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French Pages [315] Year 2017
Introduction
Le panafricanisme, une histoire vagabonde Amzat Boukari-Yabara Dans Africa Unite ! (2017), pages 5 à 14
Chapitre
L
e panafricanisme est une énigme historique. Sa date et son lieu de naissance divergent en fonction des critères retenus pour le définir. Sa définition même varie entre un concept philosophique né avec les mouvements émancipateurs et abolitionnistes de la seconde moitié du XVIIIe siècle, un mouvement sociopolitique construit et développé par des Afro-Américains et des Antillais entre la fin du XIXe siècle et la fin de la Seconde Guerre mondiale, ou une doctrine de l’unité politique formulée par des nationalistes africains dans le cadre des luttes anticoloniales et indépendantistes. [1] [a]
Cependant, à la source de l’idée et du mouvement , les captifs africains déportés aux Amériques entre le XVIe et le XIXe siècle dans le cadre de la traite transatlantique sont les pionniers d’une histoire vagabonde, qui se déplace et se transforme en s’adaptant aux défis de chaque lieu et de chaque époque. « On ne saurait, sans courir le risque de briser l’élan panafricain, séparer l’Afrique de ses diasporas : sans l’Afrique, les diasporas africaines n’ont pas d’identité ; sans les diasporas, l’Afrique perdrait de vue aussi bien l’ampleur de sa contribution passée et actuelle à notre monde que l’étendue mondiale de [3] ses responsabilités », souligne l’historien Elikia M’Bokolo .
Penser l’« Afrique »
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Dans son essence, le panafricanisme est avant tout une idée et un mouvement de l’histoire, qui emprunte des pistes multiples pour rejoindre une destination finale, l’Afrique, après avoir suivi trois étapes fondamentales : l’invention de l’Afrique dans le cadre de sa « découverte » par les Européens, la racialisation primitive des Africains dans le cadre de la hiérarchisation des peuples et des sociétés au moment de la traite puis de la colonisation et, enfin, la réconciliation de l’Afrique et de sa diaspora dans le cadre respectif de leur émancipation politique, économique, culturelle et sociale.
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D’une certaine manière, la naissance du panafricanisme marque le grand retour des [4] Africains dans l’histoire intellectuelle et politique des relations internationales . Jusqu’à l’époque coloniale, la thèse dominante soutient que l’histoire de l’Afrique ne commence qu’avec sa « découverte » par les Européens, et que cette histoire ne se rattache à l’histoire universelle qu’en tant que prolongement de l’histoire occidentale. Pas d’histoire africaine sans histoire européenne, pensait-on encore en 1960. Mais il faut aujourd’hui se rendre à l’évidence : entre Amériques, Europe et Afrique, il n’y a pas [5] d’histoire universelle sans histoire du panafricanisme .
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Le discours de l’Afrique sur elle-même a aussi été conditionné par la norme du discours [6] européen sur l’Afrique . Ainsi, plusieurs philosophes des Lumières (Hume, Voltaire, Kant, Hegel) ont introduit ou conforté l’idée de l’inégalité des peuples en fonction de leur couleur de peau. Leurs propos ont été immédiatement contestés par des [7] intellectuels et des militants noirs du XVIIIe et du XIXe siècle comme Ottobah Cugoano , [8] [9] [10] Olaudah Equiano , Anton Wilhelm Amo ou Anténor Firmin , dans des travaux qui restent encore trop méconnus. Ce livre sur le panafricanisme est donc une occasion de découvrir les enjeux qui, dans une perspective globale et de longue durée, obligent à regarder l’Afrique au-delà de ses frontières géographiques et de ses représentations raciales, et à chercher dans l’histoire des éléments de réponse aux défis actuels et futurs qui se posent à ce continent.
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La première manière de penser l’Afrique, c’est tout simplement de la nommer. Pour les tenants de l’afrocentricité, une doctrine fondée sur la thèse de l’origine négro-africaine de la civilisation égyptienne pharaonique, le terme de « Kemet » désigne le « pays des Noirs ». Nous retrouvons une signification similaire dans les noms de pays comme Éthiopie (du latin aethiopus, « visage brûlé »), Soudan (de l’arabe Bilad al-Sudan, « pays des Noirs ») ou Guinée (du berbère gnawa, « hommes noirs »). Les versions grecques d’Hérodote, de l’historien Flavius Josèphe et de l’explorateur andalou Hassan al-Wazzan, dit Léon l’Africain, avancent comme hypothèses étymologiques du nom Afrique celle du roi Afer, petit-fils supposé d’Abraham, ou du chef yéménite Africus qui aurait fondé la ville d’Afriqiyah lors d’une invasion au cours du second millénaire avant l’ère chrétienne. La version phénicienne évoque un fruit d’Afrique (pharika) ou la dispersion de la
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population (faraqa), tandis qu’une version indienne considère que le nom Afrique possède une racine en sanskrit et en hindi, apara, qui désigne « ce qui vient après », ce qui se trouve à l’ouest de l’Inde. L’Afrique vue de l’Inde serait alors un « Maghreb », c’est-à-dire un occident qui se prolonge vers le sud, tandis que l’appellation Afrique, qui désignait dans l’Antiquité les provinces romaines situées sur le versant sud du Bassin méditerranéen, a été progressivement étendue à l’ensemble du continent, traduisant le glissement de la dimension géo-historique à la dimension raciale. Ainsi, dans les imaginaires contemporains, l’Afrique ne renvoie plus à la rive sud de la Méditerranée (le Maghreb) mais à l’Afrique au sud du Sahara, celle qui est dite noire, intertropicale ou subsaharienne. Dans cette construction, l’Afrique au nord du Sahara apparaît comme une autre Afrique, une Afrique « blanche » qui ne serait pas véritablement l’Afrique. Combien de personnes visitant l’Afrique du Nord – ou la République d’Afrique du Sud mais pour d’autres raisons historiques – reviennent en Europe avec le sentiment de ne pas être véritablement allées en Afrique ?
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L’empreinte de l’esclavage La pratique de l’esclavage n’est pas « née » en Afrique, elle n’est pas inhérente à la « nature » des Africains dont la couleur de peau noire (« nègre », de l’espagnol negro) est devenue synonyme d’esclave. Le terme « esclavage » vient ainsi des populations slaves qui furent réduites en servitude par les Byzantins puis par les Germains. Entre le milieu du XVe et le début du XVIe siècle, les Portugais et les Espagnols sont les premiers Européens à pratiquer de manière spécifique la déportation des Africains en direction des îles de l’Atlantique (Açores, Canaries, Cap-Vert, Madère), puis vers les Amériques après 1492.
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À cette époque, l’Espagne catholique construit les images figées du Juif et de l’Arabe en [11] Europe, ainsi que de l’Indien et de l’Africain dans les Amériques . En utilisant la « découverte » des Amériques pour couper les relations multilatérales qu’entretenait entre elles chacune des parties du globe, et les unir à son expérience historique, le protocapitalisme européen agglomère des modes de production impliquant l’esclavage, le féodalisme, le travail salarié et la production de biens de commodité au profit d’une [12] classe marchande et bourgeoise embryonnaire . La division internationale du travail, en organisant la périphérie africaine et américaine selon des structures autoritaires et coercitives impliquant l’importation de la main-d’œuvre la plus « disponible », est au cœur du processus d’accumulation capitaliste.
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Alors que le travailleur européen possède un contrat limité qui n’engage que sa force de travail sur un temps défini, l’Africain devenu « esclave » dans les Amériques transmet son statut de manière héréditaire. Cette aliénation héréditaire par l’origine ethnique est également inscrite dans les carnets de bord et les polices d’assurance considérant les Noirs comme des « biens meubles » ou du « bois d’ébène ». Par l’intermédiaire du droit canonique et du droit international européen, l’Église et les monarchies d’Europe figent [13] cet état de servitude dans un solide arsenal juridique, législatif et répressif . En ce sens, la traite transatlantique européenne fut une entreprise organisée de dégradation et de déshumanisation d’une catégorie précise de l’espèce humaine, les Africains noirs. [14]
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Bien que plus courte dans la durée que la traite vers l’Orient , la traite transatlantique menée par les bourgeoisies marchandes des principales puissances occidentales (Angleterre, France, Portugal, Hollande, États-Unis, pays baltes et scandinaves) s’accompagna d’une ponction démographique intense sur l’Afrique et d’une modification irréversible de l’ordre économique, culturel et politique mondial. Il fallut attendre le XIXe siècle, marqué par une succession de résistances africaines et par la transformation des structures économiques libérales et capitalistes, pour que la traite puis l’esclavage soient abolis. Le panafricanisme et le pan-négrisme – le sentiment d’une unité sur la simple base d’être noir – sont issus de cette histoire enchevêtrée de la traite, de l’esclavage et de la colonisation, qui ont laissé les Africains dans des situations très variées.
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Il est établi que plusieurs groupes sociaux africains disposaient au XVe siècle d’une histoire, d’une culture politique et d’une organisation économique et sociale qui [15] n’avaient rien à envier aux Européens . Encore aujourd’hui, l’histoire des traites et de la colonisation de l’Afrique soulève de nombreuses polémiques quant aux responsabilités et à l’impact à long terme de cette période. Les historiens débattent également de l’articulation entre l’esclavage, qui dégrade l’humanité des Africains, et la naissance d’une modernité fondée sur l’inégalité et le racisme. Ainsi, en fonction de l’idéologie, de la subjectivité et de la passion soulevées par cette histoire aux conséquences contemporaines réelles, chacun retient l’aspect et le versant qui conviennent le mieux à la thèse qu’il souhaite défendre, à la partie qu’il veut dédouaner ou accuser, dans un cadre normatif allant de la demande de réparations pour l’esclavage du côté des « lésés » au refus de la repentance du côté des « accusés » en passant par la question de la dépendance et de la désaliénation culturelle.
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Ainsi, le cas de la traite dite « arabo-musulmane » est soulevé par les milieux conservateurs à chaque fois que nous voyons poindre des intentions africaines (noires) de faire porter à l’Europe (blanche) la responsabilité de la traite par des demandes de [16] réparations . S’agit-il de dédouaner les responsabilités de l’Europe de l’époque en déclarant de manière o fusquée que d’autres auraient fait pire en matière d’esclavagisme ? S’agit-il de nier l’importance de la pensée européenne et chrétienne
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dans la di fusion de la doctrine pseudo-scientifique du racisme en la confondant avec des pratiques tout autant condamnables que sont la di fusion d’un islam prosélyte ou la cupidité de quelques élites africaines ? Certes, il n’y aurait pas eu de traite européenne ou « arabe » sans la participation forcée [17] ou intéressée de groupes d’Africains . Certes, il convient de se pencher sérieusement sur des cas contemporains (Mauritanie, Corne de l’Afrique) où l’esclavage est encore pratiqué. Toutefois, il est important de souligner que le système le plus perfectionné et le plus global pour soumettre et exploiter l’Afrique et les Africains, celui lié à la traite puis au colonialisme des puissances occidentales, a été principalement combattu par des [18] résistances et des résiliences africaines et afro-descendantes . Les nouvelles formes d’inégalité et de violence physique ou morale que continuent de subir une grande partie des descendants d’Africains déportés ou colonisés, mais aujourd’hui libres, montrent que le combat pour l’égalité et la dignité est encore à mener aujourd’hui.
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Du pan-négrisme à l’unité africaine : une histoire des panafricanismes Un autre enjeu concerne les limites du panafricanisme. Se réduisent-elles à la couleur de la peau (les Noirs) ou à la géographie (le continent africain) ? Dans le premier cas, les limites du panafricanisme excluent l’Afrique du Nord dite « blanche ». Dans le second, elles écartent plusieurs dizaines de millions d’Africains de la diaspora. Si la couleur de la peau est retenue, est-elle constitutive d’une unité culturelle des peuples noirs ? Si la géographie est privilégiée, quel est alors le projet d’unité politique territoriale ?
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La complémentarité des alternatives se pose à partir de la distinction du pan-négrisme et du panafricanisme. Le pan-négrisme désigne la solidarité raciale et la revalorisation culturelle de l’Afrique et de la « race nègre » exprimées dans les premiers récits d’esclaves, dans les ouvrages des premiers théoriciens de la culture pan-nègre, comme [19] [20] Edward Blyden ou W.E.B. Du Bois , et dans les mouvements culturels de la Renaissance noire de Harlem (années 1920) et de la négritude (années 1930). En insistant particulièrement sur la conscience raciale résultant de l’esclavage et de l’oppression des Noirs, le pan-négrisme domine la première phase du panafricanisme, celle qui va du XVIIIe siècle aux années 1930, et qui voit leurir notamment les projets de retour en Afrique.
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Au cours de cette période, que nous examinons dans la première partie de cet ouvrage (« Back to Africa ! »), les États-Unis institutionnalisent le racisme et les puissances européennes organisent le partage colonial de l’Afrique à la conférence de Berlin (1885). Progressivement, le panafricanisme se distingue du pan-négrisme en transformant la conscience raciale en un projet politique et géographique, qui vise la libération de
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l’Afrique du joug colonial. Cette mutation idéologique se déroule alors qu’émergent, autour des congrès panafricains organisés par l’historien afro-américain W.E.B. Du Bois ou dans le cadre des manifestations initiées à Harlem par le Jamaïcain Marcus Garvey, de nouveaux groupes sociaux et militants noirs. Ces derniers voient le jour dans une période marquée par la montée en puissance de nouvelles dynamiques intellectuelles, politiques et sociales : le communisme, l’internationalisme et les nationalismes africains. Au contact de ces courants avec lesquels il ne va cesser de dialoguer, le panafricanisme va s’enrichir, s’hybrider, se diversifier. Après la Seconde Guerre mondiale, la dynamique panafricaine, dans toute sa diversité, joue un rôle déterminant dans l’ébranlement de l’ordre colonial. Pays précurseur, le Ghana de Kwame Nkrumah incarne, dans une deuxième partie (« Africa for the Africans ! »), la quête de l’indépendance et de l’unité du continent. Alors que la stratégie de conquête du pouvoir par les Africains et pour les Africains s’accompagne d’une interrogation sur l’unité culturelle, politique et économique de l’Afrique, des crises et des guerres éclatent en Algérie, au Congo et dans les colonies portugaises. La décolonisation donne progressivement naissance à une cinquantaine d’États qui sont tous, peu ou prou, confrontés aux mêmes défis. Comment organiser le nouvel État ? Que faire des frontières héritées de la colonisation ? Quelles relations entretenir avec les pays devenus « étrangers » ? Pour répondre à ces questions, certains responsables africains proposent d’agir de concert, de mutualiser les e forts et de créer de nouvelles solidarités continentales. Il paraît d’autant plus urgent de s’unir que l’Afrique devient un terrain périphérique de la guerre froide et que les anciennes puissances coloniales mettent en place un système qui, en dépit des indépendances politiques, leur permet de garder partiellement la main sur nombre de leurs anciennes colonies. Reste que l’« union africaine » reste à définir. Seul chef d’État partisan de la mise en place d’un État fédéral avec un gouvernement continental sur le modèle des États-Unis d’Amérique, Nkrumah doit revoir ses ambitions à la baisse lorsque ses homologues décident de fonder, en mai 1963, l’Organisation de l’unité africaine (OUA). Loin de donner naissance aux ÉtatsUnis d’Afrique rêvés par le dirigeant ghanéen, l’OUA, simple organe de coopération interétatique, apparaît aux yeux de ses détracteurs comme un « syndicat de chefs d’État ».
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La décolonisation de l’Afrique et le retour e fectif du panafricanisme sur le continent africain ébranlent cependant la diaspora, qui se bat à la même période pour réclamer ses droits. Les Noirs des Amériques ont longtemps considéré qu’ils formaient l’avant-garde de la libération du continent, et que l’Afrique avait besoin d’eux. Avec l’émergence de nouveaux États indépendants, ils voient l’Afrique comme la base arrière de leur lutte pour l’égalité dans les Amériques et au-delà. Ainsi, à partir des années 1960, une synthèse réunissant les traditions pan-nègres et panafricaines rappelle qu’un espace de circulation d’idées et un réseau global de militants travaillant à améliorer les conditions
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générales d’existence des peuples d’Afrique et de la diaspora n’ont jamais cessé de fonctionner. Les succès du mouvement des droits civiques aux États-Unis, la disparition de l’Empire portugais et la chute du régime d’apartheid en Afrique du Sud sonnent comme autant de victoires remportées par la solidarité panafricaine. Mais le continent africain doit, parallèlement, faire face à de nouvelles désillusions, comme nous le montrons dans la troisième partie (« Don’t agonize, organize ! »). Les crises économiques et les con lits armés brisent le rêve d’un panafricanisme prospère et fédérateur. L’unité, qui avait permis de faire front commun contre le colonialisme, s’e frite. En dépit de la multiplication des organisations continentales et sous-régionales censées rapprocher les États, les con lits armés se multiplient, accompagnés de la fuite des cerveaux, et les élites politiques africaines, aspirées par la logique néolibérale, paraissent de plus en plus dépassées. Après avoir subi les méfaits de l’esclavagisme colonialiste et capitaliste, puis les directives des institutions financières internationales (IFI) qui ont axé leur discours sur la « bonne gouvernance » et imposé le « consensus de Washington » pour forcer les États du Sud à épurer leurs dettes, l’Afrique se trouve dans une situation paradoxale. Est-elle en train de sortir du gou fre ou sur le point d’y replonger ? Portée par son dynamisme démographique et une bonne croissance économique, elle est de plus en plus présentée comme le prochain continent émergent. Mais les conditions de vie des Africains, qui profitent peu des « bons indicateurs macroéconomiques », sont parfois moins favorables qu’en 1960. Pour répondre à ces distorsions qui sont de nature à faire éclater le continent en une multitude d’archipels de prospérité perdus dans un océan de misère et d’exploitation, un projet comme celui de l’unité continentale est trop rarement pris au sérieux alors même qu’il n’a jamais eu la chance d’être concrètement appliqué.
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En rappelant qu’il n’est pas nécessaire de résider en Afrique pour être panafricain, que tout Africain – et a fortiori tout « Noir » – n’est pas, par nature, panafricain et que l’unité demeure le socle du panafricanisme, cet ouvrage entend éclairer certains mots d’ordre mobilisateurs – « Retour en Afrique ! », « L’Afrique aux Africains ! » ou « États-Unis d’Afrique ! » – qui, popularisés pendant deux siècles de luttes pour la dignité, la justice et l’indépendance, reviennent sur le devant de la scène. « Ne vous a frontez pas, organisezvous ! » lancent aujourd’hui les militants panafricains. Qui sont les acteurs de l’unité africaine ? Qui cherche à briser l’élan panafricain ? Pourquoi cette unité, qui semble pourtant relever du bon sens et qui fait encore rêver des millions d’Africains, ne fait-elle pas l’unanimité ? Et, finalement, quel « panafricanisme » voulons-nous ? Telles sont quelques-unes des questions qui jalonnent cette histoire du panafricanisme.
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Notes
[1]
Peter O. ESEDEBE, Pan-Africanism. The Idea and the Movement, 1776-1991, Howard University Press, Washington D.C., 1994.
[a]
Toutes les notes de référence sont classées par chapitre à la fin de l’ouvrage, p. 339.
[3]
Elikia M’BOKOLO, « George Padmore, Kwamé Nkrumah, Cyril L. James et l’idéologie de la lutte panafricaine », CODESRIA, Accra, 2003, p. 6.
[4]
En dehors de quelques thèses et biographies, la majorité des travaux sur le panafricanisme sont en anglais. Pour une introduction à ce concept en français, voir Philippe DECRAENE, Le Panafricanisme, PUF, coll. « Que sais-je ? », Paris, 1976. Pour une étude plus actuelle et plus complète, sous l’angle des relations internationales, voir Michel KOUNOU, Le Panafricanisme : de la crise à la renaissance, Clé, Yaoundé, 2007. Pour un recueil des grands textes du panafricanisme, voir ORGANISATION INTERNATIONALE DE LA FRANCOPHONIE (OIF), Le Mouvement panafricaniste au XXe siècle : recueil de textes, OIF, Paris, 2007 (disponible sur < http://democratie.francophonie.org >).
[5]
Imanuel GEISS, The Pan-African Movement. A History of Pan-Africanism in America, Europe and Africa, Africana Publishing Company, New York, 1974.
[6]
Valentin MUDIMBE, The Invention of Africa, Indiana University Press, Bloomington, 1988.
[7]
Ottobah Cugoano, Ré lexions sur la traite et l’esclavage des Nègres, Zones-La Découverte, Paris, 2009.
[8]
Olaudah EQUIANO, Olaudah Equiano ou Gustavus Vassa l’Africain. La passionnante autobiographie d’un esclave a franchi, L’Harmattan, Paris, 2005.
[9]
Simon MOUGNOL, Amo Afer. Un Noir, professeur d’université en Allemagne au XVIIIe siècle, L’Harmattan, Paris, 2010.
[10]
Anténor FIRMIN, De l’égalité des races humaines, L’Harmattan, Paris, 2003.
[11]
Walter MIGNOLO, The Darker Side of Western Modernity. Global Futures, Decolonial Options (Latin America Otherwise), Duke University Press, Durham, 2011.
[12]
Karl POLANYI, La Grande Transformation, Gallimard, Paris, 2009.
[13]
Louis SALA-MOLINS, Le Code Noir ou le calvaire de Canaan, PUF, Paris, 2011.
[14]
François RENAULT, La Traite des Noirs au Proche-Orient médiéval (VIIe-XIVe siècle), P. Geuthner, Paris, 1989.
[15]
Cheikh Anta DIOP, L’Afrique noire précoloniale, Présence africaine, Paris, 1987.
[16]
Cahier d’Études africaines, « Réparations, restitutions, réconciliations entre Afriques, Europe et Amériques », n° 173/174, 2004. Voir aussi Wole SOYINKA, The Burden of Memory, the Muse of Forgiveness, Oxford University Press, Oxford, 1999.
[17]
Walter RODNEY, « African slavery and other forms of social oppression on the Upper Guinea coast in the context of the Atlantic slave trade », in Joseph INIKORI, Forced Migration, Hutchinson University Library, Londres, 1982, p. 61-73.
[18]
Alain ANSELIN, Le Refus de l’esclavitude. Résistances africaines à la traite négrière, Duboiris, Paris, 2009.
[19]
Edward BLYDEN, Christianity, Islam and the Negro Race, Edinburgh University Press, Edimbourg, 1967.
[20]
W.E.B. DUBOIS, Les Âmes du peuple noir, La Découverte, Paris, 2007.
Plan Penser l’« Afrique » L’empreinte de l’esclavage Du pan-négrisme à l’unité africaine : une histoire des panafricanismes
Auteur Amzat Boukari-Yabara
Mis en ligne sur Cairn.info le 18/05/2019
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Pour citer cet article
1. De la déportation aux Amériques aux expériences de retour en Afrique [a] Amzat Boukari-Yabara Dans Africa Unite ! (2017), pages 15 à 28
Chapitre
A
u cours du XVe siècle, les Portugais mènent plusieurs expéditions le long des côtes africaines dans le cadre de la recherche de la route des Indes par voie maritime. Lors de leurs voyages, ils établissent des comptoirs sur la côte ouest-africaine pour y acheter de l’or et capturer des hommes libres. En accord avec la bulle du 8 janvier 1454 du pape Nicolas V qui autorise la mise en esclavage des Africains, ces derniers sont notamment déplacés dans les îles de l’océan Atlantique (Canaries, Madère) où des cultures vivrières sont mises en place pour assurer le ravitaillement des bateaux.
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À cette époque, la présence d’Africains libres ou serviles est également importante à Lisbonne et à Séville. Des marins africains participent aux premières expéditions européennes en direction des Amériques. Dès 1503, un premier bateau transportant des captifs africains venus de la péninsule Ibérique accoste à Saint-Domingue, la deuxième plus grande île des Caraïbes. Jusqu’en 1867, date o ficielle de la dernière abolition de la traite à Cuba, plus de douze millions d’Africains sont déportés dans les Amériques pour servir de main-d’œuvre principale dans la colonisation et la construction du « Nouveau Monde ». La déportation vers les Amériques engendre des résistances africaines. La plus aboutie de ces révoltes fut l’indépendance d’Haïti, colonie française installée sur la partie occidentale de Saint-Domingue, en 1804.
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Dès lors, des projets de retour en Afrique émergent aux Amériques, qui visent en particulier à « rapatrier » les Noirs en Sierra Leone et au Liberia. Bien avant la conférence de Berlin (1885) qui lance le grand mouvement de colonisation européenne de l’Afrique, ces deux premières colonies ouest-africaines – limitées à la zone côtière – sont respectivement fondées en 1791 par des Britanniques et en 1822 par des Américains pour accompagner les projets de retour. Mais cette dynamique du « retour » est ambivalente : à la démarche volontaire de certains Noirs, libres mais victimes du racisme, cherchant à retourner sur leur continent d’origine dans l’espoir d’acquérir une plus grande liberté et de meilleures conditions de vie s’ajoute, sur un mode paradoxal, le projet des autorités européennes et des planteurs sudistes des États-Unis de « renvoyer » de force ces mêmes Noirs libres pour se débarrasser d’une population à [2] laquelle ils refusent d’accorder l’égalité économique et politique .
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En outre, opprimés en tant que Noir, mais dominants parmi les Noirs (esclaves des Amériques, futurs colonisés en Afrique), des Noirs libres et éduqués, persuadés, eux aussi, de faire partie de la civilisation « supérieure » à laquelle ils se sont frottés aux Amériques, nourrissent ce projet de « retour » en regardant les habitants du continent africain avec une condescendance qui n’est pas sans rapport avec l’idéologie coloniale qui se développe tout au long du XIXe siècle. Ainsi, alors que la traite déporte des millions de Noirs d’Afrique vers les Amériques, une élite économique et intellectuelle noire vivant autour de Boston et de Philadelphie perçoit dans l’idée du retour en Afrique la possibilité de développer encore plus ses compétences.
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La traite transatlantique Dans la première moitié du XVIe siècle, la violence du colonialisme européen entraîne la [3] disparition massive des populations amérindiennes . Pour compenser la chute brutale de la main-d’œuvre forcée amérindienne, une première politique d’engagement de travailleurs blancs pour des durées limitées de trois ans avec la possibilité de retourner en Europe est mise en place, mais elle se révèle vite insu fisante. Progressivement, avec la découverte de l’étendue des richesses présentes dans les Amériques et la nécessité de passer d’une colonisation de prédation à une colonisation d’exploitation et de peuplement, les Européens organisent, à destination du Nouveau Monde, une [4] déportation massive et forcée de captifs africains .
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Dominée par l’Espagne et surtout le Portugal dans la seconde moitié du XVIe siècle, la traite connaît un premier pic peu après 1640, lorsque le Brésil puis la Caraïbe entrent dans le cycle de la canne à sucre qui demande une importante main-d’œuvre. Au cours du XVIIe siècle, les Provinces-Unies (Pays-Bas), la Grande-Bretagne, la France et le Danemark investissent dans les îles à sucre. Une concurrence se crée entre les
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marchands de Liverpool, Londres et Bristol, et ceux de Nantes, Bordeaux ou La Rochelle, avec le développement du commerce portuaire. En Europe du Nord, Anvers, Copenhague et Amsterdam connaissent une expansion importante grâce à la Compagnie néerlandaise des Indes occidentales. Outre la traite en direction du Brésil hollandais (1630-1654) et de la Nouvelle-Amsterdam (New York, Rhode Island), la Compagnie bénéficie de l’asiento, le contrat de monopole par lequel la couronne d’Espagne donne à des sociétés européennes l’exclusivité de l’approvisionnement de ses colonies en captifs africains et en produits commerciaux. En Europe du Sud, Lisbonne, Cadix et Séville se partagent l’administration et l’organisation du commerce des produits coloniaux (argent, café, or, sucre). Les premiers captifs africains arrivés en Amérique du Nord en 1619 dans le cadre de la traite britannique et hollandaise sont également conduits en Louisiane. Alors que le nombre d’Africains déportés dans les Amériques aux XVIe et XVIIe siècles s’élève à environ deux millions, il connaît une hausse spectaculaire au XVIIIe siècle avec plus de six millions d’Africains arrivés vivants dans les Amériques. Toutes les nations européennes s’engagent directement ou indirectement dans la traite. En 1713, Londres obtient l’asiento et domine la traite organisée dans l’Atlantique nord, tandis que les colons portugais installés au Brésil ouvrent un circuit direct avec l’Afrique dans l’Atlantique sud.
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Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, la France concurrence la Grande-Bretagne avec Saint-Domingue, qui reçoit plus d’un demi-million d’Africains qui font de cette île la colonie la plus riche du Nouveau Monde. L’indépendance des États-Unis en 1776 va déplacer le marché esclavagiste des îles vers le continent nord-américain, en particulier après la perte de Saint-Domingue par la France en 1804, puis l’abolition de la traite britannique en 1807. Entre 1807 et les années 1860, le port de La Havane permet d’alimenter les marchés esclavagistes clandestins de l’Amérique du Nord à la côte nord caraïbe. Dès lors, les États-Unis, le Brésil et Cuba deviennent les principales puissances esclavagistes d’un XIXe siècle au cours duquel près de quatre millions d’Africains sont introduits vivants dans les Amériques pour venir travailler dans les champs de coton, de canne et de café.
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La Sierra Leone, première terre de rapatriement depuis l’Angleterre (1787) En 1772, l’a faire Somerset marque un tournant décisif dans la pratique de la traite et de l’esclavage. Quittant la colonie de la Virginie pour Boston puis l’Angleterre en compagnie de son maître, James Somerset pense devenir libre en touchant le sol anglais. Fuyant son maître qui souhaite le conduire de force en Jamaïque où il aurait retrouvé sa
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condition servile, Somerset, conseillé par l’esclave a franchi Olaudah Equiano et l’abolitionniste britannique Granville Sharp, porte l’a faire en justice. Le 22 juin 1772, le juge lord Mansfield se prononce implicitement en faveur de Somerset en soulignant que, l’esclavage n’existant pas en Angleterre, la loi esclavagiste en vigueur dans la colonie anglaise de la Virginie depuis 1661 ne peut s’imposer à la loi de la métropole. Du jour au lendemain, des milliers de Noirs vivant en Angleterre deviennent libres ou intentent des procès à leurs maîtres. En 1778, un arrêt de la Cour d’Écosse confirme qu’un esclave posant le pied sur le sol britannique devient libre. En France, la même problématique se pose car les colons ont pris l’habitude de revenir en France avec leurs esclaves. Or la loi interdit l’esclavage et la servitude sur le sol métropolitain. Des esclaves informés de cette situation s’enfuient en arrivant en France, ou attaquent les maîtres devant les tribunaux pour faire reconnaître leur liberté. Les jugements varient cependant en fonction des sensibilités, avec les tribunaux parisiens plus enclins à faire appliquer la loi que les tribunaux des grandes villes portuaires de la façade atlantique. Pour contourner les procès, les propriétaires invoquent le statut d’apprenti pour masquer la condition d’esclave de leurs domestiques noirs. Des pratiques comme celle d’o frir des petits enfants noirs à des familles bourgeoises entraînent également des problèmes sociaux lorsque ces enfants grandissent et sont mis à la porte, avec comme perspective l’enrôlement dans l’armée ou le vagabondage.
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Constatant le nombre croissant de Noirs libres circulant en Grande-Bretagne à la suite de la jurisprudence Somerset, des groupes abolitionnistes et philanthropiques menés par Granville Sharp décident d’établir en 1787 une colonie en Sierra Leone. Ce premier établissement colonial britannique en Afrique de l’Ouest accueille, dans les décennies suivantes, plusieurs catégories d’Africains libres. Depuis le Royaume-Uni viennent des Noirs a franchis après l’a faire Somerset. Depuis la Nouvelle-Écosse, colonie britannique sur la façade atlantique de l’actuel Canada, viennent deux autres groupes : des Noirs qui avaient combattu dans les rangs de l’armée britannique lors de la guerre d’indépendance des États-Unis en 1776 et les Marrons, des groupes d’Africains qui avaient fui les plantations pour mener une série de guerres anticoloniales en Jamaïque tout au long du XVIIIe siècle. Tous ces « rapatriés » seront bientôt rejoints par des soldats noirs ayant combattu aux côtés des Britanniques contre la France à Saint-Domingue dans les années 1790 et les captifs qui, déportés depuis toute la côte ouest-africaine, seront libérés des négriers interceptés par la marine britannique après l’abolition de la traite décrétée par Londres en 1807.
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La capitale sierra-léonaise prend, en 1792, le nom de Freetown, en référence à la liberté o ferte aux rapatriés. Tout au long du XIXe siècle, environ 60 000 Noirs rapatriés s’installent sur le littoral, et s’aventurent peu dans l’hinterland. Les descendants des rapatriés se définissent progressivement comme une communauté à part, les Krio (« créoles »), disposant d’une langue du même nom re létant la diversité de leurs
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origines. Un con lit social, économique et culturel prend forme qui oppose les « rapatriés » à la majorité de la population sierra-léonaise, issue de groupes ethniques Mande et Temne installés dans l’hinterland depuis plusieurs siècles. Répartis le long de la côte guinéenne, ces Africains sont considérés comme des indigènes par les Krio qui, en plus de chercher à prendre le contrôle de leur territoire, entreprennent de les « civiliser » et de les évangéliser, avec le soutien moral et financier des organisations religieuses. Les missions religieuses, confrontées à des peuples islamisés dans le cadre des guerres menées par les souverains des royaumes sahélo-soudanais, développent également l’enseignement en anglais. En 1827, la Church Missionary Society fonde le Fourah Bay College, la première institution scolaire de langue anglaise de l’Afrique de l’Ouest. Fourah Bay draine des étudiants des autres colonies anglaises ouest-africaines et, dans le même temps, facilite la circulation des idées dans la sous-région. Dans le dernier quart du XIXe siècle, en prélude à la conférence de Berlin, les Britanniques décident d’étendre la colonisation dans l’hinterland, et de mettre en place une politique économique et commerciale qui déplace les travailleurs africains vers Freetown. La capitale, dominée par les groupes créoles, est également le siège des compagnies commerciales britanniques qui se partagent le marché de l’huile de palme, du café et du cacao. Les Krio sont alors invités par les autorités britanniques à participer à la vie administrative de la colonie, dans le cadre du système colonial d’administration indirecte.
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L’extension du mouvement « Back to Africa » aux États-Unis La nouvelle de l’a faire Somerset (1772) gagne rapidement les États-Unis, où un nombre important d’Africains sont libérés lors de la guerre d’indépendance contre les Anglais (1775-1783). À cette période, sur une population totale estimée à 2 500 000 habitants, les treize colonies comptent environ 750 000 Noirs, dont 700 000 vivent, depuis leur naissance ou leur arrivée dans le pays, comme esclaves. Environ 90 % des esclaves sont concentrés dans la partie méridionale des États-Unis. Quelques milliers de Noirs libres vivent dans le Nord, notamment dans le Delaware, qui interdit la traite dès 1776, et dans le Vermont, premier territoire nord-américain dont la Constitution abolit l’esclavage en 1777.
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En 1787, la ville de Philadelphie (Pennsylvanie) connaît plusieurs événements importants. En mai, les représentants des États formant les États-Unis – cinquante-cinq hommes blancs, divisés entre des capitalistes du Nord et des planteurs et propriétaires du Sud – se réunissent et promulguent, au terme d’un compromis, la Constitution des États-Unis d’Amérique : sans abolir l’esclavage sur le sol américain, le texte interdit
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l’importation d’esclaves dans un délai de vingt ans. Jusqu’en 1807, plusieurs centaines de milliers de captifs africains sont introduits aux États-Unis, en particulier dans les États du Sud où la culture du coton est en plein essor. Pour réduire la fuite des esclaves vers le Nord abolitionniste, une première loi sur les fugitifs (Fugitive Slave Act) est votée en 1793. Sur simple témoignage du propriétaire, elle fonde ce dernier à réclamer auprès des autorités nordistes la capture de tout fugitif. Toujours en 1787 à Philadelphie, les quakers fondent la première société abolitionniste américaine avec, déjà, l’idée de coloniser l’Afrique de l’Ouest grâce au renvoi des Noirs a franchis. De leur côté, deux Afro-Américains, Absalom Jones et Richard Allen, lassés de subir la discrimination, décident de fonder une association de charité et d’entraide ouverte aux Noirs, la Société africaine libre (Free African Society) de Philadelphie. Huit ans plus tard, la Société africaine libre de Newport (Rhode Island), a filiée à la précédente, envoie une mission en Sierra Leone, présentée comme la « colonie de la Liberté ».
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À l’évidence, l’idée du « Back to Africa » progresse chez les Noirs libres d’Amérique à la fin du XVIIIe siècle. Fondateur de la première loge maçonnique afro-américaine, Prince Hall, un a franchi, réclame dès 1773, devant l’assemblée parlementaire du Massachusetts, le droit de retourner librement en Afrique ou d’obtenir une réelle émancipation pour les Afro-Américains. Car, tout « libres » qu’ils soient, les Noirs subissent toujours de graves discriminations dans le Nord, pourtant réputé plus égalitariste et progressiste.
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Dès 1776, la Cour générale du Massachusetts retire le droit de vote aux Africains libres et aux Indiens. Il n’en fallait pas davantage pour que le fils d’un a franchi d’origine Ashanti (Ghana) et d’une Amérindienne, Paul Cu fee, lance une pétition en soulignant que si les Africains et les Indiens sont privés du droit de représentation, ils doivent être exemptés de l’impôt. En 1783, leur droit de vote est rétabli par une décision de justice. Disposant d’une autonomie financière qui lui permet de fonder une école dans sa ville natale de Westport, Cu fee mène ensuite des activités philanthropiques et abolitionnistes avec les quakers. À la tête d’un commerce portuaire prospère, il est certes considéré comme l’Africain le plus puissant du pays. Mais sa richesse ne le préserve pas du racisme qui ravage les États-Unis. Pour sortir de cette situation, estime-t-il, les Noirs d’Amérique doivent créer une nation indépendante en Afrique.
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Après avoir recruté un équipage noir, Cu fee quitte les États-Unis, le 2 janvier 1811, en direction de la Sierra Leone. À Freetown, il crée la Société des amis de la Sierra Leone afin d’établir des relations commerciales et des missions religieuses. En 1815, toujours sur ses propres fonds, il retourne en Sierra Leone avec une trentaine d’hommes qui
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s’installent dans la colonie. Décédé en septembre 1817, à la veille d’un nouveau voyage vers l’Afrique de l’Ouest, Cu fee apparaît comme l’un des principaux promoteurs de la colonisation comme solution au « problème noir ».
Ayiti, la première république noire (1804) Les premiers mouvements noirs liés au rapatriement en Afrique s’organisent en Angleterre et aux États-Unis quand éclate la révolution de Saint-Domingue. En 1789, la Révolution française consacre la domination idéologique de la bourgeoisie métropolitaine, dont une partie a prospéré dans les villes portuaires économiquement liées au lobby colonial et esclavagiste. Cependant, les planteurs blancs de SaintDomingue, la colonie la plus riche du Nouveau Monde et celle qui reçoit le plus grand nombre de captifs africains, n’excluent pas de suivre l’exemple des colonies américaines en se séparant de la métropole. La petite classe locale de colons royalistes et la minorité de métis ou d’a franchis tentent de prendre le contrôle politique de la colonie pour défendre les privilèges dont ils jouissaient sous l’Ancien Régime.
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Le 14 août 1791, le peuple noir de Saint-Domingue lance une insurrection qui oblige bientôt la France à abolir l’esclavage (en 1794) et force les colons à fuir vers la Louisiane et la Jamaïque. Assaillis de toute part, les insurgés noirs parviennent à repousser les convoitises impérialistes de l’Espagne et de l’Angleterre. Cette révolution démontre aux yeux du monde que les idéaux révolutionnaires des Lumières ne peuvent se réaliser dans les colonies que par l’abolition de l’esclavage et la construction d’une égalité [5] citoyenne . Au terme d’une guerre contre les troupes de Napoléon, les Africains de Saint-Domingue, dirigés par Toussaint Louverture puis par Jean-Jacques Dessalines, arrachent leur indépendance. Le 1er janvier 1804, en même temps qu’il abolit le système esclavagiste, Dessalines proclame l’indépendance du pays qui reprend le nom originel d’Ayiti (Haïti).
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La naissance de la « première république noire » marque l’entrée des Africains comme [6] acteurs à part entière dans l’histoire contemporaine des relations internationales . Dès les années 1810, Haïti appuie le mouvement de libération des colonies espagnoles mené par Simon Bolivar. En revanche, la rançon de l’indépendance imposée par la France, qui réclame cent cinquante millions de francs or en guise de dédommagement, asphyxie progressivement l’économie du pays, déjà ravagé par la guerre d’indépendance et en proie à d’intenses con lits entre les di férentes classes sociales. Craignant de voir l’exemple d’Haïti inspirer les îles voisines et les États du Sud, les États-Unis attendent 1862, la veille de l’abolition de l’esclavage sur leur propre territoire, pour reconnaître Haïti.
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La colonisation afro-américaine du Liberia (1816-1847) Dans la première moitié du XIXe siècle, les milieux esclavagistes américains vivent dans la crainte d’un soulèvement généralisé des esclaves du sud des États-Unis, comparable à la révolution haïtienne. La révolte la plus célèbre, menée en 1831 par l’esclave Nat Turner [7] en Virginie, reprend L’Appel publié deux ans plus tôt par David Walker . Propriétaire à Boston d’un commerce de vêtements destinés aux marins noirs et aux fugitifs, Walker s’était inspiré d’un texte de l’écrivain afro-américain Robert Alexander Young, The Ethiopian Manifesto (1829), qui encourage les Noirs de la diaspora, qualifiés d’« Ethiopians », à s’unir pour mener une guerre millénaire et apocalyptique de libération contre les Blancs. S’adressant aux « citoyens de couleur du monde » et « en particulier, et très expressément, à ceux des États-Unis d’Amérique », L’Appel de Walker est un pamphlet de quatre articles, où il incite au soulèvement et au renversement, par la force si nécessaire, de l’ordre esclavagiste et raciste en vigueur.
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Dans ce contexte, l’intérêt des propriétaires d’esclaves pour le « rapatriement » des Africains se renforce. Fondée entre décembre 1816 et janvier 1817 sous l’impulsion du pasteur Robert Finley par des groupes religieux disposant du soutien des autorités et des propriétaires, la Société américaine de colonisation (American Colonization Society, ACS) promeut le « retour en Afrique » des Noirs a franchis dans un esprit proche de celui de Paul Cu fee. Elle est l’une des principales bénéficiaires des largesses financières des milieux esclavagistes au lendemain de la révolte de Nat Turner, ce qui démontre à nouveau l’ambiguïté d’un projet apparemment « philanthropique » mais ayant en fait pour objectifs prioritaires de sauvegarder les intérêts esclavagistes aux États-Unis et d’utiliser les Noirs libres comme pionniers dans le cadre de l’évangélisation et de la [8] colonisation de l’Afrique .
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S’inspirant du précédent sierra-léonais, l’ACS participe à l’établissement d’une colonie sur la côte occidentale de l’Afrique, qui prendra bientôt le nom de Liberia. À bord du Elizabeth, la première expédition de quatre-vingt-dix rapatriés volontaires de l’ACS est menée en 1820 par trois o ficiers blancs. Mais c’est un fugitif noir devenu enseignant dans une école de la communauté africaine de Baltimore, Daniel Coker, qui en est le [9] véritable meneur . Coker s’installe au Liberia, puis migre en Sierra Leone. Docteur, missionnaire et agronome, Lott Carey appartient au deuxième groupe de retour parti en 1821. Né sous le statut d’esclave, autodidacte, il devient pasteur dans une église baptiste de Richmond à vingt-trois ans. Il abandonne sa position pour tenter le retour au Liberia, où il meurt dans un accident en novembre 1828.
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Malgré des débuts relativement modestes, le Liberia attire un nombre grandissant de « rapatriés » dans les années suivantes : entre 1822 et 1865, pas moins de 15 000 Noirs émigrent des États-Unis, avec le soutien logistique de l’ACS, pour s’y installer. Des
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Africains de la Barbade et de la Jamaïque s’organisent également en compagnie de colonisation pour migrer au Liberia, soit dans une vision religieuse, soit dans l’espoir d’y [10] trouver de meilleures opportunités professionnelles . L’ACS finance le rapatriement de 365 Noirs de la Barbade au Liberia, tout en privilégiant ceux qui ont été a franchis dans le but de retourner en Afrique. Parmi les rapatriés célèbres figure un natif de la Jamaïque, John B. Russwurm. Un des premiers diplômés noirs d’un collège américain, Russwurm fonde, en mars 1827, le premier journal afro-américain, le Freedom’s Journal, avant d’abandonner ses activités aux États-Unis pour s’engager avec l’ACS. Il part au Liberia en 1830 et y fonde un nouveau journal, le Liberia Herald. Occupant des fonctions dans l’administration coloniale, Russwurm est aussi, de 1836 à sa mort en 1851, le gouverneur de la colonie du Maryland, fondée en 1834 au sud du Liberia par une autre compagnie coloniale.
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Le 26 juillet 1847, la colonie américaine du Liberia devient indépendante et se dote d’une Constitution calquée sur celle des États-Unis. D’une cinquantaine de migrants par an en 1847, le nombre de rapatriés passe à 441 en 1848, puis augmente régulièrement jusqu’à la guerre de Sécession (Civil War), qui débute en 1861. Entre l’indépendance du Liberia, en 1847, et la fin de la guerre de Sécession, en 1865, le débat s’intensifie entre les partisans du rapatriement en Afrique et ceux qui tiennent à s’intégrer aux États-Unis.
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Notes [a]
« Retour en Afrique ! »
[2]
Oruno D. Lara, La Naissance du mouvement panafricaniste, Maisonneuve et Larose, Paris, 2000, p. 53-71.
[3]
Rosa A. PLUMELLE-URIBE, La Férocité blanche, Albin Michel, Paris, 2001.
[4]
Philip D. Curtin estime, dans The Atlantic Slave Trade : A Census (University of Wisconsin Press, Madison, 1969), à dix millions le nombre d’Africains déportés aux Amériques, ce que Walter Rodney conteste dans How Europe Underdeveloped Africa (Tanzania Publishing House, Dar es Salaam, 1972). En rejoignant Rodney sur la nécessité d’exhumer les sources arabes et portugaises du XVIe siècle, puis en croisant les données d’autres historiens comme Joseph Inikori et Catherine CoqueryVidrovitch, qui reprirent chacun l’analyse des données de Curtin révisées par Ralph Austen et Paul Lovejoy, Louise Marie Diop-Maes distingue, dans Afrique noire : démographie, sol et histoire. Une analyse pluridisciplinaire et critique (Présence africaine, Paris, 1996), une traite déplaçant 15 à 16 millions d’Africains vers les Amériques, une traite « septentrionale » en déplaçant 4,5 ou 5 millions et une traite « orientale » de proportion similaire, donnant ainsi un total compris entre 23,5 et 26 millions d’Africains déportés sur la période « longue » allant de 1450 à 1900. En considérant que, pour un Africain arrivé vivant en Amérique, un Africain est mort à chacune des di férentes étapes (résistance à la capture, transport jusqu’aux côtes, résistance à l’embarquement et décès lors de la traversée), et que les pertes ont déstructuré la pyramide des âges des sociétés africaines, des estimations considèrent que l’impact de
l’intégralité des traites sur l’Afrique correspond à une perte démographique de 100 millions de personnes et que ce déficit a notamment favorisé la conquête coloniale par les Européens. Pour suivre l’actualité de ce débat, voir les travaux de compilation lancés par David ELTIS et David RICHARDSON, Extending the Frontiers. Essays on the New Transatlantic Slave Trade Database, Yale University Press, New Haven, 2008.
[5]
Aimé CÉSAIRE, Toussaint Louverture. La Révolution française et le problème colonial, Présence africaine, Paris, 1981.
[6]
C.L.R. JAMES, Les Jacobins noirs. Toussaint Louverture et la révolution de Saint-Domingue, Amsterdam, Paris, 2008.
[7]
David WALKER, David Walker’s Appeal to the Coloured Citizens of the World, Pennsylvania State University Press, University Park, 2000.
[8]
Oruno D. LARA, op. cit., p. 53-56.
[9]
Colin GRANT, Negro with a Hat, Vintage Books, Londres, 2008, p. 270.
[10]
Nemata BLYDEN, West Indians in West Africa, 1808-1880, University of Rochester Press, Rochester, 2000.
