya Si on peut résumer la situation: le Sohantye est chasseur lui qui empêche le tyarkaw de faire du mal. Un tyarkaw n'est pas responsable. Le mythe que moi j'ai recueilli beau; le voici 130:
est très important. de tyarkaw. C'est est quelqu'un qui est un mythe très
Une femme sainte habitait dans un couvent et avait décidé de n'avoir de relation avec aucun homme. Pour aller la voir, il fallait dire: Au nom de Dieu. Unjour, un visiteur égaré demande, Au nom de Dieu, de pouvoir passer la nuit là. Au nom de Dieu, il demande de quoi manger. Au nom de Dieu, il demande de quoi dormir. Au nom de Dieu, il 130
Dans La religion et la magie songhay (1989), le récit se trouve p. 301. 65
demande etc. Le lendemain, les autres femmes qui étaient là, ayant entendu du bruit, se doutent de quelque chose. Elles vont de bonne heure réveiller la maîtresse de ce couvent. Elle, ne sachant pas quoi faire, dit à l 'homme de se cacher sous le lit. Les femmes rentrent et puis, à un moment donné, elles entendent un bruit sous le lit. -Tiens! ma mère, qu'est-ce qu'il y a sous le lit? - C'est un mouton, dit la mère. Elle transforme l'homme en mouton. Les femmes regardent et s'exclament: -Oh le beau mouton! On va le manger. Elles mettent à mort le mouton, le mangent. La femme était enceinte de cet homme avant qu'il ne soit transformé en mouton et c'est par la voie du lait que se transmet le tyarkaw tarey, la qualité du tyarkaw. D'où cette possibilité de manger les «doubles des gens ». Les enfants d'une femme peuvent être tyarkaw, hommes et femmes, mais un homme ne peut pas transmettre. Et ce que je peux dire, car je l'ai vérifié souvent, c'est que tous les gens d'un village savent qui est tyarkaw. On évite d'épouser une femme tyarkaw, pour éviter d'avoir une descendance tyarkaw. En général ces jeunes femmes vont se marier ailleurs et répandent le mal, qu'on peut comparer d'une manière peut-être un peu abusive au Sida. Ce sont des choses qui aboutissent à quelque chose d'assez grave. Alors, le tyarkaw existe. Moi, je le connais dans le milieu Malinké et sous une forme singulière on considère que le tyarkaw, homme et femme, a le pouvoir dans un œuf, qui est dans son anus. Et quand un Sohantye pique avec son 1010131un tyarkaw, il l'oblige à rendre son œuf. Là, il ne s'agit pas de secret. Boubou Hama, quand je lui parlais de ça, me racontait que, quand il était petit, son père lui avait donné à manger, mélangé à des œufs de poules ordinaires, un œuf de tyarkaw, pour qu'il soit protégé. Donc, on entre dans ce domaine singulier où, effectivement, le secret est très important. Je crois personnellement qu'il est très dangereux d'étudier les tyarkaw. Le système tyarkaw est basé sur la terreur. Un voyageur rentre le soir; il voit des lueurs à l'horizon qui se déplacent très vite. C'est un tyarkaw qui vole avec du feu, qui lui sort des aisselles et de l'anus. C'est ce qu'on dit. Sur sa route, il rencontre un bébé qui l'appelle; il 131Le 1010est une lance rituelle. Cf la description qu'en donne Jean Rouch dans La religion et la magie songhay (1989), p. 171-172. Boubou Hama, au séminaire de janvier 1981 à Niamey, explique le terme de cette façon: « Un 1010,sorte de pique en fer dont le manche est orné sur sa longueur d'anneaux en cuivre rouge.. ..Le 1010est commun au prêtre zima, au magicien sonianké, au sourcier, au guerrier et au chasseur qui ont des 1010consacrés. Le 1010 est une arme défensive contre le mal causé par I'homme ou les esprits: il neutralise les forces malsaines» (p. 83-86 des Actes parus en 1984). 66
rencontre un âne à deux têtes. Il a peur. A ce moment-là, son double, son âme, se trouve fragile à côté de lui et le tyarkaw peut s'en emparer. Voilà le système qui est utilisé. Le Sohantye exige du tyarkaw de rendre l'âme et, si ça se fait au bout de sept jours, en général il ne se passe rien: le tyarkaw est désamorcé pour une certaine période. Jamais un tyarkaw ne sera attaqué publiquement; jamais il ne sera envoyé en justice. Une chose semblable est arrivée en Côte d'Ivoire. Claude Pairault132a étudié ce problème chez les Agni; un homme comme Tauxier133 qui était administrateur avait à faire continuellement des jugements de sorcellerie: J'ai tué, pour employer le langage de la Côte d'Ivoire, mon oncle untel en diable, c'est-à-dire d'une manière imaginaire. Là, on entre dans un domaine qui est très compliqué sur lequel moi personnellement je sais très peu de chose. Je sais que Boubou Hama ne s'en cachait pas, qu'il pratiquait très souvent le récit ou l'analyse des rêves qu'il faisait. C'est très souvent de cette manière-là que les choses se passent. Boubou Hama était fasciné par une chose, que nous n'expliquons pas aujourd'hui, qui est le fait que le Sohantye a son pouvoir dans une chaîne qu'il peut vomir à un certain moment donné, qu'il montre et qu'il est censé ravaler s'il n'y a pas un Sohantye, un magicien plus fort que lui. A ce moment-là il mourra et Boubou Hama était fasciné par cela. J'ai fait un film à Wanzerbé où j'ai vu la chaîne du Sohantye. Quand je l'ai vue, j'ai fait une photographie de cinéma. Je pensais que c'était une illusion, comme les cordes des fakirs mais Kodak n'est pas sensible aux illusions: elle s'était imprimée sur la pellicule. Donc elle existe. Dans ses livres, dans Le Double d'Hier rencontre Demain, Boubou Hama décrivait cette chaîne comme étant en or, en argent, en fer; ce sont les trois chaînes134. Ce que l'on sait par les Sohantye eux-mêmes, c'est qu'au moment de la mort, le Sohantye vomit sa chaîne et, avant de mourir, ilIa donne, enveloppée dans un chiffon, à avaler à celui qui sera son successeur, que ce soit son fils ou son apprenti, et qu'à ce moment-là il y a un chaînon 132Claude Pairault (1923-2002), jésuite anthropologue, est l'auteur de plusieurs livres et études mais ses travaux les plus connus portent sur le Tchad: Boum-le-Grand, Village d'Iro (Musée de l'Homme, Paris, 1966, 470 pages) ; Retour au pays d'Iro (Khartala, Paris, 1994, 293 pages). 133Louis Tauxier a écrit de nombreux livres et articles; on citera Le Noir du Soudan (1912), Le Noir du Yatenga ( 1917), Nouvelles notes sur le Mossi et le Gourounsi (1924), La religion bambara
(1927) ; Histoire
des Bambara
(1927), Mœurs et histoire des Peuls (1937)
- Les
Etats de Kong, inédits, viennent d'être publiés en 2003 par les éditions Khartala, avec une introduction et une postface d'Edmond Bemus. Boubou Hama cite souvent Tauxier : cf. L'empire de Gao (1954) p 75 ; Histoire du Niger (1965) p. 140-141, p. 191; Enquête sur les fondements et la genèse de l'unité africaine (1966), p. 116-121 ; Kotia Nima (1968), Tl, p. 144, etc. 134Dans le chapitre III « Bi Bio et Souba à Wanzarba», p. 259-319. Cf. par exemple, p. 319 : « Le vieux Moudou Barou s'effondra. Au moment même de mourir, il rendit l'anneau d'or. Ensuite il vomit la chaîne d'or, la chaîne de cuivre, la chaîne d'argent, la chaîne de fer ». 67
de plus. Là-dessus, nous ne savons rien. Moi, j'ai beaucoup discuté avec Boubou Hama à ce sujet; il me disait qu'elle a l'air d'aspect métallique mais c'est une compression organique. Donc, c'est une chose sur laquelle on ne sait rien. Et je crois qu'il faut beaucoup de temps pour apprendre quelque chose. Comme j'ai été, comme toi, formé aux méthodes rationnelles, au début, lorsqu'il y a eu un groupement médical mobile qui avait été payé par Berliet135 - c'est le docteur BorreyI36 qui l'avait organisé -, on faisait de la détection de la tuberculose en particulier dans la région de Téra, car beaucoup de garçons, qui étaient des kurmizé137, avaient travaillé en Gold Coast (Ghana) et ramenaient la tuberculose. Et ils sont venus faire des radios à Wanzerbé. Alors, moi, je leur ai signalé le nom de celui qui était là en leur disant que tant qu'à faire une radio du poumon autant faire une radio de l'estomac. L'histoire que je vous raconte est vraie. Elle n'a rien de secret. Arrivé à Wanzerbé, le groupe électrogène est tombé en panne. Donc il n'y a pas eu de radio138.Ceci ne veut pas dire que ces études sont des études compliquées. Ceci ne veut pas dire que ce sont les Sohantye qui ont fait cela, sur lesquels on ne sait rien. Mais, certainement, c'est quelque chose de très dangereux à étudier. Voilà ce que je veux dire.