Plan La traite transatlantique La Sierra Leone, première terre de rapatriement depuis l’Angleterre (1787) L’extension du mouvement « Back to Africa » aux États-Unis Ayiti, la première république noire (1804) La colonisation afro-américaine du Liberia (1816-1847)
Auteur
2. Intégration ou émigration ? Le dilemme des Noirs du « Nouveau Monde » Amzat Boukari-Yabara Dans Africa Unite ! (2017), pages 29 à 46
Chapitre
A
u tout début du XIXe siècle, les États situés au nord de la ligne établie par les géomètres britanniques Charles Mason et Jeremiah Dixon proclament l’interdiction de l’esclavage. Dès lors, pour les esclaves du Sud, la ligne MasonDixon, qui marque la frontière entre le nord et le sud des États-Unis, représente l’horizon de la liberté. À partir des années 1850, autour de la militante Harriet Tubman, un vaste réseau clandestin aide des milliers d’esclaves à fuir le Sud pour gagner le Nord. Les propriétaires d’esclaves s’organisent contre ce « chemin de fer clandestin » [a] (Underground Railroad ) en recrutant des chasseurs d’esclaves envoyés sur les traces des fugitifs. En 1850, dans le cadre d’un nouveau compromis voté au Congrès, une seconde loi sur les esclaves fugitifs rappelle aux États non esclavagistes du Nord qu’ils doivent livrer aux États esclavagistes du Sud tout fugitif présent sur leur territoire.
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La loi, imposée par un Congrès à majorité sudiste, ne fait pas l’unanimité dans le Nord. Et une autre a faire vient compliquer la situation des Noirs : l’a faire Dred Scott, du nom d’un esclave afro-américain qui, résidant dans un État du Nord et tentant en vain d’obtenir sa liberté, décide de porter l’a faire en justice. Alors que le cas Dred Scott est ardemment débattu aux États-Unis, la Cour suprême déboute le plaignant en 1857, a firmant que les Noirs ne sont pas habilités à jouir de la citoyenneté américaine et que l’interdiction de l’esclavage dans les États du Nord est inconstitutionnelle. Deux ans plus tard, c’est au tour d’un militant abolitionniste blanc, John Brown, d’être pendu pour
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avoir tenté de lancer une insurrection d’esclaves en Virginie. À la veille de la guerre de Sécession (1861-1865), les perspectives sont pour le moins incertaines pour les Noirs aux États-Unis.
Douglass et Delany : quel avenir pour les Noirs aux ÉtatsUnis ? Alors que les tensions montent entre les esclavagistes et les abolitionnistes, un autre débat s’engage au sein des communautés afro-américaines : il oppose les défenseurs de l’intégration des Noirs au sein de la nation américaine et les partisans de l’émigration vers l’Afrique ou de nouvelles terres. Pour les intégrationnistes, il est temps de tourner le dos au passé, à l’Afrique, et de revendiquer le droit d’être des citoyens, noirs certes, mais américains. Leur objectif est donc de réaliser une révolution consistant à obtenir l’abolition de l’esclavage et la mise en place d’une véritable démocratie américaine. Les émigrationnistes préfèrent, à l’inverse, s’identifier avec les autres peuples noirs déportés du continent africain et n’accordent aucun crédit à une éventuelle alliance politique avec les Blancs dans le cadre de l’avènement d’une démocratie abolitionniste aux États-Unis. Il est impossible, estiment-ils, d’avoir confiance dans les autorités américaines : pour contrôler leur destin, les Noirs doivent s’organiser de façon autonome, économiquement, politiquement et culturellement. D’abord limité à un petit groupe d’intellectuels, ce débat, où s’illustrent deux figures majeures de l’histoire afroaméricaine, Frederick Douglass et Martin Robinson Delany, prend de l’ampleur lorsque [2] l’abolition de l’esclavage devient inéluctable au début des années 1860 . Il divisera les Noirs américains pendant de longues années.
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Frederick Douglass est encore esclave lorsqu’en 1838 il rejoint Philadelphie puis New York par le Chemin de fer clandestin. Devenu rédacteur pour le journal abolitionniste Liberator, il donne des conférences devant la Société antiesclavagiste du Massachusetts et publie en 1845 son autobiographie, The Narratives of the Life of Frederick Douglass. Recherché par son ancien maître, Douglass s’exile à Londres de 1845 à 1847, où il prononce de nombreux discours pour la cause abolitionniste avant de revenir aux ÉtatsUnis avec le statut d’homme libre. C’est à cette période qu’il se lie avec Martin Delany qui, également autodidacte, a été déclaré libre à sa naissance et est installé en Pennsylvanie.
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En 1847, Douglass et Delany décident de fonder le journal The North Star, en référence à l’étoile qui guide les fugitifs vers les territoires abolitionnistes du Nord. Mais la rupture ne tarde pas à intervenir entre les deux hommes. Alors que Douglass poursuit son activisme politique en faveur d’une intégration des Noirs dans le cadre fédéraliste et égalitariste américain, Delany prend le chemin inverse. Après avoir tenté en vain de
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suivre des études de médecine à Harvard, il s’installe à Pittsburgh, où il exerce auprès de la population noire. Outré par la condition des Noirs dans le Sud, ainsi que par le vote du Fugitive Slave Bill en 1850, Delany n’est pas pour autant favorable à la politique de colonisation du Liberia et aux méthodes de l’ACS. Le retour en Afrique ne lui semble pas encore la bonne solution. En 1852, il publie The Condition, Elevation, Emigration and Destiny of the Colored People of the United States, dans lequel il soutient la création d’un État noir indépendant en Amérique latine qui permettrait d’accélérer la fin de l’esclavage aux États-Unis. En 1853, à Rochester, dans l’État de New York, une conférence réunit les partisans de l’émigration menés par Delany, ainsi que James M. Whitfield et James T. Holly, et les partisans de l’intégration, menés par Douglass. Au terme des débats, Delany, Holly et Whitfield appellent à une nouvelle conférence réservée cette fois aux partisans de l’émigration. Estimant que seule la lutte des Noirs en Amérique apportera la liberté, Douglass désapprouve leur choix et se retrouve isolé.
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La première conférence nationale sur l’émigration a lieu en août 1854 à Cleveland (Ohio). Whitfield est favorable à l’émigration en Amérique centrale. Holly, marqué par la révolution haïtienne, se déclare pour sa part partisan de l’émigration en Haïti. Quant à Delany, il préfère la construction d’un État noir dans la Caraïbe ou en Amérique du Sud. La possibilité de l’émigration en Afrique est discutée mais elle n’emporte pas l’adhésion des participants. Après la conférence, alors que Holly part négocier en Haïti, Delany prend des contacts en Amérique du Sud, en Jamaïque et à Cuba.
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Commerce, éducation : favoriser l’émigration Après une seconde conférence en 1856, la troisième conférence sur l’émigration d’août 1858 adopte un projet d’expédition de Delany dans la vallée du Niger et le plan de Holly pour aller en Haïti. Delany obtient le soutien d’une société abolitionniste et émigrationniste fondée par Henry Highland Garnet pour réaliser le retour en Afrique : la Société africaine de civilisation (African Civilization Society, ACS), à distinguer de l’American Colonization Society (voir chapitre 1). Après avoir quitté les États-Unis en 1850 pour donner des conférences pro-abolitionnistes au Royaume-Uni, Garnet était [3] revenu en 1855 et avait créé cette société, à Brooklyn, en 1858 . L’objectif de Delany et de Garnet n’est pas seulement de rapatrier les Noirs mais de développer en Afrique de l’Ouest des plantations de coton. Il s’agit, en incitant les rapatriés à mettre à profit leur expérience professionnelle américaine, d’assurer le développement de la culture du coton ouest-africain, d’éteindre la traite et l’esclavage à la source.
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Delany est également aidé par Robert Campbell, un journaliste et entrepreneur [4] jamaïcain qui quitte Liverpool pour le Nigeria en juillet 1859 . Ayant de son côté quitté New York en mai, Delany fait une escale au Liberia avant de le rejoindre au Nigeria. En compagnie du missionnaire africain Samuel Crowther, ils visitent le pays yoruba avec l’objectif de signer avec les chefs locaux des traités qui les autorisent à prendre en charge l’immigration dans la zone d’Abeokuta.
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Leur plan semble d’autant mieux engagé que les États-Unis cherchent de nouvelles sources d’approvisionnement de coton, dans la perspective, de plus en plus crédible, de l’abolition générale de l’esclavage sur leur propre territoire. Sur le chemin du retour, Delany et Campbell passent par Londres, où ils sont invités, le 17 mai 1860, par une association – la future African Aid Society (AAA) – qui, en plus de promouvoir la foi chrétienne, met en place des prêts pour aider les Africains à revenir en Afrique et à y cultiver des produits tropicaux, dont le coton.
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Avec le commerce, l’éducation est l’autre chantier important qu’ouvrent les militants de l’émigration. C’est dans le but de former les populations africaines qu’Alexandre Crummell, qui a quitté les États-Unis en 1847 et a suivi des études à Cambridge, au [5] Royaume-Uni, s’installe au Liberia en 1853 . Animé par l’envie de réformer la société africaine et de promouvoir une culture et une conscience nationales, Crummell part à la rencontre des Africains vivant en dehors du territoire libérien. En septembre 1860, il publie une lettre ouverte à destination des leaders afro-américains dans laquelle il insiste sur le rôle « civilisateur » des Noirs occidentalisés et défend l’immigration volontaire, le renforcement des relations commerciales entre l’Afrique et l’Amérique et le rôle des Églises noires qui envoient des pasteurs dans toute l’Afrique pour y construire des églises et fonder des écoles.
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Blyden, l’émancipation par la colonisation ? En acceptant un poste de professeur au Liberia College, le projet de Crummell rejoint celui d’un autre Noir antillais né dans la colonie danoise de Saint Thomas : Edward [6] Wilmot Blyden . S’étant installé au Liberia en 1850, avec le soutien de la Société de colonisation de New York, Blyden, qui a étudié les sciences, les humanités et la théologie, dirige l’Alexander High School à Monrovia, la capitale du pays. Estimant que le retour des Noirs vers l’Afrique est la solution au problème racial en Amérique, il expose sa vision du nationalisme noir dans un livre publié en 1857, A Vindication of the Negro Race. Grand voyageur et très au fait des débats intellectuels de son époque, il s’oppose aux thèses racistes du théoricien français Joseph Arthur de Gobineau reprises au sein de la Société d’anthropologie de Londres. Blyden réfute le concept de « races inférieures » en soulignant la prééminence des circonstances historiques sur les facteurs
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biologiques comme explication des di férences culturelles. Cependant, Blyden rejoint Gobineau sur la thèse de la défense de la pureté raciale, ce qui lui vaut des attaques de la part des métis sierra-léonais et libériens. À l’automne 1861, de retour au Liberia après un voyage de plusieurs mois au RoyaumeUni et aux États-Unis pour obtenir des soutiens de l’immigration en Afrique, Blyden et Crummell informent le gouvernement libérien de l’enthousiasme afro-américain pour leur projet. Monrovia décide alors d’élever Blyden et Crummell au rang de diplomates. Travaillant pour le Liberia auprès des autorités américaines et britanniques, voyageant régulièrement dans les territoires anglophones ouest-africains, Blyden est alors un observateur privilégié de la politique coloniale britannique et des a faires autochtones. Auteur prolifique, soutenant le projet d’une université ouest-africaine incluant les sciences locales, il publie et di fuse également ses idées dans plusieurs journaux distribués en Afrique, aux Antilles et en Amérique dans lesquels il cherche à donner une [7] image positive de l’Afrique comme de la colonisation .
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Blyden est bien le fruit de son époque : une époque marquée par la fin progressive de l’esclavage, saluée par les Noirs comme une indéniable avancée, et par le début de la colonisation, approuvée par certains Afro-descendants qui y voient un progrès ou, du moins, un mal nécessaire. Néanmoins, cette synthèse antiesclavagiste mais procolonialiste ne fait pas l’unanimité : les positions probritanniques de Blyden, son origine étrangère et ses fonctions de représentant auprès des gouvernements américain et britannique lui valent, dans les années 1880, l’hostilité d’une partie de l’intelligentsia africaine, farouchement opposée à une tutelle étrangère, quand bien même elle serait exercée par des Afro-Américains.
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Reste que les ré lexions de Blyden évoluent avec le temps. Lorsque les Européens se partagent l’Afrique, dans le dernier quart du XIXe siècle, il s’oppose à la politique d’assimilation initiée par les puissances coloniales et défend sa vision de la « personnalité africaine ». En liant la « race noire », définie comme un fait culturel et chromatique, et l’Afrique, décrite comme le lieu de réalisation politique et sociale des Noirs, Blyden estime que ces derniers, en préservant leur identité et leurs institutions de toute in luence européenne, apportent une âme essentielle à la civilisation. Inquiet de voir l’Afrique perdre ses valeurs et opposé aux missionnaires chrétiens blancs qui persévèrent dans le racisme, Blyden appelle à une « décolonisation spirituelle ». Il s’intéresse en particulier au rôle prépondérant de l’islam comme facteur d’équilibre dans les sociétés précoloniales et comme élément de résistance face à la percée coloniale dans les empires ouest-africains.
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La guerre de Sécession et la thèse du compromis
Entre l’expédition africaine de Delany et Campbell (1859-1860) et la mission de Blyden et Crummell au Royaume-Uni et aux États-Unis (1861), la situation évolue dans les Amériques. À cette période, les partisans de l’émigration dominent le débat qui les oppose aux militants de l’intégration. Haïti, où s’est rendu James T. Holly à la suite du premier congrès de Cleveland, paraît particulièrement réceptif aux projets émigrationnistes. Comme l’atteste l’« Appel à l’émigration » lancé en août 1859 par le ministre haïtien de la Justice, les plus hautes autorités multiplient les démarches en ce sens. Douglass lui-même, pourtant opposé au projet émigrationniste, accepte une invitation du gouvernement haïtien.
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Mais la guerre de Sécession, qui éclate en avril 1861, bouleverse la donne. Annulant son voyage prévu en Haïti, Douglass revient à ses projets initiaux. Pressant les Noirs de ne plus émigrer en Haïti – où les conditions de vie sont si di ficiles que l’émigration afroaméricaine vers ce pays a de toute façon presque cessé –, il les invite en revanche à participer à l’e fort de guerre sur le sol américain en rejoignant les troupes de l’Union contre les onze États sécessionnistes et esclavagistes du Sud. De leur côté, Crummell et Blyden campent sur leurs positions. De retour aux États-Unis à l’été 1862, ils tentent à nouveau de convaincre les Noirs d’émigrer en Afrique. Mais il est trop tard : le 1er janvier 1863, le président Abraham Lincoln proclame l’émancipation de plus de trois millions d’esclaves dans le Sud et d’un million dans le Nord. Des dizaines de milliers d’a franchis rejoignent alors l’armée de l’Union qui compte, vers la fin de la guerre, 186 000 soldats noirs. Ce chi fre représente plus d’un cinquième de la population masculine noire âgée [8] de moins de quarante-cinq ans . Sur proposition de Lincoln, Delany est nommé au rang d’o ficier dans les troupes du Nord en 1864, tandis que Douglass incite les Noirs à prendre leur part dans la victoire sur le Sud, qui est acquise le 9 avril 1865 à Appomattox. Alors que l’objectif initial de Lincoln était moins d’abolir l’esclavage que de sauver l’Union, l’engagement massif et décisif des Noirs dans la « Civil War » (40 000 d’entre eux perdent la vie lors des combats), antérieur à la promesse de l’abolition, joue naturellement un rôle considérable dans l’histoire des États-Unis.
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En mars 1865, le Bureau des a franchis (Freedmen’s Bureau) est créé pour organiser la nouvelle vie des Noirs. En décembre 1865, le treizième amendement interdit o ficiellement l’esclavage sur le territoire des États-Unis. Deux ans plus tard, une loi de Reconstruction impose aux États confédérés du Sud la tutelle de l’armée du Nord pour superviser la transition politique. La protection et l’égalité devant la loi (quatorzième amendement, voté en 1868) puis le droit de vote accordé à tous sans distinction de race et de couleur (quinzième amendement, 1870) complètent le dispositif juridique postabolitionniste. Les Noirs disposent alors du droit de vote et, sous les couleurs du Parti républicain de Lincoln, comptent des élus dans plusieurs localités où ils constituent une majorité démographique. Le pourcentage de Noirs élus à des fonctions politiques aux États-Unis, en particulier dans le Sud, n’a jamais été aussi élevé qu’à cette
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période. Ce sont ces élus noirs qui mettent en place de nouvelles politiques plus sociales, égalitaires et progressistes dans le Sud. Ainsi, une vie politique active et dynamique apparaît à l’intérieur de la société noire au sein de laquelle la distinction apparaît de plus en plus nettement entre une petite bourgeoisie, libre bien avant 1863, et la masse des travailleurs fraîchement libérés. Cependant, la période de la Reconstruction n’est pas une période de réconciliation, et les [9] avancées politiques sont rapidement endiguées . Les lois dites Jim Crow – en référence à un personnage du folklore connu pour se grimer le visage en noir – et le redécoupage des circonscriptions électorales permettent aux Blancs de noyer le vote noir. Plus radicalement, d’anciens o ficiers et propriétaires terriens du Sud créent le Ku Klux Klan (KKK) en 1865, dans le Tennessee. Cette organisation paramilitaire prône la suprématie blanche et mène des actions directes pour terroriser les Noirs qui osent revendiquer leurs droits. La concurrence professionnelle et l’ascension sociale des Noirs ont notamment poussé une partie des travailleurs blancs du Sud à rejoindre le Klan ou d’autres organisations du même genre, comme les Chevaliers du Camélia blanc. Bien que les autorités interdisent le Klan en 1872, le con lit racial demeure et des a frontements interethniques éclatent dans plusieurs villes du Sud. Pour des motifs souvent dérisoires comme un regard de travers, les Noirs deviennent les cibles de lynchages publics.
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En 1876, Rutherford Hayes est élu à la Maison-Blanche sous l’étiquette républicaine mais avec le soutien des démocrates et conservateurs sudistes. Hayes désengage l’armée fédérale du Sud et laisse les Noirs seuls face à leurs anciens oppresseurs. Ces derniers ont le soutien de l’administration fédérale pour remettre en cause l’ensemble des avancées politiques et juridiques concédées aux Noirs. Des impôts (poll taxes), des tests d’alphabétisation ou des restrictions de citoyenneté liées à l’ascendance servile sont mis en place pour limiter l’accès des Noirs au droit de vote. Le Parti démocrate séduit les classes moyennes et populaires blanches en axant sa politique sur le maintien de la suprématie blanche. Tous les États du Sud adoptent des lois qui, fondées sur des thèses de biologie racistes, alertent sur la « menace » du métissage et justifient la ségrégation entre les Blancs et les personnes disposant d’une « goutte de sang noir ».
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La discrimination devient légale à la suite de l’arrêt Plessy contre Ferguson de 1896. Le 7 juin 1892, Homer Plessy, un militant d’une organisation antiraciste qui possède « un huitième de sang noir et sept huitième de sang blanc », décide volontairement d’enfreindre une loi de l’État de Louisiane qui, sur les trajets à l’intérieur de l’État, impose aux compagnies de chemins de fer de distinguer les compartiments en fonction de la couleur de la peau des passagers. Assis en première classe, dans un compartiment réservé aux Blancs, il est arrêté – alors que sa pigmentation ne le distingue pas vraiment des Blancs – par un détective connaissant son origine africaine et condamné à une amende de 25 dollars. Dans son arrêt, la Cour suprême estime que la séparation des
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personnes en fonction de leur origine ethnique ne remet pas en cause leur égalité devant la loi et que la distinction fondée sur la couleur de peau ne constitue pas, en soi, une discrimination. Ces circonstances défavorables aux Noirs dans tous les États du Sud font subsister les projets d’émigration. Ils reprennent notamment de la vigueur chez les ex-esclavagistes blancs qui, privés de la main-d’œuvre servile sur laquelle reposait leur fortune, supportent mal les libertés dont jouissent dorénavant les anciens esclaves. En accord avec le Ku Klux Klan, qui survit dans la clandestinité, le sénateur de l’Alabama, John Tyler Morgan, suggère par exemple de renvoyer la population afro-américaine dans le bassin du Congo puis, après 1898, aux Philippines, qui viennent de tomber sous domination américaine.
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Pour nombre d’Afro-Américains, le débat de l’émigration entre Delany et Douglass est pourtant dépassé. À l’Exposition internationale des États cotonniers, qui se tient à Atlanta en 1895, l’éducateur et homme politique afro-américain Booker Taliaferro Washington prononce un célèbre discours dans lequel il défend la thèse du compromis. « Dans tout ce qui est social, a firme-t-il, nous [les Noirs et les Blancs] pouvons être aussi séparés que les doigts et pourtant ne faire qu’un, comme la main, en tout ce qui est [10] essentiel à notre développement mutuel . » Ancien esclave né en Virginie et passé par l’université de Hampton (Virginie), Booker T. Washington a fondé en 1881 l’institut de Tuskegee, en Alabama, pour promouvoir l’enseignement professionnel. Près de vingt ans plus tard, il mettra sur pied la première chambre de commerce afro-américaine, la National Negro Business League. Son objectif n’est pas de remettre en cause frontalement l’ordre racial mais plutôt d’inciter les Noirs à se former professionnellement pour se rendre incontournables sur le marché du travail américain.
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W.E.B. Du Bois et la « double conscience » afro-américaine Le célèbre intellectuel William Edward Burghardt Du Bois, qui incarnera pendant plus d’un demi-siècle le courant o ficiel du panafricanisme, ne partage pas la vision de [11] Booker T. Washington sur le type d’éducation à promouvoir . Pour Du Bois, l’éducation technique et professionnelle délivrée à Tuskegee n’a pas la capacité de produire une classe moyenne noire su fisamment autonome. D’une part, il s’inquiète du soutien financier et médiatique des industriels blancs du Sud qui voient dans l’entreprise éducative de Tuskegee un système qui permet de maintenir les Noirs à un rang subalterne et de continuer à contrôler la main-d’œuvre en ayant la main sur l’o fre et la demande. D’autre part, même si elle s’adresse à un public di férent et qu’elle ne dépasse pas les limites du Sud, l’initiative de Tuskegee vient mettre en danger les
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avancées qui avaient été obtenues au lendemain de la guerre de Sécession avec l’ouverture d’universités o frant des études libérales. Enfin, pour Du Bois, il est impossible de s’accommoder d’un système fondé sur la ségrégation. Fils d’Alfred Du Bois, né en Haïti, et de Mary Burghardt, ayant des origines africaines et hollandaises, W.E.B. Du Bois grandit dans un environnement majoritairement blanc et [12] protestant . Après des études à Fisk, une université noire du Tennessee, il obtient une bourse pour l’université Harvard. Au cours de son cursus, il e fectue un séjour académique de deux ans à Berlin, dans l’Allemagne de Bismarck. Premier AfroAméricain titulaire d’un doctorat à Harvard pour sa thèse en histoire consacrée à la suppression de la traite aux États-Unis, Du Bois enseigne les humanités à l’université Wilberforce (Ohio), puis mène la première étude de sociologie américaine consacrée au quartier noir de Philadelphie. Sociologue, Du Bois estime alors que la formation d’une élite représentant 10 % de la population noire permettrait l’amélioration des conditions d’existence de l’ensemble de la communauté noire américaine.
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Contrairement à Booker T. Washington, qui voulait former des travailleurs et des techniciens, Du Bois est convaincu qu’il faut plutôt former des dirigeants et des cadres, car ce sont ces derniers qui dirigent les travailleurs et les techniciens et qui recueillent et redistribuent les fruits de leur travail. En réalité, les deux thèses représentent les deux faces d’une même pièce. L’historien Manning Marable souligne d’ailleurs que la théorie du « dixième de talent » (Talented Tenth), qui a été utilisée par les adversaires de Du Bois pour le présenter comme un homme éloigné des préoccupations populaires, était assez théorique dans la mesure où l’élite économique noire du début du XXe siècle était [13] davantage issue de Tuskegee que des universités libérales du Nord .
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Un autre élément essentiel dans l’analyse de la condition noire par Du Bois est la religion. Dans le réveil spirituel qui suit l’abolition de l’esclavage, la nature contestataire des negro spirituals, des phénomènes de transe et des syncrétismes forge ce que Du Bois appelle Les Âmes du peuple noir, titre de son ouvrage le plus célèbre, publié en 1903. Cet essai rythmé par des citations de gospel, décrit avec subtilité la « double conscience », cette tension irréconciliable entre l’identité noire et l’identité américaine, qui condamne de manière métaphorique le Noir à voir le monde, et à être vu, derrière le voile de la couleur de la peau. Pour Du Bois, le microcosme religieux o fre à l’intérieur du groupe tout ce dont le Noir est exclu dans la société américaine blanche : une protection sociale, un soutien moral et matériel, un accès à l’éducation et un espace de loisirs et de solidarité. Décrivant ainsi l’église noire comme le socle d’une religion de parias, il souligne également les di férences entre le Nord urbanisé et individualisé, où les revendications des Noirs lui semblent orientées vers le séparatisme, et le Sud rural et patriarcal où la proximité avait favorisé la mise en place de stratégies d’évitement fondées sur la compromission entre Noirs et Blancs.
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L’économie devient également un secteur crucial dans le débat autour de l’intégration. En parallèle au succès de l’institut de Tuskegee de Booker T. Washington, qui forme de nombreux Noirs aux métiers manuels, une petite classe de capitalistes noirs apparaît également au lendemain de l’abolition de l’esclavage. De manière paradoxale, la ségrégation mise en place dans le Sud oblige les Noirs à construire leurs propres réseaux économiques et commerciaux. Les banques, les assurances, les agences immobilières, les commerces alimentaires et les services soutiennent l’émergence d’une bourgeoisie commerçante noire, dont les enfants sont formés dans des écoles et des églises également financées par la communauté noire.
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La création des premières universités noires – Wilberforce (1856), Fisk (1866), Atlanta et Howard (1867) –, puis de l’Académie nègre américaine (American Negro Academy), fondée par Crummell et Du Bois en 1897, témoignent également de cette volonté de la communauté noire de s’autonomiser. Sur le plan intellectuel, elle marque le début d’une production académique et scientifique afro-américaine d’ampleur, qui accorde une place fondamentale à l’histoire, à la théologie, à la médecine, à la littérature et à la sociologie. À partir de la fin du XIXe siècle, ces universités accueillent et forment de plus en plus d’Africains qui ramènent ensuite en Afrique l’enseignement et les valeurs reçus aux États-Unis. L’enseignement de l’histoire, discipline centrale pour des populations déracinées, est orientée vers la revalorisation des civilisations africaines d’Égypte, d’Éthiopie, de Nubie, du Soudan, mais également d’Haïti.
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D’Haïti à l’Éthiopie : Anténor Firmin et Bénito Sylvain Dans les décennies qui suivent la révolution haïtienne, Haïti est l’objet d’une vive attention. Pour les Noirs du monde entier, le pays reste un motif de fierté. Pour la propagande raciste et coloniale, au contraire, les di ficultés économiques et sociales que rencontre le pays sont la preuve de l’inaptitude des Noirs à se gouverner eux-mêmes. Les débats, en Haïti même, sont également vifs. L’une des nombreuses divisions oppose des intellectuels partisans de l’assimilation avec la France considérée comme une mère patrie et d’autres qui, fiers d’appartenir à la première république noire, estiment que leur devoir est de revaloriser l’identité africaine. L’homme d’État haïtien Joseph Anténor [14] Firmin appartient à cette dernière catégorie . Admis dans la Société d’anthropologie de Paris en 1884, Firmin publie l’année suivante De l’égalité des races humaines en réponse à l’Essai sur l’inégalité des races humaines de Gobineau (1853). Dans cet essai d’érudition, Firmin montre que les sciences humaines, sociales et médicales de son époque dissertent sur l’inégalité ou l’égalité des peuples alors qu’elles n’ont pas établi les critères [15] qui fonderaient une telle inégalité .
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En attaquant l’esprit raciste et colonialiste au moment où se tient la conférence de Berlin (1884-1885), Firmin dresse un panorama de l’histoire intellectuelle et politique de l’Égypte, de l’Éthiopie, du Liberia et d’Haïti. En cela, il s’inscrit dans le même champ épistémologique que Blyden et devance les travaux d’égyptologie de Cheikh Anta Diop (voir chapitre 12). Plusieurs passages soutiennent la thèse d’une origine négro-africaine de la civilisation pharaonique. Déterminé à réfuter la thèse de l’infériorité des peuples noirs tout en reconnaissant le stade de développement économique plus avancé des nations européennes, Firmin soutient, comme Blyden, que, dans des conditions économiques et sociales égales, un Noir a autant de capacités intellectuelles et professionnelles qu’un Blanc (ce qui l’amène d’ailleurs à prophétiser l’élection d’un homme d’origine africaine à la présidence des États-Unis d’Amérique). Dans ses écrits, l’anthropologue, qui occupera par la suite la fonction d’ambassadeur d’Haïti au Venezuela, propose aussi une analyse géopolitique de la Caraïbe. Comme le révolutionnaire cubain José Martí, qu’il rencontre en 1893, Firmin estime qu’il faut dépasser les con lits raciaux qui minent cette région et mettre sur pied une « Confédération antilléenne » pour contrer l’hégémonie naissante des États-Unis. [16]
Un autre Haïtien, Bénito Sylvain, voit encore plus loin . Journaliste et écrivain formé à Port-au-Prince et à Paris, proche du cardinal Lavigerie qui lui obtient une audience auprès de Léopold II, roi des Belges, Sylvain s’engage néanmoins dans la critique de [17] l’assimilation religieuse et culturelle, ainsi que dans la dénonciation du colonialisme . Nommé enseigne de vaisseau de la marine de guerre haïtienne en 1893, il s’installe ensuite à Paris. Depuis son poste de président du Comité oriental africain de la Société d’ethnologie, il suit la victoire de l’Éthiopie de Ménélik II contre les Italiens à Adoua en 1896. En janvier 1897, Sylvain entreprend un périple au péril de sa vie pour rejoindre l’Éthiopie afin d’exposer en audience devant l’empereur la situation d’Haïti et des Noirs [18] des Amériques . Devenu aide de camp de Ménélik II, Sylvain tente ensuite de rapprocher Haïti, le Liberia et l’Éthiopie, les trois premiers États noirs indépendants, pour constituer une coalition politique.
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« L’Éthiopie tendra les mains vers Dieu » Au XIXe siècle, en parallèle avec le développement du sionisme juif, les partisans de l’émigration en Afrique prennent le nom de « sionistes noirs ». Éloignée de l’espace transatlantique et murée dans une politique isolationniste, l’Éthiopie devient le cœur de l’imaginaire nationaliste noir grâce à l’Église baptiste éthiopienne, fondée vers 1787 en Jamaïque par George Liele, un ancien esclave noir venu des États-Unis. Autodidacte, Liele parvient en quelques années à former et inspirer de nombreux disciples dans le
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sud des États-Unis et dans la Caraïbe. L’éthiopianisme di fuse alors dans l’espace afroaméricain et afro-caribéen l’histoire de l’Éthiopie biblique, décrite comme le lieu de la rédemption du peuple noir. Ainsi, reprenant la version de la Bible du roi Jacques datant de 1611, Liele insiste sur le fameux psaume 68:31 qui annonce que « des grands viendront d’Égypte ; l’Éthiopie tendra les mains vers Dieu » pour signifier aux Noirs que leur rédemption ne peut venir que de l’Afrique. Liele critique ainsi la théologie des Blancs qui exclut les Noirs. À partir de ce psaume, il invite les Noirs à relire les textes bibliques en soulignant avec intérêt chaque référence à l’Afrique. Retombant régulièrement sur la mention de l’Éthiopie, qui désigne l’ensemble de l’Afrique noire, les éthiopianistes sentent que cette terre, sacrée dans le passé, est aussi porteuse d’un espoir de renaissance et de délivrance liée à une volonté divine. Dès lors, une tradition littéraire et historiographique éthiopianiste essaime des deux côtés de l’Atlantique, notamment dans les poèmes, les sermons et les récits d’esclaves qui mettent en parallèle la condition des Noirs et celle des enfants d’Israël, et décrivent l’Éthiopie, l’Égypte et la Nubie comme des lieux de rédemption.
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L’éthiopianisme constitue ainsi la version religieuse et millénariste du nationalisme et du séparatisme noirs américains. Le thème, et surtout le psaume sont repris par tous les dirigeants noirs. Les plus radicaux, comme Robert Alexander Young et David Walker, soulignent dans une tonalité apocalyptique et insurrectionnelle que le réveil de l’Afrique et le déclin du monde occidental sont proches. En annonçant la venue d’un messie noir, l’Ethiopian Manifesto de Young place les Noirs dans une position d’attente qui, dit-il, ne durera pas éternellement. Pour Walker, qui donne l’impression de se présenter luimême comme le messie, les Blancs courent à leur perte s’ils ne prennent pas conscience de leur attitude. Alexander Crummell compte également parmi les intellectuels qui reprennent le psaume, tout en en élargissant les références. Voyageant en Sierra Leone et au Liberia, il identifie les Africains au peuple élu. Dans tous les cas, l’Éthiopie est alors le véritable Israël.
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Le 1er mars 1896, la prophétie de la victoire des Noirs sur la domination blanche devient, en quelque sorte, réalité. Engagées dans une guerre de résistance face à l’Italie, qui invoque le non-respect d’un accord diplomatique pour soumettre l’Éthiopie à sa domination, les troupes de Ménélik II remportent une victoire sans appel lors de la bataille d’Adoua. Avec cette première grande victoire anticoloniale, l’éthiopianisme, cette tradition religieuse messianique, devient subitement un outil politique et culturel. Les Noirs des Amériques réalisent que l’État éthiopien incarne de manière concrète, et non plus spirituelle, la résistance à la domination raciale et coloniale des Blancs.
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Toutefois, le retentissement de la victoire d’Adoua parmi les Noirs des Amériques est limité à une minorité d’intellectuels qui redéfinissent l’éthiopianisme dans le sens d’une solidarité pan-nègre : tous les Noirs doivent s’unir autour de l’Éthiopie. Ce n’est, de
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manière rétrospective, que dans les années 1920 et 1930, en particulier sous l’impulsion de Marcus Garvey, que cette redéfinition prendra forme dans les milieux populaires. La figure du souverain d’Éthiopie, considéré comme un véritable messie, cristallisera alors les espoirs de libération de millions de Noirs à travers le monde.
Afrique du Sud, terre de mission L’éthiopianisme accompagne, par ailleurs, la naissance des Églises africaines indépendantes qui, à partir des années 1900, deviennent le laboratoire de conspirations anticoloniales ou de mouvements de libération. C’est le cas en particulier en Afrique [19] australe, avec les missions menées par Henry McNeal Turner . Premier Noir nommé au titre d’aumônier durant la guerre de Sécession, Turner s’engage brièvement en politique au moment de la création du Parti républicain dans l’État de Géorgie. En 1868, lorsque les représentants noirs sont expulsés des institutions sudistes par les Blancs, Turner reprend son activité épiscopale. En 1880, il adopte la thèse de l’émigration et il devient un cadre de la Société américaine de colonisation (ACS). Jugeant que les Noirs n’ont aucun avenir aux États-Unis, et que l’Afrique o fre un « dessein providentiel », il conclut que les Noirs ont été conduits en Amérique pour être christianisés et que leur devoir est de repartir civiliser l’Afrique. Avec son journal Voice of Missions, Turner prend la tête d’un mouvement d’évangélisation reliant une centaine d’églises implantées, pour la plupart, dans les colonies britanniques et en Afrique du Sud.
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Dans le dernier quart du XIXe siècle, l’Afrique du Sud devient la partie du continent africain la plus convoitée par les lobbies colonialistes et capitalistes. Après avoir servi d’étape pour les navigateurs européens sur la route des Indes, puis dans le commerce de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, la région du Cap devient une colonie britannique en 1652. Dans le premier quart du XIXe siècle, les descendants des colons hollandais, les Boers, s’opposent aux Britanniques et décident de réaliser le Grand Trek, un mouvement de migration à grande échelle vers le nord. Dans les années 1830, dans le contexte des guerres cafres, sotho et zulu résultant de la confrontation entre le Grand Trek blanc et le royaume zulu de Chaka en plein essor, les Boers s’emparent par la force des terres appartenant à plusieurs nations africaines avant de fonder deux républiques indépendantes, la République du Transvaal (1852) et l’État libre d’Orange (1854).
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Quant aux Britanniques, installés dans les provinces méridionales du Cap et du Natal (1838), ils font venir des travailleurs de Madras et de Calcutta dès le lendemain de l’abolition de l’esclavage. Territoires agricoles riches, grâce à des terres de qualité et un climat idéal, les colonies anglaises et boers s’entre-déchirent après la découverte des mines de diamants à Kimberley (1867) et d’or à Witwatersrand (1886). Elles s’accordent
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cependant sur les points essentiels : l’exploitation des travailleurs noirs, la mise en place de politiques de ségrégation raciale et le confinement des indigènes sur des réserves, les futurs bantoustans. Cette situation d’oppression raciale, que les Boers justifient par la doctrine calviniste de la prédestination, fait de l’Afrique du Sud une terre de résistance, de prophétisme et de mission privilégiée pour les pasteurs afro-américains. Lors de sa visite en mars 1898, McNeal Turner consacre plusieurs évêques noirs en Afrique du Sud. En mettant parfois en avant la formation de missionnaires chrétiens pour contrer l’avancée de l’islam, les Églises afro-américaines parviennent à faire venir étudier aux États-Unis des jeunes Sud-Africains, ainsi que des Libériens et des Éthiopiens. Les premiers dirigeants des mouvements noirs sud-africains du XXe siècle, John L. Dube, Sol Plaatje, Davidson D.T. Jabavu et Pixley ka Isaka Seme, plaident ainsi la cause des Noirs sud-africains auprès de leurs camarades afro-américains.
Notes [a]
Incarné par Harriet Tubman et Sojourner Truth, le Chemin de fer clandestin (Underground Railroad) était un vaste réseau de personnes et de stations mis en place pour aider les fugitifs à gagner les États du Nord et le Canada. Comme le Passage du Milieu, le Chemin de fer est un lieu de mémoire panafricain. Voir Mary E. SNODGRASS, The Underground Railroad : An Encyclopedia of People, Places, and Operation, Armonk, Sharpe reference, 2008.
[2]
Manning MARABLE, Black Leadership, Columbia University Press, New York, 1998, p. 43. Voir aussi Wilson Jeremiah MOSES, The Golden Age of Black Nationalism, 1850-1925, Oxford University Press, New York, 1988.
[3]
Martin B. PASTERNAK, Rise Now and Fly to Arms. The Life of Henry Highland Garnet, Garland Publishing, Londres, 1995.
[4]
Richard J.M. BLACKETT, « Return to the motherland. Robert Campbell, a Jamaican in early colonial Lagos », Phylon, vol. 40, n° 4, 1979, p. 375-386.
[5]
Gregory RIGSBY, Alexander Crummell, Pioneer in Nineteenth-century Pan-African Thought, Greenwood, Londres, 1987.
[6]
Hollis R. LYNCH, Edward Wilmot Blyden, Pan-Negro Patriot, 1832-1912, Oxford University Press, Londres, 1967. Voir aussi Oruno D. LARA, op. cit., p. 134-163.
[7]
Hollis R. LYNCH, « The attitude of Edward W. Blyden to European imperialism in Africa », Journal of the Historical Society of Nigeria, vol. 3, n° 2, décembre 1965, p. 256.
[8]
Eric FONER, Reconstruction, Harper & Row, Cambridge, 1988, p. 8.
[9]
W.E.B. DUBOIS, Black Reconstruction. An Essay Toward a History of the Part Which Black Folk Played in the Attempt to Reconstruct Democracy in America, 1860-1880, A. Saifer, Philadelphie, 1935.
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[10]
Louis R. HARLAN, Booker T. Washington, Oxford University Press, New York, 1972, p. 212. Voir aussi l’autobiographie de Booker T. WASHINGTON, Up from Slavery. Ascension d’un esclave émancipé, Éditeurs libres, Bize-Minervois, 2008.
[11]
Jacqueline MOORE, Booker T. Washington, W.E.B. Du Bois, and the Struggle for Racial Upli t, Scholarly Resources, Wilmington, 2003.
[12]
Manning MARABLE, W.E.B. Du Bois, Black Radical Democrat, Twayne, Boston, 1986.
[13]
Ibid., p. 50-51.
[14]
Oruno D. LARA, op. cit., p. 164-183.
[15]
Anténor FIRMIN, op. cit.
[16]
Oruno D. LARA, op. cit., p. 184-198.
[17]
Bénito SYLVAIN, Du sort des indigènes dans les colonies d’exploitation, L. Boyer, Paris, 1901. Voir aussi OIF, Le Mouvement panafricaniste…, op. cit., p. 94-96.
[18]
Emmanuelle SIBEUD, « “Comment peut-on être noir ?” Le parcours d’un intellectuel haïtien à la fin du XIXe siècle », Cromohs, n° 10, 2005, p. 1-8.
[19]
Oruno D. LARA, op. cit., p. 219.
Plan Douglass et Delany : quel avenir pour les Noirs aux États-Unis ? Commerce, éducation : favoriser l’émigration Blyden, l’émancipation par la colonisation ? La guerre de Sécession et la thèse du compromis W.E.B. Du Bois et la « double conscience » afro-américaine D’Haïti à l’Éthiopie : Anténor Firmin et Bénito Sylvain « L’Éthiopie tendra les mains vers Dieu » Afrique du Sud, terre de mission
3. La conférence panafricaine de Londres, 1900 Amzat Boukari-Yabara Dans Africa Unite ! (2017), pages 47 à 62
Chapitre
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a dernière abolition de l’esclavage dans les Amériques (Brésil en 1888) intervient après la conférence de Berlin (1884-1885). Après des siècles d’esclavage, la nouvelle phase de colonisation, entreprise sous couvert de « mission civilisatrice », ne laisse aucun répit aux Africains et Afro-descendants pour reconstruire un sentiment de dignité. L’Afrique entre dans une période marquée par la transition entre deux formes d’asservissement : après l’esclavage qui fait de l’Africain un « article d’exportation », on passe à un régime où ce dernier est soumis, comme le note le militant dahoméen [1] Tovalou Houénou, à un « esclavage à domicile ». Mais cette période, entre la conférence de Berlin et la Première Guerre mondiale, est également celle où les Africains s’organisent pour garder un espace d’autonomie face aux puissances coloniales. Ces dernières, disposant d’une force militaire et industrielle inédite, restent [2] convaincues de leur droit à soumettre les peuples non européens à leur volonté . C’est [3] dans ce contexte qu’est organisée, à Londres, la première conférence panafricaine .
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Les conséquences de la conférence de Berlin (1884-1885) De novembre 1884 à février 1885, les représentants de quatorze puissances [a] occidentales se réunissent à Berlin pour fixer les règles de la liberté de navigation et de commerce dans les bassins des leuves Niger et Congo, et établir les formalités de l’occupation ultérieure de l’intérieur du continent à partir de zones d’in luence. Si
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l’initiative de la conférence revient au chancelier allemand Bismarck, le motif est lié à l’intérêt manifesté huit ans plus tôt lors de la conférence de géographie de Bruxelles par le roi des Belges Léopold II pour les missions de l’explorateur américain Henry Morgan Stanley au Congo. Entre le milieu des années 1870 et la conférence de Berlin, la Belgique, la France, l’Angleterre, l’Allemagne, l’Italie et le Portugal mandatent des explorateurs pour préparer la « ruée vers l’Afrique ». Sans tenir compte de l’avis des Africains, les Européens annoncent qu’ils sont guidés par une « mission civilisatrice » ayant notamment pour objectifs de mettre un terme à l’esclavage pratiqué à l’intérieur du continent et de repousser l’islamisation de l’Afrique. Derrière cette justification à caractère moral et « civilisationnel », la colonisation répond surtout à des préoccupations économiques dans le cadre de l’expansion du capitalisme. Le pillage à la source des matières premières africaines permet de réaliser des économies dans les processus d’industrialisation. Les entrepreneurs occidentaux qui ont fait fortune dans la traite poussent les gouvernements à contrôler directement l’Afrique afin d’établir des monopoles. L’expansionnisme colonial sert aussi de dérivatif aux nationalismes qui agitent le Vieux Continent : la conquête des territoires extraeuropéens, décrits comme des terres « vierges », permet de latter les sentiments nationaux – et d’occuper les militaires – sans avoir à a fronter les voisins immédiats dans de sanglants con lits.
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Ainsi, la France, qui doit céder l’Alsace et la Moselle à l’Allemagne après la guerre de 1870, trouve dans l’entreprise coloniale un nouveau motif de fierté. Quoique à la traîne en la matière, en raison de leurs récentes unifications, l’Italie et l’Allemagne tentent également de prendre pied en Afrique, pour des raisons de prestige et d’intérêts économiques et stratégiques. Première puissance coloniale du monde, le Royaume-Uni, qui contrôle l’Égypte et le canal de Suez menant vers l’océan Indien, cherche pour sa part à élargir sa zone d’in luence en Afrique pour ne pas se laisser concurrencer par ses rivaux. De la sorte, les a frontements intereuropéens se déportent sur le continent africain au tournant du XXe siècle : à Fachoda (actuel Soudan), en 1898, où s’a frontent Français et Britanniques ; en Afrique australe, où éclate en 1899 la seconde guerre des Boers (1899-1902) ; au Maroc, où Paris, Madrid et Berlin se confrontent en 1905 et 1911.
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Les Européens n’arrivent pas en Afrique en terrain conquis, mais ils savent profiter de l’incapacité des Africains à constituer un front de résistance autonome et uni à la colonisation. Les con lits politiques de l’Afrique du XIXe siècle, qui ne sont ni pires ni plus nombreux qu’ailleurs, et le développement technologique et industriel qui permet aux puissances européennes d’améliorer leur armement facilitent la conquête coloniale de l’Afrique. Sur place, des traités signés entre les explorateurs et missionnaires occidentaux et les chefs indigènes, parfois choisis pour leur malléabilité, entérinent la prise de contrôle de vastes territoires africains par les Européens.
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La colonisation, qui implique la soumission des peuples et l’incorporation de pratiques et de représentations étrangères, perturbe la trajectoire historique des sociétés africaines. Dans les royaumes côtiers d’Afrique occidentale, centrale et orientale, ainsi que dans l’hinterland, la formation des empires coloniaux met un terme aux processus de construction d’États-nations africains. Ces processus inachevés engendrent de nouvelles contradictions : alors que certains résistent à la poussée coloniale, une partie des élites africaines s’en accommode dans le cadre de l’administration coloniale indirecte des Britanniques (indirect rule) ou de la politique assimilationniste des Français.
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En dehors du Liberia, qui fait figure d’exception, l’Éthiopie est le seul État africain à échapper à la colonisation au début du XXe siècle. Les Italiens, qui avaient dû renoncer à la Tunisie lors de la conférence de Berlin, lorgnent certes sur le territoire mais ils subissent une première défaite à Dogali en 1887, puis une déroute historique à Adoua en 1896. Pour les autres peuples africains, militairement soumis à partir des années 1880, la domination coloniale s’institutionnalise dans les années 1900, quand se mettent en place des administrations et des systèmes fiscaux imposés depuis la métropole. Cependant, même dans les territoires contrôlés, des formes de résistance sporadiques persistent, incitant les puissances coloniales à mener de vastes opérations de « pacification ».
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Face aux Européens Les Africains, qui n’ont pas eu la possibilité d’apporter une réponse concertée à la conférence de Berlin, se retrouvent isolés et progressivement divisés. Dès lors, ce sont les mouvements de retour en Afrique initiés par les Afro-Américains qui vont o frir la première plateforme pour développer les idées d’unité africaine. Disposant depuis les Amériques d’une vision plus globale de la situation du continent, et davantage enclins à assimiler l’unité de l’Afrique à l’unité raciale, ces mouvements de retour sont soutenus [5] par la logistique des missions religieuses . Cependant, souvent imbus de leur expérience occidentale et convaincus eux aussi d’avoir un rôle « civilisateur » à jouer auprès des peuples africains qu’ils ne prennent pas la peine de consulter, ces mouvements ne sont pas sans ambiguïté. De fait, le retour des Afro-descendants, parfois perçu en Afrique comme une autre forme de colonisation, pose un problème supplémentaire pour des sociétés africaines déjà bouleversées par le colonialisme européen. Les Créoles et les rapatriés se jugeant supérieurs aux autochtones, une stratification sociale fondée sur la couleur et l’origine se met en place au Liberia et en Sierra Leone. Utilisés comme main-d’œuvre à bas coût, les autochtones nourrissent un ressentiment croissant à l’égard des groupes afro-américains qui, refusant de travailler la terre, préfèrent mener des activités commerciales apportant des profits rapides.
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Figure centrale de ce panafricanisme naissant et ambigu, à mi-chemin entre la défense de l’identité négro-africaine et l’éloge d’une colonisation à prétention civilisatrice, Blyden est témoin et partie prenante des con lits opposant les Africains et les Créoles du Liberia et de la Sierra Leone. Il évolue cependant au contact des intellectuels ouestafricains comme James Africanus Beale Horton. Formé au Fourah Bay College de Freetown puis à l’université de Londres, ce médecin de l’administration coloniale publie en 1860 deux ouvrages, West African Countries and Peoples et Political Economy of Western Africa, qui font de lui un pionnier de la théorie politique africaine moderne. Appelant de ses vœux l’émergence d’un empire unifiant toute l’Afrique de l’Ouest, sur les décombres des empires précoloniaux mandingues, il défend le droit des Africains à s’organiser à partir de leurs propres systèmes politiques et sociaux, et à construire un gouvernement [6] ouest-africain capable de diriger une nation indépendante avec e ficacité et stabilité .
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Comme celui de Blyden, son discours sou fre de l’utilisation de l’expression « race africaine », mais il gagne en clarté quand il utilise le concept de « nationalité » plutôt que celui de « tribu ». Introduit par l’anthropologie coloniale dans sa classification des peuples africains, le terme de « tribu » puis le concept du tribalisme, ne seront pas sans conséquence sur la balkanisation politique du continent. Or le choix d’Horton d’utiliser le terme « nationalité » pour parler des peuples Ibo, Yoruba, Wolof ou Kru est une manière de souligner que ce concept, utilisé à la même époque en Europe, est tout à fait [7] approprié pour développer une analyse de l’État politique en Afrique de l’Ouest . Travaillant entre Londres et les colonies britanniques ouest-africaines, où il se lie [a] d’amitié avec les résistants anticolonialistes de la Confédération Fanti , Horton partage aussi avec Blyden ce goût pour l’érudition, cet intérêt pour une presse panafricaine, alors embryonnaire, cette quête de la « nationalité » et de la « personnalité » africaines, mais également une vision pragmatique de l’impérialisme économique.
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En 1899, les milieux militants africains, afro-américains et bientôt panafricains se penchent également sur les ressorts économiques du nouvel âge impérial. Les ré lexions des penseurs africains et afro-descendants dans le domaine sont loin d’être négligeables. L’historien Denis Benn note par exemple qu’en faisant le lien entre la production de coton dans le sud des États-Unis, e fectuée grâce à la main-d’œuvre africaine, et la croissance économique de la région anglaise du Lancashire, Blyden propose, bien avant les thèses de Lénine sur l’impérialisme et d’Eric Williams sur le [9] capitalisme , une théorie de la surproduction et de la prospérité économique du capitalisme qui explique pourquoi l’Afrique devient un terrain de conquête coloniale. Après avoir visité le Congo, en 1886, et le Nigeria, quelques années plus tard, le médecin jamaïcain Theophilus E.S. Scholes, formé à Glasgow, s’est lui aussi penché sur la dimension économique de la colonisation. Dénonçant le racisme colonial et la politique impérialiste menée sous couvert d’humanitarisme par le secrétaire britannique aux
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Colonies Joseph Chamberlain, Scholes ajoute que la colonisation britannique en Afrique reprend le modèle antillais de la monoculture qui empêche toute possibilité de [10] développement équilibré à l’échelle locale . Confrontés à un mépris et un racisme grandissants, constatant le refus des Blancs d’accorder l’égalité et tentant de décortiquer les mécanismes de la domination économique, un premier groupe de militants noirs installés en Europe et dans les Amériques s’organise pour défendre les droits des Noirs du monde entier. La conférence panafricaine de Londres en 1900 s’emploie à réaliser cet agenda.
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Une réponse à la colonisation La conférence panafricaine de Londres marque le début de la chronologie o ficielle du panafricanisme. Son principal organisateur, Henry Sylvester-Williams, un enfant [11] d’immigrés de la Barbade, grandit sur l’île antillaise de Trinidad . À l’école, il fréquente Kofi Intim, le fils de l’Asantehene, le chef ashanti de la colonie britannique de la Gold Coast (futur Ghana) déposé par les autorités coloniales et exilé à Trinidad. Sensibilisé à la question du colonialisme auprès de son camarade, il part étudier aux États-Unis, en Nouvelle-Écosse et au Royaume-Uni.
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À Londres, à la faculté de droit de Gray’s Inn, Sylvester-Williams fréquente des étudiants sud-africains et éthiopiens. Les premiers lui racontent la politique de ségrégation en gestation dans leur pays, tandis que les seconds lui expliquent comment l’Éthiopie a repoussé les attaques italiennes à Adoua en 1896 pour conserver son indépendance. En 1897, Sylvester-Williams décide de créer une association, baptisée Association africaine (African Association), afin de lutter contre les di ficultés économiques et sociales, ainsi que les formes de discrimination et d’exploitation frappant tous les sujets africains de [12] l’Empire britannique .
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En 1898, Sylvester-Williams lance l’idée d’une conférence destinée à sensibiliser l’opinion publique sur la situation des Noirs dans l’Empire, une initiative confortée par sa rencontre, à Paris, avec Bénito Sylvain. Ce dernier, qui avait été reçu en audience par l’empereur d’Éthiopie Ménélik II, est convaincu qu’une conférence réunissant le plus grand nombre de savants noirs serait la meilleure réponse au discours raciste et colonialiste des puissances occidentales. Dans le cadre de la préparation de cette conférence, Sylvain écrit à son compatriote Anténor Firmin, à W.E.B. Du Bois, à Booker T. Washington et prend contact avec le Conseil national afro-américain, une organisation créée en 1898 par l’évêque Alexander Walters pour lutter contre les lynchages et défendre les droits civiques des Noirs.
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L’historien Oruno D. Lara souligne que le terme de « Pan-African » apparaît pour la première fois dans une lettre adressée par Sylvester-Williams à un membre de l’Association africaine mais que son utilisation est bien antérieure à la conférence de 1900. Williams estimait qu’il était important que le terme « panafricanisme » puisse être développé en réponse au colonialisme, au panslavisme et au pangermanisme qui se mettaient en place à la même époque. Débattu en interne, notamment pour savoir quelle serait la place éventuelle des Blancs dans un tel mouvement, le terme fut [13] finalement adopté . À la demande de Sylvester-Williams, qu’il rencontre lors d’une visite au Royaume-Uni à l’été 1899, Booker T. Washington écrit aux journaux afroaméricains pour annoncer la tenue d’une conférence qu’il qualifie à son tour de [14] « panafricaine » en mai 1900 . Dès lors, la presse va valider l’utilisation et la di fusion de ce terme. Dans sa lettre, Washington ajoute qu’il ne partage pas l’idée du retour en Afrique en expliquant que, puisque les Européens contrôlent directement ou indirectement toutes les parties du monde, le fait de retourner en Afrique ne su fit pas pour changer le rapport de forces. Il conseille à Sylvester-Williams d’élargir la critique coloniale à l’ensemble des puissances européennes. Enfin, Washington encourage les autres dirigeants noirs à assister à la conférence, à laquelle lui-même décide de ne pas aller, étant retenu par l’inauguration de la National Negro Business League à la fin du mois d’août 1900 à Boston.
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En 1900, peu de Noirs peuvent se permettre d’assister à une conférence qui requiert un visa, du temps et des frais de voyage et d’hébergement. La stratégie est donc de placer la conférence dans une période suivant directement d’autres événements où la présence de délégués d’Afrique et des Amériques peut être financée par le Colonial O fice britannique ou le département d’État américain. Prévue en mai, la conférence se tient finalement du 23 au 25 juillet 1900, peu après l’Exposition universelle de Paris et la [15] conférence mondiale pour l’entreprise religieuse à Londres . Les délégués panafricains se réunissent au Westminster Town Hall, à proximité de la Chambre des communes.
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Aucun compte rendu détaillé des débats de la conférence n’est publié dans la presse mais les protagonistes, en particulier Bénito Sylvain et W.E.B. Du Bois ont assuré la rédaction des échanges et des résolutions. Alors que les journaux anglais se contentent d’annoncer l’événement, les rares journaux français attirés par la présence de l’unique représentant francophone, Bénito Sylvain, regardent cet événement avec curiosité. Parmi les personnalités soutenant l’initiative, Sylvester-Williams obtient la présence de l’évêque de Londres, Mandell Creighton. Après la dernière session, les conférenciers seront d’ailleurs invités à prendre le thé dans la résidence épiscopale de Fulham Palace.
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L’objectif initial de la conférence est de rapprocher les peuples d’origine africaine, d’inaugurer une ère de relations nouvelles entre les di férents groupes ethniques, d’assurer, en leur accordant des droits, la sécurité des Africains et l’amélioration de leurs conditions de vie. Lors de la première session, l’Association africaine de Sylvester-
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Williams est rebaptisée « Association panafricaine » (Pan-African Association), dont le siège est établi à Chancery Lane, au cœur de la capitale britannique. Le comité exécutif de la nouvelle association est formé de six membres émanant de la société civile : le compositeur anglais Samuel Coleridge-Taylor, surnommé le « Mahler africain », l’activiste afro-américaine Anna Julia Cooper, la su fragette et fille d’un important syndicaliste Jane Cobden-Unwin, le chanteur de gospel des Fisk Jubilee Singers Frederick J. Loudin, l’ancien marin de l’US Navy et consul américain à Luanda, Henry Francis Downing, et John R. Archer, un étudiant en photographie qui allait devenir en 1913, à Battersea, le premier maire noir de Grande-Bretagne. Sylvester-Williams, Sylvain, Du Bois et Alexander Walters, l’évêque de l’Église méthodiste du New Jersey, occupent les fonctions de président et de secrétaire lors des sessions. Le compte rendu des débats établi en séance par Sylvain – qui représente par ailleurs Haïti et l’Éthiopie – mentionne la présence de délégués venus principalement d’Amérique du Nord et de la Caraïbe anglophone. L’ancien procureur général F.R. Johnson, l’avocat A.F. Ribeiro et le conseiller judiciaire G.W. Dove, qui représentent respectivement le Liberia, la Gold Coast et la Sierra Leone, sont les seuls représentants « africains » au sens géographique du terme. La Société littéraire afro-antillaise d’Écosse est représentée par un étudiant à l’université d’Édimbourg, Richard Akiwande Savage.
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De manière générale, les trente-sept délégués o ficiellement présents à la conférence sont des intellectuels disposant d’une certaine autonomie financière, exerçant des activités de fonctionnaire ou occupant des professions libérales, tous anglophones à l’exception de Sylvain. Des sympathisants indiens et des philanthropes britanniques appartenant à des associations religieuses ou abolitionnistes assistent également aux débats sans être amenés à prendre la parole. Signe que le « panafricanisme » naissant n’intéresse pas que les Noirs, l’Association panafricaine compte en 1901 seulement cinquante membres d’origine africaine, pour cent cinquante membres d’origine non africaine.
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L’Adresse aux nations du monde Chargé de rédiger les recommandations finales de la conférence, Sylvain presse les autorités de l’Éthiopie, d’Haïti et du Liberia de se fédérer diplomatiquement afin d’opposer un front commun à « la politique d’extermination et de dégradation qui prévaut en Europe à l’égard des Noirs et de leurs dérivés », et de remplir ainsi leur rôle de protecteurs naturels de l’Association panafricaine. Cependant, le texte de référence pour la conférence de Londres est l’« Adresse aux nations du monde » rédigée par
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W.E.B. Du Bois . Célèbre pour la phrase dans laquelle ce dernier prédit que « le problème du XXe siècle est celui de la ligne de couleur », ce texte anticipe l’esprit de solidarité des peuples de couleur exprimé en 1955 à Bandung : Le monde moderne doit comprendre qu’à cette époque, où les confins du globe se trouvent si rapprochés par la facilité des moyens de communication, les millions d’hommes noirs qui vivent en Afrique, en Amérique et dans les îles de l’Océan, sans parler des myriades d’hommes de couleur répandus partout, sont appelés à exercer une grande in luence dans l’avenir, raison même de leur nombre et par le seul fait de leur contact mutuel. Si les pays civilisés s’appliquent maintenant à donner aux nègres et aux hommes de couleur les plus larges facilités pour leur éducation et le développement de leurs facultés, ce contact et cette in luence produiront des e fets bienfaisants qui hâteront les progrès de l’humanité. Si, au contraire, soit par insouciance ou prévention, soit par cupidité ou injustice, on veut continuer à exploiter, à spolier et à dégrader la masse des Noirs, les conséquences ne peuvent être que déplorables, sinon fatales, non seulement pour cette masse, mais encore pour le haut idéal de justice, de liberté et de civilisation que, depuis des milliers d’années, le christianisme fait luire devant l’Europe.
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Ce texte invite notamment les Noirs à rester en dehors de la guerre des Boers opposant de 1899 à 1902 deux armées européennes (britannique et hollandaise) sur un sol africain. En plus d’un projet de colonisation agricole au Cameroun fondé sur les plans de l’Institut Tuskegee, Du Bois demande aux Noirs des États-Unis et de Cuba de s’engager en faveur d’un projet de colonisation et de développement agricole au Congo. Idéaliste et romantique, correspondant avec le consul belge aux États-Unis, Du Bois ignore encore les crimes commis au Congo par les agents du roi des Belges, Léopold II. Alors que le militant et pasteur baptiste afro-américain George Washington Williams mentionne, dès 1889, de graves dysfonctionnements dans la gestion du Congo à la suite d’une entrevue avec Léopold II, grande est la désillusion des panafricanistes de Londres en découvrant peu après l’ampleur des crimes dénoncés par la Congo Reform Association (CRA). Cette organisation non gouvernementale mise en place par le journaliste britannique Edmund D. Morel en 1903 devient une référence pour les milieux afro-américains. Avant de fonder un courant de l’école de sociologie de Chicago, l’un des secrétaires de la CRA, le journaliste Robert Ezra Park, di fuse les récits de missionnaires afro-américains pointant la barbarie du régime léopoldien. Le roi des Belges finit par céder sa colonie personnelle à la Belgique, et l’État indépendant du Congo, qui n’a d’indépendant que le nom, est constitué sur les décombres de ce que George Washington Williams appelle déjà un « crime contre l’humanité ».
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Pour l’Afrique du Sud, les participants de la conférence rédigent, à l’attention de la reine Victoria, un mémoire qui réclame l’abolition ou la suppression de plusieurs dispositifs de contrôle et d’assujettissement des Africains :
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1. Le système dégradant et illégal des camps de travailleurs qui prévaut à Kimberley et en Rhodésie. [17] 2. Les soi-disant « contrats de travail » du système de l’indenture , en vérité, une forme légalisée d’asservissement des indigènes – hommes, femmes et enfants – aux colons blancs. 3. Le travail forcé sur les chantiers publics. 4. Le système de « passeport » ou fiche de renseignements, utilisé pour les personnes de couleur. 5. Les règlements locaux qui n’ont souvent pour seuls résultats que de discriminer et dégrader les autochtones. Il s’agit en l’occurrence du couvre-feu, de l’interdiction faite aux autochtones de marcher sur les trottoirs, et de l’utilisation de transports publics séparés. 6. Les di ficultés rencontrées pour acquérir des propriétés. [18] 7. Les di ficultés dans l’obtention du droit de vote .
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Le 16 janvier 1901, quelques jours après avoir reçu le mémorandum, Chamberlain répond en soulignant que la reine a été informée des doléances et qu’elle les a communiquées au Haut-Commissaire pour l’Afrique du Sud. Le 21 janvier, la reine, qui souhaite apporter une réponse plus personnalisée, demande à son secrétaire personnel de s’en charger. Le lendemain, la reine Victoria décède. Ému, Sylvester-Williams note que le premier grand acte de la reine fut l’abolition de l’esclavage, e fective en 1838, six mois après son arrivée sur le trône, et l’un de ses derniers fut de prendre à cœur les requêtes de l’Association [19] panafricaine . Celles-ci n’auront pourtant pas de suite.
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La mise en sourdine du mouvement panafricain : de la création du NAACP… Lors de la conférence de 1900, le comité annonce la tenue des prochaines conférences panafricaines aux États-Unis en 1902 puis en Haïti en 1904. Ces conférences ne se tiendront pas et il faudra attendre 1919 pour voir leur reprise avec le premier « congrès panafricain » (voir chapitre 4). Plusieurs éléments expliquent ce long délai. Le manque de financement, d’abord : l’Association panafricaine mise en place à Londres dispose de moyens très limités qui ne permettent de publier qu’un seul numéro du journal The Panafrican. Par ailleurs, le mouvement manque de cadres : entre 1911 et 1915, SylvesterWilliams, Sylvain, Firmin, Blyden, McNeal Turner et Booker T. Washington décèdent sans avoir pu former une relève.
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Du fait de sa longévité exceptionnelle et de son rôle de pivot entre les mouvements afroaméricains et africains, Du Bois apparaît rapidement comme une figure incontournable de l’histoire du panafricanisme au XXe siècle. A posteriori, certains observateurs lui ont reproché d’avoir minoré le rôle, pourtant central, joué par Sylvester-Williams et, par contrecoup, l’importance historique de la conférence de 1900, pour mieux mettre en valeur sa propre action au sein du mouvement panafricain. La confusion sur la paternité du concept de « conférence panafricaine » témoigne de cette sourde rivalité : alors que Sylvester-Williams avait baptisé la rencontre de 1900 « conférence panafricaine », Du Bois, présent en 1900, choisira de lancer une série de « congrès panafricains » plutôt que de reprendre le terme de « conférence ». De là naît le débat plutôt stérile concernant [20] la numérotation des conférences .
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Après la conférence de Londres, Du Bois se consacre à sa carrière universitaire aux États-Unis et à la réalisation d’objectifs politiques nationaux. Son opposition à la vision intégrationniste de Booker T. Washington se précise lorsqu’il participe à Niagara Falls, en 1905, à la création d’un groupe d’intellectuels libéraux défendant l’égalité raciale aux [21] États-Unis . S’il rejoint Booker T. Washington sur l’objectif d’intégrer les Noirs dans la nation américaine, le mouvement Niagara estime que cette intégration doit reposer sur une égalité juridique totale et non sur un compromis fondé sur l’interdépendance des Noirs et des Blancs. En 1909, une partie du mouvement de Niagara fusionne avec des groupes progressistes blancs pour former l’Association nationale pour l’avancement de la condition des personnes de couleur (National Association for the Advancement of [22] Colored People, NAACP) .
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Regroupant des intellectuels de tendances libérales et socialistes, cette organisation va structurer l’histoire du mouvement pour les droits civiques en créant des sections dans tous les États des États-Unis. À l’été 1919, la NAACP compte plus de 300 sections [23] regroupant près de 89 000 membres, dont la moitié dans le Sud . En mesure de lever des fonds importants auprès de la communauté noire et des philanthropes blancs, la NAACP devient également l’interlocuteur o ficiel du gouvernement fédéral dans les négociations relatives aux Noirs. Cependant, la discipline interne, l’embourgeoisement de l’organisation et la proximité avec les milieux blancs conduisent les militants noirs plus radicaux à se tourner vers d’autres mouvements comme celui de Marcus Garvey (voir chapitre 5). Du Bois, qui semblait inamovible à la direction de la revue de la NAACP, The Crisis, fera lui-même les frais de l’évolution de l’organisation qu’il avait contribué à fonder.
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En 1910, Booker T. Washington entreprend une tournée en Europe pour défendre sa vision des relations raciales. Un an plus tard, en juillet 1911, Du Bois décide de contreattaquer en participant au Congrès universel des races organisé à Londres par des intellectuels occidentaux pour débattre des moyens d’améliorer les relations entre les [24] peuples « blancs » et de « couleur » . Ce congrès, qui rassemble plusieurs centaines de
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délégués venus d’Europe, d’Asie, d’Afrique et des Amériques, a pour objectif de mener une étude comparative des relations raciales à l’échelle internationale. Secrétaire lors de ce congrès, Du Bois centre son intervention sur la lutte et les sou frances de la « race nègre aux États-Unis », et sur la nécessité de promouvoir le commerce international afin de lever les barrières raciales. Durant toutes ces interventions, Du Bois n’utilise plus les mots « panafricain » ou « panafricanisme », préférant s’arrêter, lorsqu’il parle de l’Afrique et des Noirs, sur les concepts d’autonomie et d’indépendance. De son côté, Booker T. Washington organise à l’Institut Tuskegee, du 17 au 19 avril 1912, une conférence internationale sur la situation des Noirs. Cette petite conférence panafricaine réunit une centaine de délégués, majoritairement membres de corps [25] missionnaires américains mixtes. Seuls une douzaine de délégués sont africains . Cette assemblée discute des méthodes pour recruter des délégués francophones en Afrique, et pour mener des actions de formation politique des Noirs sans attirer l’hostilité des colons blancs sud-africains. La conférence pose les bases d’une entreprise panafricaine transatlantique, l’Africa Union Company, pour coordonner la solidarité raciale avec le progrès technique et le développement de l’Afrique. La Première Guerre mondiale met un terme au projet.
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… à la naissance de partis africains Sylvester-Williams avait visité l’Afrique du Sud et avait de nombreux contacts en Afrique de l’Ouest. Aussi, après la conférence de 1900, des initiatives émanent de personnalités originaires de ces deux régions. En 1906, le Sud-Africain P.K. Isaka Seme prononce à [26] l’université Columbia, à New York, un discours sur la « régénération de l’Afrique » . En 1908, à l’université d’Édimbourg, l’étudiant nigérian Bandele Omoniyi écrit un livre sur la défense du mouvement éthiopien. En Gold Coast et au Liberia, des intellectuels in luencés par Blyden prennent également la plume pour défendre le nationalisme culturel pan-nègre. En 1911, au Congrès universel des races, le secrétaire d’État du Liberia, F.E.R. Johnson, se plaint que des territoires aient été annexés par Londres et Paris. Le Nigérian Mojola Agbebi, un disciple de Blyden qui dirige la Mission du delta du Niger, exige que l’on traite les Africains comme des adultes responsables. Quant aux Sud-Africains noirs présents à Londres en 1911, John Tengo Jabavu et Walter Rubusana, ils dénoncent l’indépendance accordée un an plus tôt aux quatre colonies britanniques d’Afrique australe. Dirigée par une alliance entre les colons britanniques et les SudAfricains blancs (Afrikaners), l’Union sud-africaine se présente alors comme la « terre de l’homme blanc ».
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En janvier 1912, plusieurs intellectuels militants formés aux États-Unis et en Angleterre, ainsi que des chefs traditionnels, se réunissent à Bloemfontein (Afrique du Sud). Sous la présidence de John L. Dube, ils créent le parti du Congrès national indigène sud-africain (South African Native National Congress, SANNC), qui prend le nom de Congrès national africain (African National Congress, ANC) en 1923. Les statuts de l’ANC indiquent un objectif panafricain, une volonté de rassembler tous les Africains et de rejeter aussi bien le tribalisme que l’opposition entre les élites modernes et traditionnelles. Entre-temps, la guerre éteint définitivement les espoirs de progrès racial évoqués lors du congrès de 1911.
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En janvier 1919, l’ANC envoie à la Conférence de paix de Paris une délégation conduite par Sol Plaatje et Josiah T. Gumede afin de rencontrer le Premier ministre britannique David Lloyd George et d’obtenir des concessions en faveur des Noirs d’Afrique du Sud. La délégation sud-africaine envoyée en France n’obtient pas plus de succès que la délégation ouest-africaine qui donnera naissance en mars 1920 à une organisation connue sous le nom de Congrès national de l’Afrique de l’Ouest britannique (National Congress of British West Africa, NCBWA).
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Dans les chapitres suivants, nous verrons que le mouvement panafricain en cours de structuration repose sur deux dynamiques parallèles : pendant que la diaspora africaine se retrouve, dans les métropoles coloniales, à l’occasion des congrès panafricains organisés par Du Bois (1919-1927), des associations politiques africaines, au sens géographique du terme, comme l’ANC et le NCBWA, font émerger l’idée d’unité contre la présence coloniale européenne. Le décalage entre l’action panafricaniste de Du Bois, tournée vers la diaspora, et les associations politiques naissant sur le continent précipite l’essor du mouvement de Marcus Garvey, demandant aux Noirs du monde entier de tourner leur regard vers l’Afrique.
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Notes [1]
Cité in OIF, op. cit., p. 126.
[2]
J. Ayodele LANGLEY, Pan-Africanism and Nationalism in West Africa, 1900-1945. A Study in Ideology and Social Classes, Clarendon Press, Oxford, 1973, p. 14.
[3]
Oruno D. LARA, op. cit., p. 199-271.
[a]
Allemagne, Autriche-Hongrie, Belgique, Danemark, Empire ottoman, Espagne, ÉtatsUnis, France, Italie, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni, Russie, Suède.
[5]
Joachim GOMA-THETHET, Histoire des relations entre l’Afrique et sa diaspora, L’Harmattan, Paris, 2012, p. 33-36.
[6]
Christopher FYFE, Africanus Horton, 1835-1883. West African Scientist and Patriot, Gregg revivals, Aldershot, 1992.
[7]
J. Ayodele LANGLEY, op. cit., p. 110-111.
[a]
La Confédération Fanti est un ensemble d’alliances constituées au XVIIIe-XIXe siècle par les peuples Fanti, opposés au royaume Ashanti. Les Fanti soutiennent les Britanniques lors des guerres Ashanti, et bénéficient ensuite d’une position dominante dans le système colonial.
[9]
Eric WILLIAMS, Capitalisme et esclavage, Présence africaine, Paris, 1998. Voir aussi Denis BENN, The Caribbean. An Intellectual History, 1774-2003, Ian Randle Publishers, Kingston, 2004, p. 232-238.
[10]
Theophilus E.S. SCHOLES, The British Empire and Alliances, or Britain’s Duty to her Colonies, E. Stock, Londres, 1899.
[11]
Hakim ADI et Marika SHERWOOD, Pan-African History. Political Figures from Africa and the Diaspora since 1787, Routledge, Londres, 2003, p. 190-194. Voir aussi James R. HOOKER, Henry Sylvester Williams, Imperial Pan-Africanist, R. Collings, Londres, 1975.
[12]
Oruno D. LARA, op. cit., p. 224-229.
[13]
Ibid., p. 232-235.
[14]
Manning MARABLE, Black Leadership, op. cit., p. 30.
[15]
James R. HOOKER, « The Pan-African Conference 1900 », Transition, n° 46, 1974, p. 20-24.
[16]
OIF, Le Mouvement panafricaniste…, op. cit., p. 73-80.
[17]
Ce système est une forme de servitude temporaire : les colons font travailler les indigènes, sans les rémunérer, mais en échange d’avantages matériels à la fin du « contrat ».
[18]
Cité in Oruno D. LARA, op. cit., p. 246-247.
[19]
James R. HOOKER, « The Pan-African Conference 1900 », loc. cit., p. 24.
[20]
Colin LEGUM, Pan-Africanism, Pall Mall, Londres, 1962, p. 31.
[21]
Christopher E. FORTH, « Booker T. Washington and the 1905 Niagara Movement Conference », The Journal of Negro History, vol. 72, n° 3-4, 1987, p. 45-56. Voir aussi Joachim GOMA-THETHET, op. cit., p. 55-57.
[22]
Patricia SULLIVAN, Li t Every Voice. The NAACP and the Making of the Civil Rights Movement, The New Press, New York, 2009.
[23]
Manning MARABLE, W.E.B. Du Bois, Black Radical Democrat, op. cit., p. 97.
[24]
Paul B. RICH, Prospero’s Return ?, Hansib, Londres, 1994, p. 67-84.
[25]
J. Ayodele LANGLEY, op. cit., p. 32.
[26]
OIF, Le Mouvement panafricaniste…, op. cit., p. 81-85.
Plan Les conséquences de la conférence de Berlin (1884-1885) Face aux Européens Une réponse à la colonisation L’Adresse aux nations du monde La mise en sourdine du mouvement panafricain : de la création du NAACP… … à la naissance de partis africains
Auteur Amzat Boukari-Yabara
Mis en ligne sur Cairn.info le 18/05/2019
Pour citer cet article
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4. W.E.B. Du Bois et la tradition des congrès panafricains Amzat Boukari-Yabara Dans Africa Unite ! (2017), pages 63 à 76
Chapitre
À
peine quelques années après avoir organisé la conquête du continent africain, les Européens font appel à l’Afrique lors de la Première Guerre mondiale. Les puissances coloniales mettent en place des systèmes de conscription pour créer des armées d’appoint et enrôler les peuples africains. Pour justifier l’engagement massif des Africains dans le con lit, les dirigeants européens habillent à nouveau leur politique d’une rhétorique « humaniste » : c’est parce que les Européens ont o fert « protection » et « civilisation » aux Africains que ces derniers devraient, en échange, participer à l’e fort de guerre. Cette participation change le regard des opinions métropolitaines sur le continent africain et renforce paradoxalement le lien colonial : les colonisés sont décrits comme des enfants accourant au secours de la mère patrie.
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La guerre change également le regard des Africains sur l’Europe. Quelques années seulement après la conquête européenne de leur continent, les soldats des colonies envoyés au front constatent sur les champs de bataille de quelle barbarie les « civilisés » sont capables. La contradiction frappe également les Afro-Américains. Massivement mobilisés, eux aussi, lorsque les États-Unis entrent en guerre, en 1917, ils ne peuvent que s’interroger sur le soutien qu’apporte leur pays aux « démocraties » colonialistes du Vieux Continent. Partagés sur la position à adopter dans ce con lit mondial, les colonisés africains et les Noirs américains réclament que les sacrifices qu’on exige d’eux ne soient pas consentis en vain.
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Les Noirs et la Première Guerre mondiale Dans les mois qui suivent la déclaration de guerre, des centaines de milliers de soldats sont recrutés en « Afrique française » et envoyés sur le front : 270 000 du Maghreb, 180 000 d’Afrique noire, 40 000 de Madagascar. Des dizaines de milliers de travailleurs sont expédiés en métropole pour travailler dans les usines. Un homme joue un rôle central dans le recrutement des soldats africains : Blaise Diagne. Élu député du Sénégal en 1914, il est proche de Georges Clemenceau, qui retrouve en 1917 le poste de président du Conseil qu’il avait déjà occupé entre 1906 et 1909. Dans les derniers mois de la guerre, Clemenceau envoie Diagne sur le continent pour recruter des soldats en Afrique occidentale française (AOF) et en Afrique équatoriale française (AEF). La mission Diagne permet de mobiliser 77 000 soldats. De leur côté, les Britanniques mobilisent 16 000 hommes dans le West Indian Regiment, 180 000 hommes dans les King’s African Ri les et 25 000 Noirs d’Afrique du Sud. Dans leurs colonies, les Belges et les Italiens renforcent également les systèmes militaires en armant des groupes d’Africains dévoués.
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Si certains Africains, comme Blaise Diagne, participent activement à l’e fort de guerre, le recrutement des soldats et des travailleurs sur le continent rencontre par endroits une farouche résistance. C’est le cas par exemple au Nyassaland, placé sous le protectorat britannique, où une rébellion éclate début 1915. Menée par un pasteur baptiste formé aux États-Unis, John Chilembwe, la révolte, qui prend un tour explicitement anticolonial, est sévèrement matée par les troupes britanniques (Chilembwe est tué le 3 février 1915). Pour favoriser le recrutement et éviter la multiplication des révoltes, les autorités favorisent la promotion de certains cadres africains et s’appuient sur les « chefs indigènes ».
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Aux États-Unis, le recrutement des Noirs est également marqué par une inextricable contradiction. Comment convaincre les soldats noirs d’aller mourir en Europe, au nom de la « liberté » des pays amis, alors qu’ils sont victimes d’une implacable ségrégation raciale au sein même de l’armée américaine ? Comment s’assurer que ces milliers de soldats, qui auront été formés au maniement des armes et incités à tuer les soldats blancs du camp adverse, accepteront, à leur retour au pays, de reprendre docilement la place qui leur est réservée dans une société où le racisme est institutionnalisé ?
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À l’instar de Blaise Diagne en France, Du Bois fait campagne pour le recrutement de soldats afro-américains en 1917. Militant pour la déségrégation de l’armée, la NAACP estime que l’engagement des Noirs américains dans la guerre obligera les dirigeants des [1] États-Unis à modifier en profondeur leur politique raciale . Mais les Noirs américains sont loin d’être unanimes sur ce sujet. Journaliste originaire de l’île caribéenne de Sainte-Croix et fondateur de la Ligue de la liberté des Noirs américains, Hubert Henry
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Harrison critique par exemple le rôle de Du Bois dans l’enrôlement des Noirs. Lewis Garnett Jordan, dirigeant de la Convention nationale baptiste noire américaine, souligne quant à lui que les Noirs, en combattant massivement lors de la guerre, prouvent qu’ils ne sont pas des êtres dociles. Nombreux sont ceux qui estiment que la participation massive des Noirs à l’e fort de guerre – 200 000 d’entre eux sont mobilisés, dont environ 40 000 sont envoyés combattre sur le front – ne doit pas se faire sans contreparties. Cette attitude ne manque pas d’inquiéter les autorités américaines. La ségrégation et les injustices subies par les troupes et les o ficiers noirs au sein du corps expéditionnaire américain, leur rencontre avec des soldats africains des empires coloniaux français et anglais, leur séjour dans un environnement public non ségrégué, leur engagement au nom d’un idéal de liberté et la possible in luence de la Révolution russe de 1917 sont autant d’éléments qui incitent les dirigeants américains à faire preuve d’une extrême vigilance. Intéressante à cet égard est l’attitude du secrétaire à la Guerre, Newton Baker, à la fin du con lit : il envoie en Europe Robert R. Moton, qui a succédé à Booker T. Washington, décédé en 1915, à la tête de l’Institut Tuskegee, pour s’assurer que les 40 000 soldats noirs des 92e et 93e divisions reviennent « en bon ordre » aux États-Unis. Et lorsque les vétérans noirs sont rapatriés, en 1919, un torpilleur escorte le convoi avec [2] l’autorisation de le couler en plein Atlantique en cas de mutinerie .
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Les « racines africaines de la guerre » Dans la revue Atlantic Monthly de mai 1915, Du Bois publie un article consacré aux « racines africaines de la guerre » dans lequel il s’intéresse en particulier aux conséquences du colonialisme et de l’impérialisme sur l’équilibre des pouvoirs entre les puissances impérialistes et les peuples sous leur domination. Aucune paix durable, conclut-il, n’est possible sans étendre les libertés démocratiques aux peuples de couleur.
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Lorsqu’il reprend ce point, à l’occasion d’une conférence aux États-Unis deux ans plus tard, l’actualité est marquée par la Révolution russe d’octobre 1917. Du Bois, qui fut brièvement membre du Parti socialiste en 1911-1912 et qui a milité pour l’entrée en guerre des États-Unis, contre l’avis de plusieurs militants noirs socialistes, s’inquiète des conséquences de cette révolution sur le rapport de forces entre la Triple Entente (Royaume-Uni, France, Russie) et la Triple Alliance (Allemagne, Italie, AutricheHongrie). Alors que de nombreux socialistes américains militent pour le retrait de la Russie du con lit, Du Bois leur reproche leur discrétion dans la lutte contre le racisme et la ségrégation. Peut-on être solidaire avec les Russes sans l’être avec les Noirs ?
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Beaucoup plus réformiste que révolutionnaire, Du Bois ne croit pas non plus dans la capacité des communistes à transformer du jour au lendemain les mentalités et les structures économiques. Avec son pragmatisme et sa modération, il refuse de suivre les jeunes militants noirs qui rallient la Révolution russe sans avoir pris le temps de [3] comprendre les enjeux et de lire avec attention les thèses de Marx et de Lénine .
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S’inscrivant explicitement dans le sillage de Du Bois, qui avait publié en 1915 un ouvrage, The Negro, retraçant l’histoire générale des Noirs, l’intellectuel afro-américain Benjamin Brawley fait paraître, à l’automne 1918, un livre qui déclenche un débat sur le rôle de l’Afrique dans la guerre. Dès la préface du livre, intitulé Africa and the War, Brawley souligne que c’est moins l’avenir de l’Alsace-Lorraine, de la Belgique, des Balkans ou même de la Russie qui est au cœur de la guerre de 1914, que le destin de l’Afrique. L’auteur s’intéresse en particulier au colonialisme allemand : si Berlin l’avait emporté sur la France, la Belgique et l’Angleterre, l’Allemagne, qui avait tardivement pris pied en Afrique et n’y possédait que quelques territoires épars avant guerre, aurait pris le contrôle de la quasi-totalité du continent et donc d’un immense potentiel de ressources [4] stratégiques .
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Au moment où les Alliés s’interrogent sur l’avenir des colonies africaines retirées à l’Allemagne (Kamerun, Togoland, Rwanda-Urundi, Afrique orientale et Sud-Ouest [a] Africain ), l’Afrique apparaît aux yeux de nombreux observateurs comme un véritable butin de guerre. Les ex-colonies allemandes, sur lesquelles lorgnent les vainqueurs européens, sont l’objet de discrètes tractations à la fin du con lit et de vives discussions lors de la négociation des traités de paix. Elles servent de monnaie d’échange entre les puissances impérialistes au moment où la Société des Nations (SDN) est mise sur pied. Compromis entre le président américain Woodrow Wilson, favorable à une réforme du système colonial, et les dirigeants européens, qui tiennent à conserver leurs empires ultramarins, un système de « mandats » est institué qui place les colonies allemandes sous la tutelle de la SDN mais en confie l’administration aux autres puissances [b] coloniales .
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Conscient des marchandages en cours au moment où il publie son livre, Brawley souligne cependant que les puissances occidentales ne peuvent plus continuer à parler de l’Afrique comme si les Africains n’existaient pas. De fait, le slogan « L’Afrique aux Africains » se propage à cette période, sur le continent comme dans la diaspora. Pour nombre d’intellectuels, de travailleurs et d’anciens combattants noirs, la Première Guerre mondiale a prouvé que les peuples non européens avaient le droit, et la capacité, de prendre en charge leurs propres a faires.
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Un nouvel État au cœur du continent ?
À la même période, Du Bois s’interroge lui aussi sur le sort de l’Afrique. En septembre 1918, il propose au bureau des directeurs de la NAACP l’organisation d’une conférence ayant pour objectif d’inciter les puissances coloniales et les États-Unis à tirer les conséquences politiques de la participation des Noirs à la guerre. Un mois plus tard, il demande à aller en France afin de collecter des archives françaises consacrées au rôle des troupes afro-américaines dans le con lit.
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Plus important encore, Du Bois présente devant le bureau de la NAACP un « mémorandum sur le futur de l’Afrique » qu’il dit avoir conçu avec l’aide du journaliste du Daily News de Londres Philip Whitwell Wilson et du philanthrope blanc George Foster Peabody. Ce mémorandum recommande la création d’un grand État noir dans le centre de l’Afrique, englobant les colonies allemandes, le Congo belge et, éventuellement, les territoires portugais. Du Bois entend également moderniser l’Afrique par l’éducation et l’intégration des Africains dans les gouvernements locaux. Hostile à la propriété privée et favorable à une « socialisation du revenu », il intègre des valeurs communalistes dans sa vision d’une nouvelle société africaine.
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Du Bois cherche à transmettre son mémorandum à l’administration Wilson, qui s’intéresse également au devenir des colonies et, comme l’expliquait le président américain dans son fameux discours en « Quatorze points » prononcé en janvier 1918, à l’« indépendance politique et à l’intégrité territoriale » des « petits comme des grands États ». Mais le projet de Du Bois est rapidement caduc : outre que le président Woodrow Wilson, sudiste et calviniste, doute de la capacité des Noirs à se gouverner eux-mêmes, le sort des anciennes colonies allemandes est secrètement scellé, avant même l’ouverture de la Conférence de paix de Paris en janvier 1919. Convaincu que la voix des Noirs doit être entendue, Du Bois écrit tout de même à Wilson pour demander qu’on lui fasse une place dans la délégation o ficielle américaine invitée aux négociations de paix en France. La réponse tardant à venir, Du Bois quitte les ÉtatsUnis, le 1er décembre 1918, à bord d’un bateau de presse, le Orizaba. Choisi comme correspondant de presse pour se rendre à Paris, il bénéficie ainsi d’un visa, qui sera refusé par la France et les États-Unis à d’autres militants noirs.
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À son arrivée en France, Du Bois apprend que la presse américaine a publié les éléments de son mémorandum (ce qui lui vaut d’être suivi dans toutes ses démarches parisiennes par les services américains) et que son texte a été avalisé par la NAACP lors d’un meeting animé, en janvier 1919, par l’écrivain et cadre de la NAACP James Weldon Johnson et par William Sheppard, un missionnaire afro-américain emprisonné au Congo pour avoir critiqué le régime colonial. Les thèses de Du Bois sont publiées dans le numéro de janvier 1919 de la revue de la NAACP, The Crisis, di fusé à 100 000 exemplaires.
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Jusque-là limitée aux questions nationales, la NAACP, qui n’était pas la seule organisation défendant les Afro-Américains, force sa nature pour embrasser la tendance panafricaine et internationaliste. La capacité de la NAACP à se projeter outre-Atlantique montre qu’elle est mieux organisée que la Ligue internationale des peuples noirs fondée au domicile de la femme d’a faires afro-américaine C.J. Walker le 2 janvier 1919, et brièvement présidée par le révérend et pasteur de l’Église baptiste éthiopienne de Harlem, Adam Clayton Powell Sr. La NAACP a aussi une plus grande audience que la Ligue hamite. Comprenant le journaliste John E. Bruce, G. McLean Ogle et l’activiste et collectionneur afro-portoricain Arthur Schomburg, la Ligue hamite est en réalité une antenne de l’Association universelle pour l’amélioration de la condition du Nègre (Universal Negro Improvement Association, UNIA), le mouvement fondé par Marcus [7] Garvey, rival de la NAACP . En novembre 1918, le jour de l’armistice, l’UNIA organise d’ailleurs une manifestation de plusieurs milliers de personnes qui réclament que les colonies allemandes d’Afrique soient utilisées pour créer un État noir indépendant.
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Le congrès panafricain de 1919 À Paris, W.E.B. Du Bois poursuit ses e forts pour organiser une conférence susceptible de peser sur les décisions des grandes puissances réunies à la Conférence de paix. Pour ce faire, il cherche à rassembler un large comité de soutien et souhaite inscrire la [8] dynamique du congrès dans la durée . Du Bois prend contact avec le célèbre journaliste américain Walter Lippmann, membre de la délégation américaine à la conférence de Paris, et le député français noir Blaise Diagne, récemment réélu dans sa circonscription du Sénégal. Malgré les désaccords qui se manifestent entre les deux hommes, qui s’opposent notamment sur les orientations politiques et économiques à donner au congrès, Du Bois sait qu’il a besoin de Diagne, qui a l’oreille du président du Conseil [9] français, Georges Clemenceau . Multipliant les contacts, il obtient le soutien de la Société de protection des aborigènes d’Angleterre, de la Société américaine de paix, du Bureau international de protection des aborigènes, de l’Institut géographique international à Bruxelles, de la Ligue des droits de l’homme à Paris. Madame CalmannLévy, la veuve du célèbre éditeur, lui prête son salon pour des réunions et des entretiens. Il rencontre également Edmund F. Fredericks, un activiste originaire de la colonie de la Guyane britannique, venu spécialement de Londres pour représenter une association d’Africains et d’Antillais, l’African Progress Union (APU).
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Fort de ces soutiens multiples, Du Bois annonce la tenue du congrès pour les 12 et 13 février 1919, date commémorative de la naissance du président Abraham Lincoln. Mais les services franco-américains, qui redoutent la présence d’individus contestataires et craignent que le rassemblement ne soit l’occasion de discours incendiaires, sont en alerte. Clemenceau demande à Diagne si le congrès a pour but de
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laisser libre cours aux frustrations des troupes africaines. Malgré la réponse rassurante de Diagne, le président du Conseil laisse entendre qu’il n’a pas donné son autorisation à la tenue du congrès et qu’il fait simplement preuve de tolérance. Le sous-secrétaire d’État américain Frank L. Polk précise quant à lui que la Maison-Blanche désapprouve ce congrès. Confronté à l’hostilité des autorités o ficielles et ne disposant que d’un budget dérisoire (750 livres), Du Bois peut se féliciter lorsque le congrès s’ouvre finalement le 19 février, pour deux jours, en présence d’une cinquantaine de délégués, dans une salle du Grand Hôtel du boulevard des Capucines (le secrétariat est situé à l’Hôtel de Malte, rue Richelieu). Diagne est élu président du congrès et Du Bois assure le secrétariat. Venus des États-Unis, d’une demi-douzaine de pays de la Caraïbe et de neuf pays africains, les délégués demandent aux puissances coloniales un engagement juridique et législatif afin de faire respecter les droits des populations africaines en matière d’accès et de contrôle de la terre, d’abolition du travail forcé et de droit à l’éducation. La Société des Nations (SDN) est pressentie pour vérifier la bonne tenue des engagements. Le congrès réclame la mise en place de politiques sociales et d’un programme d’émancipation afin que les Africains se forment à la gestion de l’État moderne. Toutefois, les résolutions passées lors de ce congrès ne sont prises au sérieux par aucun dirigeant occidental. En revanche, la presse ouest-africaine constate que, pour la première fois, des délégués venus de plusieurs territoires africains di férents se sont retrouvés ensemble pour discuter des solutions à apporter à des problèmes communs.
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Le plus di ficile commence à la fin du congrès : donner une visibilité, une audience et une profondeur aux résolutions pour motiver la tenue d’un prochain congrès. Du Bois tente en vain de rencontrer Clemenceau et Wilson. Il parvient en revanche à se faire entendre du Premier ministre britannique Lloyd George, qui lui fait part de sa « considération attentionnée ». La seconde tâche, installer un secrétariat permanent pour préparer la rencontre suivante, prévue à Paris en 1921, est accomplie le 12 mars, lors d’une réunion du comité exécutif du congrès dans le bureau de Diagne. L’objectif est de maintenir la pression pour que des lois pro-africaines soient passées par Londres et Paris sur la question des terres, de l’éducation, du droit du travail, du partage du capital et de la fin de la discrimination.
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Du Bois annonce la formation d’une nouvelle Association panafricaine dotée d’un trimestriel international, Black Review, di fusé en français, anglais, espagnol et portugais. Le 29 avril 1919, il présente ses résolutions devant la Société littéraire de Bethel à Washington. L’une des personnes présentes ce soir-là est Miss Nannie H. Burroughs, présidente de l’École nationale de formation pour femmes. Future [10] membre du bureau de la NAACP, elle est frappée par l’égotisme de Du Bois . Deux ans plus tard, en réponse à un courrier de l’écrivain James Weldon Johnson appelant à financer le congrès de 1921, elle fait part de son scepticisme : Du Bois n’est pas, selon elle, l’homme qu’il faut pour conduire les masses.
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Les conservateurs contre les réformistes (1921) Rayford Logan est l’un des soldats afro-américains qui ont réussi à rester en France après la guerre. À l’été 1921, il reçoit une lettre de son ancienne professeure de français au lycée, Jessie Fauset, devenue éditrice littéraire de la revue de la NAACP The Crisis, qui lui demande d’accueillir Du Bois et de l’aider à organiser le prochain congrès panafricain. Avec une quarantaine de délégués venus d’Afrique, une trentaine des ÉtatsUnis, une vingtaine d’Europe et une demi-douzaine des Antilles, le congrès se déroule en trois temps, de façon itinérante entre Londres, Bruxelles et Paris, du 28 août au [11] 6 septembre . Les di férentes délégations ont pris en charge leurs frais de voyage, et des dons ont été envoyés aux organisateurs par des militants dans les colonies et aux États-Unis. La gauche européenne apporte également un soutien logistique.