135La société des camions Berliet. En 1960, la mission Berliet-Ténéré, sponsorisée par Berliet, avait permis des études archéologiques de grande valeur. Les documents scientifiques ont été publiés en 1962 (Rd. Arts et Métiers Graphiques) 136Francis Borrey (1904-1976) médecin chirurgien, qui mena, parallèlement à ses activités médicales, une longue carrière politique au Niger et en France. Il fut député RDA de Tillabéry en même temps que Boubou Hama. 137Kurmizé : littéralement « enfant izé du Sud kurmi » ; ce mot désigne surtout les migrants nigériens qui vont au Ghana, en Côte-d'Ivoire. On se rappellera le titre du livre de Mahamadou Halilou Sabbo Abboki ou l'appel de la côte. Ce thème des migrants est très fréquent dans la littérature nigérienne écrite d'expression française. On pense aussi au film de Jean Rouch Moi un Noir avec Oumarou Ganda. 138En 1981, lors du séminaire de la SCOA à Niamey (14-21 janvier), Jean Rouch a donné une version un peu différente: « Actuellement, des descendants de Sonni Ali ont encore une chaîne d'initiation que le « Si» (Sonni Ali) a vomi avant de mourir pour la donner à ses descendants. Au cours de danses de ses Sohantye, cette chaîne apparaît. Je l'ai filmée en 1947, je pensais alors que c'était une illusion collective: la chaîne vomie se balança pendant quelques instants, sortant de la bouche du doyen des Sohantye. Mais Kodak n'est pas accessible aux mythes, la chaîne était sur la pellicule. Je l'ai revue quelque fois depuis: c'est une espèce de petit filament qui m'a paru être en or, en cuivre jaune, en cuivre rouge. Donc c'est un objet sur lequel je n'ai pas d'explications. Un jour, mon fond rationaliste a pris le dessus alors qu'il y avait une enquête médicale dans ce village de Wanzerbé, j'ai demandé à un médecin de faire des radiographies du doyen. Mais le médecin est tombé malade et n'a pu faire ces radiographies. Donc, on ne sait toujours rien. Je ne dis pas qu'il y ait une relation de cause à effet, mais le secret a été bien gardé ». (Actes du Séminaire, p. 173). 68
André Salifou Merci, Monsieur Jean Rouch. M. Mamani Abdoulaye a demandé la parole. Mamani
Abdoulaye
Boubou Hama, les hésitations, les doutes dans la croyance de Boubou Hama. C'est que Boubou Hama croit beaucoup aux croyances anciennes. C'est ce qui a facilité son militantisme. Quand on parle d'un homme, il faut parler de toutes ses actions. En 1949, il y avait le GEC, le Groupe d'Etudes Communistes, et Boubou Hama -je dois avoir le Réveil139- dans un numéro du Réveil de 1949, il a publié un article sur ces croyances. Boubou Hama croit à la religion de ses pères; par exemple, il nous disait souvent: « mais écoutez, les prières, moi j'aime bien Sonni Ali Ber, parce qu'il va guerroyer; quand il revient la nuit il fait quatre à cinq prières» et puis il dit à ceux qui prient: «Bon, débrouillez-vous, vous connaissez ça mieux que moi ». Donc, lui, il n'avait pas le temps de faire les prières comme l'islam le recommande, c'est-à-dire à quatre heures du matin, à quatorze heures... Non! Ça, il y a trop de problèmes. C'est dû à son flirt avec le marxisme et des fois cela a renforcé son opinion. Bon, après tout l'homme évolue. Nous sommes dans un pays musulman et Boubou, quel que soit son penchant pour l'islam, a son fond de religion songhay140.Ça, il y croit. 139 Dans son Anthologie de la poésie de combat, Mamani Abdoulaye a fait un usage important de ce journal. On lit dans la préface: « Dans l'impossibilité de réunir et de consulter les petits journaux territoriaux, nous nous sommes contenté de puiser dans Réveil, le plus prestigieux des journaux de l'époque... » Cf. Œuvres poétiques, L'Harmattan, 1993, p. 106. Boubou Hama dans Enquête sur les fondements et la genèse de l'unité africaine se réfère au même journal p. 525 : «Doudou Guèye, le dynamique rédacteur de notre premier journal de combat Réve il ». Léopold Kaziendé, parlant de l'année 1953, écrit: « A l'époque, son compagnon habituel, en l'occurrence le secrétaire général du Parti, M. Djibo Bakary... tenait le journal Le Réveil au courant de ce que subissaient les militants (RDA) du Niger ». C'était, bien sûr, avant la séparation entre Djibo Bakary et l'équipe Diori Hamani-Boubou Hama. 140L'argument de Mamani Abdoulaye est habile car, dans Histoire des Songhay (1968), on voit bien que Boubou Hama adhère autant à l'animiste Sonni Ali Ber qu'au croyant musulman qu'est Askia Mohamed. Si Boubou Hama a effectivement «flirté» avec le marxisme, c'est précisément la question de la spiritualité qui l'a conduit à prendre ses distances avec la doctrine de Marx. Mamani Abdoulaye dans Sarraounia est plus radical: la reine magicienne n'est pas secourue par ses voisins peul et haoussa parce qu'elle est animiste (on est animiste ou musulman). Boubou Hama, lui, souhaite être musulman sans renier la totalité de son fonds traditionnel animiste: il se veut I'héritier de Sonni Ali ber et d' Askia Mohamed (animiste et musulman). On pourrait ici citer la phrase de Léopold Kaziendé dans sa biographie de Boubou Hama: « Jusqu'au 29 janvier 1982, jour où il quittait ce monde, il pratiquait l'islam, mais il n'avait jamais médit des animistes restés d'ailleurs ses amis ». 69
Maintenant, je voudrais poser une question à l'assemblée, surtout aux jeunes. Nous sommes des chercheurs; vous êtes des chercheurs. Est-ce que le chercheur a le droit, pour éclairer, pour faire avancer le pays, éclairer l'opinion, de révéler certains secrets? Parce que ce qui est embêtant dans ce tas de trucs, c'est qu'il ne faut pas qu'on se fasse bloquer par des mythes. Je vais commencer à écrire l'histoire du Bomou141; j'arrive à l'époque d'Idris Alaoma142, qui était l'empereur le plus pillard, le plus expansionniste, qui était vraiment un impérialiste dans le sens plein du mot, puisqu'il a poussé son empire jusqu'à Tessaoua. Or, on ne le voyait pas, il était derrière un rideau. Pourquoi? On ne le voyait pas parce que, pour le commun des mortels, il y avait un secret. Pourquoi ne le voyait-on pas? Simplement, peut-être parce qu'il était borgne. Des gens ont dit que, si on pouvait voir le roi, peut-être observerait-on que c'est un borgne. Et ça m'a donné une idée. J'ai été au Bomou, j'ai posé des questions à des vieux Bomouans. Mais attention! Parce qu'il y a souvent des mythes. Les mythes ont la vie dure comme on le sait. Et souvent ça fait peur143. Quand lai pris la décision d'écrire, pour Med Hondo, le scénario de Sarraounia 44,j'ai tenu à aller voir la Sarraounia. On m'a dit que ce n'est pas possible, que la Sarraounia est invisible. Ah ! je me dis: Mais il faut que je la voie. Je vais aller la voir à Lougou145,avec ma bande de cinéastes, entre autres deux ou trois Européens. Mais nous avons été bloqués à l'entrée. On nous a dit: «Ah! Qui sont ces Blancs? La Sarraounia n'en veut pas ». J'ai dit aux Blancs: « Restez dehors ». J'étais avec un Mawri 146, donc quelqu'un du terroir, Issa Maïzama, qui était professeur147. C'était le guide. Quand on est arrivé, il a salué en disant: « Assalamu aleykum148». Et 141Mamani Abdoulaye a, effectivement, laissé un manuscrit sur le Kanem Bornou, jusqu'à présent inédit. Son fils en détient une copie dactylographiée. 142Voici ce qu'écrit Boubou Hama dans son Histoire du Niger (1965) pour les élèves du Cours moyen: «Idris Alaoma (1570-1603). Ce fut le plus grand souverain du Bornou. Puissant guerrier, il mate définitivement les So au sud, attaque Kano et les nomades du nord. Le Bornou atteint ses limites extrêmes. Seul le Kororofa, au sud, gêne son expansion» (p. 100). On peut se référer aussi au volume V, p. 577-603, de l'Histoire générale de l'Afrique, Ogot, 1999. 143Dans Poémérides, Mamani Abdoulaye a écrit au moins deux poèmes «Révolte» et « Interdits» où il s'en prend aux superstitions fondées sur la peur. 144Publié aux éditions L'Harmattan, en 1980. 145Cet épisode a eu lieu en octobre 1983, au moment du repérage des lieux pour tourner le film. Il y avait Mamani Abdoulaye, Issa Maïzama (qui travaillait pour le ministère de la Jeunesse, des Sports et de la Culture), le réalisateur mauritanien Med Hondo et son assistant Abdul War. (Information donnée par Issa Maïzama lui-même). 146Mawri : sous-groupe haoussa de la région même de la Sarraounia. Mais ceux de l'Ouest sont zarmaphones. 147Il est l'auteur de Un regard du dedans: Oumarou Ganda, cinéaste nigérien, préface de Jean Rouch, Enda Dakar, 1991, 80 pages. 148En arabe: Que la paix soit avec vous! 70
on nous a chassés. Alors, j'ai dit à Issa Maïzama : « Tu es mawri mais tu ne connais pas ta tradition». Moi j'avance et j'ai dit: « A gaishe ku ! » On me répond alors: «Shiga! 149», parce que c'est le noyau animiste. Dire «Assalamu aleykum» c'est un affront; tu ne peux pas entrer chez la Sarraounia en disant « Assalamu aleykum » parce qu'ils ne croient pas à ça. J'entre, une femme me dit: « Kay yaro shiga! 150».Je lui dis:« Je voudrais saluer Sarraounia et la voir ». On me répond: «Ah, en ce qui concerne Sarraounia, tu peux rentrer dans sa case mais tu ne la verras pas ». Donc, je pénètre dans une grande case; j'entre, Sarraounia est cachée derrière son rideaul51. Elle se met à parler. Mais comme je tenais à la voir, j'avais deux billets de mille francs bien craquants; je lui dis: « Sarraunia, a ci goro ! 152» Là, elle était obligée d'ouvrir et de prendre l'argent. C'est là que j'ai vu Sarraounia. Un chercheur, il faut qu'il emploie tous les moyens, tous les stratagèmes pour au moins être près de la vérité, sinon ça ne sert à rien d'écrire une information qu'on ne peut vérifier. Bon, il y a des mythes. Tout de suite les gens disent: «Ah! si tu vois Sarraounia, tu vas mourir. » A l'époque, dans l'Afrique traditionnelle, ils avaient des moyens d'appliquer leur menace. Si on te dit: « Quand tu vois quelqu'un, tu vas mourir », alors, quand tu l'auras vu, en traversant la forêt, il y aura toujours quelqu'un, un type qui va sortir et te massacrer. Si ce ne sont pas des génies, il y a toujours des gens préparés pour faire ça. Et excusez-moi, je vais prendre un autre exemple. Quand Sékou Touré avait décidé de démythifier les forêts sacrées, j'étais justement en Guinée, et il a dit: « Bon! Il faut démythifier les forêts sacrées. Il faut sortir toutes ces idoles hors des forêts ». Nous avons discuté. On était quatre ou cinq. Ils sont tous morts maintenant. Je lui ai dit: «Mais attention Sékou Touré, les forêts, ce n'est pas toi qui vas les vider. Est-ce que les gens que tu vas envoyer ne seront pas massacrés par les Guerzé ? Vous le savez tous: les forestiers de Guinée ont des masques; dans les pays Guerzé, dans les pays Toma et autres, c'est là où il yale véritable masque sacré, où il y a des sacrifices humains etc. ». Il a parlé alors que j'étais avec Béhanzin - certains 149
Salut! et on répond: Entre!
150Eh, jeune homme, entre!