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Lors de la première session du congrès, tenue au Central Hall, en face de l’abbaye de [12] Westminster , le militant nigérian L.B. Augusto demande des actes concrets. Tirant la leçon du refus de l’attribution des anciennes colonies allemandes aux Africains en 1919, Augusto lance l’idée d’un plan de rachat de terres en Afrique sur le modèle de la colonisation américaine au Liberia afin de créer un nouvel État indépendant. En matière d’éducation, Jessie Fauset propose de s’appuyer sur l’exemple d’Adelaide Casely[13] Hayford pour promouvoir l’émancipation des jeunes filles . Les communications sont résumées dans un « Manifeste de Londres ». Ce texte souligne notamment la nécessité de corriger l’inégale répartition des richesses entre les métropoles et les colonies, de mettre fin au traitement di férencié des travailleurs selon leur couleur de peau et de combattre la ségrégation raciale aux États-Unis.
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La seconde partie du congrès se tient du 31 août au 2 septembre, au Palais mondial de Bruxelles, qui avait été mis à la disposition des congressistes par l’intermédiaire des militants pacifistes et internationalistes belges Paul Otlet et Henri La Fontaine. Alors que Diagne ouvre les débats par un long discours soulignant que le congrès ne doit pas aborder la question de l’in luence croissante du communisme dans les milieux [14] anticolonialistes, la presse belge scrute les propos de Paul Panda Farnana qu’elle suspecte d’être in luencé par le « communisme international ». Éduqué en Belgique et diplômé en agronomie, premier Congolais diplômé d’une institution occidentale, Panda Farnana s’était fait connaître en janvier 1921 dans deux entretiens accordés aux journaux belges Dernière Heure et Patrie Belge, où il réclamait la formation de médecins, d’enseignants et d’administrateurs congolais. Pour les Belges, toute demande de ce genre ne peut que cacher des in luences étrangères. Un article paru dans Le Flambeau de juillet-août 1921 a firmait que Panda Farnana était lié à l’UNIA, l’organisation fondée par Marcus Garvey et basée à Harlem, regardée à l’époque comme hautement subversive (voir chapitre 5). Il ne fait pourtant que dénoncer la brutalité du colonialisme belge.
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Le dernier débat de la session bruxelloise porte sur le Manifeste de Londres. Il provoque une scission entre les réformistes menés par Du Bois et les conservateurs, majoritairement francophones, menés par Diagne. Rayford Logan, qui sert d’interprète lors de la session bruxelloise, souligne que Du Bois prononce dans son allocution en anglais une phrase demandant que la terre en Afrique soit confiée à une organisation commune. En entendant le mot « common » prononcé par Du Bois, Diagne se braque et établit une référence au soulèvement populaire de la Commune parisienne de 1871. Reprenant immédiatement le contrôle des débats sans se rendre compte de son [15] erreur , le député français refuse catégoriquement d’endosser tout texte qui serait in luencé par le communisme. Diagne s’arrange pour faire voter deux autres motions plus modérées par un petit groupe de délégués et décide de ne pas proposer au vote la motion de Du Bois reprenant le Manifeste de Londres, qui est donc implicitement rejeté.
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La dernière session du congrès à Paris, les 4 et 5 septembre, entérine la rupture entre Du Bois et Diagne. In luencés par ce dernier, les délégués francophones antillais contestent la légitimité de Du Bois à parler au nom des Afro-Américains et à soulever la question des colonies françaises. L’in luence de Clemenceau, qui a pris sa retraite de la vie politique mais qui vient d’e fectuer une tournée en Égypte, au Soudan, en Inde, puis une visite à Londres auprès de Winston Churchill, alors secrétaire d’État au Colonies, et de l’écrivain Rudyard Kipling, continue de peser sur Diagne qui souhaite renvoyer Du Bois aux États-Unis. Prudent, ce dernier maintient le principe de la lutte contre l’oppression raciale dans le monde entier et propose de créer une section parisienne de l’Association panafricaine, présidée par le député de la Guadeloupe Gratien Candace, assisté de Logan et du professeur guadeloupéen Isaac Beton. Le commandant guadeloupéen Camille Mortenol, un ancien capitaine de vaisseau engagé dans la conquête coloniale de Madagascar, et commandant de la défense antiaérienne de Paris pendant la guerre de 1914, assure la trésorerie de cette section dont Diagne s’empresse de prendre la tête pour mieux la faire disparaître.
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La perte de vitesse des congrès panafricains Les tensions entre Du Bois et Diagne se poursuivent à distance dans les mois qui suivent le deuxième congrès, et approfondissent la rupture entre les anglophones et les francophones. Diagne, invité à tenir des conférences aux États-Unis, renonce au projet devant l’opposition de Du Bois. Et lorsque ce dernier envisage d’organiser une session du troisième congrès panafricain à Paris, l’animosité de Diagne et la publication dans un journal français d’un article assimilant le sociologue afro-américain à un disciple de
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Garvey l’empêchent de réaliser ce projet. Marqué par la défection des délégués francophones, le congrès panafricain de 1923 se déroule donc à Londres et, pour la [16] première fois, à Lisbonne . Financée par le Cercle de la paix et des relations étrangères de l’Association nationale des femmes de couleur (National Association of Colored Women, NACW-USA), la session londonienne reçoit le soutien du chef de l’opposition britannique, le travailliste Ramsay MacDonald. Les délégués réitèrent leurs précédentes demandes concernant notamment l’émancipation et le développement de l’Afrique pour les Africains, l’abolition de la ségrégation et l’interdiction du lynchage des Afro-Américains dans les États du sud des États-Unis. Lors de la session de Lisbonne, les Africains des colonies portugaises, organisés en plusieurs associations, réclament une meilleure représentativité politique, des droits de propriété et d’accès à la terre, la mise en place d’une justice avec des jurés locaux, le droit à une éducation élémentaire et à la formation technique et professionnelle, le développement économique et commercial assorti de la répartition juste et équitable des bénéfices, l’abolition des formes d’esclavage et de travail forcé et, de manière inédite, le droit à l’autodéfense y compris par le port d’armes. La longueur des revendications donne une idée de la situation dans les colonies portugaises.
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Entre 1921 et 1923, le désengagement des francophones et de la NAACP de l’organisation des congrès réduit les sources de financement de rencontres qui s’étaient toujours tenues en Europe. Le quatrième congrès, prévu pour 1925, est repoussé de deux ans afin [17] de trouver de nouveaux financements . Ceux-là arrivent sous l’impulsion de groupes [18] de femmes, dont deux se distinguent particulièrement par leurs e forts . Su fragette et militante pacifiste, Addie W. Hunton met à la disposition de Du Bois une importante liste de contacts obtenus dans le cadre de ses précédentes activités militantes à la NAACP, ainsi que de son expérience d’infirmière auprès des soldats noirs basés en France en 1917-1918. Quant à Addie W. Dickerson, une courtière en immobilier mariée à un important avocat noir de Philadelphie, engagée dans la lutte pour les droits civiques, elle mobilise une partie de sa fortune personnelle et de ses contacts. Le planteur de cacao venu de la Gold Coast Chief Amoah III apporte également une contribution financière qui permet au quatrième congrès panafricain de se tenir à l’été 1927 à New York, avec une audience de 5 000 personnes venues écouter les 208 délégués [19] représentant treize pays ou territoires .
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Les congressistes réitèrent les mêmes demandes économiques et sociales que lors des précédents congrès, ce qui leur attire des critiques contradictoires. Les puissances coloniales accusent le congrès d’être infiltré par des communistes et des garveyistes, ce qui est loin d’être le cas, tandis que les communistes noirs comme George Padmore assimilent les congrès panafricains à des manifestations de nationalisme petitbourgeois, renvoyant ainsi Du Bois et Garvey dos à dos.
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Pour tenter de relancer la dynamique et d’échapper aux accusations de sectarisme, décision est prise d’organiser le congrès suivant, prévu pour 1929, à Tunis, sur le sol africain. Mais la crise de 1929 porte un coup fatal aux congrès, presque intégralement financés par les communautés noires. Or, avec la dépression économique, les Noirs sont les premiers à perdre leur emploi et les derniers à en retrouver un. Sur cette situation économique et raciale qui s’est dégradée tout au long des années 1920, Marcus Garvey va bâtir l’UNIA, une organisation populaire prônant le retour en Afrique et la fierté de la race nègre.
Notes [1]
W.E.B. DUBOIS, The World and Africa, International Publishers, New York, 2003, p. 1-15.
[2]
Clarence G. CONTEE, « Du Bois, the NAACP, and the Pan-African Congress of 1919 », Journal of Negro History, vol. 57, n° 1, janvier 1972, p. 17.
[3]
Manning MARABLE, W.E.B. Du Bois, Black Radical Democrat, op. cit., p. 108.
[4]
Benjamin G. BRAWLEY, Africa and the War, Du field & Co., New York, 1918.
[a]
Territoires correspondant respectivement (à quelques tracés frontaliers près) aux actuels Cameroun, Togo, Rwanda, Burundi, Tanzanie et Namibie.
[b]
Le paragraphe 5 de l’article 22 du pacte de la SDN stipule que « le degré de développement où se trouvent d’autres peuples, spécialement ceux de l’Afrique centrale, exige que le Mandataire y assume l’administration du territoire à des conditions qui, avec la prohibition d’abus, tels que la traite des esclaves, le trafic des armes et celui de l’alcool, garantiront la liberté de conscience et de religion, sans autres limitations que celles que peut imposer le maintien de l’ordre public et des bonnes mœurs, et l’interdiction d’établir des fortifications ou des bases militaires ou navales et de donner aux indigènes une instruction militaire, si ce n’est pour la police ou la défense du territoire et qui assureront également aux autres Membres de la Société des conditions d’égalité pour les échanges et le commerce ».
[7]
Clarence G. CONTEE, loc. cit., p. 18.
[8]
Joachim GOMA-THETHET, op. cit., p. 58-61.
[9]
Clarence G. CONTEE, loc. cit., p. 20.
[10]
Ibid., p. 28.
[11]
Joachim GOMA-THETHET, op. cit., p. 61-65.
[12]
W.E.B. DUBOIS, The World and Africa, op. cit., p. 236-240.
[13]
Adelaide Casely-Hayford est issue d’une famille métisse de Freetown, d’origine jamaïcaine et fanti (Ghana). Elle est élevée en Angleterre, puis elle fait des études supérieures en Allemagne. En 1897, Adelaide retourne en Sierra Leone et, six ans plus
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tard, elle épouse l’avocat nationaliste de la Gold Coast Joseph Casely-Hayford. En 1909, elle divorce, ce qui atteste d’une certaine modernité, et en 1914 elle ouvre une école pour jeunes filles. Dans cette école, elle va appliquer une série de principes nationalistes, en demandant aux jeunes filles de ne pas venir dans des tenues occidentales. Elle va également servir de relais au mouvement de Marcus Garvey, qui reposait beaucoup sur les femmes africaines. Voir Adelaide M. CROMWELL, An African Victorian Feminist : The Life and Times of Adelaide Smith Casely Hayford, 1868-1960, Cass, Londres, 1986.
[14]
Didier MUMENGI, Panda Farnana, premier universitaire congolais (1888-1930), L’Harmattan, Paris, 2005.
[15]
Rayford W. LOGAN, « The historical aspects of pan-Africanism. A personal chronicle », African Forum, n° 1, 1965, p. 95.
[16]
Joachim GOMA-THETHET, op. cit., p. 65.
[17]
W.E.B. DUBOIS, The World and Africa, op. cit., p. 242-243.
[18]
Sur l’internationalisme noir et le féminisme, voir Brent H. EDWARDS, The Practice of Diaspora. Literature, Translation and the Rise of Black Internationalism, Harvard University Press, Cambridge, 2003, p. 119-186.
[19]
Joachim GOMA-THETHET, op. cit., p. 65-66.
Plan Les Noirs et la Première Guerre mondiale Les « racines africaines de la guerre » Un nouvel État au cœur du continent ? Le congrès panafricain de 1919 Les conservateurs contre les réformistes (1921) La perte de vitesse des congrès panafricains
5. « Un dieu ! Un but ! Une destinée ! » L’UNIA de Marcus Garvey Amzat Boukari-Yabara Dans Africa Unite ! (2017), pages 77 à 90
Chapitre
L
es premiers groupes de captifs africains déportés pour remplacer les Indiens Arawaks décimés par la conquête espagnole arrivent o ficiellement en Jamaïque en [1] 1517 . L’île, qui était la première étape des bateaux négriers en provenance du continent africain, a servi pendant plus de trois siècles de pivot pour la navigation dans l’Atlantique et la mer des Caraïbes. Au moment où les Britanniques s’en emparent, en 1655, des groupes d’Africains fuient les plantations et partent se réfugier dans les hauteurs de l’île. Connus sous le nom de Marrons, ils mènent une série de guerres [2] contre les Britanniques avant d’être vaincus puis déportés vers la province canadienne de la Nouvelle-Écosse puis, plus tard, en Sierra Leone.
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À l’inverse des colonies nord-américaines, les Antilles ne sont pas des colonies de peuplement. Les îles sont dirigées par des gouverneurs, et les plantations sont souvent gérées par des contremaîtres travaillant pour les propriétaires londoniens. En 1765, on recense environ 450 000 Noirs pour 1 450 000 Blancs dans les colonies continentales nord-américaines. La Jamaïque, qui comptait seulement 1 400 Noirs en 1658, en compte 45 000 dès 1703, contre 8 000 Blancs. En 1787, 25 000 Blancs et 211 000 Noirs se trouvent [3] sur l’île, qui reçoit plus d’un demi-million d’Africains entre 1701 et 1807 . Cet équilibre démographique rappelle la situation de Saint-Domingue, où les Noirs ont arraché leur liberté en 1804. En décembre 1831, une rébellion, lancée par Sam Sharpe, un prédicateur
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baptiste lettré de la région de Montego Bay, au nord-ouest de la Jamaïque, éclate. Bien qu’elle soit rapidement réprimée, elle in luence le débat abolitionniste qui fait alors rage en Grande-Bretagne. L’abolition de l’esclavage, décrétée le 1er août 1834 dans les colonies britanniques, est suivie d’une période de quatre ans dite d’apprentissage afin de former les a franchis. En réalité, il s’agit surtout, pour les anciens propriétaires indemnisés de la perte de leur main-d’œuvre, de réorganiser la production. Un nouveau régime de travail est fondé qui favorise la concurrence entre les Noirs et les travailleurs sous contrat importés d’Inde. Des troubles éclatent régulièrement dans le monde paysan (révolte de Morant Bay en 1865) et les travailleurs réclament de meilleures conditions de travail et une revalorisation des salaires. Le système politique, contrôlé par le gouverneur installé à Kingston, la capitale du territoire, et le Colonial O fice à Londres, couvre un système d’exploitation économique où les lobbies sucriers cèdent du terrain à la toute-puissante multinationale américaine United Fruit Company.
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De la Jamaïque à New York : l’ascension du « roi nègre » de Harlem C’est dans cet univers marqué par des luttes économiques, politiques et sociales sur fond de tensions raciales que Marcus Garvey naît en 1887 à Saint Ann’s Bay, au nord de la Jamaïque. Alors qu’il n’est qu’un adolescent, Garvey part en apprentissage à Kingston dans l’imprimerie de son parrain, avant d’éditer ses premiers journaux dans les années 1900. Engagé dans des cercles de lectures anticolonialistes, il est renvoyé de son travail pour avoir organisé des piquets de grève. Il décide de voyager au Venezuela, en Colombie et en Équateur, puis de traverser l’Amérique centrale, créant au passage le journal La Prensa au Panama et La Nacionale au Costa Rica. Ce voyage initiatique lui fait prendre conscience que le sort des travailleurs jamaïcains est partagé par bien d’autres peuples.
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En 1912, Garvey e fectue un second voyage initiatique en Europe. À Londres, il tente de réaliser une ascension sociale tout en s’intéressant aux enjeux politiques, en particulier [4] au nationalisme irlandais . Garvey visite également une partie du Vieux Continent (Paris, Madrid…), où il est régulièrement pris pour un roi africain, ce qui ne manque pas [5] de latter son ego . Mais c’est à Londres qu’il développe ses facultés de communication. Rédacteur prolifique, jeune mais expérimenté, il intègre l’équipe du journaliste égyptien [6] d’origine soudanaise Dusé Mohamed Ali , qui fonde en 1912 la revue The African Times & Orient Review. Cette expérience lui permet de nouer des contacts dans l’ensemble du monde colonial. C’est également à cette époque qu’il se forme au nationalisme noir en parcourant l’autobiographie de Booker T. Washington, Up from Slavery, et l’essai écrit
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par le militant nationaliste de la Gold Coast Joseph Casely-Hayford, Ethiopia Unbound. En 1914, Garvey décide de rentrer en Jamaïque. En compagnie de celle qui allait devenir sa première épouse et sa collaboratrice, Amy Ashwood Garvey, il fonde en juillet l’Universal Negro Improvement and Conservation Association et l’African Communities League, organisations qui seront refondées à l’été 1917 à New York puis connues dans [a] l’histoire sous l’acronyme UNIA . Se revendiquant de l’universalité, comme son nom l’indique, l’UNIA est née dans un contexte particulier. Dans les années 1910, la détérioration de la situation économique et raciale dans le sud des États-Unis et les besoins industriels dans les centres urbains [8] conduisent à une « Grande Migration » des Noirs vers le Nord et l’Ouest . Les travailleurs antillais qui étaient mobilisés sur la construction du canal de Panama sont également nombreux à rejoindre les villes nord-américaines. La baisse des lux migratoires en provenance d’Europe pendant la Première Guerre mondiale incite les employeurs à se tourner vers les travailleurs noirs, embauchés dans les usines (armement, automobile, sidérurgie), les chantiers (chemins de fer, chantiers navals, bâtiment) et les services de base. Les salaires dans le Nord sont faibles, mais plus substantiels et réguliers que les revenus liés à l’agriculture dans le Sud. Partant en premier, les hommes font ensuite venir leur famille et incitent leurs amis restés dans le Sud à les rejoindre.
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Fuyant les lynchages et la ségrégation du Sud, les Noirs ne sont pourtant pas toujours les bienvenus dans le Nord. Sur le marché de l’emploi, leur arrivée inquiète les travailleurs blancs regroupés au sein de la Fédération américaine du travail (American Federation of Labor, AFL). Les patrons utilisant les Noirs pour faire baisser les salaires et briser les grèves, les syndicats blancs sont peu disposés à défendre les travailleurs noirs. Sur le marché du logement, les politiques publiques et la spéculation immobilière privée favorisent la constitution de ghettos ethniques. C’est parmi les 100 000 à 150 000 Noirs vivant dans le plus célèbre des quartiers afro-américains, Harlem, entre la 125e et la 145e rue du nord de Manhattan, à New York, que Garvey décide de relancer l’UNIA en 1917.
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Initialement, la venue de Garvey aux États-Unis était motivée par son souhait de rencontrer Booker T. Washington et de lui demander conseil en vue de créer, à Kingston, une école comparable à l’Institut Tuskegee. Booker T. Washington décède prématurément le 14 novembre 1915. En mars 1916, Garvey embarque néanmoins pour New York et prend ses quartiers à Harlem. Déçu par l’absence de Du Bois qu’il avait invité à sa première conférence donnée en mai 1916, Garvey perd ses illusions sur l’intellectuel afro-américain en constatant la présence de nombreux Blancs dans les locaux de la NAACP situés sur la 5e avenue.
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Pendant l’été 1916, Garvey se rend à l’Institut Tuskegee, en Alabama. Déçu cette fois-ci par l’accueil de Robert Moton, le successeur de Booker T. Washington, il entame un voyage de six mois dans une quarantaine d’États, dont ceux du sud des États-Unis. Risquant sa vie, il y découvre la ségrégation, la violence et la terreur symbolisée par ces [a] « arbres aux fruits étranges ». Garvey y rencontre également des communautés noires qui tentent de survivre en courbant l’échine ou rêvent d’une terre promise. Intervenant dans les églises, il se construit, grâce à ses talents d’orateur, un large réseau de sympathisants et recrute des militants.
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À son retour à Harlem, Garvey prend ses quartiers à l’angle de la 135e rue et de Lenox Avenue. C’est là que, juché sur son escabeau, il prend l’habitude de haranguer la foule qui se presse, de plus en plus nombreuse, pour écouter ses discours en lammés. Partageant la scène du militantisme radical noir avec le journaliste Hubert Henry Harrison et le syndicaliste Asa Philip Randolph, Garvey et l’UNIA concurrencent Du Bois et la NAACP dans l’analyse de l’actualité afro-américaine et internationale : l’occupation américaine de Haïti (1915), la Première Guerre mondiale, la Révolution russe, le retour d’Europe du régiment noir new-yorkais des Harlem Hellfighters ou encore la recrudescence des lynchages et des émeutes raciales à l’été 1919.
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L’UNIA, la première internationale noire Ciblant le grand public, l’UNIA prend le contre-pied de l’élitisme de la NAACP. L’historien Carter Woodson souligne que, dans les années 1920, les Afro-Américains sont encore trop absents du monde des arts, de l’histoire, de la littérature, de la [10] médecine et des sciences . Selon lui, la tactique du-boisienne du « Talented Tenth » consistant à former une élite de 10 % des Noirs de façon à entraîner les autres vers le sommet creuse en réalité le fossé entre les milieux populaires et l’élite. Précisément, cette élite afro-américaine se perd dans des querelles intestines pour la définition de son leadership et se désintéresse du reste de la population noire. Le point fort de Garvey est de se tourner vers les moins favorisés et de stimuler politiquement leur imaginaire, en les invitant à regarder vers l’Afrique. Renouant avec l’« éthiopianisme » du mouvement [11] religieux millénariste fondé à la fin du XVIIIe siècle par George Liele , Garvey touche simplement la fierté de millions de personnes en les invitant à remplacer l’image d’un Dieu blanc par celle d’un Dieu noir, de la couleur de ceux qui le prient. En cela, Garvey opère une révolution mentale.
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Cherchant à lier sa conception de la fierté raciale avec les a faires, il se rapproche de la riche femme d’a faires afro-américaine Madam C.J. Walker, dont le commerce en produits cosmétiques et capillaires vante la beauté naturelle des Noirs. Les revenus tirés des encarts publicitaires de l’entreprise de cosmétique C.J. Walker permettent à Garvey
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de lancer et développer The Negro World, édité dans un premier temps par son [12] compatriote Wilfred A. Domingo . Après le décès de Madam Walker en 1919, l’UNIA investit dans des commerces, des usines, des restaurants et une compagnie de navigation maritime, la Black Star Line. Grâce aux activités économiques et aux fonds levés par ses militants, Garvey achète en 1919 un immeuble qui sert de siège à l’association. Le bâtiment en briques du Liberty Hall sur la 135e rue devient le centre du monde politique et culturel noir des années 1920. L’inauguration du Liberty Hall et la refondation o ficielle de l’UNIA interviennent de manière symbolique le 1er août 1920, lorsque Garvey lance la première Convention internationale des peuples nègres du monde (First International Convention of the Negro Peoples of the World). Pendant un mois, 35 000 personnes participent aux débats, assistent aux défilés du groupe paramilitaire de la Légion africaine universelle et à celui de la Croix noire, nom de l’organisation des femmes de l’UNIA prenant en charge des activités sociales pour le compte de la communauté noire.
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À la fin de la convention, dans une « Déclaration des droits des peuples nègres du monde », Garvey dénonce la condition noire dans le monde entier et pose les fondements panafricains de l’UNIA. Outre l’égalité raciale, la justice sociale, la dignité et la liberté en toutes choses, le texte demande que l’Afrique soit rendue aux Africains et que leur soient reconnus le droit à l’autodétermination et le contrôle de leurs propres institutions (écoles, commerces, immobilier). Condamnant les con lits entre les Noirs ou impliquant des Noirs comme troupes auxiliaires, Garvey exige que les Noirs puissent choisir leurs représentants dans les a faires internationales, rejette la Société des Nations tant qu’elle ne reconnaîtra pas la liberté des peuples noirs et exige la liberté de navigation et de commerce maritime pour tous les peuples du monde. Pour sceller l’unité noire, l’UNIA introduit un hymne, un drapeau (rouge, noir, vert) et même un jour [13] férié (le 31 août) .
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Avec ces revendications, le mouvement de Garvey rallie les Noirs par-delà leurs appartenances caribéenne, afro-américaine ou africaine. Née en Jamaïque en 1914, refondée aux États-Unis en 1917, popularisée entre 1918 et 1922 grâce à une adhésion massive, l’UNIA est ensuite disséminée à travers le monde, avec une ferveur inégalée, par toute une constellation d’intellectuels, de journalistes, d’artistes, d’aventuriers et de travailleurs de tous les pays. Les idées garveyistes, traduites en français et en espagnol, accompagnent les migrations de travailleurs du Panama, du Venezuela, de la Jamaïque et d’Haïti vers les plantations de canne à Cuba et en République dominicaine. Au milieu des années 1920, l’UNIA compte jusqu’à mille comités dans le monde entier et revendique six millions de membres. En cela, l’UNIA constitue la première véritable [14] internationale noire . En attirant les milieux populaires elle rompt avec la dimension élitiste qui caractérisait le panafricanisme, et donne une plus grande visibilité aux questions raciales et coloniales.
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Répression, éthiopianisme et « Afrique aux Africains » Le succès de Garvey inquiète autant les autorités américaines que son principal rival, Du Bois. Ce dernier, qui avait décliné l’invitation à la convention de 1920, serait tout de [15] même venu assister incognito au sacre de Garvey . Dès 1921, l’hostilité devient publique entre les deux hommes qui espèrent rallier à leur cause la quinzaine de millions de Noirs vivant aux États-Unis et, par la suite, les 400 millions de Noirs vivant dans la Caraïbe et en Afrique. De son côté, le Bureau fédéral d’investigation (FBI) suit chacun des mouvements de Garvey et tente d’établir une liste de ses contacts et des lecteurs du Negro World. L’objectif est de compromettre la réputation de Garvey et la crédibilité de l’UNIA. En passant au crible les opérations financières de la Black Star Line, les services fiscaux concluent à des fraudes dans les comptes de l’entreprise.
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En 1922, Garvey est arrêté, condamné en première instance et détenu une première fois, avant d’être placé en liberté surveillée. Au début de l’année 1925, la cour d’appel confirme le jugement de condamnation de 1922. Un mandat d’arrêt est lancé contre Garvey. Le Noir le plus célèbre de son époque est arrêté par les autorités fédérales à New York, à bord du train qui le ramène d’une visite à Detroit. Le 5 février 1925, menotté, il prend [16] place à bord d’un train qui le conduit au pénitencier fédéral d’Atlanta . Son incarcération laisse le champ libre à Du Bois. Alors que l’UNIA subit une perte de prestige et un déclin économique irréversible, les autorités américaines craignent que l’emprisonnement de Garvey en fasse un martyr. En e fet, une série de pétitions, de rassemblements populaires et d’éditoriaux réclament sa libération.
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Le 18 novembre 1927, six jours après avoir reçu un rapport du procureur, le président américain Calvin Coolidge demande aux agents fédéraux de se rendre à Atlanta, de libérer Garvey, de le conduire en train à La Nouvelle-Orléans et de le faire embarquer incognito sur le SS Saramacca. Mais le 3 décembre, lorsqu’il arrive sous la pluie et sous escorte policière au port louisianais, Garvey est accueilli par plusieurs centaines de militants, pleurant et applaudissant leur leader. Après un discours d’adieu retraçant son engagement, il monte à bord du bateau qui le conduit à Panama, d’où il sera reconduit [17] en Jamaïque .
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À Kingston, il tente en vain de relancer l’UNIA et de fonder un parti. Immédiatement, la classe politique jamaïcaine se ligue contre lui. En revanche, son credo d’une religion africaine, ainsi que d’un dieu de la même couleur que ceux qui le prient, frappe les couches sociales déshéritées de la Jamaïque. Lorsqu’en novembre 1930 la nouvelle arrive à Kingston du couronnement de Ras Tafari Mekonnen comme empereur d’Éthiopie sous le nom de Hailé Sélassié (« la force de la trinité »), les admirateurs de Garvey reprennent une déclaration de leur leader inspirée du fameux psaume 68:31 (« Des grands viendront d’Égypte ; l’Éthiopie tendra les mains vers Dieu ») et adoptent comme
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nom de culte le nom initial de l’empereur, Ras Tafari (qui signifie « la tête de celui qui est craint »). À la tête de la seule nation africaine jamais colonisée, Hailé Sélassié devient un véritable dieu vivant pour les tenants du mouvement rastafari. Garvey, qui n’en demandait pas tant, accède au statut de prophète. Voyageant en Europe, au Canada et aux Antilles dans l’espoir de refonder l’UNIA, les mots d’ordre de Marcus Garvey, « Un dieu ! Un but ! Une destinée ! » et « L’Afrique aux Africains ! », entrent dans le patrimoine du panafricanisme. Bien qu’il meure dans l’anonymat de Londres en juin 1940, il demeure une figure majeure de l’histoire de la cause noire.
Garvey contre Du Bois : deux manières d’être noir [18]
Comme le souligne l’historien George Shepperson , la di férence entre le panafricanisme de Du Bois et le panafricanisme de Garvey peut se résumer ainsi : d’un côté, les demandes politiques d’émancipation réclamées par une élite intellectuelle jugeant ce qui est bon pour le peuple ; de l’autre côté, un mouvement hétérogène qui appelle à la mobilisation des milieux populaires et au renforcement de la solidarité raciale, quitte à en exclure l’élite. Le débat Garvey-Du Bois, ou UNIA-NAACP, montre qu’à l’intérieur d’une même communauté les revendications de la partie la moins autonome du point de vue économique et social – mais la plus importante numériquement – ne sont pas toujours prises en compte lorsque la portion la plus indépendante, et qui a donc accès à l’espace public et politique, se charge d’exprimer les revendications de toute la communauté. La position sociale, le lieu de résidence et la couleur donnent alors un mélange explosif.
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Au début des années 1920, la rivalité entre les deux hommes est résumée de manière caricaturale dans la presse comme une opposition entre le « Nègre » Marcus Garvey, Jamaïcain à la peau noire, et le « Mulâtre » W.E.B. Du Bois, Afro-Américain « de couleur », à la peau claire. Plus tard, dans une réponse au linguiste français Roland Barthes, qui souhaite remplacer le terme « Negro » par « personne de couleur », le linguiste afro-américain John Baugh se référera à une citation de Du Bois qui précisait en 1928 que les noms ne sont que des signes conventionnels pour identifier les choses, mais que la réalité demeure : si les Nègres (Negroes) font l’objet de racisme, cela est lié à leur couleur et non à leur dénomination qui peut en revanche évoluer en fonction de leur statut social.
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Le débat peut paraître anecdotique mais Booker T. Washington, bien qu’il fût clair de peau, et surtout Garvey ont critiqué la prééminence d’une élite au teint « plus clair », qui considérait cette clarté comme le signe d’une supériorité sur les autres Noirs dont elle se voulait pourtant porte-parole. La position essentialiste de Garvey, pour qui la race et la culture sont liées de manière éternelle et inaltérable, diverge de la lecture de Du Bois qui
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estime que l’identité africaine des Noirs en Amérique s’est modifiée au contact d’autres groupes ethniques pour se fondre dans la culture américaine. Pour Du Bois, le Noir est noir par origine et américain de nationalité ou de culture, mais en désirant s’intégrer, il lutte pour sortir du complexe imposé par le voile de couleur qui recouvre cette double identité. Pour Garvey en revanche, le Noir est issu de la race « nègre » et les Noirs du monde entier doivent revendiquer avec fierté leur appartenance commune à l’Afrique. En a firmant que leur seule nationalité est africaine, ils font du retour sur le continent d’origine une étape vers la reconquête de leur souveraineté. Du Bois et Garvey personnifient deux manières d’être noir. Là où le premier, arborant une moustache bismarckienne, apparaît sous les traits d’un dandy occidental, Garvey, a fublé de son légendaire chapeau à plume et de son apparat de style mussolinien, impose, lors des défilés de l’UNIA, l’image d’une Afrique conquérante. Là où Du Bois semble chercher à masquer ses racines africaines en insistant sur ses origines familiales française et hollandaise, Garvey fascine par sa capacité à mettre en scène la fierté nègre. Dans le fond, se demande Du Bois, qu’est-ce qui fait que je me sens lié à l’Afrique ? La couleur est un élément de rapprochement, mais le fondement de l’identité noire est, selon lui, « l’héritage social de l’esclavage ; la discrimination et l’insulte ; et cet héritage nous lie ensemble non seulement avec les enfants de l’Afrique, mais il s’étend à travers [19] l’Asie et dans les mers du Sud. C’est cette unité qui m’attire à l’Afrique ».
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Pour l’historien Ayodele Langley, « il n’y a pas un seul mouvement panafricain mais une série de mouvements panafricains qui assument di férentes caractéristiques dans di férentes aires, sous des directions di férentes, mais largement unies par une [20] idéologie de race et de couleur et par un sentiment d’injustice et d’infériorité ». Ainsi, derrière de nombreuses contradictions liées au fait que son message, de nature populiste, a été librement interprété par ses partisans, Garvey, qui présente régulièrement son mouvement comme un « sionisme de la race nègre », entend porter parmi les Noirs du monde entier le message pan-nègre de la libération de l’Afrique à partir de l’unité de la race. Quant à la pensée de Du Bois, toujours hostile à un mouvement de masse comme celui de Garvey, elle évolue du soutien à l’intégration sur le sol américain à l’anticolonialisme sur le sol africain en passant par le nationalisme noir américain et le combat pour l’autodétermination des « peuples de couleur ».
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Ultérieurement, des penseurs critiques comme Padmore ont estimé que Garvey et Du Bois se rejoignaient sur de nombreux points, notamment l’idée que la conscience d’appartenir à un même ensemble ethnique historiquement victime du racisme ne doit pas conduire les Noirs vers un nationalisme étroit ou un racisme inversé, mais vers un projet politique clair consistant à créer un État en Afrique, soit sous l’impulsion des Noirs de la diaspora, soit en solidarité avec les Noirs restés sur le continent. Sur ce dernier point, il faut relever que le slogan de Garvey n’est pas le « retour en Afrique » mais « l’Afrique aux Africains ». À une époque où le continent est colonisé par les
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puissances européennes, la di férence est importante : les Africains doivent non seulement se retrouver en Afrique, mais ils doivent surtout y recouvrer leur souveraineté. C’est ce qui explique la popularité de Garvey, dès l’entre-deux-guerres, sur le continent africain, et notamment dans les colonies britanniques (Kenya, Ghana, etc.). Ayant lu The Philosophy and Opinions of Marcus Garvey (1926) lors de son séjour estudiantin aux États-Unis, le président ghanéen Kwame Nkrumah précisera en avril 1960, au moment charnière où la plupart des pays africains accéderont à l’indépendance, que le concept garveyiste de l’Afrique aux Africains ne signifie pas que les autres groupes ethniques sont exclus, mais qu’ils doivent accepter de se soumettre démocratiquement à [21] la majorité africaine .
Les Noirs et les « peuples de couleur » Il faut constater que le panafricanisme, dans sa version du-boisienne comme dans sa version garveyiste, ainsi que dans la plupart de ses formules ultérieures, demeure [22] antiraciste et peu revanchard envers les Européens . Dans une période marquée par l’essor du nazisme et du fascisme, les thèses panafricanistes liées à la race et à la nationalité vont plus dans le sens de la défense des Noirs que de l’attaque des Blancs. À aucun moment l’idée de soumettre l’Europe, ou une autre partie du monde, à l’Afrique n’est exprimée. En dépit des siècles d’exploitation et de domination coloniale, le sentiment anti-Blancs est demeuré relativement faible, notamment en Afrique où s’opère le passage du panafricanisme racial au panafricanisme continental. Sauf dans le cas très circonstancié de l’Afrique du Sud et des colonies de peuplement (Algérie, Angola, Kenya, Zimbabwe), et même dans ces territoires-là, en dépit de la propagande, les guerres de libération n’ont heureusement pas donné lieu à une extermination des minorités blanches par les Africains.
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Le débat entre Garvey et Du Bois est donc très important pour comprendre ce sentiment de respect et de timidité envers les Blancs qui pose problème dans l’a firmation d’une indépendance et d’une identité culturelle. Attaché à la pureté de la race noire, Garvey se montre prêt à envisager une collaboration avec le groupe suprémaciste blanc du Ku Klux Klan dans le projet de rapatriement des Noirs en Afrique. Les deux groupes se rencontrent et, bien qu’opposés et agressifs dans leurs discours respectifs, ils arrivent à la conclusion qu’ils ne veulent pas que Noirs et Blancs se mélangent. Le refus de Garvey de s’engager dans la lutte contre la ségrégation est apprécié par les militants du Klan, qui considèrent que le projet de retour en Afrique ne s’oppose pas, au contraire, à leur volonté de préserver la pureté de la race blanche. Garvey va jusqu’à souligner que la politique raciste du Klan est moins hypocrite que celle des leaders noirs qui font alliance avec les Blancs.
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Dans les faits, en dehors de discours et de rencontres, aucune collaboration concrète n’a abouti entre ces deux groupes qui vont à contre-courant de l’histoire. Garvey perd dans ce rapprochement tout son crédit auprès des autres leaders noirs ainsi que d’une grande partie de sa base. Le psychiatre antillais Frantz Fanon dira plus tard que le Noir aliéné cherche à plaire aux Blancs, y compris si cela le conduit à adopter une démarche schizophrénique. La désaliénation raciale consiste à rendre le Noir capable de voir le blanc comme une couleur comme une autre, et non comme la couleur du pouvoir ou de [23] dieu .
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Il faut noter que la philosophie raciale de Garvey a évolué avec le temps. À l’époque où il contribuait, à Londres, au journal de Dusé Mohamed Ali, The African Times & Orient Review – avec lequel collaboraient également l’Afro-Américain Booker T. Washington, le Sud-Africain Josiah Gumede, le Ghanéen Kobina Sekyi, les Indiens Sundara Raja et Za far Ali Khan, l’Égyptien Muhamad Farid ou encore l’Irlandais Franck O’Donnell –, il était parfaitement à l’aise dans la solidarité interraciale. À cette période, Garvey partageait l’enthousiasme de Mohamed Ali pour le Wafd, le parti indépendantiste égyptien de Saad Zaghloul, et exprimait sa solidarité avec l’émir nationaliste marocain Abdelkrim. Et lorsqu’il s’installait à Harlem, son public n’était pas exclusivement noir : le futur leader nationaliste vietnamien Hô Chi Minh, présent à New York en 1917 et 1918, avait lui-même assisté à l’une de ses allocutions.
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En réalité, la philosophie de Garvey di fère en partie des orientations de son organisation, qui va progressivement lui échapper. Tout d’abord, Garvey a une connaissance bien plus limitée que Du Bois des structures, des nations et des sociétés africaines, ce qui l’amène à résumer la culture à un simple mélange de la race et de la couleur. Ainsi, il développe dans ses discours une conception biologique de la race mélangée à une interprétation de l’histoire biblique afin de renverser les théories négrophobes du XIXe siècle. En inversant le symbolisme des couleurs, il inspire l’idée de la Beauté noire (Black is beautiful), reprise par le mouvement de la Renaissance de Harlem dans les années 1920 et par le mouvement d’autodétermination du Pouvoir noir (Black power) dans les années 1960.
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Ensuite, en tenant des propos hostiles au métissage, accusé de favoriser l’assimilation culturelle des peuples noirs, puis en appelant à la formation du « nouveau Nègre » pour le besoin d’une rédemption et d’une régénération de la race, Garvey se donne l’image du « champion de la race nègre ». Or l’UNIA compte un nombre important d’Américains et d’Antillais métis, évoluant dans une société américaine où, au contraire de la Jamaïque et des autres îles antillaises, les personnes métisses sont considérées comme noires. Les cadres de l’UNIA seront ainsi les premiers à reprocher à Garvey d’être en contact avec l’organisation suprémaciste blanche du Ku Klux Klan. En décidant de se consacrer entièrement à sa vision messianique d’une Afrique forte, unie et libérée, imposant sa
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volonté et faisant la fierté de tous les Noirs du monde, Garvey gagne dans la solidarité raciale (« noire ») ce qu’il perd dans la solidarité interraciale (« de couleur ») dont il avait été un pionnier lors de son passage à Londres. Alors que le mouvement des congrès panafricains et l’engagement de Du Bois en faveur des « peuples de couleur » dépassent rapidement le cadre des États-Unis pour embrasser [24] l’ensemble du monde sous domination coloniale , Garvey se concentre sur l’Afrique noire, où il n’a pourtant jamais eu l’occasion de se rendre mais où son in luence grandit à partir des années 1920.
Notes [1]
Hazzell BENNETT et Philip SHERLOCK, The Story of Jamaican People, Ian Randle, Kingston, 1998.
[2]
Marvis C. CAMPBELL, The Marroons of Jamaica, 1655-1796, Bergin and Garvey, Grancy, 1988.
[3]
Hazzell BENNETT et Philip SHERLOCK, op. cit., p. 93, p. 126-133.
[4]
Colin GRANT, op. cit., p. 197-198.
[5]
Ibid., p. 46.
[6]
Hakim ADI et Marika SHERWOOD, op. cit., p. 1-6.
[a]
Le développement de l’organisation dans le monde entier et les déboires fiscaux de Garvey entraînent ensuite des schismes et des con lits autour de l’utilisation de l’acronyme.
[8]
Thomas SOWELL, L’Amérique des ethnies, L’Âge d’Homme, Lausanne, 1983, p. 198-200.
[a]
Référence aux Noirs lynchés et pendus aux branches, décrits de manière métaphorique dans la chanson Strange Fruit interprétée par la chanteuse de jazz Billie Holiday.
[10]
Carter G. WOODSON, The Mis-Education of the Negro, AMS press, New York, 1977.
[11]
Sur « les sources et les contours de l’éthiopianisme », voir Giulia BONACCI, Exodus ! L’histoire du retour des Rastafariens en Éthiopie, Scali, Paris, 2007, p. 95-151.
[12]
Colin GRANT, op. cit., p. 53.
[13]
OIF, Le Mouvement panafricaniste…, op. cit., p. 99-107.
[14]
Robert HILL, The Marcus Garvey and UNIA Papers, University of California Press, Berkeley-Los Angeles, 1983.
[15]
Colin GRANT, op. cit., p. 244 et suiv.
32
[16]
Ibid., p. 390-393.
[17]
Ibid., p. 410-412.
[18]
George SHEPPERSON, « Pan-Africanism and “Pan-Africanism” : Some historical notes », Phylon, vol. 23, n° 4, 1962, p. 346-358.
[19]
Colin LEGUM, op. cit., p. 24.
[20]
J. Ayodele LANGLEY, op. cit., p. 369.
[21]
Ali MAZRUI, Towards a Pax Africana : A Study of Ideology and Ambition, Weidenfeld & Nicolson, Londres, 1967, p. 62.
[22]
Colin LEGUM, op. cit., p. 34-36.
[23]
Maboula SOUMAHORO, « La couleur de Dieu ? Regards croisés sur la Nation d’Islam et le Rastafarisme, 1930-1950 », thèse de doctorat, université de Tours, 30 juin 2008.
[24]
W.E.B. DUBOIS, On Asia. Crossing the World Color Line, University Press of Mississippi, Jackson, 2005.
Plan De la Jamaïque à New York : l’ascension du « roi nègre » de Harlem L’UNIA, la première internationale noire Répression, éthiopianisme et « Afrique aux Africains » Garvey contre Du Bois : deux manières d’être noir Les Noirs et les « peuples de couleur »
Auteur
6. « Je n’abandonnerai pas un continent pour une île ! » Le mouvement garveyiste en Afrique Amzat Boukari-Yabara Dans Africa Unite ! (2017), pages 91 à 100
Chapitre
A
u début des années 1910, Chief Sam, le petit-fils d’un chef de la Gold Coast qui a fait fortune à New York dans le commerce transatlantique de cacao, décide de créer sa [1] propre compagnie . Son objectif est d’encourager l’installation des meilleurs fermiers et mécaniciens afro-américains dans di férentes régions ouest-africaines pour faciliter la modernisation de l’agriculture, et développer les secteurs minier et bancaire ouest-africains. Le projet inquiète immédiatement les autorités américaines et britanniques. Au début de l’été 1914, alors qu’il fait route vers la Gold Coast en compagnie d’une soixantaine de membres de la communauté afro-américaine de [A] l’Oklahoma , son bateau est arraisonné par la marine de guerre britannique au large du Cap-Vert, puis escorté jusqu’en Sierra Leone, où les passagers sont débarqués.
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C’est en ayant conscience du contrôle des autorités coloniales sur la navigation transatlantique que Garvey décide à son tour de créer, sur souscription, la compagnie maritime de la Black Star Line en 1919. Celle-ci a pour objectif d’assurer le rapatriement des millions de Noirs des Amériques en Afrique, et le développement des relations commerciales entre les hommes d’a faires afro-américains, antillais et ouest-africains. Toutefois, en raison de la menace qu’il représente pour les intérêts colonialistes, Garvey, qui se voulait « africain » plus que « jamaïcain » (« Je n’abandonnerai pas un continent pour une île ! », expliquait-il), ne parviendra jamais à se rendre en Afrique. En revanche, il tente d’implanter son organisation, l’UNIA, au Liberia.
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L’UNIA au Liberia : l’impossible retour en Afrique ? En 1918, Garvey lance une pétition destinée à la future Société des Nations (SDN) pour réserver les colonies perdues par l’Allemagne à la création d’un État indépendant accueillant les Noirs de la diaspora. La pétition est rejetée, et les puissances impérialistes se partagent les restes de l’empire allemand sous couvert de mandats de la SDN. L’absence d’un gouvernement représentatif de la diaspora africaine est un obstacle juridique à l’exécution du projet. Tout comme Du Bois était passé par Blaise Diagne pour organiser le Congrès panafricain de 1919 à Paris, Garvey contacte directement le [3] gouvernement du Liberia pour créer un partenariat .
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En 1920, le Liberia compte un peu plus de 500 000 habitants dont plus de 15 000 Américano-Libériens revenus entre 1822 et 1900, et quelques centaines d’Antillais. Dans un système de type féodal, les terres appartiennent à une vingtaine de familles américano-libériennes, qui détiennent les leviers du pouvoir. Le gouvernement libérien dispose d’une force armée (Liberian Frontier Force) qui lui permet de dominer les zones autochtones. Jusqu’à un tiers du budget de l’État libérien provient de la taxe des travailleurs africains, dont l’élite elle-même ne s’acquitte pas.
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Cette situation injuste entraîne les soulèvements de plusieurs peuples africains qui sont réprimés par les troupes américano-libériennes. Par ailleurs, les incidents libériens débordent sur le territoire britannique de la Sierra Leone et sur les colonies françaises voisines (Guinée, Côte d’Ivoire). La Grande-Bretagne et la France ont donc intérêt au maintien de l’ordre au Liberia. Dès lors, les missions de l’UNIA sont évaluées par Monrovia en fonction des intérêts et des perspectives économiques pour le pays, de la politique américaine et, enfin, des relations entre le Liberia et ses voisins britanniques et français d’une part, et entre ses voisins et l’UNIA, d’autre part.
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Au mois de mai 1920, Elie Garcia, émissaire de Garvey, visite le Liberia pendant deux mois. Il rencontre notamment le président, Charles D.B. King, et son secrétaire d’État Edwin J. Barclay. À son retour, il adresse une note à Garvey soulignant que la première di ficulté concerne les relations entre les Américano-Libériens et les populations locales. Très critique, Garcia accuse notamment les premiers de maintenir les seconds dans une situation de quasi-esclavage sous couvert de la domesticité ou de l’adoption d’enfants (favorisée par les familles africaines qui espèrent o frir à leur progéniture un destin meilleur en leur confiant leurs enfants). La deuxième di ficulté est d’ordre politique : les Libériens, indépendants depuis 1847, craignent que les projets de Garvey n’entament leur souveraineté. Aussi Garcia recommande-t-il de mener le projet de rapatriement avec discrétion et modestie, et d’éviter d’in luer sur la vie politique locale. Or Garvey, qui n’hésite pas à s’a fubler du titre de « président provisoire de l’Afrique », montre dès le départ son ambition de se placer au-dessus du président libérien.
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Mais la principale di ficulté, qui peut se retourner en opportunité pour l’UNIA, est d’ordre économique : le gouvernement libérien, lourdement endetté auprès des Britanniques et des Américains, se trouve dans une situation financière catastrophique. Alors que les banques londoniennes hésitent, en décembre 1920, à accorder un prêt au Liberia, Garvey annonce que l’UNIA est en mesure de soutenir financièrement le pays et s’engage à lever des souscriptions pour rembourser les emprunts de Monrovia. Edwin J. Barclay accepte alors d’accueillir une mission de six délégués de l’UNIA en février 1921.