151 Boubou Hama a écrit à plusieurs reprises sur la Sarraounia dans une optique ethnographique, cf : Enquête sur les fondements et la genèse de l'unité africaine (1966) : p. 245 - Histoire traditionnelle d'un peuple: les Zarma Songhay (1967). Il note qu'avant la colonisation « la Sarraounia ne sort pas de sa maison. Elle se penche toujours les yeux sur la terre. Elle ne lève jamais les yeux sur le ciel ». p. 94. -152 Recherche sur ['histoire des Touareg sahariens et soudanais (1967) p. 507 à 510. Littéralement: « Croque la cola », ce qui signifie: voilà de l'argent pour la cola.
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le connaissent, Béhanzin, c'est un intellectuel assez dur153qui ne croit en rien - et qui a dit « Non, non! Pas de problème, on va essayer l'armée ». Je lui ai rétorqué: « C'est la mauvaise méthode justement d'envoyer l'armée. Il faut former vos cadres, il faut déjà qu'eux-mêmes soient démythifiés puisque c'est la peur qui fait que, déjà depuis qu'on est né en Afrique, nos grand-mères nous racontent tellement d'histoires fantasmagoriques, et notre conscience en est imprégnée. Il faut déjà former des gens capables d'aller dans la forêt, de sortir ces idoles et de les exposer. Si vous voulez un musée, vous ferez un musée avec, mais le danger est là. Il ne faut pas forcer les portes.» Bon, ils l'ont fait; ça a eu du succès effectivement: un moment, la Guinée avait la plus belle collection de masques et autres, dont jamais le commun des mortels n'aurait osé même s'approcher. Le sorcier, ça existe partout; chez les Haoussa, on a nos sorciers; les gens du pays Kanouri ont leurs sorciers; le tyarkaw est très connu; Rouch a eu même l'occasion d'approcher le rite. Il n'a pas été jusqu'à se faire initier au problème de sorcellerie comme... mais je sais qu'il y a certain..., j'ai lu qu'un Européen s'est fait initier au Tchad. Il s'est fait tatouer154, au temps de Tombalbayel55. Il a écrit un livre très intéressant que j'ai d'ailleurs: La mort Sara...
Jean Rouch C'est Jaulin.
Mamani Abdoulaye Oui, Robert Jaulin156.Rouch a eu peur d'aller se faire circoncire et tatouer. Mais, lui, il a été jusqu'au fond. Jean Rouch Il n'est jamais revenu!
157
153Louis Béhanzin, mathématicien dahoméen: il se rendit en Guinée en 1958 avec d'autres intellectuels comme Abdou Moumouni et Ki Zerbo... Il devint ministre et idéologue de Sékou Touré. Il rentra dans son pays plusieurs années après. Béhanzin est le descendant du roi Béhanzin (1844-1906) qui résista à la pénétration coloniale française. 154 Les Sara pratiquent plutôt la scarification et, bien entendu, pour l'initiation, la circoncision. 155Premier président du Tchad. Né en 1919, il est mort au cours du coup d'Etat de 1975 qui l'a renversé. 156Robert Jaulin (1928-1996). La Mort Sara a été publiée en 1967. D'autres ouvrages suivront: La Paix blanche (1970), La Décivilisation (1974), etc. Relevons incidemment que Le double d 'hier rencontre demain a été publié en 10/18 dans la collection « La voie des autres» dirigée conjointement par S.Adotevi et RJaulin. 72
Mamani Abdoulaye C'est une coïncidence! Jean Rouch Le cas de Jaulin, c'est un cas que nous connaissons bien. Jaulin a effectivement fait une initiation à «la mort Sara ». Et quand vous vous livrez à ce genre de choses, vous vous engagez pour la vie. Bon, il fallait qu'il revienne tous les ans dans sa classe d'initiés et il ne l'a pas fait. Donc pour les Sara, le passage de Jaulin était une escroquerie, une trahison. Donc c'était là le problème. Nous avons, nous, un exemple qui est classique et que nous donnons comme exemple à ne pas suivre. C'est l'exemple de Pierre Verger158 qui va travailler à Bahia et devient un prêtre de Shango. Depuis ce temps-là, il ne peut plus publierl59, puisqu'il s'engage à ne pas divulguer le secret. Je pense que le vrai chercheur, contrairement à ce que tu dis, sera celui qui ne tendra pas le billet à la Sarraounia. Ce n'est pas important. A quoi ça a servi de voir la femme?
Mamani Abdoulaye C'est très important. Jean Rouch Pourquoi? Si les gens croient qu'un homme ne peut pas la voir, c'est ça l' important.
157 D'une part, Jaulin n'a pas subi l'initiation complètement ayant quitté le Tchad avant la fin du temps imparti et, d'autre part, il n'est pas revenu ultérieurement. 158Pierre Verger (1902-1996). Il entre comme initié dans la religion Vodun en 1953. Il a publié de très nombreuses photos, des articles, des livres. Citons: Notes sur le culte des Orishas et Vodoun à Bahia, la Baie de tous les Saints au Brésil et à l'ancienne côte des Esclaves, préface de Th. Monod, Dakar, IFAN, 609 pages, Flux et reflux de la traite des esclaves entre le golfe du Bénin et Bahia de Todos os Santos, du XVllème siècle au XIXème siècle, Paris 1968, 720 pages, Le verbe et le pouvoir des plantes chez les Yorubas (NigeriaBénin), préface de Th. Monod, 1997, 730 pages. 159Il ne peut plus publier sur ces sujets religieux, mais cela ne concerne pas les autres sujets et thèmes possibles, puisqu'il a beaucoup écrit et photographié jusqu'à sa mort. 73
Mamani Abdoulaye Non, les gens vont ouvrir les portes des grands féticheurs azna. Euxmêmes savent que l'évolution est telle que tous les mythes sont tombés 160.
Jean Rouch Je suis d'accord, mais ils reviennentau grand galop. Montari Mamane Je voulais juste poser une question sur la production orale de Boubou Hama. Si elle a pu être conservée, qu'est-ce qui a été conservé, qu'est-ce qui reste exactement? Il m'a semblé que le discours de Boubou Hama est un discours fleuve que malheureusement nous n'avons pas eu la patience d'écouter... à l'Assemblée Nationale et ailleurs. On ne sait pas exactement ce qu'est devenue cette production orale. Puis, on est venu ici peut-être pour écouter Boubou Hama, mais... J'ai commencé, personnellement, à m'intéresser au Président Boubou Hama à partir de 1973, je crois. C'est vraiment à la dernière année161.Je n'ai pas le sentiment de trahir un secret; j'étais dans la Commission Nationale de Censure Cinématographique, quand un jour à 13 h, j'écoutais la radio qui diffusait un discours du président Boubou Hama. Il affirmait que le cinéma était en train de dévergonder notre jeunesse162. Alors le soir, il y avait une séance de visionnage de films. Dans la Commission, il y avait des gens qui étaient de loin plus âgés que moi. Ils avaient presque tous l'âge de mon père. Il y avait notamment Idé Oumarou, l'actuel Secrétaire Général de
160L'opposition entre Mamani et Rouch est révélatrice de deux attitudes opposées sur la question des traditions. Il serait bon de rappeler que si Mamani a su par son roman, Sarraounia, proposer une lecture romanesque qui a pris la consistance d'une vérité historique (que sa fiction n'est pas), Boubou Hama avait déjà parlé de la Sarraounia dans une perspective historique et anthropologique comme survivance de l'ancien système matriarcal. Cf. Enquête sur les fondements et la genèse de l'unité africaine (1966) p. 123,142-143,151154, 245, 431, 435. Dans ce livre, à propos d'une liste incomplète de douze Sarraounia, Boubou Hama mentionne: ({Sarraounia Mangou (30 ans de règne), régnait encore au passage de la mission Voulet et Chanoine». C'est précisément de là que Mamani Abdoulaye bâtira sa fiction romanesque. On trouve encore mention de la Sarraounia dans d'autres livres, par exemple Histoire traditionnelle d'un peuple: les Zarma-Songhay (1967) p. 14. 161La dernière année de Boubou Hama comme président de l'Assemblée Nationale avant le coup d'Etat. 162Boubou Hama aimait beaucoup le cinéma, mais il s'est effectivement inquiété de l'usage qu'on pouvait en faire; ainsi dans Changer l'Afrique (1973), il écrit: « la radio et le cinéma qui ne sont pas de notre continent, de notre culture et de nos traditions qu'ils perturbent par des images provenant de civilisations étrangères» (p. 107). 74
l'OUAI63, Idrissa Boubél64, qui est décédé aujourd'hui, et Abdou Gaoh165. On était là au cinéma Rex, actuel emplacement du siège de la BIAOI66. J'étais le plus jeune. Il y avait vraiment trente ans d'écart entre moi et le plus jeune des autres membres. Je leur demande: «Est-ce que vous avez écouté le discours du président Boubou Hama? » Je ne sais pas si les autres ont entendu ça. En tout cas, moi, ce soir-là, je n'avais pas suivi tellement le film. Je me disais: « Ce vieux-là, il est en train de changer maintenant ». A partir de maintenant, il faut commencer à suivre cette affaire. J'ai vu un milicien du parti qui était à la radio. Il me dit: « Ah ! Tout le discours de Boubou Hama a été coupé. Donc maintenant il ne faut plus rater aucun discours ». Et c'est comme ça que je suis tombé sur un discours qu'il avait prononcé devant un congrès, et c'est peut-être là l'autre dimension de l'homme politique aussi, et il faut en parler. En effet, c'était devant un congrès du syndicat des Postes et Télécommunications, où il avait tenu un discours qui, pour moi vraiment le démarquait carrément du régime de Diori. Il avait fait le constat, et c'est peut-être là qu'il ressemble à cet homme dont parlait Jean Rouch; je n'ai pas retenu le nom: Lévy-Bruhl. Boubou Hama avait fait un peu comme lui sur un autre plan, sur le plan politique. Il avait reconnu que, durant quatorze ans, ils avaient suivi une fausse piste. « Le parti a échoué. Nous avons échoué ». Ce sont ses propres termes. Ça c'était trois mois avant le coup d'Etat militaire. J'ai entendu ça. J'ai enregistré et à ce moment j'étais à l'Ecole Nationale d'Administration, au niveau supérieur. On devrait faire un exposé sur la Guinée, pour faire le parallèle entre le cheminement de la Guinée et le cheminement du Niger. J'ai passé la cassette... pour qu'on fasse entendre les conclusions auxquelles était arrivé Boubou Hama au bout de quatorze ans et demi pratiquement de pouvoir, puisque c'était trois mois avant le coup d'Etat militaire. Il avait reconnu formellement que le RDA avait échoué, qu'ils avaient échoué: durant quatorze ans, ils avaient suivi une fausse piste. Il a également affirmé à cette occasion que l'Afrique était dérangée, et qu'il fallait aussi inviter finalement le chercheur nigérien à fouiller pour pouvoir nous remettre sur le bon chemin. Il fallait d'abord qu'on se 163
Idé Oumarou (1937-2002) a assuré les fonctions de Secrétairegénéral de l'OUA de 1985
à 1989 - donc il occupait encore cette fonction au moment du séminaire de mars 1989. A noter qu'il a reçu le Prix Boubou Hama (6èmeédition) en 1996. 164Directeur de la Sûreté Nationale, il fut exécuté en même temps que les auteurs présumés de la tentative de coup d'Etat du 15 mars 1976 contre S. Kountché. 165En 1946, Abdou Gaoh (né en 1922) est déjà membre du PPN-RDA. En 1962, il était secrétaire administratif du PPN-RDA et président de la Jeunesse nigérienne du RDA. En mars 1974, il était désigné dans la commission chargée de réfléchir sur le parti au congrès du RDA, qui n'eut pas lieu à cause du coup d'Etat d'avril 1974. Cf. p. 63, 343, 369 de Le Niger du Président Diori (Fr. Martin, L'Harmattan, 1991). 166Banque Internationale de l'Afrique de l'Ouest. 75
retrouve, qu'on s'identifie de manière à pouvoir s'affirmer plus tard. Autre chose sur le plan politique également: il fallait faire un « stoP» dans le développement économique. Et l'une de leurs erreurs - il disait justement la plus grave, et les militaires ont poursuivi sur le même chemin - était d'avoir voulu seulement donner à manger à l'homme. Les philosophies productivistes qui étaient en train de se développer à cette époque, le RDA les avait développées. Ils ont échoué. Il a fait ce témoignage-là et c'est pourquoi j'ai commencé à m'intéresser à lui. Tout à l'heure, j'ai écouté l'interview que le Président a donnée à la radio167 sur l'hommage tardif rendu à Boubou Hama: pour moi, il est vraiment tardif cet hommage parce que les gens qui ont pris le pouvoir en 1974 ne connaissaient rien de l'état des lieux. Il est vraiment tardif cet hommage rendu à Boubou Hama. Boubou Hama - je l'ai répété à plusieurs reprises, quand je me suis trouvé à l'université devant les autres camarades, il est parti précisément au moment où, avec son équipe, ils étaient devenus opérationnels. Ils avaient commencé réellement à s'intéresser à ce qui se passait dans ce pays. Et ils auraient pu faire beaucoup de choses. Moi, je pense que cet hommage est vraiment tardif et qu'on aurait dû le faire plus tôt. Mais le pouvoir a été pris par les militaires; ils sont venus; ils ont dit qu'ils n'avaient pas de recette toute faite. C'est vrai, ils ne savaient pas ce qui se passait dans ce pays en guise de politique. Et ça se comprend puisque leur statut leur interdisait de s'intéresser à la politique: ils n'ont eu des galons que, précisément, parce qu'ils avaient été excellents dans l'application de ce statut-là, de telle sorte qu'ils ne connaissaient absolument rien de ce qui se passait dans ce pays de ce point de vue. Or Boubou Hama était quelqu'un qu'on aurait pu récupérer, parce qu'on dit qu'un régime a été abattu, mais en fait ce sont deux régimes qui ont été abattus en 1974 : un régime Diori d'un côté, un régime Boubou Hama de l'autre parce qu'il n'y avait rien de commun entre les deux le 15 avril 1974. C'est mon point de vue.
André Salifou Mesdames et messieurs, avec votre permission, je vais m'attribuer la parole. Puisqu'un certain nombre de questions toutes plus intéressantes les unes que les autres ont été posées.