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Le 20 mars 1921, Cyril A. Critchlow, chef de la mission de l’UNIA, son assistant George Osborne Marke et l’homme d’a faires Gabriel M. Johnson s’entretiennent avec Barclay. Leur objectif est d’établir une ferme et une pharmacie à Monrovia et de construire les logements temporaires destinés aux immigrés afro-américains. Le don de terrains en dehors de Monrovia est confirmé et l’agronome au service de l’UNIA commence le travail avec une équipe locale. Mais il manque rapidement de fonds. Critchlow sent que l’immigration afro-américaine n’est plus souhaitée au Liberia, sauf si elle concerne des riches. « On aime leur argent mais eux-mêmes, on ne les aime pas », écrit-il lorsque la [4] mission rentre aux États-Unis en juillet 1921, sans avoir atteint ses objectifs .
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La propagande antigarveyiste qui se développe à la même période avec le soutien de Du Bois convainc les autorités libériennes de regarder l’UNIA avec plus de circonspection. Organisation plus politique que philanthropique, elle semble poser plus de problèmes qu’elle n’apporte de solutions. L’immigration massive de garveyistes risque surtout de bouleverser le statu quo favorable à l’oligarchie américano-libérienne. En donnant des terres près de Monrovia, le gouvernement veut s’assurer que les garveyistes resteront dans un petit périmètre contrôlé et n’iront pas répandre leurs idées à l’intérieur du pays.
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Alors que le Liberia connaît une reprise économique en 1922, grâce à la vente de propriétés allemandes confisquées pendant la guerre, le soutien économique promis par l’UNIA devient moins nécessaire. Surtout, en 1923, l’industriel Harvey S. Firestone, spécialisé dans la fabrication de pneumatiques en caoutchouc, entre en négociation avec le régime de Monrovia et obtient, l’année suivante, une vaste concession pour développer une plantation d’hévéa. Pour le gouvernement libérien, cet arrangement apparaît comme une aubaine : craignant les conséquences d’une forte immigration sur la situation sociale déjà marquée par un taux élevé de chômage, les usines Firestone devraient permettre de créer des emplois et générer, grâce aux taxes sur la production et l’exportation d’hévéa, d’importants revenus. Par ailleurs, il est plus facile de contrôler des travailleurs de la Firestone que des militants de l’UNIA.
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Mais l’UNIA insiste. En décembre 1923, trois membres de l’organisation garveyiste reviennent au Liberia pour poursuivre les discussions avec le président King. Leur projet prévoit le rapatriement de dizaines de milliers d’Afro-Américains (jusqu’à
11
[5]
30 000 familles) dans un délai de deux ans à compter de septembre 1924 . Alors que le Liberia est en litige frontalier avec la France et l’Angleterre, l’UNIA envisage la création de six colonies, de 5 000 familles chacune : quatre sur la frontière avec la France et deux sur la frontière britannique. Le projet de l’UNIA, qui a déjà rassemblé des fonds importants pour le mettre à exécution, ne manque pas d’inquiéter les autorités libériennes qui, jugeant les ambitions de Garvey démesurées, craignent de voir déferler les immigrants sur leur territoire. Mais le projet inquiète aussi le département d’État américain qui fait pression pour obtenir des autorités libériennes le nom de tous les membres de l’UNIA impliqués dans les discussions. Pour contrer le projet garveyiste, le président Coolidge nomme Du Bois comme représentant o ficiel des États-Unis aux cérémonies d’investiture du président King, réélu pour quatre ans, qui se tiennent à Monrovia en janvier 1924.
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Le plus grand opposant de Garvey peut ainsi passer trois mois au Liberia, au cours desquels il sape définitivement le travail et la réputation de l’UNIA. Du Bois, ignorant le traitement réservé aux Africains par l’élite dirigeante, prend parti pour les AméricanoLibériens. Favorable au projet de Firestone, il demande au gouvernement américain de s’engager davantage, en investissant au Liberia et en y envoyant des économistes, des enseignants et des ingénieurs agronomes. Lorsqu’il revient aux États-Unis en mai 1924, Du Bois déclare que Garvey est « sans aucun doute l’ennemi le plus dangereux de la race [6] nègre en Amérique et dans le monde ».
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Dès lors, la conviction des autorités libériennes est faite. En mars 1924, Garvey écrit au président King pour lui annoncer l’envoi d’une nouvelle mission d’ici la fin de l’année 1924. Diplomate, King donne son accord formel, mais fait arrêter les représentants garveyistes à leur arrivée, avant de les faire expulser. Craignant l’in luence étrangère des nouveaux immigrants, qui menaçaient les intérêts des Américano-Libériens, et les tendances anticolonialistes de l’UNIA, susceptibles d’encourager les Africains à la révolte, le gouvernement libérien finit par interdire le mouvement de Garvey. Le régime libérien tourne définitivement le dos à des milliers de Noirs qui étaient prêts à mettre leur propre argent au service de l’indépendance économique du pays.
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La dynamique qui aurait résulté d’un accord entre les Africains du Liberia et la puissante organisation de Garvey inquiète Londres et Paris, hostiles à tout projet susceptible de faire du Liberia une puissance ouest-africaine réellement indépendante, non seulement politiquement mais économiquement. État indépendant, donc censé être maître de sa diplomatie, le Liberia reste en réalité extrêmement dépendant de Paris, Londres et Washington, dont il sollicite jour et nuit les faveurs.
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Influences et répression du garveyisme en Afrique
L’échec libérien marque la fin du projet global de retour en Afrique, mais des initiatives [7] garveyistes apparaissent directement sur le continent . Dans les années 1920, des sections de l’UNIA voient le jour dans di férentes villes du continent et le journal de l’organisation, The Negro World, est di fusé clandestinement dans tous les ports africains, au grand dam des autorités belges, françaises et britanniques qui, comme leurs homologues américaines, redoutent les e fets d’une propagande qui promeut la fierté noire et réclame ouvertement l’émancipation des colonisés.
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Logiquement, les territoires anglophones d’Afrique sont les premiers sensibilisés à la [8] pensée garveyiste . En mars 1920, une section de l’UNIA s’installe à Lagos (Nigeria) à côté du bureau de la Black Star Line Corporation. O ficialisée par une annonce parue en septembre 1920 dans le journal progarveyiste Lagos Weekly Record, elle est présidée par l’entrepreneur d’origine jamaïcaine Amos S.W. Shackleford, assisté d’un secrétaire et d’un trésorier. Disposant d’un bureau et d’une section féminine, elle organise des rencontres chaque samedi dans une école. C’est également en mars 1920 qu’une section de l’UNIA se forme à Freetown, autour d’un petit groupe d’Afro-Américains. Finançant quelques activités sociales et culturelles, elle dispose également d’une section féminine, dirigée par Adelaide Casely-Hayford, qui collecte des fonds pour ouvrir des écoles de filles dans la colonie. Plutôt bien organisée, la section garveyiste sierra-léonaise parvient à envoyer un délégué à la convention de l’UNIA de 1920.
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Les colonies françaises sont également touchées par le mouvement garveyiste. En mai 1922, le Sierra-Léonais John Karamah établit une section de l’UNIA à Dakar (Sénégal). Karamah visite ensuite des groupes de compatriotes à Rufisque où il ouvre une seconde branche. La section sénégalaise fonctionne davantage comme un service d’entraide pour trouver du travail, obtenir des prêts, trouver des groupes et des musiciens pour animer les événements sociaux. La présence de ce petit groupe de garveyistes sierra-léonais au Sénégal alarme cependant les autorités françaises qui perquisitionnent le local de Rufisque, ainsi que le domicile des membres de la section [9] qui seront expulsés vers Freetown .
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En 1922, alors que l’arrestation de Garvey aux États-Unis marque un coup d’arrêt à la section de l’UNIA à Lagos, les autorités françaises, qui s’inquiètent de l’in luence du mouvement dans la région, demandent au gouverneur britannique du Nigeria, Hugh Cli ford, un rapport d’activité sur la branche garveyiste. L’enquête souligne que la branche de Lagos compte au maximum 300 membres, dont seulement 28 sont à jour de leur cotisation. À l’évidence la section nigériane de l’UNIA est en perte de vitesse à cette période. Alors que Cli ford réforme les institutions politiques dans la colonie pour contrer les revendications nationalistes naissantes (voir chapitre 7), les antigarveyistes nigérians donnent de la voix. Ce qui n’est pas pour déplaire aux autorités britanniques : The Negro World est interdit au Nigeria en juin 1922. Mais le garveyisme, qui continue à faire des émules dans toutes les colonies britanniques, reste sous haute surveillance.
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L’in luence du garveyisme inquiète également les autorités belges, qui, lors de la session bruxelloise du congrès panafricain de 1921, redoutaient d’être face à un mouvement sous obédience communiste. Au Congo, territoire de missions chrétiennes et terrain de jeu du capitalisme colonial, elles croient aussi déceler dans l’épopée du prédicateur Simon Kimbangu, natif de Nkamba (Bas-Congo), l’in luence grandissante du leader jamaïcain. Pour le gouvernement belge, l’émergence concomitante du garveyisme, di fusé notamment par un petit groupe de travailleurs afro-américains des Huileries du Congo belge, et de ce qu’on appellera par la suite le « kimbanguisme » n’est pas un hasard. Comme Garvey, Kimbangu appelle les Africains à créer leur propre organisation religieuse et, à l’instar de l’UNIA qui proteste contre l’exploitation des Africains dans les plantations d’hévéa de la Firestone au Liberia, le prédicateur dénonce le travail forcé, la violence et l’injustice caractérisée par le paiement de l’impôt non assorti de l’octroi des droits élémentaires.
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Constatant l’in luence grandissante de Kimbangu sur les populations, qui lui prêtent des dons de guérisseur et se montrent sensibles à ses accents nationalistes, les autorités belges décident d’arrêter le gêneur. En clandestinité, le « prophète » continue à prêcher et à former des disciples qui di fusent son message de libération du Congo. Finalement arrêté en septembre 1921, il est condamné, à l’issue d’un simulacre de procès, à la peine de mort (commuée en une peine d’emprisonnement à perpétuité). Le kimbanguisme, qui témoigne de l’in luence des messianismes noirs dans le renouveau nationaliste politique et culturel, ne s’éteint pas pour autant. Le mouvement, réprimé dans les années 1920, finira par s’institutionnaliser : les autorités belges reconnaîtront o ficiellement l’Église kimbanguiste en 1959, un an avant l’indépendance du Congo.
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Malgré la répression qui s’abat sur les mouvements garveyistes, en Amérique comme dans les colonies européennes d’Afrique, le mouvement reste perçu comme une menace.
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« Américaniser l’Afrique » ou « africaniser l’Amérique » ? Curieusement, jusqu’à la marche vers le pouvoir et l’indépendance empruntée par Nkrumah à partir de 1951 (voir chapitre 10), la Gold Coast est restée plutôt critique vis-àvis des projets de Garvey. La presse n’encense pas les projets de retour, et l’élite politique garde ses distances avec le garveyisme. C’est le cas en particulier de Kobina Sekyi. Certes, cet avocat de la cause nationaliste soutient que toute manifestation d’un Noir qui déclenche la crainte des puissances coloniales mérite de recevoir le soutien massif de tous les Africains : constatant que les critiques adressées à Garvey ne reposent que sur des faits non établis, il invite donc les nationalistes africains à s’intéresser aux mouvements créés par les Noirs vivant en dehors du continent et se montre favorable à une coopération technique et universitaire avec les Noirs des Amériques.
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Cependant, Kobina Sekyi estime que les Afro-Américains sont empreints de la vision anglo-saxonne et des préjugés racistes, ce qui devait les exclure d’o fice de la direction des a faires africaines. Les Afro-Américains, note-t-il, viennent d’une société occidentale qui n’a rien à apprendre aux Africains en matière d’institutions politiques. Marcus Garvey a certes un projet politique pour l’Afrique, mais il ne connaît pas assez l’histoire politique et les réalités économiques et sociales du continent, estime Kobina Sekyi. Lequel ajoute, dans un texte publié au milieu des années 1920, alors que les revendications nationalistes émergent en Gold Coast :
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Nous en Afrique pouvons a firmer – et le faisons – être les seules personnes qualifiées pour maintenir au bon niveau le ton et l’esprit d’agitation actuels, parce que nous possédons et sommes dotés des grandes et glorieuses traditions de nos ancêtres, et des institutions politiques et sociales sans pareilles que nos ancêtres ont perfectionnées il y a longtemps, et qu’il est de notre devoir sacré de préserver des incursions de [10] l’irresponsabilité européenne au regard des choses non européennes .
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Les propos sont limpides et témoignent d’une époque où l’idée de « retour en Afrique » (Back to Africa) cède le pas devant le slogan de « l’Afrique aux Africains » (Africa for the Africans). Puisque l’Afrique doit donc revenir aux « Africains », ces derniers doivent cesser d’importer des institutions étrangères et puiser dans leur propre histoire pour construire leur avenir. Parmi les nombreuses références possibles de forme d’unité ou de proto-panafricanisme ouest-africain, le cas des grands empires du Mali, fondé au XIII e siècle par Soundiata Keita, et celui, plus récent, de la Confédération Fanti sont évidents. Les peuples Fanti de l’actuel Ghana, qui avaient combattu les Britanniques avant de les aider à dominer les Ashanti, espéraient s’organiser en toute liberté. En 1871, la Confédération Fanti promulgue une Constitution d’une quarantaine d’articles qui insiste sur l’unité, l’éducation, le développement économique et social des [11] populations . Tout ce que la colonisation prétend vouloir apporter aux Africains est bien souvent déjà contenu dans des projets de gouvernements africains précoloniaux, et l’une des premières tâches du colonisateur est d’éliminer l’intelligentsia progressiste à l’origine de ces projets.
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Analysant les échecs du Liberia et d’Haïti, que des penseurs afro-américains essaient, à la même époque, de présenter comme des modèles, et anticipant les problèmes que rencontreront les futurs États nés de la décolonisation, Kobina Sekyi explique que les Noirs ont été mal inspirés de vouloir reprendre à tout prix des modèles d’organisation étatique issus de la théorie politique européenne. À ses yeux, Haïti et le Liberia sont déjà des États artificiels. Kobina Sekyi anticipe ainsi la thèse de la balkanisation de l’Afrique qui trouve, selon lui, son origine au cœur même de la fondation des premiers États noirs
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de la période postesclavagiste : les Noirs d’Haïti et du Liberia n’avaient pas su fisamment de recul pour réaliser les objectifs qu’ils s’étaient fixés. Il vaut mieux [12] essayer d’« africaniser l’Amérique que d’américaniser l’Afrique », conclut-il .
Notes [1]
Colin GRANT, op. cit., p. 272.
[A]
En 1879-1880, environ 50 000 Afro-Américains quittent dans un « Grand Exode » les anciens États confédérés du Sud pour créer de nouvelles communautés rurales dans les États du Mid-West (Indiana, Missouri, Kansas et Illinois). L’ancien fugitif et abolitionniste Benjamin « Pap » Singleton présente ces États comme des terres d’opportunité. En 1889-90, après l’échec de sa compagnie United Transatlantic Society (UTS) créée dans le but d’organiser le retour des Noirs en Afrique, Singleton milite en vain pour que l’État nouvellement créé de l’Oklahoma soit réservé aux Noirs.
[3]
Monday B. AKPAN, « Liberia and the Universal Negro Improvement Association. The background to the abortion of Garvey’s scheme for African colonization », The Journal of African History, vol. 14, n° 1, 1973, p. 105-127.
[4]
Ibid., p. 119.
[5]
J. Ayodele LANGLEY, op. cit., p. 96.
[6]
Monday B. AKPAN, loc. cit., p. 123.
[7]
Joachim GOMA-THETHET, op. cit., p. 75-76.
[8]
Rina L. OKONKWO, « The Garvey Movement in British West Africa », Journal of African History, vol. 21, n° 1, 1980, p. 105-117.
[9]
Ibid., p. 109.
[10]
Cité in J. Ayodele LANGLEY, op. cit., p. 100.
[11]
W.E.B. DUBOIS, The World and Africa, op. cit., p. 38-39, p. 161-162.
[12]
Cité in James C. BOYD, Garvey, Garveyism, and the Antinomies in Black Redemption, Africa World Press, Trenton, N.J., 2009, p. 241.
Plan
7. Organiser le panafricanisme depuis l’Afrique. Le Congrès national de l’Afrique de l’Ouest britannique (NCBWA) Amzat Boukari-Yabara Dans Africa Unite ! (2017), pages 101 à 112
Chapitre
L
e nationalisme africain s’inscrit dans les lux et les re lux des résistances au colonialisme. Après une phase protonationaliste correspondant aux résistances à la conquête coloniale et aux tentatives pour maintenir les anciens régimes africains, la première phase nationaliste apparaît dans l’entre-deux-guerres, sous la direction d’une nouvelle classe d’Africains qui, formés dans le cadre du système colonial ou missionnaire, vont réagir à ce même système. La guerre de 1914, qui prouve les contradictions du système colonial, et la révolution russe de 1917, qui démontre qu’un autre système socioéconomique est possible, vont o frir aux nouvelles élites africaines des sources pour mener l’agitation politique.
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C’est dans ce contexte que des Africains, pour la plupart formés en Europe ou en Amérique, fondent les premiers partis ou associations nationalistes. Si la volonté d’émancipation est clairement a fichée, la forme que doit prendre ce « nationalisme » est moins évidente. Faut-il l’inscrire dans les frontières dessinées par les puissances coloniales ? Faut-il plutôt impulser une dynamique interterritoriale ? Faut-il ré léchir dans un cadre alternatif – celui, par exemple, des aires culturelles et linguistiques précoloniales ? Et quel est l’objectif final des revendications nationalistes : obtenir une autonomie simplement politique, au sens strict du terme, qui profiterait en priorité aux
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élites occidentalisées ? Doit-elle, au contraire, chercher l’émancipation socioéconomique et bénéficier à l’ensemble de la population écrasée par le système d’exploitation coloniale ? De façon plus ou moins explicite, le Congrès national de l’Afrique de l’Ouest britannique (National Congress of British West Africa, NCBWA), créé au lendemain de la Première Guerre mondiale, tente d’apporter des réponses à ces questions. S’appuyant sur les institutions coloniales établies par les Britanniques, ses animateurs tentent cependant de les dépasser en initiant un regroupement interterritorial à l’échelle ouest-africaine. En ce sens, le NCBWA constitue une des premières expériences politiques de construction panafricaine.
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Les organisateurs des congrès panafricains dans les années 1920, à commencer par Du Bois, entretiennent une relation ambivalente avec le nationalisme ouest-africain. Les rapports des congrès, auxquels participent des délégués venus des colonies britanniques, sont certes publiés dans la presse ouest-africaine. Mais, dans le fond, l’impact de ces congrès tenus dans les métropoles occidentales est assez faible sur la vie politique africaine. Dans les années 1920 et 1930, les idées de Garvey sont bien plus in luentes dans cette région marquée par l’essor d’une élite intellectuelle nationaliste, l’émergence d’un groupe social d’anciens combattants et la montée des organisations syndicales dans les secteurs industriels (ports, mines, chemins de fer).
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Entre le premier congrès panafricain organisé par Du Bois à Paris (février 1919) et la première convention de l’UNIA de Garvey à New York (août 1920), les Africains redoutent qu’en l’absence de délégués pour les représenter et défendre leurs intérêts, les Afro-Américains et les Antillais prennent la liberté de parler en leur nom sans aucune [1] connaissance de la réalité de la situation en Afrique . Par ailleurs, la publicité donnée par la presse ouest-africaine et afro-américaine au congrès de 1919 et les projets concrets de l’UNIA pour l’Afrique incitent les Africains à faire entendre leur voix. Ils doivent montrer qu’ils sont en mesure de défendre leur cause eux-mêmes. Avec la naissance du NCBWA en mars 1920, le panafricanisme se développe sur le continent, en assurant la transition du nationalisme racial et culturel, inspiré de Blyden et Garvey, vers un [2] nationalisme territorial, anticipant le panafricanisme continental d’après 1945 .
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Joseph Ephraim Casely-Hayford Le panafricanisme trouve une partie de ses origines dans les idées abolitionnistes, en particulier celles qui sont venues des Amériques et qui ont touché l’Afrique de l’Ouest à la fin du XIXe siècle. Portée par le dynamisme des Saros, la diaspora sierra-léonaise occidentalisée et christianisée parcourant l’ensemble de la côte ouest-africaine, ces idées ont contribué à internationaliser le nationalisme africain au moment où le système
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colonial se mettait en place . L’Afrique occidentale britannique a ainsi la particularité d’être le lieu de réception, de transformation et de di fusion des idées pan-nègres venues du continent américain. Un groupe social composé d’avocats, d’intellectuels, de marchands, de journalistes, de missionnaires, de médecins, de fonctionnaires pouvait espérer partager ou récupérer le pouvoir des mains des colons britanniques. Cette intelligentsia ouest-africaine libérale et bourgeoise a régulièrement voulu apparaître comme la représentante du peuple en tentant de di fuser son mode de vie et ses valeurs, tout en composant avec les colons européens et les groupes afro-américains. C’est dans ce contexte qu’émerge, au lendemain de la Première Guerre mondiale, l’idée d’un « congrès national » (National Congress), premier parti politique interterritorial, regroupant les élites noires des colonies britanniques d’Afrique de l’Ouest : Nigeria, Ghana, Sierra Leone et Gambie. Dans les années 1910, Joseph Ephraim Casely-Hayford est la figure de proue de cette [4] intelligentsia anglophone ouest-africaine . Originaire de la Gold Coast, il étudie au collège Fourah Bay de Freetown, puis à Cambridge. Journaliste et avocat auprès de la Société de protection des droits des Aborigènes de la Gold Coast (Gold Coast Aborigines’ Rights Protection Society, GCARPS), un mouvement de contestation anticoloniale constitué en 1897, Casely-Hayford écrit notamment Ethiopia Unbound (1911), une des premières références du panafricanisme culturel (l’Éthiopie dont il est question en titre fait référence à l’Afrique tout entière). Dans ce roman, Casely-Hayford prie les Africains de ne pas abandonner leur culture et leurs institutions, seules capables de résister à la domination coloniale. Correspondant avec W.E.B. Du Bois et Booker T. Washington, il intègre l’équipe de collaborateurs du journal de Dusé Mohamed Ali, aux côtés de Marcus Garvey. Rencontrée en Angleterre, son épouse Adelaide Casely-Hayford dirigera d’ailleurs la section féminine de l’UNIA à Freetown dans les années 1920.
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Invité à représenter la GCARPS à la conférence de Tuskegee d’avril 1912, Casely-Hayford partage dans un premier temps la position de Booker T. Washington qui, vers la fin de sa vie, après avoir notamment formé de nombreux Africains à Tuskegee, est devenu favorable à la « régénération » de l’Afrique par les Afro-Américains, mais uniquement dans un but « humanitaire ». En contrepartie, estime Casely-Hayford, la direction politique des pays africains émancipée de la tutelle européenne devrait être confiée aux nationalistes africains qui, alliés aux Afro-Américains, bénéficient des retombées économiques et sociales de la coopération transatlantique.
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S’il reconnaît leur apport économique, Casely-Hayford critique en revanche le messianisme politique des Afro-Américains, estimant, dans Ethiopia Unbound, qu’ils ont été séduits par la propagande occidentale raciste et colonialiste. Or cette propagande, qui fait de l’Afrique un continent de ténèbres auquel il faudrait apporter la « lumière », ne cadre pas avec la réalité politique ouest-africaine, où se distingue une élite christianisée et occidentalisée qui aspire à des postes de responsabilité. Estimant donc
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que leur assimilation à la culture américaine n’autorise pas les Afro-Américains à jouer le rôle de mentors politiques, Casely-Hayford ne cesse de contester leur légitimité à assumer la direction des a faires africaines. Selon lui, l’initiative panafricaine doit venir des intellectuels ouest-africains. Casely-Hayford représente une rupture dans la continuité. Figure majeure de la lutte pour l’émancipation des Africains, il accepte cependant de participer aux institutions coloniales. Nommé en 1916 par les Britanniques au sein du Conseil législatif de la Gold Coast, où il siégera jusqu’en 1925, Casely-Hayford s’engage ensuite activement en faveur d’un nationalisme ouest-africain inspiré des thèses de Blyden. Il milite en particulier pour l’intégration politique de toute l’Afrique de l’Ouest, britannique mais également française dans une seconde étape, et pour la reconnaissance d’une nationalité et d’une citoyenneté ouest-africaines. Il convient donc d’organiser un large mouvement politique en Afrique même.
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L’idée d’un tel mouvement, portée par un groupe d’intellectuels progressistes et idéalistes au sein de la GCARPS, a émergé au début du XXe siècle. Après la conférence panafricaine de 1900, la GCARPS est secouée par un a frontement interne qui oppose les chefs locaux traditionalistes aux dirigeants modernistes menés par Casely-Hayford. Pour ces derniers, l’unification administrative des colonies britanniques ouestafricaines (Nigeria, Gold Coast, Sierra Leone, Gambie) et la reconnaissance d’une nationalité unique pour les quatre territoires doivent donner une voix ou une représentativité forte aux populations. Estimant qu’il faut retourner contre elle les armes utilisées par la colonisation, et donc réunir ce qui a été divisé, Casely-Hayford s’appuie sur le précédent de l’unification du nord et du sud du Nigeria colonial, en 1914, pour défendre l’idée d’une assemblée interterritoriale où se retrouveraient les représentants élus des quatre territoires. Le désaccord avec les anciens porte sur les conditions de représentation politique, les modalités électorales et les stratégies de pression auprès de l’administration coloniale. D’une certaine façon, les projets de regroupement interterritorial portés par Casely-Hayford peuvent s’analyser comme une manière, pour les élites modernistes, de s’émanciper des élites traditionnelles, qui trouvaient trop souvent leur compte dans un système administratif fondé sur le fractionnement territorial des colonies.
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Le parti d’une intelligentsia ouest-africaine Dès le début du XXe siècle, les colonies britanniques ouest-africaines, non limitrophes, sont reliées entre elles et à Londres par un réseau postal et des communications de bonne qualité. Ces liaisons permettent à la presse ouest-africaine de jouer un rôle crucial dans la di fusion de l’information et la circulation des idées. Casely-Hayford
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travaille comme journaliste pour le Western Echo, qu’il fait renommer le Gold Coast Echo, et pour le Gold Coast Leader. Prenant la suite des premiers journaux de Russwurm et de Blyden, d’autres journaux se développent dans ces territoires, habituant leur lectorat à une dimension sous-régionale de l’information : le Sierra Leone Weekly News, le Nigerian Spectator, le Lagos Weekly Record, le West African Nationhood ou encore le Gambia Outlook and Senegambian Reporter. Les courriers et les articles de presse montrent que le projet d’une conférence panafricaine limitée à l’Afrique de l’Ouest naît entre 1913 et 1915, puis s’accélère avec la fin de la Grande Guerre. Au début de l’année 1917, Richard Akiwande Savage, ancien étudiant à l’université d’Édimbourg qui avait participé à la conférence panafricaine de 1900, et Casely-Hayford demandent à deux journalistes de sonder l’intérêt de leur lectorat pour une conférence ouest-africaine.
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En décembre 1918, des Africains installés dans la capitale britannique s’organisent pour défendre leurs droits en créant l’African Progress Union (APU). Son secrétaire, Robert Broadhurst, natif de la Gold Coast, soutient l’idée de réunir les Africains des quatre colonies britanniques ouest-africaines dans un même groupe pour que leur in luence soit la plus forte possible sur la métropole. L’APU suggère de contacter les Chambres de commerce de Londres et Liverpool et s’engage à faire la publicité de la conférence ouestafricaine. Entre mi-1919 et début 1920, une délégation parcourt les quatre territoires pour défendre le projet de la conférence, qui est finalement prévue pour le mois de mars 1920.
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Du 11 au 29 mars 1920, la conférence fondatrice du NCBWA se tient à Accra, en Gold Coast. En raison des contraintes institutionnelles inhérentes au système colonial, qui ne laisse aucune place à l’expression électorale des populations africaines, le but de la conférence est moins de constituer un « parti », au sens classique du terme, que d’initier un front commun, un rassemblement ou une plateforme susceptible de rapprocher les élites « modernes », à l’échelle interterritoriale, et de proposer une alternative à l’administration indirecte britannique, qui repose jusque-là sur les chefs traditionnels des di férents territoires (à l’instar du tout-puissant Nana Sir Ofori Atta Ier, roi du vaste royaume d’Akyem Abuakwa en Gold Coast). Comme son nom l’indique, le NCBWA reconnaît le caractère « britannique » des colonies ouest-africaines. Mais il en conteste le fonctionnement qui repose sur l’exclusion politique des populations locales, fort mal représentées dans les institutions coloniales, et sur le fractionnement territorial, qui rend les populations locales d’autant plus dépendantes de Londres qu’elles sont administrativement, politiquement et économiquement divisées.
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Lors de la conférence, les délégués débattent du système de représentation électorale, de l’égalité des chances fondée sur le mérite et de l’établissement d’une université ouestafricaine sur le modèle de celle mise en place par Blyden. Mais ce sont les questions
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institutionnelles qui les préoccupent au premier chef. Conscients que les institutions mises en place par les Britanniques à l’échelle territoriale (conseils exécutifs, conseils législatifs, etc.) les empêchent de peser politiquement, ils proposent qu’une Constitution soit rédigée qui instituerait un Conseil exécutif et un Conseil législatif à l’échelle interterritoriale et permettrait aux Africains d’être démocratiquement représentés dans [5] les assemblées, interterritoriale et locales . D’autres propositions de réformes sont adoptées, telles que l’instauration d’une cour d’appel ouest-africaine, d’un syndicat de la presse ouest-africaine et le lancement du journal commun aux quatre colonies. Les délégués ne se limitent cependant pas aux seules colonies britanniques. Relevant les principes du droit des peuples à l’autodétermination, reconnu aux peuples d’Europe centrale après la Première Guerre mondiale, ils condamnent la partition des anciennes colonies allemandes de l’ex-Togoland et de l’ex-Kamerun (territoires que le RoyaumeUni et la France se sont partagés au sortir de la guerre par le truchement des mandats de la SDN) et expriment leur crainte de voir Paris et Londres procéder à des échanges territoriaux (Djibouti français contre Gambie britannique). Si ce dernier projet est abandonné en raison de l’hostilité de la population, le NCBWA décide qu’il est néanmoins important d’envoyer à Londres une délégation pour défendre les droits des Ouest-Africains. Une souscription de 10 000 livres est levée, représentant environ 10 % du budget du NCBWA, qui permet de constituer ce « Comité de Londres ». [6]
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Cette première conférence – qui sera suivie par deux autres en 1923 et 1925-1926 – réunit quarante-cinq délégués africains, venus de territoires séparés, pour débattre ensemble de leurs problèmes. Juristes, médecins, professeurs ou hommes d’a faires, ils ont la même éducation, les mêmes idées, une langue partagée et des objectifs communs, hérités des valeurs libérales occidentales et individualistes, notamment le laisser-faire économique, la propriété privée, l’intéressement à la gestion des territoires et la croyance en l’idée de progrès. Les idées marxistes et a fortiori bolcheviques qui essaiment dans le monde depuis 1917 sont catégoriquement rejetées par des dirigeants qui se considèrent déjà comme les seuls habilités à contrôler les revendications du peuple.
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Cette élite politique ouest-africaine fonctionne dans le consensus et la négociation avec le système colonial : la petite bourgeoisie dominant le NCBWA s’insère parfaitement dans un système qui encourage une élite cooptée à canaliser les revendications populaires. Elle ne veut pas renverser le système mais accéder à des postes de responsabilité politique et institutionnelle afin de défendre ses intérêts socioéconomiques. Le NCBWA est néanmoins la première tentative de coordination politique panafricaine à l’échelle ouest-africaine, à une époque où les institutions politiques internationales sont encore peu développées.
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Réforme constitutionnelle et fractionnements territoriaux Aidé par l’African Progress Union (APU), le « Comité de Londres », mis sur pied par le NCBWA au lendemain de sa conférence fondatrice de mars 1920, tente de faire pression sur les autorités britanniques. Winston Churchill, secrétaire d’État aux Colonies, refuse cependant de recevoir le comité sous le prétexte, paradoxal étant donné les revendications du NCBWA, qu’il n’est pas représentatif de la population ouest-africaine.
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L’attitude de Churchill conduit le NCBWA à lancer une campagne politique depuis les colonies. Émanant de chefs qui rejettent la vision tribaliste et népotique du puissant chef Nana Ofori Atta et soutiennent la position progressiste du NCBWA, des télégrammes, des articles de presse et des pétitions sont compilés et envoyés au Colonial [7] O fice . Cette campagne incite l’administration britannique à envisager des réformes institutionnelles. Tout en stigmatisant le NCBWA qui a, selon lui, commis un crime de lèse-majesté en s’adressant directement à Londres sans passer par son intermédiaire, le gouverneur du Nigeria sir Hugh Cli ford reprend progressivement à son compte sa feuille de route en introduisant un principe de représentativité électorale dans la Constitution nigériane de 1922. Churchill accepte à contrecœur de valider la nouvelle architecture constitutionnelle nigériane, qui accorde aux Africains quatre sièges d’élus au Conseil législatif. Le même principe est ensuite appliqué en Sierra Leone et en Gold Coast dans les deux années qui suivent (mais seulement en 1947 en Gambie).
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Pour le NCBWA, ces réformes constitutionnelles ne sont que des semi-victoires. Bien qu’elles valident l’idée d’une représentativité africaine, elles restent inscrites dans un cadre strictement territorial et perpétuent donc la division des colonies. Particulièrement lucide, l’écrivain de la Gold Coast Kobina Sekyi souligne en outre le cynisme du gouverneur Cli ford et de l’administration coloniale. Comment osent-ils s’arroger la paternité de réformes progressistes alors qu’ils les avaient rejetées avec [8] mépris lorsque les nationalistes ouest-africains les avaient proposées ? Accordant aux sujets de son empire une plus grande liberté, la réforme constitutionnelle vantée par Cli ford permet ainsi de montrer la « générosité » du Royaume-Uni. Et, en o frant de nouvelles opportunités aux classes sociales dont sont issus les animateurs du NCBWA, elle permet surtout de limiter la portée politique de leurs revendications interterritoriales.
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L’habileté de l’administration britannique s’explique. Habituée à jouer sur les tiraillements entre colonisés, selon la technique éprouvée du « diviser pour régner », elle sait depuis le départ qu’en dépit de ses revendications le NCBWA est lui-même divisé. Les sections de la Sierra Leone et de la Gold Coast, en place dès 1919, sont les plus actives
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et e ficaces et tendent à dominer les autres. La section de la Gambie est la dernière à voir le jour, au lendemain de la conférence de mars 1920 (grâce aux e forts du Sierra-Léonais Isaac J. Roberts). Le NCBWA est également divisé socialement. Alors que la section sierra-léonaise est confrontée au clivage entre les Créoles, en position politiquement dominante, et les autres groupes ethniques, socialement moins favorisés, la section gambienne s’appuie sur un groupe de pression assez limité mené par de jeunes hommes, éduqués, chrétiens et employés dans le secteur privé, l’Union de défense des indigènes de la Gambie (Gambia Native Defensive Union, GNDU), dont les intérêts sont assez éloignés de ceux de la population.
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L’histoire de la section NCBWA du Nigeria témoigne quant à elle des e fets dissolvants de la réforme constitutionnelle de Cli ford. Au lendemain de cette réforme, Herbert Macaulay, figure dominante du NCBWA-Nigeria et candidat, en septembre 1923, aux premières élections de l’histoire du pays, fait campagne sur les enjeux locaux et délaisse les problématiques interterritoriales. La victoire du parti qu’il a fondé pour l’occasion, le Parti démocratique national du Nigeria (Nigerian National Democratic Party, NNDP), marque le déclin de la section nigériane du NCBWA. Au cours des années 1920, des délégués de la Gold Coast et de la Sierra Leone tenteront de ranimer la section nigériane. Mais le mal est fait : ayant satisfait les ambitions électorales d’une partie de l’élite locale, les Britanniques ont cassé l’élan politique impulsé par le NCBWA.
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Une élite dépassée par la crise économique et les inégalités sociales Au-delà des enjeux strictement politiciens, l’essou lement du NCBWA témoigne aussi de l’ambiguïté de son positionnement social et renvoie à une question politique plus profonde : que comptaient réellement faire les élites représentées par le NCWBA une fois au « pouvoir » ? Dans l’incapacité de dépasser le cercle étroit dans lequel elles se reproduisent, ces élites ne parviennent pas à concilier leurs intérêts avec les aspirations de la majorité du peuple, notamment les paysans, les ouvriers et les petits commerçants. Leur politique de survie et de statu quo semblait d’autant moins porteuse que la dépression économique modifie sensiblement les rapports sociaux internes au système colonial.
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L’entre-deux-guerres est en e fet une période de profonds bouleversements socioéconomiques. Pendant que certains secteurs de la société coloniale profitent de l’embellie d’après guerre – les colons britanniques qui dominent les structures économiques et, dans une moindre mesure, les Syriens venus en nombre en Afrique de l’Ouest à cette période –, les classes populaires africaines sou frent de l’in lation
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galopante qui grève lourdement le budget des populations urbaines et obligent nombre de paysans à s’adapter aux nouvelles conditions du marché international. L’augmentation des coûts de transport et de transformation des produits bruts en Europe réduit drastiquement la marge des producteurs et travailleurs africains. Leur pouvoir d’achat baisse d’autant plus que le profit, constitué par la marge entre le prix d’achat en Afrique et le prix de vente en Europe, s’accroît. L’évolution des prix du marché international se répercute alors sur la situation locale, en particulier sur les salaires, l’emploi et le type de cultures. La Grande Dépression, qui frappe durement les Africains dans les années 1930, n’arrange pas la situation. L’exploitation économique des colonies s’intensifie, tandis que les économies européennes renforcent les mesures de protectionnisme et de nationalisme économique qui fragilisent le commerce international. Le Royaume-Uni met en place un comité de développement des ressources de l’Empire qui s’attire les critiques régulières des marchands africains mécontents de ne pas y être représentés. Les marchands se tournent alors vers l’élite politique, en particulier le NCBWA, pour constituer un groupe de pression défendant leurs intérêts économiques.
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Derrière les enjeux institutionnels, les nouvelles élites politiques africaines doivent donc répondre aux demandes croissantes des populations qui, plus que des postes dans les assemblées, réclament plus de justice sociale. Mais elles sont mal armées pour répondre à de telles demandes. Constitué pour défendre les intérêts de la petite bourgeoisie libérale, le NCBWA n’est pas en mesure de proposer un programme de politique économique alternatif. Les élites économiques et commerciales africaines manquant d’unité, d’initiative et, surtout, de capital, les tentatives pour créer des structures économiques interterritoriales (banques, coopératives agricoles) ou territoriales (fédérations paysannes, organisations syndicales) échouent.
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Un con lit latent s’installe progressivement, dans les années 1920 et 1930, entre l’élite du NCBWA, qui ne se bat que pour avoir une part du gâteau, et les travailleurs et les sansemploi sur le dos desquels le gâteau est partagé. Appartenant à une génération née dans le dernier quart du XIXe siècle, les membres du NCBWA sont tout sauf révolutionnaires. Et se voient de plus en plus fermement contestés par la génération suivante qui n’entend plus composer avec un système colonial inégalitaire par nature.
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Notes [1]
Yekutiel GERSHONI, « Common goals, di ferent ways. The UNIA and The NCBWA in West Africa – 1920-1930 », Journal of Third World Studies, vol. 18, part. 2, 2001, p. 171-186.
[2]
Rina L. OKONKWO, loc. cit., p. 109-110.
[3]
Toyin FALOLA, Nationalism and African Intellectuals, University of Rochester Press, Rochester, 2001.
[4]
Lawrence H. OFOSU-APPIAH, Joseph Ephraim Casely Hayford. The Man of Vision and Faith, Academy of Arts and Sciences, Accra, 1975.
[5]
W.E.B. DU BOIS, The World and Africa, op. cit., p. 232-235.
[6]
J. Ayodele LANGLEY, op. cit., p. 147-149, p. 161.
[7]
Ibid., p. 264.
[8]
Ibid., p. 284-285.
Plan Joseph Ephraim Casely-Hayford Le parti d’une intelligentsia ouest-africaine Réforme constitutionnelle et fractionnements territoriaux Une élite dépassée par la crise économique et les inégalités sociales
Auteur Amzat Boukari-Yabara
Mis en ligne sur Cairn.info le 18/05/2019
8. « Prends garde, Europe : les Noirs sont en train de se réveiller ! » Les Africains francophones se saisissent du panafricanisme Amzat Boukari-Yabara Dans Africa Unite ! (2017), pages 113 à 123
Chapitre
A
ucun courant intellectuel forgé dans le monde noir n’a suscité autant de louanges et de critiques que la négritude. Si l’invention du terme est attribuée au poète et [1] homme politique martiniquais Aimé Césaire , son contenu lui est bien antérieur. Pour l’historien Ayodele Langley, la négritude n’est pas née à Harlem ou à Paris dans l’entre-deux-guerres, mais dans le mouvement de retour vers l’Afrique. Ce mouvement a fondé la contestation de la domination blanche et occidentale, et il a apporté à l’intelligentsia noire une nouvelle conscience de son rôle dans l’histoire. Un théoricien comme Edward Blyden a répandu dans toute l’Afrique occidentale une culture politique du nationalisme et de l’unité qui a servi de terreau à l’émergence du panafricanisme dans cette région spécifique du continent africain. Cette renaissance culturelle ouestafricaine, contemporaine à l’e fondrement des entités politiques sous l’e fet de la colonisation, a conduit une nouvelle génération d’historiens afro-américains (W.E.B. Du Bois, Carter Woodson, Rayford Logan, Arthur Schomburg) à produire une histoire « nègre » qui révise le jugement stigmatisant l’Afrique.
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Plus tard, avec l’UNIA de Garvey, le mouvement de la Renaissance noire de Harlem popularise le concept d’« Afrique » dans les imaginaires. La littérature, la musique, la danse, la poésie, la peinture et la photographie sont revisitées par des artistes noirs qui prennent des positions avant-gardistes et engagées dans la revalorisation de leur identité culturelle. Les figures les plus connues sont l’écrivain Claude McKay, le poète
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Langston Hughes, la romancière et ethnographe Zora Neale Hurston, le philosophe et critique littéraire Alain Locke, l’éditrice de la revue Crisis Jessie R. Fauset ou encore l’historien et collectionneur Arthur A. Schomburg. En s’appuyant notamment sur la tradition éthiopianiste, la Renaissance de Harlem permet à toute une communauté opprimée de reprendre confiance en elle et de construire une base culturelle qui allait être mobilisée dans le combat pour les droits civiques. Le retour d’Europe des vétérans afro-américains en 1919 élargit également les in luences. La Première Guerre mondiale marque une étape dans le mouvement panafricain dans la mesure où, pour la première fois, des soldats africains, antillais et afro-américains se retrouvent sur un même champ de bataille. Les associations de vétérans restent en contact, et les circulations culturelles s’intensifient. Alors que les musiques africaines transitent dans les ports coloniaux, le jazz est apporté en Europe par des soldats afro-américains, tandis que le calypso suit les migrations des travailleurs antillais vers les métropoles européennes et nord-américaines. En France, une « histoire [2] des solidarités noires » prend forme .
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De l’identité « nègre »… En 1921, le prix littéraire Goncourt revient à l’écrivain guyanais René Maran pour Batouala, véritable roman nègre, premier pamphlet francophone sur la colonisation écrit par un non-Blanc. Maran, qui a été administrateur colonial en Oubangui-Chari, relance la littérature anticoloniale et anti-exotique. Six ans plus tard, André Gide, de retour d’un voyage en Afrique-Équatoriale française, publie Voyage au Congo qui décrit le fonctionnement inhumain des compagnies commerciales coloniales et concessionnaires. La critique des pratiques coloniales en Afrique s’accompagne d’une dénonciation du racisme en France. L’exotisme de la danseuse afro-américaine Joséphine Baker, la culture populaire et l’art colonial renforcent les stéréotypes [3] racistes à l’heure où l’Exposition coloniale de Vincennes en 1931 entend souligner les [4] grandes réalisations de la métropole et l’« apothéose de la plus grande France ».
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En 1930, les sœurs Andrée et Paulette Nardal, originaires de la Martinique, ouvrent un salon littéraire où les écrivains noirs se rencontrent. Elles publient, avec l’Haïtien Léo Sajous, La Revue du Monde noir qui s’arrête au bout de six numéros mais qui a le mérite [5] d’inciter les Noirs à prendre la parole . C’est ce que fait, en 1932, un groupe constitué par Étienne Lero, René Ménil et Jules Monnerot qui lancent le journal-manifeste Légitime Défense. Porté par un collectif de personnalités où se distingue le trio formé par Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor et Léon Gontran Damas animant la revue L’Étudiant noir, le mouvement littéraire et politique de la négritude, qui fait écho à Harlem, bourgeonne dans le Quartier latin parisien à la recherche du « Nègre
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fondamental ». Parmi les inspirations, figurent également l’histoire d’Haïti, le surréalisme d’André Breton, l’existentialisme de Jean-Paul Sartre, l’ethnologie du Français Marcel Griaule qui revient, en 1931 de la mission Dakar-Djibouti, et de l’Allemand Leo Frobenius, dont l’Histoire de la civilisation africaine est traduite en français en 1938. Puis vient le temps de la révolte. Contre la glorification du racisme qui place des Africains, des Arabes, des Indochinois, des Réunionnais et des Kanaks dans des zoos humains à Vincennes en 1931, la négritude sonne comme un « grand cri nègre », une colère. « Je déchirerai les rires Banania sur tous les murs de France », s’exclame Senghor en référence à une publicité pour un petit déjeuner au chocolat montrant un tirailleur sénégalais infantilisé. Entre colère et raison, entre émotivité et rationalité, la négritude est enfin, et surtout, « la simple reconnaissance du fait d’être noir et l’acceptation de ce [6] fait, de notre destin de Noirs, de notre histoire et de notre culture », rappelle Césaire . Avant de voir entrer Césaire et Senghor en politique, et porter pour le premier la voix des opprimés dans son Discours sur le colonialisme (1950), la négritude s’inscrit elle-même dans la suite d’un courant politique pan-nègre qui fait le procès du racisme et de la [7] civilisation européenne et coloniale de l’entre-deux-guerres .
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Alors que les dirigeants ouest-africains soumis à l’administration coloniale indirecte de Londres développent des organisations politiques locales (NCBWA), l’élite ouestafricaine francophone est en partie intégrée aux structures de la métropole. Le modèle de l’assimilation culturelle, débouchant en 1946 sur la représentation politique des colonies au Parlement français, fait de la capitale française le cœur francophone du [8] panafricanisme jusqu’aux indépendances . Paris étant simultanément, dès le début des années 1920, le siège de plusieurs groupes aux tendances communistes et anticolonialistes pan-nègres, arabes et indochinoises, le panafricanisme y est cependant moins saillant.
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Pourtant, durant la guerre de 1914, les soldats africains ont dénoncé avec autant de virulence leurs conditions de recrutement, organisées par le député noir du Sénégal Blaise Diagne, que ne l’ont fait leurs congénères afro-américains victimes de la ségrégation. Ils ont vu de près la fin du mythe de l’Europe civilisée et pacifique ; ils ont vu l’homme blanc trembler de peur, et mourir. Ce même homme blanc qui leur a promis sa gratitude en échange de leur sang versé. Dans une lettre écrite en avril 1929 à W.E.B. Du Bois et interceptée par la police française, le militant communiste malien Tiémoko Garan Kouyaté rappelle ce paradoxe qui a vu des Africains aller combattre en Europe au moment même où Haïti subissait une invasion puis une occupation [9] militaires américaines. La conviction que la « Force noire » peut être utilisée autrement qu’au service de l’homme blanc grandit.
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… au garveyisme Dans les années 1920, la Ligue universelle pour la défense de la race noire (LUDRN) de Prince Kojo Tovalou Houénou, le Comité de la défense de la race nègre (CDRN) du Sénégalais Lamine Senghor et enfin la Ligue de défense de la race nègre (LDRN) des Soudanais (Maliens) Garan Kouyaté et Abdou Koite forment une généalogie de partis [10] d’in luence garveyiste et communiste .