167André Salifou, en tant que Président du séminaire sur Boubou Hama, a été interviewé par la radio nationale. 76
1- L'une des premières concerne le problème des pièces de Boubou Hama, à la télévision. Diouldé Laya en a touché un mot. Je crois que la démarche qui a été adoptée par certains de nos compatriotes est d'ailleurs conforme à une démarche très africaine, authentiquement africaine. Vous savez ce qui se passe dans I'histoire africaine: si vous aviez trois rois qui se succèdaient donc, le premier, celui du milieu et le troisième- et que celui du milieu avait connu un règne tout à fait désastreux et n'avait pas été aimé par son peuple pour telle raison ou telle autre, alors la tradition orale le mettait entre parenthèses. Elle l'oubliait. Elle était même capable de récupérer quelquesunes de ses bonnes œuvres et de les transférer soit sur le premier roi soit sur le dernier, pour gonfler leurs bilans positifs et oublier celui du milieu. Et c'est un peu comme ça qu'on a réagi. On était content de voir ces très beaux textes: La force du lait et Sonni Ali Ber, qui en fait sont deux réalisations différentes de Toula. Car dans le cas de Toula, on est parti de l'œuvre de Boubou Hama pour faire du cinéma, tandis que Sonni Ali Ber et Laforce du lait, c'est du théâtre filmé pour le compte de la télévision. C'est déjà, disons, deux choses différentes. Mais on refuse de signer l'œuvre. On la montre, mais on refuse de dire qu'elle est d'un tel. Mais ça, c'est une étape importante de notre histoire. C'est cette étape-là que nous sommes en train de gommer aujourd'hui, parce qu'il fut un moment où - et c'est là où il faut être prudent, et je reviens à mon interlocuteur -, très souvent, ce n'est pas le chef en tant que tel qui est responsable d'un fait, ce sont ceux qui l'entourent. C'est la télévision ou quelqu'un à la télévision qui a dû se poser la question suivante: « Si je dis que la pièce Sonni Ali Ber est de Boubou Hama, comment va réagir le chef de l'Etat? » On prête au chef de l'Etat des intentions qu'il n'a sans doute pas. Il n'était même au courant de rien, mais il y a un petit fonctionnaire qui a décidé, à son niveau d'autorité, de gommer le nom de Boubou Hama. Et il y a beaucoup de choses qui se font comme ça malheureusement, dans la vie et elles n'ont pas fini de se faire car, ne vous faites pas d'illusions, ça va se poursuivre, ça ne s'arrêtera qu'avec la fin de notre humanité. Il ne faut pas se faire d'illusions. Donc, tout ceci est dans le même ordre d'idées. Excusez-moi d'avance, parce que je suis impliqué; je ne veux pas du tout parler de moi, mais malheureusement on m'a fait l'honneur de m'associer à Boubou Hama, pendant longtemps dans une certaine Faculté des Lettres d'une certaine Université de Niamey. Dans un certain département d'Histoire, les étudiants n'avaient pas le droit dans un exposé de citer une œuvre de Boubou Hama ou d'André Salifou. Ils ne pouvaient pas venir me demander des explications ou de la documentation. Ils se cachaient pour me rencontrer dans mon bureau. Heureusement pour eux, mon bureau n'était pas sur le campus universitaire. Ils avaient la possibilité d'aller me trouver en plein 77
centre ville, en laissant leurs maîtres de l'autre côté du fleuve. Mais il fallait le faire en cachette parce que j'étais un «néo-impérialiste» tout comme mon «papa» Boubou Hama et que tout ça c'était à mettre aux oubliettes. Ça, c'est un fait de l'histoire. Aujourd'hui, comme les Ivoiriens disent: « Dieu s'en fout la mort », aujourd'hui ces mêmes collègues qui tançaient les étudiants pour avoir cité Boubou Hama et André Salifou, puisque leurs protecteurs ne sont plus là, quand ils me voient, ils se mettent « au garde-àvous! » On vient me dire: «Professeur, nous savons que vous êtes les aînés; il faut que vous nous aidiez ». Mais pendant dix ans, on a oublié que j'étais l'aîné et que j'étais le devancier. Ça n'a aucune importance à la limite. Il faut répondre à de tels comportements par le mépris. L'opportunisme n'a jamais arrangé qui que ce soit ni quoi que ce soit. Donc voilà pour ce qui est des pièces de Boubou Hama. 2- Boubou Hama et le travail d'édition. J'ai entendu des réflexions du genre « Ah ! De toute façon s'il a publié, c'est avec l'argent du Niger », ce à quoi j'ai répondu: «Combien d'hommes d'Etat africains ont pillé cette Afrique sans avoir rien apporté à leurs peuples? » Ils ne se comptent pas. C'est la quasi-totalité. Et moi j'ai vu de mes yeux, comme dirait l'autre, Boubou Hama recevoir son chèque Unesco, pour ses propres recherches, pour les manuscrits et tout, et appeler Diouldé Laya ou faire venir feu Issaka Dan KOUSSOU168, qui, à l'époque, s'occupait du CRDTO (Centre Régional de Documentation par Tradition Orale) devenu l'actuel CELHTO. Boubou Hama endosse le chèque et dit:« Tu vas toucher ce chèque et tu vas équiper le CRDTO ». Ce centre était régional, d'ailleurs, comme il l'est aujourd'hui par son statut, mais le démarrage avait été confié à Boubou Hama, et c'était son argent qu'il mettait là-dedans. Alors, je crois qu'il faut apprendre à faire la part des choses. Ils ne se comptent pas les hommes d'Etat, aujourd'hui, qui ont amassé une fortune inimaginable, n'est-ce pas, et qui n'ont pas aidé un seul instant la production artistique, la production littéraire, la production scientifique, la production philosophique, tout ce qui peut entrer dans le domaine de la restauration, de la mise en valeur de notre culture. Ils n'ont absolument rien fait ou rien qui mérite d'être retenu; c'est pourquoi, compte tenu de ce qu'il a fait et qu'il nous laisse en héritage, si comme pensent certains de mes amis, il a pillé l'Etat, je réponds: « Dommage qu'il ne l'aie pas pillé davantage! » 168IssakaDan Koussou, créateur et secrétaire exécutif du CRDTO (1968-1974) ; il est, entre autres, l'auteur
de Rai'iya,
CELHTO,
1974, 225 pages
- transcription
d'un manuscrit
hausa
en caractères arabes et traduit en français. Il a été exécuté, suite à la tentative du coup d'Etat du 15 mars 1976 contre S. Kountché. 78