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Tovalou Houénou fait partie de ces Africains qui embrassent la vocation de « défenseur de la race nègre ». Né au Dahomey (Bénin) en 1887, issu d’une grande famille de commerçants et de notables proche du pouvoir royal, le jeune Tovalou accompagne son père en France pour faire ses études. Adolescent, il est inscrit au collège catholique Saint-Genès de Bordeaux où il obtient ses diplômes de philosophie et de droit, avant d’entamer des études de médecine. Sa réussite scolaire crée une filière pour la bourgeoisie dahoméenne qui envoie ses enfants faire leurs humanités dans la ville girondine. Quand la guerre éclate en 1914, Houénou, dont la demande de naturalisation a été rejetée trois ans plus tôt, décide pourtant de s’engager comme médecin militaire dans l’armée française. Celle-ci l’accueille favorablement et l’envoie sur le front à Douaumont et à Verdun. Blessé puis démobilisé, il obtient enfin la nationalité française par décret et s’installe à Paris. Admis au barreau en 1918, Houénou semble promis à une belle carrière.
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En 1921, Tovalou Houénou retourne pour la première fois au Dahomey où, depuis 1912, à Porto-Novo, des jeunes lettrés animent le Club de l’Étoile noire. Les Dahoméens Louis Ignacio Pinto, qui a été dans la même école bordelaise que Houénou, Louis do Sacramento, Maximilien Falade et Alexandre d’Oliveira forment le noyau de cette association culturelle qui échange avec les militants noirs en Europe et en Amérique. Lors de son séjour, Houénou découvre le Negro World de Garvey et, auprès des vétérans, il comprend l’injustice du système colonial. Il remplace alors Marc, son prénom d’origine, par Prince Kojo, pour exprimer son honneur et sa fierté retrouvée d’être africain.
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De retour à Paris, un autre déclic se produit. Houénou fréquente les lieux à la mode du Paris des Années folles. Dandy, il a ses entrées aux soirées littéraires de la salle Gaveau, au salon de la duchesse de Rohan et au Club du Faubourg. Un soir d’août 1923, dans un café du quartier Montmartre, des touristes américains, choqués par la présence d’un Noir, demandent qu’on le mette dehors. Cet événement décuple son engagement. Alors qu’il aurait pu devenir simplement anticolonialiste, il devient clairement garveyiste.
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Élevé dans l’ancien port négrier de Bordeaux, où la présence africaine n’a jamais cessé, Houénou trouve de quoi nourrir sa ré lexion auprès des marins. « Les navigateurs noirs forment un groupe assez remarquable, notent les biographes de Kojo Tovalou Houénou.
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Originaires d’Afrique noire et de Madagascar, ils sont évalués à 850 hommes au total. Ils résident dans les grands ports (Marseille, Bordeaux, Le Havre). De par sa nature, ce groupe est assez mobile. Les navigateurs jouent dans la di fusion des idées un rôle important : les journaux dont la lecture est prohibée dans les territoires coloniaux y sont distribués par l’intermédiaire de ces navigateurs. En 1926, les marins d’Afrique noire n’ont pas de carnet d’identité dit livret bleu comme leurs homologues indochinois et [11] malgaches . » Les marins transitant par Bordeaux lors des rotations entre l’Afrique et les Amériques, apportent avec eux le journal garveyiste. Après la censure du Negro World par le Colonial O fice dès 1919, Paris s’inquiète à son tour de la di fusion du journal de l’UNIA, ainsi que de l’organe o ficiel de l’Union intercoloniale, Le Paria, publié à Paris entre 1922 et 1926 par Hô Chi Minh. La création d’une association de l’Amitié franco-dahoméenne par Tovalou Houénou à l’été 1923 est vue comme une tentative de couvrir des activités subversives. Les autorités françaises interdisent à leur tour le Negro World et Le Paria. Mais il est trop tard : par le circuit maritime qui met Cotonou à deux semaines de bateau de la France, Le Paria est déjà tombé entre les mains de militants dahoméens, en particulier Émile Zinsou Bode et François Quenum qui enseignent à Ouidah et à [12] Dassa . En 1923, des émeutes et des pillages éclatent à Porto-Novo. Le gouverneur du Dahomey, Gaston Fourn, place sous surveillance les militants soupçonnés de communisme. Mais le soulèvement est le résultat d’un ensemble : les idées garveyistes, communistes et nationalistes, la crise économique frappant le secteur de l’huile de palme, la rivalité entre plusieurs chefs, ainsi que le ressentiment de la population et des anciens combattants envers la France et l’administration coloniale après la guerre.
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Avec Le Paria, dès juillet 1924, Les Continents, le journal de la LUDRN que vient tout juste de fonder Tovalou Houénou, et L’Action coloniale circulent à Ouidah et à Porto-Novo. Ajoutés à la presse locale, ces journaux aident des petits groupes à forger leur éducation politique au-delà des frontières du Dahomey. À Porto-Novo, en lien avec les activités de [13] Louis Hunkanrin, alors secrétaire à l’état-major des troupes coloniales , une section de la Ligue des droits de l’homme est montée par Paul Hazoumé, Oni Bello et Étienne Tété. À Cotonou, Augustin Nicoué anime le club de la Vie littéraire artistique et sportive dahoméenne. Le Comité franco-musulman, établi à Paris, dispose également d’une branche au Dahomey dirigée par un commerçant yoruba, Aminu Balogun.
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Houénou, Diagne, Senghor, Kouyaté : engagement, divisions, répression
En août 1924, Tovalou Houénou est invité par Garvey à la convention de l’UNIA à New York. Il se rend ensuite à Philadelphie, Chicago, Detroit et Cleveland. Dans ses allocutions, il rejette l’idée d’un pan-négrisme monolithique et prône l’unité dans la diversité en a firmant que « la race noire fournit d’importants groupes dans le monde entier ; ils doivent être autorisés à contribuer au travail de rédemption en fonction de [14] leurs propres méthodes, disciplines et activités ». Jugé modéré par Garvey, Houénou est pourtant le premier Africain francophone de cette époque à poser un ultimatum : soit la France réalise l’assimilation et l’intégration totale des Africains en conformité avec l’idéal républicain, soit elle leur accorde une autonomie leur permettant de [15] s’organiser politiquement en fonction de leur culture et de leur histoire .
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Bien que modérées, ses positions autonomistes prises aux États-Unis, relayées par la presse, lui valent d’être le premier Africain avec une envergure intercontinentale à [A] tomber sous la surveillance des autorités françaises . Revenu en visite aux États-Unis en 1925, il est expulsé à la suite d’une arrestation liée à son refus de sortir d’un restaurant ségrégué de Chicago. Renvoyé au Dahomey, il développe une branche garveyiste et, tout en essayant en vain d’être élu député, il travaille en relation avec une presse nationaliste très active. C’est l’époque où le Guide du Dahomey, interdit en 1923, La Voix du Dahomey, La Quinzaine dahoméenne et Le Courrier du golfe du Bénin, Le Phare du Dahomey, L’Écho des cercles et L’Étoile du Dahomey relaient les messages anticolonialistes et sont taxés de « littérature séditieuse et démoralisante » par les autorités coloniales. En 1934, en plein tribunal, en apprenant une décision de justice rendue à l’encontre du journaliste Simon Akindès, fondateur de L’Écho des cercles, Houénou gi le un confrère. Le bureau colonial du Parti communiste français (PCF) prend sa défense à Paris, mais il est finalement emprisonné à Dakar où, tombé dans l’oubli, il meurt en détention en juillet 1936.
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Le personnage de Houénou est très intéressant car il appartient à une intelligentsia africaine francophone méconnue en dépit de son militantisme fondateur. Houénou et les militants noirs francophones des années 1920 ont également animé la vie politique et culturelle panafricaine. Soutenant la campagne pour l’abolition du Code de l’indigénat, le journal Les Continents de la LUDRN publie des articles du Negro World sur les AfroAméricains, Haïti, Madagascar et sur tous les sujets censurés par les autorités coloniales. Il publie également des rectificatifs ou des droits de réponse, comme une lettre ouverte de René Maran qui rappelle à Alain Locke, qui louait l’antiracisme français, la nécessité de distinguer l’humanisme de la culture française et le racisme bien réel de la France impériale.
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Le ton libre du journal Les Continents finit par faire grincer des dents, mais ce ne sont pas celles auxquelles l’équipe de rédaction s’attendait : c’est Blaise Diagne qui lance l’o fensive lorsque René Maran, vice-président du journal, accuse, dans un article intitulé « Le bon apôtre » paru en octobre 1924, le député sénégalais d’être un
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[17]
agent du colonialisme . Pire, il l’accuse d’avoir reçu une commission pour chaque soldat africain recruté pour la guerre. Diagne porte plainte devant la cour d’assises contre René Maran et Les Continents, représenté par son éditeur Jean Fangeat. En les assignant devant la cour d’assises, Diagne utilise tous les moyens politiques à sa disposition pour gagner le procès et imposer une amende su fisamment élevée pour conduire Les Continents à la faillite (ce qui se produit en décembre 1924). Pour la LUDRN, l’attitude de Diagne est d’autant plus honteuse que, s’attaquant au premier journal anticolonialiste qui conteste sa politique, il épargne en revanche les journaux français classiques, qui ne sont pourtant pas plus tendres à son égard. Bénéficiant du soutien des milieux parlementaires, Diagne pourra ainsi poursuivre sa carrière, devenant notamment, en 1931, le premier ministre noir en France (comme sous-secrétaire d’État aux Colonies). Après le retour de Tovalou Houénou au Dahomey puis son arrestation, Lamine Senghor récupère la direction de la LUDRN. Sérère natif de Kaolack, au Sénégal, Lamine Senghor sert dans l’armée française. Récipiendaire de la croix de guerre, il participe pourtant à une mutinerie d’infanterie de tirailleurs sénégalais à Fréjus. En 1919, il rentre au Sénégal avec le rang de sergent, puis revient en France en 1921 pour étudier à la Sorbonne. En 1924, après son adhésion au PCF, il reçoit l’interdiction de rentrer au Sénégal : les autorités craignent qu’il n’y di fuse les idées communistes. La même année, alors qu’il témoigne dans le procès « Diagne contre Les Continents », il est candidat malheureux du PCF dans le XVIIIe arrondissement de Paris. C’est au lendemain de cet échec qu’il rejoint Houénou dans la LUDRN.
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En mars 1926, Lamine Senghor transforme la Ligue universelle pour la défense de la race noire en comité et fonde donc, en juillet, le Comité de défense de la race nègre (CDRN), qui compte 300 membres à la fin de l’année. Son organe, La Voix des Nègres, qui devient ensuite La Race nègre, est connu pour attaquer les gouverneurs coloniaux et les députés africains. Alors que le CDRN est localisé rue Simplon à Paris, Lamine Senghor, qui sou fre de tuberculose ainsi que de séquelles du gaz toxique inhalé pendant la guerre, quitte la capitale pour s’installer à Roquebrune-sur-Argens, dans le Var. Tout en revenant de temps en temps à Paris, Senghor accepte, en février 1927, l’invitation du militant communiste berlinois Willi Münzenberg pour participer, à Bruxelles, à la conférence d’inauguration de la Ligue contre l’impérialisme et l’oppression coloniale (League Against Imperialism, LAI), a filiée à l’Internationale communiste [18] (Comintern) . « Les Nègres ont dormi trop longtemps, lance-t-il lors de cette rencontre. Mais prends garde, Europe : ceux qui ont dormi jusqu’à présent ne s’endormiront plus une fois réveillés. Aujourd’hui, les Noirs sont en train de se [19] réveiller ! » Quelques jours après ces déclarations tonitruantes, en mars 1927, il est
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arrêté à Cannes et emprisonné à Draguignan. Il est libéré plus tard dans l’année pour des raisons de santé, après une intervention des membres du Reichstag et du Parlement belge. Sa santé se dégrade jusqu’à son décès à Fréjus le 25 novembre 1927. Tiémoko Garan Kouyaté, un ancien sympathisant communiste et étudiant en lettres à la Sorbonne, devient alors la figure montante du CDRN à la fin des années 1920. Kouyaté travaille avec le Club des Marins et la section marseillaise de l’Association des Indochinois, puis dirige les sections CDRN du Var et des Bouches-du-Rhône. Il succède logiquement à Lamine Senghor. Sous son impulsion, le CDRN est rebaptisé Ligue de défense de la race nègre (LDRN) et s’associe à l’Internationale syndicale communiste (Profinterm), au PCF et à la Confédération générale du travail unitaire (CGTU). Elle apporte également son soutien à l’association politique de l’Étoile nord-africaine (ENA) fondée en 1926 par des nationalistes et des travailleurs immigrés algériens. Menant la mobilisation des dockers, des marins, des ouvriers, des paysans et des anciens combattants de l’empire colonial, la LDRN réclame l’autonomie politique et la décentralisation de l’autorité dans les colonies françaises, avec un système de représentation à la proportionnelle.
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En juillet 1929, Kouyaté se rend à la seconde conférence de la Ligue contre l’impérialisme au Jardin zoologique de Francfort. Il intègre l’équipe de rédaction du Negro Worker publié à Hambourg par George Padmore, le futur directeur du Bureau nègre du Comintern (voir chapitre 9). L’organe de la LDRN, La Race nègre, reprend ou traduit des textes des diverses organisations afro-américaines, afro-britanniques et indochinoises. Cependant, l’osmose des mouvements « rouges » et « nègres » est limitée. Au-delà des réserves qu’elle exprime à l’égard du communisme autant que du capitalisme, la LDRN s’inquiète de la stratégie communiste qui prend fait et cause pour la lutte anticolonialiste sans s’en donner les moyens concrets. En 1931, Kouyaté n’est pas réélu au bureau central de la LDRN. Il décide alors de s’engager avec l’Union des travailleurs nègres (UTN), un groupe formé par la frange radicale dissidente de la LDRN. Déçu par [20] l’attitude de Moscou, Kouyaté partage ensuite le sort de Padmore : il est exclu du Comintern en 1934. Un an plus tard, l’agression de l’Éthiopie par l’Italie de Mussolini relance la mobilisation des forces panafricaines.
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Notes [1]
Romuald FONKOUA, Aimé Césaire, Perrin, Paris, 2010, p. 56-62.
[2]
Pap NDIAYE, La Condition noire, Gallimard, Paris, 2009.
[3]
Pascal BLANCHARD, Gilles BOËTSCH et Nanette J. SNOEP, Exhibitions. L’invention du sauvage, Musée du Quai Branly-Actes Sud, Paris, 2011.
[4]
Raoul GIRARDET, L’Idée coloniale en France, de 1871 à 1962, Hachette Littératures, Paris, 2005, p. 175-199.
[5]
Lilyan KESTELOOT, Négritude et situation coloniale, Alfabarre, Paris, 1988.
[6]
Romuald FONKOUA, op. cit., p. 54.
[7]
Claude LIAUZU, Aux origines des tiers-mondismes, L’Harmattan, Paris, 1982.
[8]
J. Ayodele LANGLEY, « Pan-Africanism in Paris, 1924-36 », Journal of Modern African Studies, vol. 7, n° 1, 1969, p. 69-94. Voir aussi Philippe DEWITTE, Les Mouvements nègres en France, 1919-1939, L’Harmattan, Paris, 1985.
[9]
Charles MANGIN, La Force noire, L’Harmattan, Paris, 2011.
[10]
Brent H. EDWARDS, op. cit., p. 98-104.
[11]
Émile Derlin ZINSOU et Luc ZOUMENOU, Kojo Tovalou Houénou, Maisonneuve et Larose, Paris, 2004, p. 74.
[12]
J. Ayodele LANGLEY, Pan-Africanism and Nationalism in West Africa, op. cit., p. 294.
[13]
Guy Landry HAZOUMÉ, La Vie et l’œuvre de Louis Hunkanrin, Librairie Renaissance, Cotonou, 1977.
[14]
J. Ayodele LANGLEY, op. cit., p. 298.
[15]
OIF, Le Mouvement panafricaniste…, op. cit., p. 127.
[A]
Le Service de contrôle et d’assistance en France des indigènes des colonies (SCAI) et le Service de liaison avec les originaires des territoires français d’outre-mer (SLOTFOM) surveillent les militants anticolonialistes.
[17]
J. Ayodele LANGLEY, « Pan-Africanism in Paris, 1924-36 », loc. cit., p. 77-78.
[18]
Vijay PRASHAD, Les Nations obscures. Une histoire populaire du tiers monde, Écosociété, Montréal, 2009, p. 30-47.
[19]
J. Ayodele LANGLEY, Pan-Africanism and Nationalism in West Africa, op. cit., p. 305.
[20]
Sur Padmore et Kouyaté, voir Brent H. EDWARDS, The Practice of Diaspora, op. cit., p. 241305. Voir aussi Minkah MAKALANI, In the Cause of Freedom, University of North Carolina Press, Chapel Hill, 2011, p. 165-224.
Plan
9. Du soutien à l’Éthiopie au congrès de Manchester Amzat Boukari-Yabara Dans Africa Unite ! (2017), pages 124 à 139
Chapitre
L
’histoire suit parfois des méandres surprenants. En 1900, le militant trinidadien Henry Sylvester-Williams organise la conférence panafricaine de Londres avec le soutien du Haïtien Bénito Sylvain, devenu l’aide de camp du souverain éthiopien Ménélik II, qui vient d’in liger une cuisante défaite aux Italiens à Adoua en 1896. Cette humiliation appelait une revanche. Après la conférence de Londres, dans le but d’élargir les contacts de l’Association panafricaine, Sylvester-Williams voyage en Jamaïque et à Trinidad, puis aux États-Unis. À Trinidad, il obtient l’adhésion d’un certain James Hubert Alfonso Nurse, le père de Malcolm Ivan Nurse. Ce dernier, pris en charge au début des années 1910 par la veuve de Sylvester-Williams, est connu dans l’histoire sous son nom de plume : George Padmore. Les débats sur les idéologies communistes que Padmore entretient dans les années 1930 en Angleterre avec son ami d’enfance Cyril Lionel Robert James vont stimuler l’émergence d’un nouveau panafricanisme engagé dans les luttes indépendantistes et internationalistes.
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Entre communisme et anticolonialisme : George Padmore et C.L.R. James Padmore est une figure méconnue mais incontournable de l’histoire du panafricanisme, au même titre que Du Bois, Garvey et Nkrumah qu’il côtoya à divers moments de sa vie. Cependant, au contraire des trois géants du panafricanisme, Padmore est resté dans
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l’ombre. Il ne fut ni universitaire mondialement reconnu comme Du Bois, ni leader d’un mouvement populaire comme Garvey, ni chef d’État comme Nkrumah. Pourtant, son parcours et sa personnalité combinent des éléments politiques, intellectuels et populaires fondamentaux. Concises, les deux principales publications qui lui ont été consacrées par James Hooker en 1967 et par Fitzroy Baptiste et Rupert Lewis en 2009 sont loin d’épuiser les sources sur un personnage au cœur des réseaux de militants noirs et anticolonialistes des années 1930, et surveillé par tous les services de renseignements [1] de son époque . Après une scolarité à Trinidad où il commence une carrière de journaliste, Padmore obtient un visa pour aller étudier la médecine et le droit dans les universités noires [2] américaines de Fisk et Howard . En 1927, en compagnie du militant nigérian Nnamdi Azikiwe qu’il vient de rencontrer, Padmore tente en vain de créer une organisation d’étudiants africains aux États-Unis. Dans la foulée, il adhère au Parti communiste américain (PCUSA). À la fin de l’année 1929, le secrétaire général du PCUSA, William Z. Foster, décide de l’envoyer auprès de la IIIe Internationale (Comintern) à Moscou. [3] Padmore ne remettra plus jamais les pieds aux États-Unis .
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Devenu directeur du Bureau nègre du Comintern, a fichant une sensibilité plus léniniste que staliniste, Padmore s’installe à Hambourg, au nord de l’Allemagne. Après un court exil à Vienne, il revient dans la ville hanséatique d’où il correspond avec des mouvements prolétaires et des journaux de gauche du monde entier. Progressivement, Padmore va incarner l’histoire intellectuelle et secrète des mouvements syndicalistes, anticolonialistes, internationalistes et panafricanistes des années 1930 à la fin des années 1950.
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En juillet 1931, Padmore, qui a pris la direction du Comité international des syndicats de travailleurs noirs (International Trade Union Committee of Negro Workers, ITUCNW), organise à Hambourg le premier Congrès international des travailleurs noirs. Avec le militant noir communiste James Ford, il fonde également la revue The Negro Worker. Menacé par la montée du régime nazi, Padmore est arrêté par la police politique à Hambourg, puis expulsé vers Londres en février 1933. Surveillé par les autorités britanniques, il passe les semaines suivantes entre Paris, Copenhague et Londres. Constatant l’ambiguïté de Moscou envers le colonialisme britannique et français, Padmore se désolidarise des instances communistes, qui prononcent son expulsion o ficielle en juin 1934 avant d’engager une campagne de dénigrement à son égard.
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Installé à Londres, devenu antistalinien, Padmore se consacre pleinement à l’organisation des mouvements ouvriers et paysans ainsi que des partis nationalistes [4] dans les colonies . Ainsi, lors d’un meeting, il a la surprise de voir dans l’assistance son
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compatriote C.L.R. James. L’étonnement est partagé, car James ignorait que le célèbre George Padmore et son ami d’enfance Malcolm Nurse n’étaient qu’une seule et même personne. Théoricien de la révolution, critique trotskiste et hégéliano-marxiste, analyste littéraire et sportif, brillant orateur, mentor auprès de nombreux jeunes activistes noirs, James est, selon le poète barbadien George Lamming, l’esprit le plus fin né dans la Caraïbe [5] anglophone . James, qui n’a jamais fait d’études universitaires, est également le symbole de l’autodidacte et la preuve que les voyages et les rencontres font une [6] éducation parfois plus significative que n’importe quel diplôme . Venu de Trinidad en Angleterre en 1932 pour accompagner le joueur de cricket Learie Constantine dans la rédaction de ses Mémoires, James adhère aux thèses trotskistes en côtoyant le prolétariat de la ville industrielle de Nelson, au centre de l’Angleterre, et en parcourant le pays pour couvrir la saison de cricket pour la presse sportive. Fondateur de l’Internationale des amis africains de l’Abyssinie (International African Friends of Abyssinia, IAFA) en réponse à l’agression italienne de 1935, James publie en 1938 deux ouvrages marqués par ses discussions avec ses compatriotes Padmore et Eric Williams qui étudiait alors à Oxford : A History of Negro Revolt, qui étudie les luttes des Noirs depuis le XVIIIe siècle, et, surtout, The Black Jacobins, qui analyse la révolution [A] haïtienne .
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Dans l’Angleterre du milieu des années 1930, James et Padmore animent la dissidence marxiste et internationaliste : celle qui pointe sans concessions les limites de l’idéologie de gauche et de la praxis de la révolution mondiale et l’incapacité des appareils [8] communistes à penser la question raciale et coloniale . En rompant avec le Comintern en 1934, Padmore rejoint James qui n’avait jamais adhéré au communisme dogmatique et autoritaire de Staline. Après avoir rendu visite à Trotski à Mexico en 1939, James est encore plus convaincu de l’importance de refonder l’internationalisme afin de renverser l’impérialisme et le racisme. Bloqué aux États-Unis de 1938 à 1953 en raison de la guerre, James y crée sa propre tendance idéologique (connue sous le pseudonyme « JohnsonForrest »), qui débat avec les groupes socialistes, trotskistes et noirs.
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La guerre italo-éthiopienne Dans la décennie 1935-1945, un petit groupe d’Africains et d’Antillais réunis en Angleterre constitue donc le noyau d’une nouvelle forme de panafricanisme, plus in luencée que la génération précédente par le marxisme : George Padmore, C.L.R. James, I.T.A. Wallace-Johnson, Ras Makonnen, Peter Milliard et Jomo Kenyatta. Il est impossible de faire l’histoire de ce réseau sans évoquer l’impact de l’agression de [9] l’Éthiopie par l’Italie . L’Éthiopie des cercles afro-descendants est d’abord celle de la
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rédemption annoncée dans le psaume 68:31 : « Des grands viendront d’Égypte ; l’Éthiopie tendra les mains vers Dieu. » Ensuite, l’Éthiopie est un symbole de l’indépendance africaine, du nationalisme noir et de la résistance au colonialisme en dépit des convoitises occidentales, et ce depuis la victoire contre les Italiens à Adoua en 1896. Sous la régence de Ras Tafari (le futur Hailé Sélassié), l’Éthiopie se modernise et entre – [10] avec réserve – à la Société des Nations (SDN) en 1923 . Un an plus tôt, l’arrivée au pouvoir de Mussolini à Rome relance le projet colonial italien, exacerbé par le désir de laver l’humiliation d’Adoua. Le 3 avril 1928, soit cinq mois avant la signature d’un traité d’amitié italo-éthiopien, l’Italie ratifie le protocole de Genève contre l’utilisation de gaz asphyxiant. Ces armes seront pourtant stockées pendant l’année 1934 alors que le dictateur italien prépare secrètement les plans de l’invasion de l’Éthiopie. Le 5 décembre 1934, à la suite d’un accrochage entre une escorte éthiopienne et le contingent italien occupant Wal-Wal, dans la province de l’Ogaden, Rome demande aux Éthiopiens des excuses publiques devant le drapeau italien à Wal-Wal, et la condamnation des o ficiers éthiopiens impliqués. L’Éthiopie refuse de s’exécuter et invoque en vain le traité d’amitié de 1928. Hailé Sélassié demande la médiation de la SDN en janvier 1935, mais l’Italie installe des bases militaires au sud et au nord de l’Éthiopie, puis appelle à la mobilisation. Pendant l’été 1935, alors que l’Allemagne remilitarise également, Sélassié tente en vain d’obtenir un prêt pour acheter des armes et défendre son pays.
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Le 3 octobre 1935, sans aucune déclaration de guerre préalable, l’aviation italienne bombarde les civils à Adoua et Adigrat, au nord du pays. Immédiatement saisie par l’ambassadeur éthiopien, la SDN refuse de placer l’Italie sous embargo militaire. En février 1936, Sélassié demande un protectorat britannique mais Londres décide de discuter avec Rome le partage des eaux du Nil Bleu. Finalement, le 2 mai, l’empereur quitte l’Éthiopie dont la capitale tombe aux mains des Italiens trois jours plus tard. En exil à Jérusalem puis à Londres, Sélassié prédit un embrasement général de l’Europe, et [11] déplore l’ine ficacité des sanctions contre l’Italie . L’empereur était loin de se douter que la SDN allait entériner l’occupation italienne dès la mi-juillet. Addis-Abeba allait-elle devenir le nouveau Sarajevo, où l’assassinat de l’empereur austro-hongrois en juin 1914 avait précipité l’Europe dans la Première Guerre mondiale ? Cette interrogation, soulevée par l’écrivain anglais Evelyn Waugh, prend de l’ampleur avec le début de la guerre d’Espagne en juillet 1936 et la mise en place des alliances conduisant à la Seconde Guerre mondiale.
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Le retentissement de l’agression italienne est très fort dans les milieux anticolonialistes et panafricains qui y voient une nouvelle manifestation des liens entre le racisme, le fascisme et le colonialisme, ainsi que de la nature impérialiste de la SDN. En Angleterre, les organisations liées à l’internationalisme et au pacifisme condamnent l’agression italienne. Dès 1936, la su fragette britannique Sylvia Pankhurst fonde le New Times and
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Ethiopian News, un hebdomadaire de soutien à l’Éthiopie. Un an plus tard, sous la houlette de Padmore et d’un groupe de militants africains et antillais, le Bureau international du service africain (International African Service Bureau, IASB), qui a succédé à l’IAFA, lance depuis son siège londonien de Westbourne Grove le journal International African Opinion, qui exprime la « voix des millions d’Africains et d’Afrodescendants opprimés à travers le monde » et lie la cause éthiopienne à la cause [12] anticolonialiste . À Paris, l’ENA de Messali Hadj, la LDRN et Garan Kouyaté se solidarisent avec l’Éthiopie. La section française de la Ligue contre l’impérialisme (LAI) tente de coordonner une réponse commune avec les sections berlinoise et londonienne. Aux États-Unis aussi la cause éthiopienne mobilise. Un mouvement de solidarité se crée autour de l’Église baptiste éthiopienne de Harlem. Le syndicat noir de la Compagnie des porteurs de wagons-lits créé par Asa Philip Randolph lance des collectes de biens et de produits alimentaires en faveur des civils éthiopiens. En août 1936, pour tenter d’obtenir une accréditation o ficielle des autorités éthiopiennes, une délégation afro-américaine de l’United Aid for Ethiopia rend visite à l’empereur en exil à Bath, dans le sud de l’Angleterre. Interdit d’entrée aux États-Unis, Sélassié décide d’y envoyer son médecin personnel, Emmanuel Malaku Bayen qui, accueilli à Harlem avec les honneurs et pris en charge par l’écrivain d’origine jamaïcaine Claude McKay, prend la direction de la Fédération mondiale éthiopienne (Ethiopian World Federation, EWF) créée en août 1937 [13] pour coordonner l’aide aux réfugiés éthiopiens .
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Alors qu’un bataillon afro-américain s’engage à la même époque aux côtés des républicains dans la guerre d’Espagne, un soutien militaire est également évoqué. Samuel Daniels, le leader d’une organisation paramilitaire, l’Association panafricaine de reconstruction (Pan-African Reconstruction Association), lance des campagnes de recrutement à Chicago, Detroit, New York et Kansas City. Il annonce que 30 000 hommes sont prêts à rejoindre l’Éthiopie. Alors qu’à Trinidad et à la Jamaïque des rassemblements ont lieu, des Cubains envisagent également une expédition militaire. En Afrique du Sud, le chef zulu Walter Kumalo tente de lever un régiment pour remonter le continent et libérer l’Éthiopie. Sans le soutien d’un État puissant, les moyens logistiques seront cependant insu fisants pour l’envoi de ces contingents en Éthiopie.
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L’agression italienne est clairement dénoncée dans la presse ouest-africaine, notamment par Azikiwe et Dusé M. Ali. Au Nigeria, les groupes de femmes et de jeunes créent un Comité de soutien à l’Éthiopie. Des anciens combattants de la Gold Coast organisent une « Semaine éthiopienne » en novembre 1935, tandis que 250 hommes forment une force d’expédition Ashanti en Abyssinie. Au Caire, des Égyptiens, des Soudanais et des Syriens organisent un comité de défense et de soutien. En Éthiopie même, plusieurs groupes tentent en vain d’organiser la résistance.
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La tentative avortée de C.L.R. James d’intégrer les rangs d’une hypothétique armée de libération de l’Éthiopie est un autre exemple de cette impuissance relative. Selon les mots de James, en o frant « une expérience militaire inestimable sur le champ de bataille africain où l’une des plus féroces batailles entre le capitalisme et ses opposants approche », la guerre italo-éthiopienne était « une plus grande opportunité de mettre en avant le projet socialiste international », d’interagir avec les masses africaines ou de [14] développer une « propagande antifasciste parmi les troupes italiennes » . D’une manière ou d’une autre, la résistance allait dans le sens de l’histoire. En novembre 1941, les Britanniques, qui ont massivement mobilisé les troupes coloniales (Inde, Rhodésie, Nigeria, Gold Coast), parviennent à libérer l’Éthiopie, in ligeant au passage sa première défaite à l’axe Rome-Berlin.
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La Seconde Guerre mondiale et la question coloniale Au cours du second con lit mondial, le contrôle de l’Afrique se révèle un atout essentiel pour les puissances européennes et leur allié américain. En plus de fournir d’immenses contingents de soldats, le continent est le théâtre de combats décisifs pour le contrôle de routes stratégiques (Éthiopie, Libye, Madagascar). Charles de Gaulle, qui mène la résistance au régime de Vichy sans disposer de base territoriale, parvient à créer un rapport de force, en août 1940, en obtenant le ralliement de l’AEF par l’intermédiaire du gouverneur du Tchad, Félix Éboué, un Noir originaire de la Guyane. Depuis Brazzaville, qui devient provisoirement la capitale de la France libre, les troupes africaines de la Résistance conduites par le colonel Philippe Leclerc remontent à travers le désert pour participer à la victoire sur l’Afrika Korps en Libye, puis aux débarquements de Provence et d’Italie. Le ralliement de l’AOF en décembre 1942 permet de reprendre le contrôle du port de Dakar et de sécuriser l’acheminement d’hommes et de matériel depuis les Amériques. En accord avec les Britanniques, les Américains utilisent les bases de Freetown, Accra, Lagos ou Dar es Salaam comme escales dans les ponts aériens à destination de l’Égypte et du Moyen-Orient, tandis que la base de Fort-Lamy (Ndjamena) héberge l’aviation française.
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L’Afrique apporte également un soutien économique important aux métropoles. En plus de financer l’intégralité du budget du gouvernement belge en exil à Londres, la colonie du Congo fournit des matières stratégiques, notamment l’uranium nécessaire à la fabrication de la bombe atomique américaine. Pour rivaliser avec l’industrie allemande et trouver de nouvelles sources d’approvisionnement en minerais, les sociétés minières européennes augmentent leur activité, notamment en Afrique australe, sans que les Africains, qui subissent de plein fouet l’in lation et le marché noir, ne bénéficient de quelconques retombées.
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Si certains Africains prennent les devants, comme ces Noirs sud-africains qui, espérant obtenir enfin la levée des lois discriminatoires, se portent volontaires pour intégrer l’armée sud-africaine qui combat aux côtés des Alliés, les puissances coloniales usent de tous les moyens pour enrôler les soldats et les travailleurs africains : la coercition, qui ne manque pas de provoquer des mouvements de résistance, et la propagande, qui promet plus de liberté aux colonisés… une fois leur « devoir patriotique » accompli. La France et la Grande-Bretagne promulguent des mesures administratives de circonstance et engagent des réformes mineures qui visent avant tout à amadouer les Noirs.
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Aux États-Unis, plusieurs lobbies noirs se mobilisent autour du président Franklin D. Roosevelt et de son épouse Eleanor pour obtenir des avancées politiques et sociales. Les militants africains insistent pour que les États-Unis se montrent intransigeants, sur la question coloniale, avec leurs alliés européens. En menaçant d’organiser une grande marche de protestation sur la capitale, le syndicaliste Philip Randolph obtient le début de la déségrégation dans les usines des villes du Nord qui, comme lors du précédent con lit, reçoivent un a lux massif de travailleurs noirs du Sud. Avec près d’un million de Noirs mobilisés, l’armée américaine ouvre certaines unités à la mixité raciale (mais la politique de déségrégation ne sera o ficialisée qu’en 1948).
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Au cours du con lit, les Noirs, colonisés ou ségrégués, constatent une nouvelle fois que les Blancs ont bien du mal à tenir leurs promesses. Ainsi, lorsque Winston Churchill et Franklin Roosevelt signent la Charte de l’Atlantique le 14 août 1941, les colonisés imaginent que les déclarations qu’elle contient sur le droit de chaque peuple à vivre en paix et en liberté, à bénéficier de l’indépendance et de la possibilité de choisir son gouvernement font référence à leur situation. Certes, Londres entend laisser plus de place aux Africains dans l’administration coloniale, mais il s’agit, encore et toujours, d’Africains qui lui sont dévoués. Dès 1942, Churchill précise que l’Empire britannique ne sera pas démantelé. Quant au général de Gaulle, il explique, lors de la conférence de Brazzaville de janvier 1944, que la France continuera sa « mission civilisatrice » et exclut toute idée d’autonomie ou de sortie de l’Empire français.
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Ces positions conservatrices, et les pratiques racistes qui se perpétuent, entraînent des mouvements de révolte. En décembre 1944, à Thiaroye (Sénégal), la répression sanglante d’une mutinerie de tirailleurs venus réclamer le paiement de leur solde indique que l’e fort de guerre consenti par les Africains ne sera pas récompensé. Le massacre, en mai 1945, de plusieurs dizaines de milliers d’Algériens à Sétif, Guelma et Kherrata par l’armée et les colons français, au moment même où les Alliés fêtent leur victoire, prouve que les promesses faites aux 250 000 Maghrébins engagés dans les troupes françaises ne seront pas honorées.
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Toutes ces situations placent les anciens combattants dans une situation paradoxale : fiers d’avoir participé à la victoire sur les puissances de l’Axe, formés au maniement des armes et dotés d’une compréhension des enjeux idéologiques et politiques, ils reviennent pourtant au pays avec l’amer sentiment d’avoir, une fois encore, livré une bataille qui n’était pas la leur. Constatant la facilité avec laquelle certains pays européens, comme la France, ont accepté de collaborer avec les régimes fascistes et l’incapacité des autres, comme la Grande-Bretagne, à gagner sans le soutien de leurs alliés et de leurs colonies, les Noirs, qui découvrent également, à la fin du con lit, le génocide des Juifs et le bilan catastrophique de la guerre sur le plan matériel et humain, ont assisté à l’e fondrement moral de l’Europe.
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Un nombre grandissant d’Africains, d’Antillais ou d’Américains noirs tournent alors leurs regards vers d’autres horizons : Moscou, qui a livré un combat sans merci contre les nazis, New York, où s’installe la toute jeune Organisation des Nations unies (ONU), ou le continent asiatique, où certains leaders nationalistes – à l’instar d’Hô Chi Minh en septembre 1945 – déclarent déjà l’indépendance de leurs pays. C’est dans ce contexte qu’est organisé à Manchester, en octobre 1945, le cinquième congrès panafricain.
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Le tournant du congrès panafricain de Manchester (1945) Coprésidé par Du Bois, qui s’est sensiblement rapproché des idéologies socialiste et marxiste dans les années 1930, et par la militante jamaïcaine Amy Ashwood Garvey, la première épouse de Marcus Garvey, l’histoire de ce congrès, qui renoue avec la tradition des congrès de l’entre-deux-guerres, éclaire les relations complexes et croisées qui se sont nouées dans les années 1930, principalement en Angleterre, entre des Africains et [15] des Antillais, et accessoirement des militants originaires des Indes britanniques . En février 1945, alors que les « trois grands » (Churchill, Staline et Roosevelt) se réunissent à Yalta pour discuter du nouvel ordre mondial, Londres accueille les délégués des colonies venus assister à une conférence préparatoire de la Fédération syndicale mondiale (FSM). Apprenant la présence de syndicalistes venus des colonies, Padmore les invite à Manchester et leur propose de revenir à l’automne dans le cadre d’un congrès panafricain.
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Coordonné par Padmore, le congrès doit également beaucoup à Thomas Gri fith alias Ras Makonnen, un militant originaire de la colonie britannique du Guyana. Makonnen lit les œuvres de Garvey et Du Bois dans sa jeunesse, avant de partir étudier l’agronomie aux États-Unis où il rencontre des étudiants éthiopiens. Poursuivant ses études à Copenhague, il révèle comment le Danemark a vendu à l’Italie le gaz utilisé contre les
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civils éthiopiens. Les autorités danoises l’expulsent vers l’Angleterre. C’est à cette période qu’il prend un nom éthiopien et devient trésorier de l’organisation de soutien à [16] l’Éthiopie mise en place par James . À l’instar d’Amy Ashwood Garvey à Londres, Makonnen ouvre aussi un restaurant et un club à Manchester, qui accueillent les soldats noirs stationnés dans le nord de l’Angleterre pendant la guerre. Outre que ces établissements permettent de récolter les fonds nécessaires à l’organisation du congrès de Manchester, ils servent de lieu de rassemblement et de réunion pour les militants. Lesquels se retrouvent également dans le petit appartement londonien des Padmore, dont la fameuse cuisine est « le bureau et le lieu de travail de George », comme le relèvera quelques années plus tard l’écrivain Richard Wright : « À travers cette cuisine-là se sont assemblés presque tous les leaders [17] actuels de l’Afrique noire . »
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Après la rencontre de février 1945, les délégués, revenus dans leur territoire, répondent favorablement au projet de congrès. Dès lors, les organisations noires et panafricaines britanniques accélèrent la cadence. La Fédération panafricaine (Pan-African Federation, PAF), la Ligue des peuples de couleur (League of Coloured Peoples, LCP) du médecin jamaïcain Harold Moody, l’Union des étudiants ouest-africains (West African Students’ Union, WASU) et le Negro Welfare Centre de Londres rédigent un manifeste à l’attention de la conférence de San Francisco, qui doit rassembler en juin les nations du monde pour fonder une nouvelle organisation internationale après la déroute de la SDN : l’Organisation des Nations unies (ONU). Signé par une trentaine d’organisations américaines, africaines et britanniques, le manifeste est confié à Du Bois, qui a la mission de poser auprès de l’ONU naissante la question coloniale. Entre juin et août 1945, des réunions entre les di férentes associations établissent le programme du [18] congrès, prévu pour octobre, dans la foulée de la conférence de la FSM à Paris .
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Les invitations sont envoyées aux organisations basées en Afrique qui désignent leurs représentants et lancent les démarches administratives pour le déplacement à Manchester. En Gold Coast, Kobina Sekyi, qui a succédé à Casely-Hayford à la tête de la GCARPS, demande à Ashie Nikoi, le délégué londonien de l’association, de se rendre à Manchester et de contacter leur compatriote Kwame Nkrumah qui, tout juste venu des États-Unis, s’est mis en relation avec George Padmore et prend une part active dans l’organisation du congrès. Sekyi adresse à Nikoi des instructions très claires, lui demandant de plaider pour l’abolition du système colonial en insistant sur les points suivants :
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Un que l’Afrique se gouvernait elle-même avant l’intrusion européenne. Deux que le gouvernement autonome n’a pas besoin d’un modèle britannique. Trois que la démocratie n’est pas une invention britannique. Quatre que les formes de la démocratie en Gold Coast proviennent de modèles étrangers imaginés par des fonctionnaires du Nigeria pour faciliter l’ascendant des o ficiers blancs et des assistants noirs et pour humilier et contrecarrer les indigènes progressistes [19] patriotes .
Du 15 au 21 octobre 1945, environ deux cents délégués représentant des organisations africaines et caribéennes, ainsi que des observateurs asiatiques, se retrouvent à [20] Charlton Town Hall, à Manchester . Les sessions donnent lieu à des résolutions sur l’ensemble des colonies africaines et antillaises, et sur l’Éthiopie, le Liberia, Haïti, l’Afrique du Sud et le Sud-Ouest africain (Namibie).
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Outre l’octroi de droits politiques et une abolition des lois foncières injustes et préjudiciables aux Africains, le congrès exige l’application aux colonies des principes de la Charte de l’Atlantique, signée par Franklin D. Roosevelt et Winston Churchill en août 1941 : liberté d’expression, liberté de religion, sécurité économique et sécurité physique. En réalité, le congrès s’inspire des idées de Padmore et Nkrumah, ainsi que d’un texte d’Harold Moody, qui était absent lors des discussions. À la tête de la Ligue des peuples de couleur (LCP) fondée dans le Londres des années 1930, Moody rédige en 1944 une « Charte des peuples de couleur » qui réclame l’éducation politique, le [21] développement économique et social et l’indépendance pour les peuples colonisés .
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Dans une « Déclaration aux puissances coloniales », les délégués soulignent que leur patience et leur pacifisme n’enlèvent rien à leur détermination pour se libérer du colonialisme, et qu’ils se gardent le droit de recourir à la force comme mode ultime d’acquisition de l’autonomie. Réclamant, « pour l’Afrique noire, l’autonomie et l’indépendance », ils souhaitent une « démocratie économique » et condamnent « le monopole du capital et le règne de la richesse et de l’industrie privée pour de simples [22] profits personnels ». Cette déclaration souligne la contradiction entre le système colonial, qui repose sur l’inégalité et l’arbitraire, et les aspirations africaines, qui mettent en avant les notions de justice et d’égalité : égalité économique (« à travail égal, salaire égal ») et politique (« un homme, une voix »).
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Le ton employé dénote également d’un changement radical de stratégie : pour la première fois, l’idée d’une résistance active – potentiellement violente – est évoquée : « Les délégués croient à la paix […]. Mais si l’Occident est encore déterminé à gouverner l’humanité par la force, alors les Africains devront, en dernier recours, faire appel à la force dans le but de conquérir la liberté, même si la force doit les détruire, eux comme le [23] monde . » Alors que les congressistes envoient un message de solidarité aux nationalistes d’Inde, d’Indochine et d’Indonésie, et demandent aux marins noirs de ne
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plus y transporter d’armes pour le compte des forces britanniques, françaises et hollandaises qui tentent de reprendre pied en Asie après le départ des Japonais, ce changement de stratégie annonce les guerres qui, dans les années suivantes, opposeront les colonisés aux puissances impériales dans plusieurs parties du monde (Indochine, Birmanie, Kenya, Algérie, Cameroun, etc.). Dans une autre déclaration, adressée cette fois « aux peuples colonisés », les délégués appellent à libérer les colonies « du contrôle impérialiste étranger, qu’il soit politique ou économique », à choisir librement leur propre gouvernement, à utiliser tous les moyens nécessaires pour y parvenir, à soutenir les travailleurs des colonies dans le cas des boycotts et des grèves. Ils pressent également les intellectuels africains à prendre leurs responsabilités en di fusant leurs connaissances auprès des populations par l’intermédiaire de la presse, des coopératives, des syndicats et des organisations [24] politiques .
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Une nouvelle génération À la di férence des précédents congrès, nettement plus réformistes et animés par des personnalités qui jouissaient d’une in luence relativement faible, celui de 1945 réunit des personnes en capacité et en position d’agir. Au sortir de la guerre, nombre des militants présents à Manchester savent que le monde à venir sera di férent de celui qu’ils ont connu jusque-là. Ils devinent également qu’ils auront maintenant un rôle à jouer : les mots d’ordre d’autonomie, de self-government et même d’indépendance ouvrent de nouvelles perspectives. Cependant, Du Bois tempère les ardeurs :
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Nous sommes nombreux à dire que nous pouvons maintenant prendre en main notre destin, et bien le faire ; cela n’est peut-être pas vrai. Gouverner est une a faire d’expérience, de longue expérience. Tout peuple qui retrouve son autonomie [selfgovernment] après en avoir été longtemps privé est susceptible de faire des erreurs. C’est tout simplement humain, et nous disons que nous avons le droit de faire des erreurs car c’est comme cela qu’on apprend. Nous a firmons donc que devons nous [25] gouverner nous-mêmes même si cela devait nous amener à faire des erreurs .
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Encouragés par la dynamique impulsée à Manchester, nombre de délégués, notamment dans la nouvelle génération, s’engagent concrètement dans le combat pour la libération de leurs territoires respectifs. C’est le cas en particulier de Jomo Kenyatta. Après quinze années passées à Londres, où il s’est illustré en 1938 en publiant une étude sur sa société d’origine (Facing Mount Kenya), il retourne dans son pays natal en 1946 et prend la tête de l’Union africaine du Kenya (Kenya African Union, KAU), créée deux ans plus tôt pour réclamer des réformes constitutionnelles. Accusé à tort d’être à l’origine de
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l’insurrection paysanne des « Mau-Mau », Kenyatta sera incarcéré pendant de longues années par les autorités britanniques, qui réprimeront parallèlement, de façon extrêmement violente, la révolte Mau-Mau, faisant des dizaines de milliers de morts. Devenu, dans les années 1950, un symbole pour les peuples en lutte, pas toujours conscients des di férences qui le séparent des insurgés, Kenyatta deviendra au début la décennie suivante le premier président du Kenya indépendant. Autre personnalité montante de la scène politique africaine, également présente à Manchester : Kwame Nkrumah. Originaire de Gold Coast, comme bien d’autres militants panafricains, c’est lui qui deviendra dans les années suivantes la principale figure du panafricanisme. Comme ses aînés de la NCBWA mais de façon plus radicale, Nkrumah estime que c’est à l’échelle régionale, et bientôt continentale, qu’il faut réclamer l’indépendance. Sous son impulsion, une nouvelle géographie du panafricanisme émerge : après Haïti, la Sierra Leone, le Liberia et l’Éthiopie, c’est vers le Ghana que se tournent bientôt les regards des militants panafricains.
Notes [1]
James R. HOOKER, Black Revolutionary. George Padmore’s Path from Communism to PanAfricanism, Pall Mall Press, Londres, 1967.
[2]
Hakim ADI et Marika SHERWOOD, op. cit., p. 152-158.
[3]
James R. HOOKER, op. cit., p. 16.
[4]
Ibid., p. 39-57.
[5]
Dennis BENN, op. cit., p. 171.
[6]
Kent WORCESTER, C.L.R. James. A Political Biography, State University of New York Press, Albany, 1996.
[A]
Ce dernier ouvrage est, à l’origine, une pièce de théâtre écrite à l’attention de Paul Robeson, acteur, chanteur et écrivain afro-américain installé à Londres. Approché par le réalisateur soviétique Sergueï Eisenstein, qui souhaitait réaliser un film sur la guerre d’indépendance d’Haïti, Black Majesty, Robeson se rend à Moscou en 1933 (où il est accueilli malgré un visa invalide) mais le projet de film avorte.
[8]
C.L.R. JAMES, Sur la question noire, Syllepses, Paris, 2012. Voir aussi Cedric J. ROBINSON, Black Marxism, University of North Carolina Press, Chapel Hill, 2000.
[9]
Samuel K.B. ASANTE, Pan-African Protest. West Africa and the Italo-Ethiopian Crisis, 19341941, Longman, Londres, 1977.
[10]
George PADMORE, « Ethiopia today », in Nancy CUNARD, Negro, Frederick Ungar, New York, 1970, p. 386-392.
[11]
OIF, Le Mouvement panafricaniste…, op. cit., p. 189-197.
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[12]
Matthew QUEST, « George Padmore’s and C.L.R. James’ International African Opinion », in Fitzroy BAPTISTE et Rupert LEWIS (dir.), George Padmore. Pan-African Revolutionary, Randle Publishers, Kingston, 2009, p. 105-132.
[13]
Joseph E. HARRIS, African-American Reactions to War in Ethiopia, 1936-1941, Louisiana State University Press, Baton Rouge, 1994, p. 127.
[14]
C.L.R. JAMES, Sur la question noire, op. cit., p. 37.
[15]
James R. HOOKER, op. cit., p. 80-98.
[16]
Ras MAKONNEN, Panafricanism from Within, Oxford University Press, Londres, 1973. Voir aussi Hakim ADI et Marika SHERWOOD, op. cit., p. 117-122.
[17]
Richard WRIGHT, cité in George PADMORE, Panafricanisme ou communisme ? La prochaine lutte pour l’Afrique, Présence africaine, Paris, 1961, p. 10.
[18]
Joachim GOMA-THETHET, op. cit., p. 66-70.
[19]
J. Ayodele LANGLEY, Pan-Africanism and Nationalism in West Africa, op. cit., p. 352.
[20]
Hakim ADI et Marika SHERWOOD, The 1945 Manchester Pan-African Congress Revisited, New Beacon Books, Londres, 1995.
[21]
Hakim ADI et Marika SHERWOOD, Pan-African History, op. cit., p. 134-137.
[22]
Hakim ADI et Marika SHERWOOD, The 1945 Manchester Pan-African Congress Revisited, op. cit., p. 55-56.
[23]
OIF, Le Mouvement panafricaniste…, op. cit., p. 206.
[24]
George PADMORE, Panafricanisme ou communisme ?, op. cit., p. 161-179.
[25]
J. Ayodele LANGLEY, Pan-Africanism and Nationalism in West Africa, op. cit., p. 354.
Plan Entre communisme et anticolonialisme : George Padmore et C.L.R. James La guerre italo-éthiopienne La Seconde Guerre mondiale et la question coloniale
10. L’étoile noire brille sur Accra [A]
Amzat Boukari-Yabara Dans Africa Unite ! (2017), pages 141 à 156
Chapitre
C
elui qui incarne le mieux le « panafricanisme » dans la mémoire collective contemporaine, Kwame Nkrumah, est né en septembre 1909 dans le village de [2] Nkroful, en pays Akan, au sud de la Gold Coast . Issu du peuple Nzima, le jeune Nkrumah passe les premières années de sa vie avec sa mère avant de rejoindre son père, en 1912, qui est artisan à Half Assinie, petit village côtier à la frontière de la colonie française de Côte d’Ivoire. Formé dans une école jésuite, il est recruté en 1926 comme maître-assistant à l’école normale secondaire récemment ouverte à Achimota, dans la banlieue d’Accra, où il bénéficie du tutorat du savant James Emmanuel Kweggyir Aggrey. Premier Africain professeur à Achimota, Aggrey a étudié la théologie aux ÉtatsUnis avant de parcourir plusieurs pays du continent (Congo, Éthiopie, Tanzanie, Afrique du Sud), dans le cadre d’une mission financée par le philanthrope américain Phelps Stokes, pour tenter de mettre en place un enseignement agricole basé sur les [3] savoirs locaux .
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En 1930, devenu enseignant et directeur dans des écoles catholiques, Nkrumah fonde plusieurs cercles de lecture et de débats. Il explore les écrits de Du Bois et de Garvey, et échange avec le militant nigérian Nnamdi Azikiwe, qui dirige un journal à Accra. Ce dernier le convainc de poursuivre sa formation aux États-Unis. En 1935, avec 150 livres d’économies, il part en Angleterre récupérer son visa pour les États-Unis. Apprenant l’invasion de l’Éthiopie lors de son transit, il décide de continuer son voyage vers New [4] York .
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L’entrée en scène de Nkrumah Avant son arrivée aux États-Unis, Nkrumah avait écrit au doyen de l’université Lincoln, près d’Oxford (Pennsylvanie). Admis après avoir passé un examen, il obtient une bourse néanmoins insu fisante, avant de trouver un emploi d’assistant dans la bibliothèque universitaire. Durant tout son séjour américain, Nkrumah est obligé de faire des petits boulots : serveur, vendeur de poisson, docker… Diplômé de sociologie et d’économie en 1939, il renonce d’ailleurs à s’inscrire à l’école de journalisme de l’université Columbia, à New York, en raison du montant des frais d’inscription. En revanche, il accepte un poste de chargé de cours en théologie et philosophie à l’université Lincoln. Il y enseigne les auteurs classiques allemands, avant de partir suivre un cursus en sciences de l’éducation à l’université de Philadelphie.
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Bardé de diplômes, Nkrumah rejette néanmoins l’embourgeoisement et la voie royale d’une carrière dans les universités américaines. À Philadelphie, il marche dans les pas de Du Bois qui avait réalisé en 1899 la première étude de sociologie américaine consacrée au quartier noir de la ville. Fréquentant l’église presbytérienne, Nkrumah réalise à son tour une étude sur les conditions de vie des Noirs. Pour cela, il visite des centaines de foyers et apprend l’histoire afro-américaine de l’intérieur. Ainsi, lorsqu’il devient chargé de cours en « histoire nègre » à l’université de Philadelphie, il s’interroge sur l’absence de cours en histoire de l’Afrique. Nkrumah décide alors de fonder l’Association des étudiants africains des États-Unis et du Canada, dont il devient le président et l’éditeur de son journal, l’African Interpreter. Dans une Amérique engagée dans la Seconde Guerre mondiale mais dont la partie méridionale reste livrée à la ségrégation raciale, Nkrumah suit les travaux du Conseil des a faires africaines (Council on African A fairs, CAA), un groupe mis en place en 1937 par Paul Robeson, Du Bois et Max Yergan pour conseiller les autorités américaines sur la situation de l’Afrique.
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Surtout, Nkrumah lit énormément : Hannibal, Cromwell, Napoléon, Mazzini, Gandhi, Marx, Engels et Lénine n’ont aucun secret pour lui. Il élargit son audience et son analyse en suivant les débats propres aux mouvances américaines démocrates, républicaines, trotskistes, communistes, franc-maçonnes et noires américaines. C’est dans le cadre de [5] cette ouverture intellectuelle qu’il rencontre C.L.R. James . Au printemps 1945, lorsque Nkrumah quitte les États-Unis pour le Royaume-Uni dans l’idée d’e fectuer un doctorat en philosophie ou en droit à Londres, James lui remet une lettre de recommandation à l’attention de Padmore. À la descente du train en gare de Londres, Padmore, qui cherche [6] des volontaires pour organiser l’IASB, l’attend sur le quai . Cette collaboration, qui débute avec l’organisation du congrès de Manchester à l’automne 1945, est la plus fructueuse de l’histoire du panafricanisme. Elle ne prendra fin qu’au décès de Padmore en 1959.
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Une nouvelle dynamique ouest-africaine Convaincu que les Africains doivent obtenir leur indépendance collectivement et par leurs propres moyens, Nkrumah participe, quelques semaines après le congrès de Manchester, à la création du Secrétariat national ouest-africain (West African National Secretariat, WANS). Constituée à Londres en décembre 1945, cette nouvelle organisation entend contribuer à l’éducation politique des Ouest-Africains, favoriser la solidarité entre les territoires et hâter ainsi la marche vers l’indépendance de la région. Perçu par l’historien Ayodele Langley comme une « combinaison intéressante de messianisme [7] politique et d’ambition politique », le WANS cherche à coordonner les mouvements nationalistes ouest-africains et à créer un front commun, avec toutes les organisations politiques et sociales d’Afrique de l’Ouest. Le 1er février 1946, le WANS, en conférence à Londres, demande à l’ONU d’aider les Africains à obtenir leur indépendance immédiate et à démanteler le système colonial. La conférence prend cependant note des divisions [8] territoriales politiques, économiques et sociales du continent .
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En mars 1946, le WANS lance le mensuel New African, dont la devise indique sans détour les objectifs de l’organisation : « Pour l’unité et l’indépendance totale ». Joignant le geste à la parole, Nkrumah forme un petit groupe révolutionnaire à l’intérieur de l’Union des étudiants ouest-africains (WASU). Ce petit groupe clandestin, baptisé The Circle (le cercle), s’engage à développer l’agitation radicale jusqu’à obtenir l’indépendance. En septembre 1946, en présence de 200 à 300 étudiants, militants et syndicalistes, la WASU et le WANS organisent trois jours de conférence avec l’objectif d’approuver et de dépasser les résolutions du congrès de Manchester. La conférence propose la tenue d’une Assemblée constituante chargée de rédiger une Constitution avec l’adoption d’un programme politique et d’un gouvernement provisoire visant la réalisation des ÉtatsUnis socialistes d’Afrique. La presse panafricaine (West African Pilot, WASU Magazine et West Africa) di fuse le compte rendu de la conférence qui propose également l’adoption d’une langue commune.
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La question linguistique est d’importance. Car, conscient du fractionnement du continent, les militants ouest-africains savent que, pour donner du poids à leurs revendications, le renfort de leurs homologues francophones ne sera pas de trop. Dans cet esprit, Nkrumah se rend une première fois à Paris à l’été 1946 pour discuter avec les Sénégalais Léopold Sédar Senghor et Lamine Gueye, l’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny et le Dahoméen Sourou Migan Apithy, tous élus, quelques mois plus tard, à l’Assemblée nationale. Les dirigeants francophones se montrent ouverts à l’idée d’un bloc ouestafricain indépendant, mais dans un délai indéterminé. Le 30 août 1946, invités à une conférence du WANS à Londres, Apithy et Senghor, apparemment séduits par un projet fédéral ouest-africain, expriment leur rejet de l’approche gradualiste qui, compatible avec l’idéologie de la « colonisation civilisatrice », veut que les colonisés s’émancipent
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très progressivement et en bonne intelligence avec les autorités tutrices. Mais les changements constitutionnels, résultant de la loi Lamine Gueye du 7 mai 1946 qui accorde – théoriquement – aux ressortissants des territoires d’outre-mer la citoyenneté et les mêmes droits qu’aux autres Français, conduisent les dirigeants africains des colonies françaises à privilégier l’égalité et l’intégration dans l’Union française. Quant aux Antillais qui ont joué un rôle fondamental pour semer la graine du panafricanisme à Londres comme à Paris, ils se sentent de plus en plus étrangers dans des organisations dirigées par des Africains qui semblent restreindre la situation coloniale au continent. Au début de l’année 1947, le président ghanéen de la WASU, Joe Appiah, part en mission à Paris pour le compte du WANS. Il rencontre à nouveau les députés africains Senghor, Apithy et son assistant Émile Derlin Zinsou, ainsi que des responsables des partis tunisien du Néo-Destour et marocain de l’Istiqlal, tous deux créés en 1934. Appiah est relativement rassuré de voir que les francophones sont également mobilisés. En septembre 1947, Nkrumah revient en France pour s’entretenir avec Raymond Barbé du Comité central du PCF et les dirigeants du Rassemblement démocratique africain (RDA), le parti créé quelques mois plus tôt à Bamako par les députés africains. Cependant, les divisions sociales et idéologiques, ainsi que l’hostilité manifeste de la France à tout projet indépendantiste et panafricain, conduisent Nkrumah à prendre ses distances avec les mouvements politiques africains francophones.
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La marche vers le pouvoir Les e forts de Nkrumah pour constituer un font commun ouest-africain sont de toute façon interrompus par les sollicitations qu’il reçoit de Gold Coast. À l’automne 1947, il reçoit une lettre d’Ebenezer Ako-Adjei, un compatriote rencontré à l’université Lincoln avec lequel il éditait le journal African Interpreter. Ako-Adjei lui propose de rentrer au pays pour prendre la fonction de secrétaire général de la Convention de la Gold Coast unie (United Gold Coast Convention, UGCC). Bien que ce parti soit opposé au WANS, qu’il suspecte d’accointances avec le communisme, Nkrumah accepte la proposition. En novembre 1947, à bord du Accra, il quitte Liverpool en compagnie de son ami Kojo Botsio. Après une escale à Freetown, où il s’entretient avec son ami le militant sierra-léonais I.T.A. Wallace-Johnson, il débarque au port ghanéen de Takoradi.
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Alors qu’un mouvement social, animé par des chefs traditionnels, des vétérans de guerre et de jeunes prolétaires, agite la Gold Coast, Nkrumah décide de transformer l’UGCC en porte-parole de la population et de ses aspirations à l’indépendance. En quelques mois, il rédige un programme politique, forme les militants, organise des collectes et ouvre des bureaux de l’UGCC dans tout le pays. Dès février 1948, la Gold Coast connaît de nouveaux troubles. Des boycotts et des manifestations sont organisés pour protester
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contre le coût de la vie. Les anciens combattants marchent en direction du Fort Christiansborg, siège du gouvernement colonial. Sur place, un o ficier britannique s’empare d’un fusil et abat plusieurs vétérans. La répression déclenche des émeutes et des magasins d’Européens, de Syriens et de Libanais sont pillés à Accra. L’administration coloniale, confrontée pour la première fois à un tel événement, accuse l’UGCC et arrête Nkrumah, qui est détenu pendant deux mois, en compagnie de cinq de ses camarades. À sa libération, cherchant à s’émanciper de la ligne réformiste de son propre parti, Nkrumah part à la rencontre des enseignants grévistes et des étudiants qui ont été démis de leurs fonctions ou renvoyés de leur établissement par les autorités coloniales en raison de leurs opinions politiques. Utilisant une partie de son propre salaire, il loue un espace et du matériel pour que les professeurs licenciés puissent enseigner aux étudiants renvoyés. Au bout d’un an, le Ghana College compte déjà plus de 200 étudiants, et le modèle s’exporte dans le reste du pays. Dans la foulée, Nkrumah crée un Comité d’organisation de la jeunesse (Committee of Youth Organization, CYO), qui réclame l’indépendance de la Gold Coast, et se sépare de l’UGCC. Soutenu par ses amis Kojo Botsio et Komla Agbeli Gbedemah, Nkrumah démissionne et crée le Parti de la convention du peuple (Convention People’s Party, CPP), qui se veut un parti tourné vers les milieux populaires.
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Ne relâchant pas la pression sur les autorités coloniales, qui tentent quelques réformes institutionnelles pour apaiser les esprits, Nkrumah et ses camarades accélèrent la cadence, multiplient les revendications et propagent le mot d’ordre d’« indépendance immédiate » (« Independence now ! »). Fin 1949, ils installent à Accra une Assemblée représentative du peuple et lancent une campagne de désobéissance civile qui paralyse bientôt la colonie et vaut à Nkrumah une nouvelle arrestation. Condamné à trois ans de prison, il profite cependant d’une faille juridique pour présenter sa candidature aux élections de février 1951. L’humiliation est grande pour les Britanniques : Nkrumah est largement élu et le CPP remporte le scrutin haut la main. Cherchant à garder la face et à préserver les intérêts britanniques en prévision d’une indépendance devenue inéluctable, le gouverneur de la Gold Coast libère Nkrumah, et lui demande de former le nouveau gouvernement.
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La décolonisation, ou la politique du compromis Exercer le pouvoir est aussi di ficile que d’y accéder, surtout quand on doit composer avec les autorités coloniales et avec des groupes sociaux aux intérêts divergents. Nkrumah et son gouvernement s’imposent donc un délai de six ans pour maîtriser les rouages de la souveraineté : la diplomatie, la défense, le budget et le pouvoir de
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nomination dans la fonction publique. Ce délai peut paraître contradictoire avec le slogan d’« indépendance immédiate » mais il se révèle nécessaire : les Africains, en arrivant au pouvoir, n’ont aucune connaissance des a faires en cours puisque les colons, depuis la première heure, se sont e forcés de les en écarter. Par conséquent, leur travail est particulièrement ardu : prendre connaissance de dossiers techniques, découvrir les rouages de l’administration, faire des erreurs pour apprendre… Tout cela prend du temps, sous le regard mi-condescendant mi-bienveillant des conseillers britanniques. Pire, des résistances à l’indépendance voient le jour parmi des groupes d’Africains aliénés au pouvoir colonial. Le système de l’administration indirecte place notamment les chefs locaux qui avaient pactisé avec le colonisateur en porte-à-faux : ils craignent que l’indépendance ne remette en cause leur légitimité. Aux côtés des chefs traditionnels, la vieille classe politique de l’UGCC, qui a hérité des ré lexes conservateurs du NCBWA, se sent trahie par Londres, accusé d’avoir laissé de jeunes aventuriers prendre le pouvoir. Alors que la construction du nouvel État qu’il convient de mener à l’indépendance nécessite l’e fort de tous, cette élite se met en tête que l’échec de Nkrumah, même s’il signifie l’échec de l’indépendance, serait le meilleur moyen de reprendre le pouvoir. Dans les années qui précèdent l’indépendance, les élites se déchirent : alors qu’une partie de la classe politique salue la bienveillance des Britanniques et se serait, en échange, contentée de quelques miettes de pouvoir, Nkrumah adopte une attitude plus radicale. Pour gagner l’adhésion du peuple, il estime que les Africains ne doivent pas quémander auprès des Britanniques, mais que ce sont les colons qui devraient remercier les Africains de continuer à les accepter et les supporter, et de ne pas leur tenir rigueur des conséquences néfastes de la colonisation.
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Des divisions apparaissent également au sein même des élites indépendantistes. Massivement soutenu par la population en 1951, le CPP est progressivement gagné, à son sommet, par ce qu’une certaine rhétorique appelait à l’époque des « ré lexes petitbourgeois » : certains responsables, en quête d’enrichissement personnel et de privilèges, cherchent à ménager les intérêts des entreprises occidentales qui entendent garder le contrôle de l’économie locale malgré l’indépendance annoncée. Pour contrer ces velléités conservatrices, des leaders syndicaux qui avaient été emprisonnés en même temps que Nkrumah décident de s’organiser pour prendre le contrôle du Congrès des syndicats de la Gold Coast (Gold Coast Trade Union Congress, GCTUC), le syndicat probritannique. La radicalisation d’une partie des militants indépendantistes s’explique aussi par la prudence de Nkrumah dans les années qui précèdent l’indépendance. Observant que chaque élection locale avant l’indépendance de 1957 est marquée par des actes de banditisme et des intimidations, il sait que le moindre dérapage peut servir de prétexte à Londres pour tout annuler et revenir à la situation d’avant 1951. Nkrumah décide alors, de lui-même, d’expulser les militants radicaux du CPP pour contrer ceux qui, de plus en plus nombreux, l’accusent de « communisme ».
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Malgré les di ficultés, le CPP, qui compte alors 700 000 membres dans environ un demimillier de sections, remporte tour à tour les élections de 1954 et de 1956. Plus rien n’empêche dès lors la Gold Coast d’accéder à la pleine souveraineté. Le 6 mars 1957, le jour anniversaire du Fanti Bond, l’accord par lequel le Royaume-Uni avait établi, en 1844, les bases de sa domination coloniale, le territoire accède à l’indépendance sous le nom de Ghana, avec un drapeau vert, rouge et or lanqué, en son centre, d’une étoile noire, en hommage à Marcus Garvey. Outre la référence au royaume précolonial du même nom, renommer le pays « Ghana » est une manière de réa firmer l’indépendance d’un État : contrairement à la Gold Coast (Côte de l’Or), ce nom n’est plus de nature à être traduit [9] di féremment en fonction des langues étrangères .
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Dans son discours de l’indépendance, Nkrumah remercie d’abord les jeunes, les paysans et les femmes pour leur combat, avant de saluer les anciens administrateurs britanniques. En réalité, pendant les six années de partage du pouvoir avant l’indépendance, Nkrumah est devenu moins intransigeant à l’égard de la présence britannique. En saluant l’ancienne puissance coloniale, il tient à la remercier de ne pas avoir fait opposition à un processus inéluctable. Avec fierté, il appelle à la création d’une nouvelle « personnalité africaine », en demandant à son peuple de changer d’état d’esprit, de prendre conscience qu’il est libre et indépendant : les Africains, déclare-t-il, vont enfin pouvoir montrer de quoi ils sont capables. Mais il prévient également que l’indépendance du Ghana n’est qu’une étape et que de nouveaux combats devront être livrés. « Notre indépendance, souligne-t-il, n’est rien si elle n’est pas reliée à la libération totale de l’Afrique. »
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Comment construire une nation indépendante ? Moment fondateur de la nation, l’indépendance du Ghana intervient au bout d’un délai de six ans qui a contraint Nkrumah à modérer les ardeurs des travailleurs, des ouvriers, des paysans, des artisans, des femmes, des commerçants, des jeunes, des sans-emploi, des pêcheurs et des enseignants. Tous lui demandaient d’aller le plus vite possible vers l’indépendance. Nkrumah ne les avait-il pas habitués à scander « l’indépendance, maintenant » ? Nkrumah n’avait-il pas a firmé, sûr de lui, qu’il fallait « chercher d’abord le royaume politique et tout vous sera donné par la suite » ? En réalité, rien n’a été donné, tout a été conquis au terme de luttes et de négociations âpres, aussi rudes qu’une lutte au corps à corps. La pratique de l’autonomie a nécessité des négociations quotidiennes avec les Britanniques, et des tensions avec l’opposition qui rechigne à jouer son rôle sur l’échiquier parlementaire. Comme Haïti en son temps, le Ghana devient l’objet d’attention du monde entier pour sa capacité à assumer son indépendance, et un cas d’étude des relations internationales en raison de la manière
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dont Nkrumah va progressivement lier la souveraineté du Ghana à un projet d’envergure continentale, suscitant une certaine incompréhension jusque dans son propre camp. Le premier élément de la souveraineté étant la sécurité, Nkrumah, qui fait face à l’hostilité et aux menaces physiques de plusieurs groupes, décide de promulguer en juillet 1958 la loi de détention préventive pour lutter contre des factions paramilitaires du parti ethnique des Ga. Immédiatement, la presse britannique l’accuse de réduire les libertés et d’être un dictateur. Cette même presse britannique reste silencieuse lorsque Nkrumah rétorque que cette loi s’inspire des mesures instaurées au Kenya par le [10] secrétaire aux Colonies, Alan Lennox-Boyd .
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Nkrumah découvre également qu’il est plus dangereux de remettre en cause les intérêts financiers et les privilèges économiques hérités de la colonisation que le système administratif ou policier du pays. Lorsqu’il sort de prison en 1951 pour former son premier gouvernement, le leader ghanéen rejette tout désir de vengeance sur les Européens. Tout en se déclarant, de manière atypique, à la fois socialiste, marxiste et chrétien, il souligne qu’il n’a jamais mis les pieds à Prague ou à Moscou, alors qu’il connaît bien Paris et Londres, et qu’il souhaite maintenir le pays dans le Commonwealth. Toute ancienne colonie qui adhère à cette organisation garde sa souveraineté mais, d’une part, elle reconnaît dans son protocole le monarque anglais comme son propre monarque et le symbole d’une certaine unité politique, et, d’autre part, elle a la possibilité d’arrimer sa monnaie nationale à la livre sterling. Rassurés, les conseillers britanniques font comprendre à Nkrumah que la stabilité politique signifie aussi la stabilité économique, et donc la poursuite d’un modèle centré sur la production du cacao.
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Avant l’indépendance, les Britanniques ont mis en place un Bureau de commercialisation du cacao. Ce Bureau propose de payer les paysans en dessous du prix du marché et de placer la di férence dans un fonds qui leur est versé en cas de crise lors des années de faible production. La production totale des paysans africains est achetée par le Bureau, qui la revend ensuite aux entreprises sur le marché international. Le Bureau réalise ainsi des profits qui sont stockés à Londres. Cet argent, qui est donc le fruit du travail des paysans africains, leur est inaccessible. En 1953, le Bureau vend le cacao pour 74 millions de livres mais les paysans ghanéens n’en reçoivent que [11] 28 millions .
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Pris en tenailles entre les paysans et la bourgeoisie locale qui travaille comme partenaire avec les entreprises commerciales occidentales, Nkrumah annonce le lancement d’une Compagnie d’achat du cacao pour que l’État assure le meilleur prix de vente aux paysans. Or la production de cacao fait la richesse du territoire ashanti. Si la réforme économique du secteur du cacao ne marche pas, c’est tout le pays ashanti qui risque de
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se soulever contre Nkrumah à l’appel du Mouvement de libération nationale (National Liberation Movement, NLM). Dominé par les Ashanti, et regroupant d’anciens amis de Nkrumah comme Joe Appiah, ce parti d’opposition créé en septembre 1954 à Kumasi milite pour une nouvelle Constitution dans laquelle les régions fortes et riches peuvent contrebalancer, voire s’opposer au gouvernement central. Ainsi confronté à la di ficulté de construire l’unité nationale, Nkrumah a fine sa vision d’une unité continentale qui servira de base au moment de plaider pour la mise en place des États-Unis d’Afrique. Le Premier ministre, qui veut une Constitution où le gouvernement central et unitaire a le dernier mot, comprend qu’il doit être en mesure de maintenir la richesse du pays ashanti à l’intérieur de l’ensemble national pour avoir une assise électorale su fisante. En revanche, maintenir la monoculture du cacao propre à une région revient à perpétuer un système qui rend tout le pays encore plus dépendant de ceux qui contrôlent le secteur du cacao. Cela renforce également le poids économique et politique du régionalisme. Enfin, développer la production du cacao revient à accroître la dépendance du Ghana aux importations alimentaires, et donc à creuser la dette extérieure.
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En e fet, le cacao apporte des gains à court terme qui peuvent se transformer en pertes à long terme. Le journaliste et historien Basil Davidson note que le Ghana produit 350 000 tonnes de cacao en 1960 et 494 000 cinq ans plus tard. Pourtant, les recettes liées à l’exportation du cacao en 1965 sont inférieures à celles de 1960. Le problème ne relève donc pas du volume de production, qui s’est accru dans la période postcoloniale sous Nkrumah (1957-1966), mais du système dans lequel cette production fonctionne. Ce système fait en sorte que, pour une production supérieure en volume, le Ghana reçoit des revenus inférieurs en devises. Pionnier de l’indépendance, le Ghana est donc le premier pays africain confronté au piège des politiques qui favorisent la production sous prétexte de « développer » le pays. Ces politiques de « développement », qui sont donc en réalité des politiques de croissance, bénéficient pourtant bien plus aux entreprises et aux intermédiaires qu’aux travailleurs et aux populations locales.
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Comment contrer le néocolonialisme ? Pour passer à un État fort, unitaire, avec une démocratie élargie, Nkrumah juge qu’il est nécessaire de changer de système économique et d’embrasser la rhétorique socialiste. Très vite, il annonce qu’il faut diversifier la production, poser les fondations d’une industrie lourde, réduire la dépendance alimentaire extérieure, et cela par des moyens non capitalistes. Sa méthode est de rompre avec le système hérité de la colonisation qui favorise une croissance sans développement. Nkrumah lance une série de grands projets avec le barrage de la Volta, pour produire de l’électricité à bas prix afin de soutenir les
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nouvelles industries. Un port en eau profonde est construit à Tema, à l’est d’Accra. L’objectif est de transformer sur place le minerai de bauxite pour lancer un programme [12] d’exportation d’aluminium, notamment en direction des pays du bloc soviétique . Cependant, les adversaires de Nkrumah profitent de ces di ficultés économiques et de cette réorientation vers un mode de production socialiste pour l’attaquer. En exil en Angleterre, son principal opposant, Kofi Busia, part aux États-Unis pour rencontrer le sénateur du Connecticut, Thomas J. Dodd, président d’une commission du Sénat, et discuter avec lui des moyens d’empêcher le Ghana d’acquérir son autonomie financière et énergétique. L’objectif est d’inviter les multinationales à exporter vers le Ghana du minerai de bauxite, pour le transformer en aluminium à moindre coût en utilisant les installations financées par le gouvernement ghanéen, puis à réexporter l’aluminium à leur propre compte. Le Ghana devient ainsi une usine de transformation au service du développement industriel de l’Occident, tandis que ses richesses répertoriées par les [13] firmes multinationales sont gardées en réserve dans le sous-sol .
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Pour ce qui concerne la levée des fonds bancaires, il est impensable pour Nkrumah que le Ghana devienne indépendant en continuant à financer le système bancaire britannique. À l’indépendance, Accra prend le contrôle d’une réserve de 170 millions de livres stockées à Londres. Six ans plus tard, la baisse de cette réserve à hauteur de 73 millions conduit les Britanniques à accuser Nkrumah de mauvaise gestion. En réalité, Londres aimerait que le Ghana cesse d’utiliser son argent à sa guise et laisse les banques londoniennes en garder le contrôle, selon un système financier et monétaire proche de celui que Paris s’apprête à mettre en place dans le cadre de l’indépendance imminente [14] de ses colonies africaines . Pionnier de l’indépendance africaine, Nkrumah comprend que seule l’unité des pays africains peut briser le système bancaire et financier international qui les enchaîne un par un.
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Pour mener son peuple vers l’indépendance, Nkrumah s’est appuyé sur un slogan : « chercher d’abord le royaume politique ». Car, sans l’indépendance politique, note-t-il, « aucun de nos projets de développement social et économique ne pourrait être [15] appliqué ». Il constate cependant que cette indépendance politique et juridique accordée par l’ancienne puissance coloniale est gravement érodée par un nouveau mécanisme de domination, plus subtil et moins visible que le colonialisme direct, que l’on commence à appeler, à la fin des années 1950, le « néocolonialisme ». Ce nouveau système, qui permet aux anciennes métropoles de maintenir leurs anciennes colonies dans une situation de dépendance, notamment économique et militaire, apparaît comme le danger auquel s’exposent des pays africains qui s’apprêtent, à cette période, à accéder à leur tour à l’indépendance politique. Seule l’unité de l’Afrique, insiste Nkrumah, permettra d’écarter cette menace.
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Notes
[A]
« L’Afrique aux Africains ! »
[2]
Sur la vie de Nkrumah, voir Basil DAVIDSON, Black Star. A View of the Life and Times of Kwame Nkrumah, James Currey, Oxford, 2007. Voir aussi Kwame NKRUMAH, Autobiographie de Kwame Nkrumah, Présence africaine, Paris, 2009.
[3]
Lawrence H. OFOSU-APPIAH, The Life of Dr. J.E.K. Aggrey, Waterville Publishing House, Accra, 1979.
[4]
Marika SHERWOOD, Kwame Nkrumah. The Years Abroad, 1935-1947, Freedom publications, Legon, 1996.
[5]
Sur le trio formé par James, Padmore et Nkrumah, voir Elikia M’BOKOLO, loc. cit.
[6]
Sur Padmore à Londres, voir Susan PENNY-BACKER, From Scottsboro to Munich, Princeton University Press, Princeton, 2009, p. 66-102.
[7]
J. Ayodele LANGLEY, Pan-Africanism and Nationalism in West Africa, op. cit., p. 357.
[8]
Marika SHERWOOD, « Pan-African Conferences, 1900-1953. What did “Pan-Africanism” mean ? », Journal of Pan-African Studies, vol. 4, n° 10, janvier 2012, p. 106-126.
[9]
Kwame NKRUMAH, I Speak of Freedom, Panaf Books, Londres, 2001, p. 64-70 et p. 95-110.
[10]
Basil DAVIDSON, op. cit., p. 169.
[11]
Ibid., p. 105-109.
[12]
Kwame NKRUMAH, op. cit., p. 49-56, p. 111-124.
[13]
Basil DAVIDSON, op. cit., p. 197.
[14]
Nicolas AGBOHOU, Le Franc CFA et l’euro contre l’Afrique. Pour une monnaie africaine et la coopération Sud-Sud, Éditions Solidarité mondiale, Paris, 2008.
[15]
Kwame NKRUMAH, L’Afrique doit s’unir, Présence africaine, Paris, 2009, p. 71.
Plan L’entrée en scène de Nkrumah
11. « L’indépendance maintenant et, demain, les ÉtatsUnis d’Afrique » Amzat Boukari-Yabara Dans Africa Unite ! (2017), pages 157 à 167
Chapitre
E
n 1960, l’adoption, au Ghana, du régime présidentiel et républicain marque le début [1] d’une fuite en avant . Confronté à l’embourgeoisement de ses camarades du CPP, Nkrumah décide de s’en débarrasser sans e fusion de sang, en les contraignant à la démission ou à l’exil. Il fait appel à des hommes nouveaux pour mener une politique qui [2] se veut révolutionnaire . Un Institut idéologique est fondé à Winneba, une petite ville côtière à l’ouest d’Accra, dans le but de former des militants et des candidats socialistes. En décembre 1962, le journal The Spark (« l’étincelle », en référence à l’Iskra du révolutionnaire Lénine) est lancé, et le militant communiste nigérian en exil, Samuel [3] G. Ikoku, apporte son analyse critique .
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En réalité, pris dans des intrigues et des con lits d’intérêts, des attitudes bureaucratiques et stériles, le CPP n’est plus en mesure de produire les dirigeants prêts à mener la révolution jusqu’au bout. Incapable de mettre un terme au culte dont il fait l’objet afin de recadrer l’e fort révolutionnaire, président omniprésent et hyperexposé, victime de plusieurs tentatives d’assassinat, Nkrumah remporte largement (près de 93 % des 280 000 su frages exprimés) le référendum de janvier 1964 qui institutionnalise le CPP en parti unique. De son côté, le peuple, tenu à l’écart des batailles d’appareil, ne se sent plus concerné. Délaissant quelque peu la scène politique nationale, Nkrumah est de plus en plus accaparé par la politique internationale. Tel est en e fet le paradoxe : alors que le CPP ne parvient pas à créer l’unité de son pays, le leader ghanéen se démène pour forger l’unité du continent africain.
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Du nationalisme à l’unité continentale Entre 1947 et 1951, Nkrumah met en veille son projet d’unité ouest-africaine, le temps de prendre le pouvoir en Gold Coast et de conduire la colonie à l’indépendance en 1957. Centre névralgique du nationalisme ouest-africain, le Ghana devient un symbole de la libération du continent. Nkrumah est le premier chef de gouvernement africain de l’époque contemporaine confronté aux défis de l’indépendance, de la souveraineté et de l’unité. Pour beaucoup de détracteurs et d’afropessimistes, son échec – si on peut parler d’échec – est d’abord l’échec d’une stratégie pour atteindre un objectif, celui de l’unité africaine.
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En apprenant, à Londres, l’arrestation de Nkrumah et de ses camarades en janvier 1950, George Padmore décide immédiatement d’organiser, à Trafalgar Square, une manifestation de soutien réunissant des étudiants, des dockers, des ouvriers et des militants panafricains. Lorsque le président du CPP sort de prison et prend la direction du pays en février 1951, il contrôle la politique d’immigration. Nkrumah devient ainsi le premier dirigeant africain capable d’inviter qui il veut dans son pays. Dès lors, la Gold Coast devient un lieu de visite pour de nombreux militants africains, afro-américains et antillais, à l’instar de George Padmore lui-même ou de l’écrivain afro-américain Richard Wright, qui rédige Black Power lors de son séjour en Gold Coast en 1953.
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À l’été 1951, Padmore, qui est banni de toutes les autres colonies britanniques en raison de ses positions jugées « subversives », vient visiter la Gold Coast. Sur place, il écrit l’histoire du nationalisme ghanéen dans The Gold Coast Revolution, et commence la rédaction de Panafricanisme ou communisme ? dont l’édition originale, note le sociologue St. Clair Drake, indiquait en sous-titre Toward a Marshall Plan for Africa (« Vers un plan Marshall [de reconstruction sur le modèle de l’Europe] pour l’Afrique »). Padmore est alors en contact avec Fenner Brockway, le dirigeant du Congrès des peuples contre l’impérialisme (Congress of Peoples Against Imperialism, COPAI), une organisation non gouvernementale à laquelle le CPP s’est a filié. Militant britannique né en Inde, objecteur de conscience et membre du Parti travailliste, Brockway avait suivi les activités londoniennes du WANS et il était personnellement prêt à aider Nkrumah à [4] organiser une conférence panafricaine .
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En janvier 1953, Nkrumah, en visite au Liberia, prononce un discours appelant à une union ouest-africaine. Les Libériens se montrent réticents. En avril 1953, il annonce une conférence pour le mois d’août, réunissant des nationalistes et des anti-impérialistes ouest-africains, en prélude à une conférence panafricaine qu’il souhaite organiser l’année suivante. Les invitations sont envoyées, les appels sont publiés dans la presse
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mais la conférence est reportée à décembre 1953. Entre-temps, les services occidentaux ont intercepté de nombreux documents, et posé leur veto à plusieurs demandes de visa de sortie des militants de leurs colonies africaines. Présentée dans certains ouvrages comme le sixième « congrès panafricain », la conférence de décembre 1953, qui se tient à Kumasi, fait l’objet d’une audience limitée. Seuls quelques délégués du Nigeria, du Liberia et de la Gold Coast y assistent, et proposent notamment de faire de Kumasi ou d’une ville nigériane la capitale d’un futur État fédéral. Néanmoins, « le petit rassemblement à Kumasi en 1953 peut être vu comme une nouvelle phase dans l’évolution d’une idée et […] comme le véritable début du [5] mouvement panafricain en Afrique », note l’historien Ayodele Langley .
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Lorsque le Ghana devient indépendant en mars 1957, Padmore revient à Accra et devient le conseiller aux a faires africaines de Nkrumah. Jusqu’à sa mort, en septembre 1959, il jouera un rôle central dans le rayonnement panafricain de la capitale ghanéenne. Alors que l’Afrique reste presque intégralement soumise au système colonial et que l’Amérique noire lutte pour son émancipation, les nationalistes kényans, congolais, camerounais et autres sénégalais, comme les activistes afro-américains, regardent avec envie ce pays frère dirigé par un gouvernement africain, avec un président et des ministres noirs. Des nationalistes et des activistes étrangers viennent au Ghana pour apprendre et s’inspirer de cette expérience. Le pays devient une plateforme panafricaine lorsque Nkrumah annonce qu’il est prêt à utiliser les ressources de son pays pour libérer [6] et unir le reste du continent .
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Accra : plaque tournante de la libération de l’Afrique… En avril 1958 à Accra, sous l’impulsion de Nkrumah, la conférence de tous les États d’Afrique indépendants à l’époque réunit l’Égypte, la Libye, le Soudan, la Tunisie, le Maroc, l’Éthiopie et le Liberia. Bien que les ambitieux projets d’unité africaine des Ghanéens peinent à convaincre leurs homologues, la conférence prend position pour la décolonisation et la mise en place d’une structure collective pour soutenir les autres [7] territoires .
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Cette prise de position ne manque pas d’inquiéter les puissances coloniales, à commencer par la France qui, ayant dû concéder l’indépendance du Maroc et de la Tunisie (en 1956), est embourbée dans la crise algérienne. Plus que jamais, Paris craint l’« e fet contagieux » de l’indépendance ghanéenne : alors que la partie anglaise de l’exTogoland allemand a été rattachée au Ghana indépendant en 1957, les troupes françaises se battent discrètement – mais férocement – contre les nationalistes de l’Union des populations du Cameroun (UPC) qui veulent eux aussi arracher l’indépendance et la réunification de l’ex-Kamerun allemand. Pour ne rien arranger, la Guinée opte à son
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tour, sous l’impulsion de Sékou Touré, pour l’indépendance immédiate : en septembre 1958, les Guinéens votent massivement « non » à l’intégration à la Communauté française proposée par le général de Gaulle, tout juste revenu au pouvoir. Pour répondre au slogan de Sékou Touré, préférant la « liberté dans la pauvreté à la richesse dans l’esclavage », la France sabote et détruit tout le matériel administratif et technique de la Guinée, puis quitte Conakry. Nkrumah accorde immédiatement un prêt financier qui permet au régime de Sékou Touré de surmonter les représailles économiques de la France. Mais les leaders ghanéens et guinéens vont plus loin encore : le 23 novembre 1958, ils annoncent la création de l’Union Ghana-Guinée, perçue comme [8] l’embryon de ce qui pourrait devenir, à terme, les États-Unis d’Afrique . C’est dans ce contexte lourd de menaces pour les puissances coloniales qu’est organisée une nouvelle conférence à Accra, en décembre 1958 : la Conférence des peuples africains [9] (CPA) . Faisant écho à la conférence de Bandung, qui s’était tenue trois ans plus tôt, tout en marquant la spécificité « africaine » de la lutte de libération qu’entend mener Nkrumah, cette grande conférence ne cherche pas à réunir les (rares) pays africains déjà indépendants : comme l’indique l’intitulé de la conférence, également connue sous le nom de « Conférence panafricaine des peuples », l’idée est de rassembler les « peuples africains » et non des chefs d’État. Ce sont donc pas moins de soixante organisations non gouvernementales, syndicats, partis politiques et mouvements de libération africains qui se retrouvent dans la capitale ghanéenne pour discuter des modalités de la libération totale du continent. L’a fiche de la conférence, qui montre un homme noir brisant ses chaînes au-dessus d’une carte de l’Afrique, ne fait pas mystère des intentions de ses organisateurs. Et pour ceux qui auraient encore un doute, une allusion aux célèbres mots de Marx et Engels sert de légende : « Vous n’avez rien à perdre à part vos chaînes, vous avez un continent à regagner. »
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Ouverte par une manifestation en faveur de la libération du militant kényan Jomo Kenyatta, emprisonné par les autorités britanniques depuis 1952, la CPA est l’occasion pour tous les représentants nationalistes africains de conjuguer leurs e forts. On y croise, aux côtés de Nkrumah et de Padmore, organisateurs de la conférence, tout ce que le continent compte de nationalistes et de révolutionnaires : Patrice Lumumba, leader du Mouvement national congolais (MNC), créé quelques semaines plus tôt à Léopoldville ; Kenneth Kaunda, du Zambian African National Congress (ZANC) ; le psychiatre martiniquais Frantz Fanon, envoyé spécial du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) ; le médecin camerounais Félix Moumié, président de l’UPC ; le Kényan Tom Mboya ; le Nigérien Bakary Djibo…
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Bien que des désaccords se manifestent entre les participants, notamment sur la question de l’usage de la violence, que défendent les responsables engagés dans un combat armé contre les puissances coloniales (Algérie, Cameroun), la conférence adopte plusieurs résolutions. La première défend la libération totale de l’Afrique, admettant
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l’usage de la force quand nécessaire, et met en garde les États indépendants contre l’ingérence économique et militaire des puissances étrangères. La deuxième, qui réclame la rupture avec le régime sud-africain, préconise aussi la création d’une Légion africaine de volontaires, sorte de « brigades internationales » africaines, pour aider les di férents pays à se libérer. La troisième résolution recommande la création de cinq [10] fédérations rassemblant les grandes régions d’Afrique (nord, ouest, est, centre, sud) . Lorsqu’il prononce le discours de clôture, Nkrumah se tourne vers chacun des participants, avec ces mots : « Maintenant, vous avez vu un État indépendant, nous avons fait cette grande conférence, maintenant rentrez et libérez votre partie de l’Afrique. » Nkrumah ne se contente pas de paroles. Accusé d’enrichissement personnel par l’opposition et la presse occidentale, il utilise en réalité les économies du Ghana pour financer une ambitieuse politique panafricaine, installant des structures d’accueil et d’entraînement pour les combattants nationalistes du continent. Le Ghana devient ainsi la plaque tournante du panafricanisme militant et le lieu de rencontre permanent des leaders africains. Accueillant Frantz Fanon, qui cherche des soutiens à la révolution algérienne, et ayant posé les jalons d’une union politique avec la Guinée, Nkrumah s’attire sans surprise l’hostilité de la France et de certains de ses voisins, à commencer par l’Ivoirien Houphouët-Boigny, fidèle allié du pouvoir français (il est membre du gouvernement français jusqu’en mai 1959), et du Libérien William Tubman, qui craint l’in luence grandissante du Nkrumah en Afrique de l’Ouest.
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… et base arrière pour les militants antillais et afroaméricains Convaincu de la nécessité de l’union continentale, Nkrumah n’oublie pas la diaspora. Formé aux États-Unis de 1935 à 1945, fin connaisseur des thèses de Garvey et Du Bois, Nkrumah est perçu par les Afro-Américains comme un des leurs. Il invite aux cérémonies de l’indépendance du Ghana quelques-unes des figures afro-américaines et antillaises les plus en vue : le pasteur Martin Luther King, le sénateur de Harlem Adam Clayton Powell, le diplomate Ralph Bunche, le militant syndicaliste Asa Philip Randolph, le leader jamaïcain Norman Manley. Également invité, W.E.B. Du Bois ne peut pas se rendre aux cérémonies, contrairement aux précédents : le vieil homme, âgé de quatrevingt-neuf ans en 1957, est interdit de voyage par les autorités américaines en raison de ses positions communistes.
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À la fin du mois de juillet 1958, Nkrumah e fectue sa première visite présidentielle aux [11] États-Unis . Le 27 juillet, son escorte motorisée de vingt-cinq véhicules est accueillie par 10 000 personnes sur la 7e avenue à Harlem. Le lendemain, il rencontre une centaine de personnes à l’université Lincoln où il prononce un discours sur le développement
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économique. Il se rend ensuite à Chicago, où il reste trois jours à l’invitation du maire Richard Daley et de la communauté afro-américaine. Lorsqu’il revient au Ghana, il est accompagné par un petit cercle afro-américain. L’attractivité du Ghana est d’autant plus grande pour les Afro-Américains que la traque engagée par le FBI contre les mouvements communistes et noirs des années 1950 et 1960 [12] a conduit de nombreux militants à s’exiler en Afrique . Pays indépendant, arborant fièrement sur son drapeau l’étoile noire de Garvey, le Ghana est la destination idéale pour les Noirs de la diaspora qui souhaitent « retourner » en Afrique. En quelques années, Accra devient ainsi une ville internationale. Alors que le Ghana organise la première Conférence panafricaine des femmes en 1960, des Afro-Américaines et des Antillaises, notamment les écrivaines Maya Angelou (États-Unis) et Maryse Condé (Guadeloupe), la docteure Ana Livia Cordero (Porto Rico) et la militante syndicale Vicki Ama Garvin (États-Unis), emménagent à Accra dans les années 1960. L’université du Ghana accueille à cette période divers professeurs et intellectuels noirs venus des ÉtatsUnis : le sociologue St. Clair Drake, l’historien Martin Kilson, les intellectuelles Sylvia Boone, Pauli Murray et Alice Windom. Les artistes afro-américains Herman Kofi Bailey, Ted Pointi let, John Ray et Franck Lacy mettent leur art au service de la cause de [13] Nkrumah. Du Bois , qui parvient finalement à retrouver sa liberté de mouvement, s’installe à Accra en 1961 et demande à Alphaeus Hunton, autre intellectuel afroaméricain exilé en Guinée, de le rejoindre dans la capitale ghanéenne pour former l’équipe chargée du projet de l’encyclopédie Africana, censée regrouper l’intégralité des connaissances scientifiques des peuples africains.
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Tous ces militants de la diaspora ont l’impression de vivre un rêve. Habitués à courber la tête en Amérique, ils découvrent au Ghana une société moderne avec des Noirs occupant naturellement tous les postes de décision. Mais les Afro-Américains expérimentent tout de même un certain décalage : bien qu’ils aient la même couleur de peau que les Ghanéens, ils leur sont étrangers du point de vue de la culture et de la nationalité. En vivant en Afrique, parmi les Africains, ils constatent ainsi, à l’instar de Richard Wright, les limites de leur africanité et le poids de leur américanisation.