3- La démarche de Boubou Hama. Alors là, les ridicules dans l'affaire, c'est nous les intellectuels formés à l'occidentale. Nous sommes complètement ridicules, parce qu'on nous a donné une logique d'importation. C'est au nom de cette logique que nous essayons de juger une logique qui, initialement, était la nôtre, mais à laquelle nous n'avons pas été initiés, que nous ne connaissons pas et que nous considérons comme étrangère, donc irrecevable par la logique à laquelle nous avons été initiés. Et en fait, les intellectuels se trouvent en porte-à-faux et disent qu'ils ne se retrouvent pas dans cette démarche, etc., car elle est difficile gour quelqu'un qui n'a pas été initié. C'est vrai, comme disait ma collèguel 9 ; on ne sait par où entrer. Mais cela est dû à quoi? Cela n'est pas dû à l'hermétisme initiatique de Boubou Hama. Cela est dû au véhicule qu'il a emprunté pour venir jusqu'à nous. Ce véhicule, c'est celui de la tradition. C'est celui de sa culture, c'est-à-dire de tout ce à quoi nous n'avons pas été initiés. Et c'est ce qui fait que nous appartenons à deux générations différentes qui ont l'air de se tourner le dos. Et comme il n'y a rien de plus prétentieux qu'un intellectuel, à commencer par celui qui vous parle, on préfère rejeter la responsabilité sur l'autre. Le fautif, c'est l'autre. C'est lui qui ne comprend pas, alors qu'en réalité c'est lui qui est resté africain et, s'il y a un effort à faire, c'est à nous de le faire pour retourner à nos sources, ce qui ne nous empêchera pas plus tard, forts de nos sources, de les enrichir par l'apport extérieur. Et Boubou Hama était un homme d'ouverture. Il n'a jamais refusé cet enrichissement venant de l'extérieur, sans compter que, par définition, quiconque n'a pas reçu, dans un cadre formel, une méthodologie de travail propre à son domaine de recherche ou de formation, rencontre les problèmes que Boubou Hama a rencontrés170. 169Mme F. Mounkaï1a dans son intervention au début de la première séance. 170Boubou Hama était certainement conscient de ce problème et il précise souvent qu'il n'est pas spécialiste de la question mais qu'il faut bien en parler tout de même, d'autant que le spécialiste est, par nature, l'expression d'un point de vue qui conduit à la particularisation plus qu'à la synthèse. Dans Enquête sur les fondements et la genèse de l'unité africaine (1966), on lit (p. 259) : « Le sujet que j'ai osé abordé est très vaste...Il demande le concours de beaucoup de spécialistes des problèmes de notre continent. Ici, celui-ci n'est pas nettement déterminé. Je ne me cantonne en le traitant dans aucune discipline, ni dans une spécialisation qui en marque l'objet et l'étendue. » Et, p. 308 : « Il ne s'agit pas, dans notre unité possible, de l'intervention du hasard, mais de véritables supports historiques dont j'ai énuméré un certain nombre d'aspects au cours de ce travail - non d'un spécialiste mais d'un homme de bonne volonté dont le métier n'est pas d'écrire I'histoire, surtout à notre siècle brutalement précis de spécialisation. En responsable, j'ai pensé à la synthèse qui réoriente et qui dirige vers un sens plus national de notre culture africaine, qui ne peut être dégagé sans notre concours, sans notre effort de participation actif à la réhabilitation de l'Afrique, de l'homme d'Afrique, de l'homme tout court ». En 1975, dans ses carnets de prison, il affirme: « Ma conclusion est que l'Histoire n'est pas une suite d'événements et de dates qui la situent ou qui la fixent, mais, moralement, des 79
Le problème que Boubou Hama a rencontré, c'est un problème de méthode. Nous, nous avons une méthode parce que nous nous sommes assis sur un banc et quelqu'un nous l'a enseignée. Il n'a pas eu, comme nous, la possibilité de s'asseoir sur un banc et d'entendre: « Voici comment on fait une dissertation; tu fais là ; tu subdivises; tu fais ça. » Et là, je vous cite une anecdote. Un jour, il a remis à Diouldé Laya un texte à lire et moi j'étais en France, en poste à Paris. On m'envoie ici au Niger en mission et Diouldé Laya me dit: « Tu tombes bien. Le vieux m'a remis un document. Je l'ai vu ; il me dit qu'on doit en discuter. Je n'ai pas le courage d'aller le voir pour en discuter.» Je dis à Diouldé: « Pourquoi? » Il me dit: « Je n'y ai rien compris et je ne sais pas comment le lui dire ». Diouldé me donne le texte. Je vais le lire; alors, je prends le texte comme si j'avais affaire à un texte d'un de mes élèves. J'ai barré ;j'ai annoté. Et puis Diouldé me dit: « On va ensemble ». On demande à le voir et on se présente devant Boubou Hama avec sa sempiternelle pipe à la main: « Je vous écoute ». Alors, je parle; il tire sur sa pipe. Je parle; il tire une bouffée. Au bout de cinq minutes, il me dit: «Hé fils de colon », puisqu'en fait il ne m'a pratiquement jamais appelé par mon nom. Je réponds: «Oui, Monsieur le Président? » Il me dit: «Tu vois, pour moi tout ça, c'est très clair. Maintenant, si, pour toi et tes semblables, ce n'est pas clair, alors arrange ça pour que ça devienne clair pour vous. Mais pour moi c'est très clair. » Et il n'y avait pas meilleure façon de répondre. En fait, c'était une façon de me signifier que nous n'appartenions plus à la même culture. C'est au nom d'une culture qui est mienne que j'ai sorti et élaboré ce texte. Et je le lis avec d'autres références. Donc nous n'étions pas sur la même longueur d'ondes. Il y avait là une prétention de notre part que nous devions apprendre à corriger. Ma foi, notre réaction, je ne nous blâme pas, elle était logique puisque nous avons été formés à un autre système. Mais cette logique ne doit pas nous amener à considérer l'autre comme étant fautif. C'est lui qui est resté africain. Il y a là un équilibre à trouver et qui, à mes yeux, est tout à fait fondamental. D'ailleurs, c'est au nom de cet équilibre qu'on n'a pas su trouver que s'est passée à la fin des années 1960 et au début des années 1970 une querelle idiote. En fait, « querelle », le mot est trop fort parce que le père Amadou Hampâté Bâ n'a pas joué le jeu. On avait publié une interview d'Hampâté Bâ où il présentait l'un des neveux d'El Hadj Omar comme son fils. En effet, il avait fait une conférence dans laquelle il avait dit, en s'exprimant oralement, qu'il s'agissait du fils d'El Hadj Omar, alors qu'il leçons de vies vécues sous la lumière d'un idéal ou d'une utopie envahissante qui vient nous imposer son ordre démocratique ou pas », p. 65 in Boubou Hama, l'itinéraire de I 'homme et du militant. 80
ne s'agissait que de son neveu. Quelques mois plus tard, un de nos collègues, chercheur à l'IFAN de Dakar, qui s'intéressait au même thème, a été coupable
d'un article
- je
crois qu'il n'y a pas un autre terme -, dans
lequel l'un des points originaux, c'était de s'amuser à dire que Hampâté Bâ n'avait rien compris, car il en était à confondre la réalité en prétendant que ce monsieur était le fils d'El Hadj Omar alors qu'en fait il n'en était que le neveu. Mais en réalité, c'est lui qui n'avait rien compris parce que chez le Nègre justement, le neveu c'est le fils. Voyez-vous comment banalement on peut se tromper. De même que dans certaines de nos cultures, du côté de la mère, on n'a pas de tante, le mot « tante» n'existe pas. Tante maternelle comment? Ça n'existe pas. Dans la plupart des ethnies, la tante maternelle, c'est la mère. Il peut y avoir une tante du côté du père. De même, il n'y a pas d'oncle paternel. Le frère du père, il est le père. Il peut y avoir un oncle du côté de la mère. Alors, toutes ces réalités-là nous les occultons et nous sommes surpris, nous pontifions, n'est-ce pas? On se gausse en affirmant que Hampâté Bâ a confondu neveu et fils alors que n'importe quel homme enraciné dans sa culture sait très bien que les deux se confondent merveilleusement en Afrique. C'est si vrai que, dans certains systèmes, c'est même eux qui héritent de leurs oncles. Alors, il faut que nous soyons beaucoup plus modestes que nous ne le sommes malheureusement. 4- La question des limites. Je ne m'attarderai pas trop sur les limites à ne pas dépasser. Je crois qu'il y a des limites, effectivement, qu'il ne faut pas dépasser. Je pense qu'il faut savoir prendre un engagement vis-à-vis des informateurs et taire un certain nombre d'informations qu'ils ne veulent pas voir diffuser. Et la solution, celle de mes ancêtres les Gaulois, pourquoi ne pas vouloir l'adopter, mais l'adopter de façon claire, que tout le monde sache qu'il peut parfaitement enfermer ça, déposer ça, à un endroit précis parce que le dépôt légal de ce point de vue, c'est important car on sait quand, où et dans quelles conditions on peut accéder à cette information. Or, jusqu'ici, chacun de nous a fait son petit travail, qui est enfermé quelque part dans les cahiers: on a pris l'engagement de ne pas parler, mais on a pris également l'engagement de le faire disparaître un jour parce que, si ces cahiers sont dispersés, on ne sait pas ce que nos enfants en feront, alors que si, dans un pays donné, on sait que l'ensemble de ces connaissances se trouve à tel endroit et que ce n'est que la date d'utilisation seulement qu'il faut différer, au moins on sait où ça se trouve et on précisera les règles du jeu: dans quelle condition on pourra y accéder. C'est pourquoi d'ailleurs - c'est une idée que j'avance et que je vous prie de triturer d'ici la fin de nos travaux -, je me demande si l'une de nos recommandations, si tant est qu'on doive en
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faire, ne serait pas justement de suggérer la création d'une Bibliothèque Nationale dans ce pays et peut-être d'entrer en rapport avec la famille de feu Boubou Hama, pour voir dans quelles conditions les mille six cents ouvrages de sa bibliothèque privée qu'il a laissés et qui sont là ne pourraient pas constituer, avec l'accord de sa famille, le fonds de départ de cette Bibliothèque Nationale à laquelle tout le monde se ressourcerait. C'est une hypothèse de travail. Je ne sais comment va réagir sa famille. Elle est capable de dire non, et c'est son droit le plus absolu. Mais au moins ces ouvrages, on sait déjà où ils sont, et heureusement pour nous, ils sont répertoriés. Ils sont dans les locaux de nos Archives Nationales. Mais ce sont des ouvrages qui, depuis quinze ans, sont sans statut. Je crois que, même s'il faut les restituer à ses enfants, il est temps qu'on leur donne un statut. C'est quand même la propriété de quelqu'un. Maintenant tant mieux si sa famille peut nous dire: tout ou partie de ces ouvrages, nous consentons que ça reste à tel endroit. Tant mieux! Mais il y a là une démarche à faire. Je crois justement que ça ne serait pas inutile de l'entreprendre. 5- La question de l'auteur et du narrateur. On a parlé de la difficulté qu'il y a, et c'est vrai, on ne sait pas quand il est narrateur et quand il est acteur. On citait le cas où il disait « l'un d'entre nous a vu...» C'est que là encore, c'est une forme d'honnêteté intellectuelle. En réalité, avant de nous connaître, nous qui sommes infiniment plus jeunes, Boubou Hama travaillait avec certains de nos papas qui, eux, étaient illettrés en français. Ils connaissaient peut-être l'arabe. Ils avaient une bonne connaissance des traditions historiques de la sous-région, mais ils ne parlaient pas le français. C'étaient les informateurs immédiats de Boubou Hama. Et au départ il a réagi comme s'ils étaient des coauteurs du livre, c'est-à-dire lui et ceux qui l'ont informé. Notamment, il y avait le vieil Alfa Mossi171,qui était à l'IRSH, et puis il y a notre ancien ambassadeur en Arabie Saoudite, qui habite sur la rive droite172, Elhadji Amadou Oumarou173.Et c'est ce qui explique que, dans ses écrits, des fois vous avez 171 Mossi Hassane Maïga, dit Alfa Mossi, traducteur d'arabe au CNRSH. Dans Essai d'analyse de l'éducation africaine (1968), Boubou Hama cite souvent ses enquêtes et traductions (par exemple p. 83, 88). Déjà dans Enquête sur les fondements et la genèse de l'unité africaine (1966) : p. 203, 216, 228, 404. 172 La rive droite du fleuve Niger à Niamey, là où se trouvent l'Université et le quartier Harobanda. 173Homme de culture, directeur de la médersa de Say, collaborateur de Boubou Hama. Il avait de nombreux manuscrits arabes dont celui d'Ould Aoudar (1410) auquel Boubou Hama consacre les pages 205 à 212 de Enquête sur les fondements et la genèse de l'unité africaine (1966) et celles d'autres livres. Amadou Oumarou est très souvent cité comme informateur par Boubou Hama; cf. Histoire des Songhay (1968). 82
le « nous» : le « nous» c'est « eux». Evidemment, il faut l'avoir approché; il faut l'avoir connu et savoir comment il travaillait, avec qui il travaillait pour pouvoir mettre un contenu à ce « nous ». Mais c'était en fait sa façon à lui de prouver à ses lecteurs qu'il n'était pas le seul auteur de ce savoir qu'il est en train de servir à un éventuel lecteur. C'est ce qui explique cette façon de voir. 6- Boubou Hama et la religion. Que Boubou Hama ait pu rester proche de la religion traditionnelle sohantye, ce n'est qu'une façon de rendre hommage non seulement à sa négritude, comme dirait Senghor, mais à sa « négrologie »174.Nous, les Nègres, on sait très bien ce que nous avons fait de l'islam par lequel nous jurons. Est-ce que vous croyez que notre islam a quelque chose à voir avec l'Islam de Mohamed? Heureusement pour nous, chaque peuple selon qu'il soit européen, asiatique ou africain, prend l'islam et l'accommode à sa sauce, en l'accrochant à sa propre culture originelle. Et il existe un « islam noir» qui n'a absolument rien à avoir avec l'islam saoudien ou indonésien. Et que Boubou Hama ait été très proche de sa religion traditionnelle, c'est un fait. Nous sommes tous proches de notre religion traditionnelle. Même ceux qui disent qu'il n'y a pas de zima175,qu'il n'y a pas de marabout, ils racontent des histoires. Il suffit qu'ils entendent dire que Ali Saïbou176 prépare un remaniement pour qu'ils soient à Boukoki et Talladjé177en train de chercher les marabouts et les zima. Mais ça, on n'a pas à en avoir honte. Ça fait partie de notre culture. Le drame justement, c'est de refuser de reconnaître cette valeur, alors que nous engloutissons des sommes considérables auprès des zima et des marabouts. Et pourquoi ne pas le reconnaître? C'est une réalité. C'est un pan important de notre culture. Il faut l'assumer. Tricher vis-à-vis d'autrui, ça va. Vous pouvez avoir la chance de ne pas être pris. Mais à partir du moment où on commence à tricher vis-à-vis de soi-même, on va droit à la catastrophe. Malheureusement, c'est l'apanage des Nègres.
174La couleur (