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Pour les Ghanéens, l’immigration afro-américaine pose de nombreux problèmes, comparables à ceux qui s’étaient posés au moment où Garvey nourrissait ses projets de « retour en Afrique ». Ils ne comprennent pas toujours l’attitude particulièrement expressive de ces Afro-Américains ou Antillais qui embrassent le sol à la descente de l’avion, tombent dans les bras du premier Africain rencontré et s’attendent à une réciprocité émotionnelle de leur part. Les Noirs des Amériques revenaient en Afrique dans l’idée que quelqu’un les attendrait et les accueillerait à l’arrivée comme des parents retrouvant leur enfant. Il n’en est rien, et le sentiment de rentrer « chez soi », inconnu de la majorité des Africains puisqu’ils vivent déjà chez eux, ajoute probablement à la déception et l’incompréhension des Noirs des Amériques.
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Pour nombre de nationalistes africains, les Afro-Américains sont « américains » avant tout. Même quand elle se veut militante, la démarche du retour reste bien souvent assimilée à du tourisme, de l’opportunisme, du romantisme, voire de l’impérialisme. Pour certains cadres et travailleurs africains, qui n’ont pourtant jamais remis en cause la présence d’assistants et de conseillers ou de supérieurs hiérarchiques blancs occidentaux dans les administrations africaines, les Afro-Américains deviennent également des rivaux sur le marché du travail. Fidèles et au service du gouvernement de Nkrumah alors qu’ils sont o ficiellement citoyens américains, les militants afroaméricains s’opposent en même temps aux autres expatriés blancs américains qui cherchent au contraire à soumettre le gouvernement ghanéen à leurs intérêts. Très vite, Nkrumah s’inquiète des agissements des diplomates afro-américains envoyés à Accra. Certains d’entre eux, cherchant à gagner sa confiance le jour, contactent les autorités américaines la nuit en dénonçant ce qu’ils décrivent comme la « dérive communiste » et « dictatoriale » du président ghanéen.
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En juillet 1963, le vice-président (blanc) du Comité de sécurité intérieure du Sénat américain Thomas J. Dodd annonce que le Ghana est dans l’orbite soviétique. Dès lors, le Ghana, base arrière des mouvements de libération africains et asile pour les militants afro-américains, est décrit comme un satellite de Moscou, permettant à la presse de lancer une vaste campagne de diabolisation de Nkrumah. Le renversement de Nkrumah devient la solution la plus simple pour freiner tous ces mouvements de gauche, pacifistes, panafricanistes, antiracistes et anti-impérialistes. La diplomatie de Nkrumah facilite autant le travail de son opposition interne, qui l’accuse de ne plus s’intéresser aux a faires du Ghana, que de son opposition continentale qui l’accuse de vouloir devenir le président de l’Afrique.
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De l’Afrique des États aux États-Unis d’Afrique Nkrumah ne cache pas qu’il souhaite utiliser son territoire comme « tremplin de l’indépendance et de l’unité africaines ». Néanmoins, il sait que la réussite et le maintien de l’unité ghanéenne sont des conditions pour accélérer la décolonisation et renforcer le moral des mouvements de libération. En cas d’échec, note-t-il, les puissances coloniales pourront « en tirer prétexte pour repousser leur départ des territoires sous tutelle ou colonisés, en se référant à la fameuse “bataille” politique du Ghana, exemple e frayant [14] d’indépendance prématurée ».
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À l’échelle continentale, le leader ghanéen est convaincu que la division de l’Afrique sur des communautés « de race, de culture et de langue » doit se dissoudre dans un brassage des cultures donnant naissance à une « personnalité africaine ». Pour Nkrumah, qui développera longuement ce point dans son livre Africa Must Unite (L’Afrique doit s’unir),
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publié en 1963, les Africains doivent réapprendre à se faire confiance et, ainsi, à examiner entre eux les problèmes de l’Afrique sans passer par leurs anciens maîtres coloniaux. Cet appel au huis clos, qui reprend l’esprit de la conférence afro-asiatique de Bandung tenue en dehors de toute présence gouvernementale blanche et occidentale, cherche à rompre avec l’habitude qui amène trop souvent les Africains à régler leurs di férends en faisant appel à un tiers. « L’Afrique est reliée au reste du monde […] mais [15] pas à elle-même », constate-t-il . Cherchant à « relier l’Afrique avec elle-même », Nkrumah et ses représentants sillonnent le continent et ne ménagent aucun e fort pour rallier les Africains à la cause de l’unité et de l’abandon des frontières coloniales symbolisant des souverainetés artificielles. Ils avertissent aussi leurs homologues des dangers qui les menacent. « Le plus grand danger que court actuellement l’Afrique est le néocolonialisme et son principal [16] instrument est la balkanisation . » Trop petits par la taille ou la démographie, et insu fisamment industrialisés, les États africains qui apparaissent à l’horizon de l’année 1960 risquent de passer de la tutelle directe des puissances coloniales à la domination indirecte des monopoles et des groupes industriels qui disposent de ressources financières bien plus importantes qu’eux et, parfois, de moyens d’intervention paramilitaire.
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Il faut donc, explique Nkrumah, s’unir pour résister ensemble aux nouvelles formes de prédation qui se dessinent derrière les indépendances. Pour ce faire, il propose que l’Afrique des États se fonde dans des États-Unis d’Afrique. En prenant l’initiative de contacter le maximum de dirigeants africains, il espère les convaincre de réaliser directement l’unité continentale, en évitant les étapes intermédiaires et les organismes bureaucratiques qui risquent de retarder, voire de bloquer, la marche vers un État fédéral.
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L’Afrique, plaide-t-il, doit accomplir son unité politique immédiatement pour éviter d’éclater sous la pression des « forces impérialistes ». Sans unité, elle ne peut profiter de ses immenses richesses et réaliser son développement économique. Il lui faut donc une politique économique et monétaire commune, avec la création d’un marché commun, d’une zone monétaire, d’une banque centrale et d’un système de communication continental. Pour exister dans les relations internationales et garantir sa sécurité, chaque État africain devrait s’en remettre à une organisation supranationale, capable de mener une politique étrangère et de défense commune. Car, si elle veut être entendue sur la scène internationale, l’Afrique doit parler d’une seule voix, forte et claire. Enfin, l’acquisition d’une « nationalité africaine » devrait sceller l’alliance de tous les peuples du continent.
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Ce projet optimiste et ambitieux fera rêver des générations d’Africains. Mais il se heurte à des réalités bien concrètes à la fin des années 1950, alors que la plupart des colonies africaines s’apprêtent à accéder à leur tour à l’indépendance.
Notes [1]
Kwame NKRUMAH, I Speak of Freedom, op. cit., p. 206-210, p. 232-244.
[2]
Basil DAVIDSON, op. cit., p. 178-180.
[3]
Samuel G. IKOKU, Le Ghana de Nkrumah, F. Maspero, Paris, 1971.
[4]
Marika SHERWOOD, « Pan-African Conferences, 1900-1953… », loc. cit., p. 115-116.
[5]
J. Ayodele LANGLEY, Pan-Africanism and Nationalism in West Africa, op. cit., p. 368.
[6]
Lansiné KABA, Kwame Nkrumah et le rêve de l’unité africaine, Chaka, Paris, 1991.
[7]
OIF, Le Mouvement panafricaniste…, op. cit., p. 265-277.
[8]
Ibid., p. 279-280.
[9]
Kwame NKRUMAH, I Speak of Freedom, op. cit., p. 186-191.
[10]
Lansiné KABA, op. cit., p. 114.
[11]
Kwame NKRUMAH, I Speak of Freedom, op. cit., p. 135-150.
[12]
Kevin K. GAINES, African Americans in Ghana. Black Expatriates and the Civil Rights Era, University of North Carolina Press, Chapel Hill, 2006.
[13]
W.E.B. DUBOIS, The World and Africa, op. cit., p. 292-304, p. 334-338.
[14]
Kwame NKRUMAH, L’Afrique doit s’unir, op. cit., p. 100.
[15]
Ibid., p. 138.
[16]
Ibid., p. 202.
Plan
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12. « Armez-vous de science jusqu’aux dents ». Le rôle des étudiants et des intellectuels africains Amzat Boukari-Yabara Dans Africa Unite ! (2017), pages 168 à 181
Chapitre
L
e destin de Kwame Nkrumah est exceptionnel. Pourtant, sa vie ressemble, au départ, à celle de milliers d’Africains qui, partis se former dans les universités occidentales au cours du XXe siècle, décident ensuite de retourner les outils du système occidental pour réaliser leurs propres aspirations. D’une certaine façon, les projets panafricains de Nkrumah, auxquels souscrivent nombre d’étudiants et d’intellectuels africains ayant quitté, temporairement ou définitivement, le continent, peuvent s’expliquer de cette façon : la distance qu’ils ont pu prendre avec leur vie antérieure, au cours de leurs études à l’étranger, leur permet d’appréhender l’Afrique autrement qu’à travers ses réalités locales et quotidiennes. Ils peuvent désormais la contempler globalement, inscrire son histoire dans le temps long et étudier ses interactions avec les autres ensembles géopolitiques.
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C’est ce qui explique l’attrait qu’exercent les congrès panafricains, dans la première moitié du XXe siècle, sur les étudiants africains et antillais inscrits dans les universités européennes et américaines. Ces rencontres réunissent dans les métropoles coloniales des étudiants et des intellectuels qui, sur leur propre continent, n’avaient pas toujours la possibilité de se rendre dans la colonie voisine. En Europe, le racisme et les conditions matérielles d’existence quotidienne (logement, pauvreté) conduisent les étudiants africains à se fédérer, socialement et, parfois, politiquement, et à former ainsi des
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microcosmes panafricains au cœur même des métropoles impériales. Arrivant à maturité après 1945, ces mouvements étudiants vont apporter aux revendications autonomistes ou indépendantistes des fondements culturels et populaires.
L’Union des étudiants ouest-africains (WASU) de Londres Au début du XXe siècle, l’une des premières di ficultés rencontrées par les étudiants africains qui arrivent en Occident est de trouver un logement. Disposant de ressources financières limitées, sans contact sur place, et confrontés à des propriétaires racistes ou peu scrupuleux, les étudiants africains viennent régulièrement frapper à la porte des organismes sociaux et religieux. Ainsi, lorsque, après la guerre de 1914, le service d’hébergement de l’université de Londres décide de ne plus accueillir d’étudiants noirs, une centaine d’étudiants antillais et africains en di ficulté décident de fonder une Union des étudiants d’ascendance africaine (Union of Students of African Descent, USAD).
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En 1922, le Nigérian Ladipo Solanke quitte le Fourah Bay College de Freetown, en Sierra [1] Leone, pour Londres afin de préparer son entrée au barreau . Entre-temps, il devient l’un des premiers professeurs de langue yoruba à l’École des études orientales et africaines de Londres (School of Oriental and African Studies, SOAS). Deux ans plus tard, avec l’aide d’Amy Ashwood Garvey, Solanke fonde l’Union progressiste nigériane (Nigerian Progress Union, NPU). La NPU parvient à fédérer d’autres organisations africaines dont l’Association des étudiants de la Gold Coast (Gold Coast Students Association, GCSA) en montrant que les rivalités attachées aux nationalités nuisent à l’ensemble des Africains d’Angleterre.
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Ainsi, en août 1925, lors d’une réunion à Londres, le médecin sierra-léonais et cadre du NCBWA, Herbert Bankole-Bright, encourage Solanke à fonder un groupe unique, sur le modèle de l’Union des étudiants indiens de Grande-Bretagne. L’initiative du projet, dominé par les Ouest-Africains, suscite des débats avec les autres communautés africaines qui y voient une forme de ségrégation. Finalement, l’Union des étudiants ouest-africains (West African Students Union, WASU), qui milite dans un premier temps pour l’amélioration des conditions de vie, d’études et d’information des Africains [2] de Grande-Bretagne, est créée en 1925 . Joseph Danquah est élu président, et Solanke [3] secrétaire général . En mars 1926, la WASU lance un journal éponyme, et entame un vaste travail d’éducation et de sensibilisation politique auprès des étudiants. Proche du NCBWA, la WASU prend aussi des contacts dans les Amériques, aux Antilles, en Afrique du Sud, au Congo belge.
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Soutenu par Casely-Hayford, Solanke rêve également d’ouvrir un hôtel et un centre consacré à la gastronomie et à la culture africaines, afin que les étudiants ouestafricains puissent se rencontrer et que les Britanniques puissent découvrir la culture
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africaine dans de bonnes conditions. En octobre 1929, peu satisfait par les conditions de financement proposées par le Colonial O fice, Solanke part en tournée en Afrique pour récolter des fonds. À la suite des réponses réservées des gouverneurs de Gold Coast et du Nigeria, Solanke comprend que le Colonial O fice craint le potentiel subversif de la WASU en Afrique de l’Ouest et qu’il est préférable de trouver des financements indépendants. En 1933, après une seconde tournée africaine, l’argent récolté par Solanke auprès de quelques entreprises (UAC, Cadbury, Barclays) permet à la WASU de louer [4] provisoirement une résidence à Camden Road, dans le nord de Londres . Entre-temps, en 1932, le Colonial O fice a ouvert la résidence Aggrey pour héberger des étudiants antillais et africains. Persuadée que le Colonial O fice y di fuse une propagande conservatrice, la WASU lance une campagne contre cette résidence et reproche au médecin jamaïcain Harold Moody, le président de la Ligue des peuples de couleur (League of Coloured Peoples, LCP), de servir de caution au gouvernement. Un nombre croissant d’Africains non étudiants adhèrent à la WASU dont les luttes économiques et sociales rejoignent celles des travailleurs immigrés.
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S’étant transformée en véritable organisation politique, la WASU assure la mobilisation pour l’Éthiopie dans les années 1930 et établit en 1942 son propre comité parlementaire, incluant des députés travaillistes. Menant une action de lobbying politique, notamment auprès du futur Premier ministre Clement Attlee et du futur secrétaire aux Colonies Arthur Creech-Jones, la WASU dépose la première demande d’autonomie des colonies ouest-africaines. Quand Nkrumah arrive à Londres en 1945, c’est la WASU qui l’introduit dans le paysage politique britannique, et c’est en son sein qu’il recrute le petit groupe qui formera l’avant-garde de son combat pour l’indépendance du Ghana.
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Le contrôle du monde académique dans les colonies britanniques Avant 1945, Londres ouvre dans ses colonies quelques écoles et centres universitaires sur le modèle élitiste d’Oxford et de Cambridge (« Oxbridge »). Mais les intellectuels africains qui y sont formés restent très isolés du peuple. Lors du congrès de Manchester en 1945, une résolution venue de la Gold Coast demande à ce que, tant qu’il n’y aura pas d’université autonome financièrement contrôlée par les Africains, des bourses soient mises à disposition des étudiants africains pour voyager et compléter leur éducation [5] dans les universités européennes et américaines .
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Au lendemain de la guerre, Londres ouvre ou développe des centres universitaires dans les colonies (Makerere, Nairobi, Dar es Salaam, Ibadan). Certains sont directement rattachés à l’université de Londres, d’autres bénéficient d’une relative autonomie. Mais,
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dans les faits, les diplômes délivrés dans les universités coloniales ne sont pas reconnus [6] en dehors de la colonie . Par ailleurs, des universités sont ouvertes non pas pour répondre aux demandes des Africains, mais pour favoriser les enfants de colons européens, notamment dans les colonies de Rhodésie (Zambie, Zimbabwe) et du Nyassaland (Malawi). En Afrique du Sud, un double collège universitaire en anglais et en afrikaans excluait les Africains au moment de la création de l’université d’Afrique du Sud (UNISA) en 1916. La mobilisation des Noirs, appuyée par les missionnaires, permit l’ouverture, la même année, d’un collège indigène sud-africain qui deviendra, en 1951, l’université de Fort Hare, première université noire d’Afrique du Sud. Au moment des indépendances, le système des universités nationales est majoritairement adopté dans les pays anglophones, avec une volonté d’élargir l’accès à l’éducation en ciblant les plus jeunes. Au Ghana, où environ 1 400 écoles privées deviennent publiques à l’indépendance, le nombre d’élèves scolarisés dans les écoles primaires est multiplié par sept, ce qui justifie l’ouverture d’une quarantaine d’établissements de formation des enseignants. Une université est ouverte à Kumasi, le campus universitaire de Legon est construit, et un Institut d’études africaines dirigé par l’historien britannique Thomas Hodgkin est créé, avec l’ambition de promouvoir l’enseignement des langues africaines. Pourtant, un groupe d’intellectuels conservateurs ghanéens, incapables de rompre avec le paradigme colonial, s’oppose très tôt à la démocratisation de l’éducation prônée par Nkrumah. Souvent formés dans le système d’Oxbridge, ils conçoivent l’éducation comme un instrument de prestige et de privilège, [7] plutôt qu’un outil de développement national .
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« Si tous les enfants du pays venaient, par leurs mains assemblées… » Dans le cadre de sa politique assimilationniste, la France formait des fils de notables locaux, des fonctionnaires et des instituteurs africains pour toute l’AOF à l’École normale William Ponty de Dakar, tandis que les administrateurs français étaient formés à l’École coloniale, qui devient en 1934 l’École nationale de la France d’outre-mer (ENFOM). Quelques étudiants africains disposaient de bourses pour mener des études supérieures à Paris, Toulouse, Bordeaux ou Montpellier, l’idée des autorités françaises étant que la fréquentation du milieu académique métropolitain amènerait ces étudiants à servir loyalement dans le cadre de l’administration coloniale.
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La politisation des étudiants africains et malgaches en France et les restrictions budgétaires dans l’entre-deux-guerres incitent cependant le ministère de l’Éducation nationale à réduire les bourses d’études, et à ouvrir deux centres universitaires à Dakar et Tananarive. Paris encourage également un grand nombre de Français à mener des
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recherches doctorales sur les sociétés africaines à la veille de la décolonisation. Les a frontements idéologiques entre les africanistes représentant une catégorie de chercheurs et d’administrateurs français travaillant sur l’Afrique avec le soutien des autorités, et occupant des postes de direction dans les programmes universitaires à destination des Africains, et les chercheurs africains indépendants créent un champ d’a frontement épistémologique. En 1946, l’Association générale des étudiants africains de Paris (AGEAP) voit le jour. Quatre ans plus tard, après un premier congrès à Lyon, les représentants des associations étudiantes africaines de Montpellier, Paris, Toulouse et Bordeaux, réunis dans cette dernière ville, fondent la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France [8] (FEANF) . Présidé par l’étudiante en médecine originaire du Dahomey, Solange Falade, le comité exécutif de la FEANF veut réunir les associations étudiantes africaines, défendre leurs intérêts matériels et promouvoir les recherches sur l’Afrique.
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Installée sur le boulevard Saint-Germain à Paris, la FEANF sort rapidement de son objectif social et culturel, et prend plus explicitement position sur l’actualité politique dans son journal, L’Étudiant d’Afrique noire. Proche de la ligne nationaliste de l’Association des étudiants du Rassemblement démocratique africain (AERDA), rattaché au parti interterritorial du même nom (voir chapitre 13), la FEANF est traversée par des débats internes à chacune des communautés (camerounaise, sénégalaise, malgache, dahoméenne…), elles-mêmes divisées entre progressistes et conservateurs. Lors de son Ve congrès de décembre 1954, le débat opposant le député-poète sénégalais Senghor, qui préconise la mise en place d’organes législatifs dans chaque colonie, et le militant communiste et anticolonialiste réunionnais Jacques Vergès, qui prône l’unité et l’internationalisme dans la lutte pour l’indépendance, tourne à l’avantage de ce dernier. L’impact de l’insurrection algérienne (1954), de la conférence afro-asiatique de Bandung (1955) et du congrès des écrivains noirs de la Sorbonne (1956) renforce la solidité idéologique de la FEANF, qui prend alors une orientation clairement anti-impérialiste.
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Au congrès de la FEANF de décembre 1956, les délégués de l’Union générale des étudiants musulmans d’Algérie (UGEMA) confirment l’option indépendantiste, tandis que le nouveau comité élu, dirigé par le juriste togolais Noé Kutuklui et l’économiste camerounais Osende Afana, annonce l’envoi d’une délégation aux cérémonies de [9] l’indépendance du Ghana , entérinant le rapprochement avec les forces progressistes africaines. À l’été 1958, en réponse à l’arrivée au pouvoir du général de Gaulle à Paris, la FEANF vote en congrès extraordinaire la poursuite de la lutte pour l’indépendance et l’unité africaine, puis publie Le Sang de Bandung, un pamphlet d’une soixantaine de pages qui dénonce les crimes commis à cette époque par l’armée française en guerre contre les indépendantistes d’Algérie.
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La réaction des autorités françaises ne tarde pas. Alors que les loyers des étudiants africains sont augmentés, et leurs bourses réduites, la surveillance policière devient quotidienne. La FEANF subit des sanctions administratives et des restrictions financières motivées par des raisons politiques. Les étudiants qui militent dans l’organisation sont systématiquement fichés et leurs candidatures soigneusement écartées dès qu’elles touchent à des emplois publics. Constatant l’hostilité grandissante de l’administration française et convaincue de la nécessité de retourner sur le continent pour y occuper des positions stratégiques à l’approche des indépendances, la FEANF recense les jeunes diplômés volontaires pour aller enseigner en Afrique, mettant ainsi en application sa devise, empruntée au roi Ghezo du Dahomey : « Si tous les enfants du royaume venaient par leurs mains assemblées boucher les trous de la jarre percée, le pays serait sauvé. »
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Parmi ceux qui font le choix de revenir en Afrique, Joseph Ki-Zerbo, premier Africain francophone agrégé d’histoire à la Sorbonne en 1956, part pour enseigner à Dakar en 1957. Inspiré par l’indépendance du Ghana, l’historien voltaïque fonde la même année le Mouvement de libération nationale (MLN) qui défend l’idéal panafricaniste :
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La route de l’indépendance individuelle des personnes africaines passe par l’indépendance de tout notre peuple. C’est pourquoi nous proposons les États-Unis d’Afrique noire comme idéal collectif moteur pour l’ensemble des Africains. C’est le seul moyen pour eux de réhabiliter leur personnalité collective longtemps opprimée et [10] d’entrer à nouveau comme acteurs dans l’Histoire universelle .
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En lien avec Ki-Zerbo, qui s’e force de construire une nouvelle historiographie de l’Afrique fondée sur le développement endogène, les théories de la longue durée, et [11] l’interdisciplinarité de l’école des Annales , le Sénégalais Abdoulaye Ly, premier historien africain docteur de la Sorbonne, et son compatriote Majhemout Diop, fondent [12] également en 1957 le Parti africain de l’indépendance (PAI) . Toute cette première génération d’Africains qui milite à la FEANF et qui étudie à la Sorbonne dans les années 1950 trouve également une tribune à travers la revue et la maison d’éditions Présence africaine.
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Un « Bandung culturel » à la Sorbonne La revue Présence africaine voit le jour en 1947, à Paris, grâce à l’engagement de l’intellectuel sénégalais Alioune Diop. Convaincu que le déclin de l’Europe et du colonialisme est imminent, que l’heure de l’Afrique et son réveil passent par son unité, Diop réunit plusieurs écrivains africains, antillais, afro-américains et français dans un comité éditorial. Arborant pour emblème un masque dogon, la revue cherche à redonner
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leurs lettres de noblesse aux cultures et aux arts africains, à faire dialoguer les di férentes communautés linguistiques en assurant la traduction des ouvrages fondamentaux, et s’engage à publier, dans un esprit militant, des textes littéraires, politiques et scientifiques d’Africains. La librairie et la maison d’édition, ouvertes en 1949 sur la rue des Écoles, en plein Quartier latin, deviennent un lieu de rendez-vous des militants anticolonialistes et un point de surveillance constant pour les services français. En dépit des di ficultés matérielles, Alioune Diop parvient en quelques années à faire de Présence africaine le centre névralgique francophone du panafricanisme. Le point d’orgue de l’histoire de Présence africaine est le premier congrès des écrivains et artistes noirs, qui se tient, malgré les nombreuses di ficultés politiques, économiques [13] et administratives, du 19 au 22 septembre 1956 . Plus grand rassemblement d’intellectuels noirs de l’époque, il réunit dans l’amphithéâtre Descartes de la Sorbonne de nombreux étudiants africains et des personnalités aussi di férentes qu’Aimé Césaire, James Baldwin, Joséphine Baker, Frantz Fanon, Jean Price-Mars, Jacques Rabemananjara, Édouard Glissant, René Depestre, Léopold Sédar Senghor ou Amadou Hampâté Bâ. En l’absence de W.E.B. Du Bois et Paul Robeson, privés de visa en raison de leurs opinions politiques, la délégation afro-américaine est conduite par l’écrivain Richard Wright, qui vient de publier son rapport de la conférence afro-asiatique tenue en avril 1955 à Bandung. Précisément, l’objectif d’Alioune Diop est de réaliser un « Bandung culturel », une rencontre entre savants noirs où seraient débattus, sans aucune censure, tous les sujets liés aux arts et aux cultures noirs.
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De fait, les interventions révèlent de fortes divergences. Senghor expose une thèse essentialiste sur l’unité culturelle des peuples africains, avec des analyses sur l’esthétique et la maîtrise du rythme par les Africains, qui n’emporte pas la conviction du public. La communication du délégué haïtien Jacques Stéphen Alexis souligne le manque de rigueur dans la définition du concept de « culture » et, prenant appui sur l’histoire de son pays, ajoute que, tant que le peuple n’est pas au centre de l’attention, « toutes les déclarations d’amour à la culture ne peuvent constituer que des gloses verbales ». Cheikh Anta Diop ajoute qu’il est important de s’accorder sur ce qu’on entend par « inventaire culturel » pour dépasser rapidement la simple question du bilan des réalisations à porter au crédit des peuples africains, tandis que l’intervention du médecin martiniquais Frantz Fanon, inspirée par son engagement militant en faveur des indépendantistes algériens (voir chapitre 14), met en avant le rôle de l’histoire comme moteur de la transformation socioculturelle des peuples. Fanon souligne également le lien entre culture et racisme. S’éloignant du registre strictement « biologique », le racisme s’attache aujourd’hui à dévaloriser la « culture » des colonisés, note-t-il : l’infériorisation des peuples passe par la destruction de leurs valeurs et de leurs modes de vie.
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Aimé Césaire, sur le point de démissionner du Parti communiste français, qu’il accuse de nourrir une nouvelle forme de paternalisme (qu’il qualifie de « fraternalisme »), s’attaque lui aussi à la relation entre culture et colonialisme. « On ne peut pas poser actuellement le problème de la culture noire sans poser le problème du colonialisme, explique-t-il, car toutes les cultures noires se développent à l’heure actuelle dans ce conditionnement particulier qu’est la situation coloniale ou semi-coloniale ou paracoloniale. » Dans cette intervention intitulée « Culture et colonisation », il range les di férentes cultures africaines du continent et de la diaspora dans un même ensemble, la civilisation négro-africaine. « On sait que les avatars de l’histoire ont fait qu’aujourd’hui le champ de cette civilisation, l’aire de cette civilisation, déborde très largement l’Afrique, a firme-t-il, et c’est dans ce sens que l’on peut dire qu’il y a au Brésil ou aux Antilles, aussi bien Haïti que les Antilles françaises ou même aux États-Unis, sinon des foyers du moins des franges de cette civilisation négro-africaine. » Ces mots, qui soulignent parfaitement l’unité dans la diversité, surprennent les délégués afroaméricains et haïtiens, qui estimaient que la condition coloniale était réservée aux seuls Africains.
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Au terme des débats, les congressistes décident de créer la Société africaine de culture (SAC) qui prend en charge l’organisation du second congrès de Présence africaine, tenu à Rome en mars-avril 1959. Un an plus tard, alors que les pays africains accèdent tour à tour à l’indépendance politique, la Société américaine de culture africaine (AMSAC), qui a financé le séjour des délégations afro-américaines à Paris en 1956 et à Rome en 1959, invite plus de trois cents intellectuels à Philadelphie pour discuter des implications culturelles liées à ces indépendances. Le courant de la négritude est rejeté par la plupart des participants anglophones qui découvrent à cette occasion les thèses plus audacieuses du savant sénégalais Cheikh Anta Diop.
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En e fet, alors que les thèses de la négritude reposaient davantage sur un sentiment ou une esthétique remettant en cause le racisme des années 1930, les travaux de Diop visant à déterminer l’antériorité des civilisations nègres sur les autres constituent un renversement encore plus radical des représentations et des relations coloniales et raciales. En outre, alors que la négritude évolue dans les années 1950 en fonction des itinéraires politiques de ceux qui la portent, en particulier Césaire et Senghor, et re lètent une certaine diversité dans le fait d’être ou de se sentir noir, les thèses de Diop cherchent à montrer scientifiquement que l’unité culturelle de l’Afrique noire ne repose pas seulement sur une revendication identitaire visant à retourner le complexe d’infériorité, mais sur des éléments archéologiques, linguistiques, historiques et sociologiques irréfutables. Enfin, au contraire de la négritude qui ne s’inscrit ni dans un projet politique concret ni dans une démarche encyclopédique, les thèses de Diop démontrent que l’unité culturelle de l’Afrique est non seulement possible mais urgente d’un point de vue politique.
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« Faire basculer l’Afrique noire sur la pente de son destin fédéral » Parmi ses missions, Présence africaine a permis à des auteurs africains de publier les résultats de leurs travaux et de disposer d’un public critique. L’un d’entre eux, Cheikh Anta Diop, originaire du village de Caytou dans la région de Djourbel, étudie à Dakar et à Saint-Louis avant de venir en France en 1946. Le jeune Diop cultive son érudition en suivant des études de mathématiques, de philosophie et de linguistique, avant [14] d’embrayer sur une formation en chimie et physique nucléaire . Mais Diop ne se contente pas d’étudier. Il devient le secrétaire général de l’AERDA et, à mesure qu’il se [15] rapproche de la FEANF, sa vision politique épouse ses intérêts scientifiques . Radicalement anticolonialiste, critique acerbe des responsables politiques africains prêts à négocier la décolonisation politique et juridique sans toucher aux structures mentales des colonisés (langue, religion, éducation), Diop s’inscrit en thèse de doctorat ès lettres, en 1949, sous la direction de Gaston Bachelard, avec pour sujet « L’avenir culturel de la pensée africaine ». Son objectif est de construire un système permettant de relier les humanités africaines aux éléments culturels de l’Égypte ancienne afin de donner une profondeur historique davantage de celle contenue dans les travaux des philosophes Placide Tempels (La Philosophie bantoue, écrit en 1945 et publié en 1949 par Présence africaine) et Emmanuel Mounier (L’Éveil de l’Afrique noire, publié par la revue Esprit en 1948). En 1951, il s’inscrit dans une seconde thèse, dirigée par l’ethnologue Marcel Griaule, avec un sujet portant sur l’identité des « Égyptiens prédynastiques ».
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Dans les deux cas d’étude, Diop se plonge dans les sources linguistiques, historiques et archéologiques pour démontrer les racines négro-africaines de la civilisation pharaonique. Ses travaux l’amènent à dénoncer le silence du monde académique sur l’Égypte des pharaons noirs comme étant une falsification majeure de l’histoire qui, perpétuée dans le présent, contribue à maintenir les Noirs dans un état de soumission psychologique. Sur la base du déni de l’historicité des civilisations africaines, la colonisation n’a-t-elle pas construit son propre rôle civilisateur, faisant commencer l’histoire de l’Afrique à l’arrivée des colons européens en Afrique ?
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Les rapporteurs jugeant les thèses de Diop non scientifiques ou non conformes aux attentes de l’exercice, aucun jury ne peut être constitué pour les défendre. À l’instar de Fanon, qui publie au Seuil, en 1952 sa première thèse, elle aussi rejetée, sous le titre de Peau noire, masques blancs, Diop fait paraître sa thèse en 1954 chez Présence africaine, sous le titre de Nations nègres et culture. Le livre fait l’e fet d’une bombe dans les milieux militants africains. Lorsqu’en janvier 1960 Diop, qui s’est réinscrit en thèse entre-temps, se voit décerner le titre de docteur mais sans la mention lui permettant d’enseigner dans les universités françaises, Présence africaine publie immédiatement le résultat de ses
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travaux dans L’Afrique noire précoloniale et L’Unité culturelle de l’Afrique noire. Juste après sa soutenance, Diop rentre au Sénégal, où il est nommé en octobre à un poste d’assistant sans charge d’enseignement à l’université de Dakar. En désaccord avec l’évolution politique qui a conduit la France à décoloniser en faisant éclater l’AOF et l’AEF en une quinzaine d’États nouveaux (voir chapitre 13), ainsi qu’avec la vision assimilationniste de Léopold Sédar Senghor qui devient le premier président du Sénégal, Diop souligne que le danger qui guette l’Afrique n’est pas la balkanisation, mais la sud-américanisation, avec la « prolifération de petites dictatures sans liens organiques, éphémères, douées d’une faiblesse chronique, gouvernées par la terreur à l’aide d’une police hypertrophiée, mais sous la domination économique de l’étranger, qui tirerait les ficelles à partir d’une simple ambassade ».
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Extraites de son ouvrage-programme sur Les Fondements économiques et culturels d’un État fédéral d’Afrique noire, ces lignes publiées dès 1960 et à bien des égards prophétiques montrent sa volonté de réaliser l’unité de l’Afrique au-delà des indépendances nationales. Dans ce texte-manifeste, Diop souligne l’intérêt de repeupler le continent dans le cadre d’une politique agricole collective, avec un projet de développement durable qui rendrait les Africains maîtres de l’intégralité de leurs ressources. Du point de vue géopolitique, Diop est l’un des premiers à remettre concrètement en cause la question des frontières héritées de la décolonisation en proposant de créer un État fédéral allant, « grosso modo, du tropique du Cancer au Cap, de l’océan Indien à l’océan Atlantique ».
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Pour « vivre l’unité fédérale africaine », Diop exhorte les Africains à la restauration de leur unité historique, à travailler à l’unification du continent avec « une seule langue africaine de culture et de gouvernement devant coi fer toutes les autres » et reléguant les langues européennes, jusque-là o ficielles et obligatoires, à des langues vivantes de l’enseignement secondaire. Diop encourage la réhabilitation et la « représentation e ficace de l’élément féminin de la nation », la création d’une industrie d’État, d’une politique scientifique et technologique de haut niveau, d’une armée moderne formée du point de vue civique pour éviter les coups d’État. Révisé avec le temps par Diop luimême, le projet d’État fédéral présenté en 1960 exige – dit-il – d’unir immédiatement et sans mesures conservatoires l’Afrique « française » et « anglaise » décolonisée afin de ne pas « laisser aux États le temps de s’ossifier pour devenir inaptes à la fédération ».
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La suite du parcours politique de Cheikh Anta Diop n’est pas à la hauteur de ses espérances. Il est brièvement emprisonné en 1962 puis les di férents partis qu’il anime dans son pays (Bloc des masses sénégalaises, Front national sénégalais et Rassemblement national démocratique) sont régulièrement interdits par les autorités [16] sénégalaises . En revanche, jusqu’à son décès survenu en 1986, et alors qu’il est privé du droit d’enseigner dans son propre pays en raison de ses opinions politiques, Diop
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poursuit une carrière d’auteur et de scientifique engagé qui lui vaut d’être reconnu, en particulier dans les milieux militants africains et afro-américains. Pour autant, alors que son aura d’intellectuel pleinement engagé en faveur de la production des savoirs et de la connaissance au service de l’action continue à stimuler un public conscient des enjeux de la renaissance de l’Afrique, ses travaux ne sont toujours pas enseignés dans les universités francophones. Y compris dans celle de Dakar, qui porte pourtant son nom (depuis 1987).
Notes [1]
Hakim ADI et Marika SHERWOOD, Pan-African History, op. cit., p. 174-176.
[2]
OIF, Le Mouvement panafricaniste…, op. cit., p. 131-137. Voir aussi Gabriel O. OLUSANYA, The West African Student’s Union and the politics of decolonisation, 1925-1958, Daystar Press, Ibadan, 1982.
[3]
Joseph E. HARRIS, Africans and their History, Plume, New York, 1998, p. 238.
[4]
Paul B. RICH, op. cit., p. 138-144.
[5]
J. Ayodele LANGLEY, Pan-Africanism and Nationalism in West Africa, op. cit., p. 352.
[6]
Toyin FALOLA, op. cit., p. 181-222.
[7]
Basil DAVIDSON, op. cit., p. 160-163.
[8]
Amady Ali DIENG, Les Premiers Pas de la FEANF, 1950-1955, L’Harmattan, Paris, 2003.
[9]
Charles DIANÉ, Les Grandes Heures de la FEANF, Chaka, Paris, 1990, p. 133-140.
[10]
Cité in OIF, Le Mouvement panafricaniste…, op. cit., p. 311.
[11]
Joseph KI-ZERBO, À quand l’Afrique ? : entretien avec René Holenstein, L’Atelier, Ivry-surSeine, 2013.
[12]
Majhemout DIOP, Mémoires de luttes. Textes pour servir à l’histoire du Parti africain de l’indépendance, Présence africaine, Paris, 2007.
[13]
« Le 1er Congrès international des écrivains et artistes noirs. Paris, Sorbonne, 1922 septembre 1956. Compte-rendu complet », Présence africaine, Paris, n° 8-10, 1956.
[14]
Jean-Marc ELA, Cheikh Anta Diop ou l’honneur de penser, L’Harmattan, Paris, 1989.
[15]
Joachim GOMA-THETHET, op. cit., p. 85-92.
[16]
RASSEMBLEMENT NATIONAL DÉMOCRATIQUE, Le Combat politique de Cheikh Anta Diop, Imprimerie du Midi, Dakar, 1999.
13. Une nouvelle Afrique, autour de l’année 1960 Amzat Boukari-Yabara Dans Africa Unite ! (2017), pages 182 à 193
Chapitre
A
u cours des années 1950, les trajectoires de Kwame Nkrumah et de Cheikh Anta Diop annoncent l’ampleur des défis politiques et économiques qui se posent à l’Afrique. Le premier d’entre eux est de gagner l’indépendance politique qui doit permettre de renverser les injustices économiques et sociales. Les nationalistes africains comprennent en e fet que la décolonisation n’est pas la dernière étape de la lutte, mais le point de départ d’un combat pour créer une nouvelle Afrique. Dans un contexte international marqué par la bipolarisation Est-Ouest, par la « satellisation » des puissances secondaires et par l’interdépendance croissante des nations, dont témoigne par exemple la création de la Communauté économique européenne (CEE) en 1957, les Africains savent qu’ils ont tout intérêt à mener la lutte de manière collective.
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L’Afrique étant divisée linguistiquement, culturellement, politiquement et ayant été démembrée par les systèmes coloniaux, la notion d’unité pose cependant de multiples questions. Comment concilier la libération nationale et l’unité continentale ? L’unité africaine doit-elle se constituer immédiatement ou graduellement ? Faut-il s’appuyer sur les échelons nationaux et interterritoriaux ? Doit-elle, dès lors, reprendre ou s’émanciper des frontières nationales et des structures régionales créées par le système colonial ? Et qui doit bénéficier en priorité de cette union : les responsables politiques qui prennent la tête des nouveaux États ou les peuples que ces derniers sont censés représenter ? Bref, si tout le monde, ou presque, s’accorde pour « décoloniser » l’Afrique, l’unité du continent reste une idée loue.
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Pour les dirigeants des jeunes nations, le précédent ghanéen est riche d’enseignements. Exemple pour les uns, repoussoir pour les autres, Nkrumah ne laisse personne indi férent. Mais le système ghanéen n’est pas facile à déchi frer. Alors que Nkrumah tente de forger l’unité de son pays, la société ghanéenne reste profondément clivée. Alors que l’État vient d’accéder à la souveraineté, sa Constitution accepte d’entrée de jeu de la remettre en cause, a firmant dans son article 2 que le gouvernement ghanéen est prêt à « céder une partie ou l’intégralité de la souveraineté du Ghana en vue d’une union des États africains ».
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Pour les États africains qui accèdent à leur tour à l’indépendance au tournant des années 1960, la main tendue de Nkrumah apparaît comme un défi. Oseront-ils la saisir, rompre clairement avec les modèles hérités de la période coloniale et s’engager ainsi sur la voie des États-Unis d’Afrique ? La question se pose avec une particulière acuité pour les territoires issus de l’Empire français. Car, contrairement à Londres, Paris propose – et, dans certains cas, impose – un modèle alternatif à l’unité africaine de Nkrumah : une décolonisation graduelle qui préserve les entités territoriales et une partie des institutions coloniales et qui, surtout, ménage les intérêts bien compris des élites africaines francophones et de leurs parrains métropolitains.
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Grandeur et misère du Rassemblement démocratique africain (RDA) En 1946, la France se dote d’une nouvelle Constitution qui, dans son volet colonial, cherche à répondre aux aspirations à l’autonomie exprimées par les peuples africains tout en maintenant le modèle républicain, unitaire et assimilationniste. Plaçant les élites africaines au cœur du dispositif, la IVe République autorise les Africains à envoyer des députés à l’Assemblée nationale à Paris et institue des assemblées territoriales dans chaque colonie africaine. Mais la nouvelle Union française est loin d’être égalitaire. En plus d’instituer un double collège, qui limite drastiquement les droits politiques des populations africaines, les colonisés continuent de subir de graves discriminations socioéconomiques. Les syndicats, autorisés en 1944, donnent de la voix et les premiers partis nationalistes se constituent.
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Le 19 octobre 1946 à Bamako, en présence de plus de 800 délégués, le Rassemblement [1] démocratique africain (RDA) est fondé sous l’impulsion de Félix Houphouët-Boigny . Formé par des enseignants, des médecins, des fonctionnaires, passés pour la plupart par l’action syndicale, ce parti interterritorial entend « unir le plus largement possible les [2] Africains, et ce au-delà des clivages politiques, religieux et autres » pour obtenir l’égalité et l’amélioration des conditions économiques et sociales dans les colonies. Disposant de députés élus à l’Assemblée et de sections dans toutes les colonies d’AOF,
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sauf au Sénégal où le député Léopold Sédar Senghor préfère former le Bloc démocratique sénégalais (BDS) en 1948, le RDA est o ficiellement a filié au PCF. Mais le retrait des communistes du gouvernement français en 1947 provoque une crise d’autant plus grave au sein de ce rassemblement que les services français encouragent la promotion de députés hostiles au marxisme et dévoués aux intérêts français. Tandis que l’armée réprime les mouvements sociaux, notamment en Côte d’Ivoire, les autorités françaises soutiennent les dissidences et les formations rivales dans chaque colonie. À l’automne 1950, le RDA rompt avec le PCF et a firme, par l’intermédiaire d’HouphouëtBoigny, sa volonté de maintenir les colonies dans l’Union française. Cette décision, que désapprouvent certaines des organisations a filiées au RDA, notamment l’Union des populations du Cameroun (UPC) et les mouvements étudiants, fracture encore le mouvement, qui disparaît momentanément de la scène politique, au profit d’un autre groupe, les Indépendants d’outre-mer (IOM), fondé en 1948 par le député du Dahomey Sourou Migan Apithy. Au milieu des années 1950, le paysage politique africain francophone est donc particulièrement fragmenté. Aux côtés des militants nationalistes qui demandent l’« indépendance immédiate », mot d’ordre adopté en 1955 par l’UPC, qui prendra bientôt les armes en imitant le Viet Minh et le FLN algérien, toute une palette d’acteurs cherchent à redéfinir leur relation avec Paris. Les uns veulent accéder à une indépendance négociée, d’autres souhaitent une simple autonomie administrative, d’autres encore se satisferaient du statu quo colonial.
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Conscientes que le statu quo, justement, est impossible, les autorités françaises tentent de réformer le système colonial, pour ne pas tout perdre. En Afrique du Nord, elles cèdent l’indépendance au Maroc et à la Tunisie en 1956. Au sud du Sahara, redoutant l’« in luence dissolvante » de la décolonisation britannique et l’o fensive diplomatique ghanéenne, elles préparent une loi-cadre, à laquelle le ministre de la France d’outre-mer Gaston De ferre donne son nom, qui institue enfin le su frage universel et confie une partie du pouvoir aux gouvernements et assemblées locaux. L’un des débats qui occupent les responsables africains à cette période concerne l’avenir des regroupements régionaux, l’AOF et l’AEF. S’il se réjouit de l’autonomisation politique des territoires africains, le Sénégalais Senghor s’inquiète de la « balkanisation de l’Afrique » et défend une thèse fédéraliste : « Les huit territoires de l’AOF, défend-il, seraient dotés, chacun, d’un Conseil des ministres et d’une Assemblée législative, auxquels ressortiraient toutes les questions d’intérêt territorial. Mais, au-dessus des gouvernements et parlements locaux, seraient créés un gouvernement fédéral et un parlement fédéral, auxquels [3] ressortiraient les questions d’intérêt commun . » L’Ivoirien Houphouët-Boigny, préférant traiter directement avec Paris plutôt qu’avec Dakar, capitale de l’AOF, s’oppose à une telle structure fédérale. C’est cette solution qui l’emporte.
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Il faut s’arrêter un instant sur le personnage d’Houphouët-Boigny, dont les positions in luenceront durablement les relations franco-africaines dans les années suivantes. Riche chef, médecin et planteur ivoirien, élu député en 1945, le chef du RDA apparaît dans un premier temps comme un authentique patriote africain. C’est lui qui initie par exemple la loi interdisant le travail forcé dans les colonies en 1946. D’abord proche des communistes, il traverse cependant le paysage politique français des années 1950, de la gauche vers la droite anticommuniste. S’étant rapproché du ministre de la France d’outre-mer François Mitterrand au début des années 1950, puis de Gaston De ferre, qu’il aide à rédiger la loi-cadre, il entre au gouvernement français en 1956 et devient ministre d’État à la fin de la IVe République (il le reste au début de la Ve République, jusqu’en mai 1959). Ce positionnement ambigu explique son opposition radicale à la politique panafricaine de Kwame Nkrumah.
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À ce sujet, il faut mentionner la rencontre, mémorable, entre les deux hommes, le 6 avril 1957. Ayant invité à Abidjan son homologue et voisin anglophone, un mois après l’indépendance du Ghana, Houphouët s’oppose à une rupture avec la France, préférant entretenir avec elle des relations d’amitiés. « Mon ami, vous choisissez l’illusion, lui rétorque Nkrumah. La liberté et l’indépendance viennent d’abord, l’équité et la fraternité ensuite. » Houphouët-Boigny prend alors à partie l’auditoire : « Vous êtes témoins aujourd’hui du commencement de deux expériences. Un pari vient d’être lancé entre deux territoires, l’un ayant choisi l’indépendance, l’autre préférant le chemin di ficile de la construction, avec la métropole, d’une communauté des hommes égaux en droits et en devoirs. […] Que chacun de nous fasse son expérience dans le respect absolu [4] de son voisin et, dans dix ans, nous comparerons les résultats . » Voilà exprimée l’alternative qui s’o fre aux dirigeants africains : une union de nature panafricaine avec leurs homologues du continent ou une alliance avec les anciennes métropoles dans un cadre que d’aucuns qualifient de « néocolonial » (qualifié de « Françafrique » dans le cas des anciennes colonies françaises d’Afrique).
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L’Union Ghana-Guinée défie la Communauté française Le retour au pouvoir du général de Gaulle en mai 1958 recentre le débat sur les relations avec la métropole. Dans le cadre de la mise en place de la Ve République, le régime gaulliste propose aux colonies africaines de remplacer l’Union française par la Communauté française. Démantelant les regroupements régionaux, l’AOF et l’AEF, cette nouvelle structure donnerait à chaque État une autonomie élargie pour gérer ses a faires internes, tout en les maintenant sous la tutelle de Paris en ce qui concerne les éléments de souveraineté (défense, politique étrangère, politique économique et monétaire). Le projet de la Communauté est débattu au sein d’un nouveau groupe, le Parti du regroupement africain (PRA). En juillet 1958 à Cotonou, en présence de plus de
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500 délégués, dont George Padmore pour le Ghana et Frantz Fanon pour l’Algérie, le PRA demande l’indépendance immédiate et « la négociation avec la France d’une confédération multinationale de peuples libres et égaux, sans pour autant renoncer à la [5] volonté de fédérer en États-Unis d’Afrique toutes les anciennes colonies ». En août, le général de Gaulle parcourt l’AOF et l’AEF pour défendre son projet de Communauté : les territoires qui voteraient négativement, promet-il, obtiendraient immédiatement leur indépendance, à leurs risques et périls. Le 25 août à Conakry, il est cueilli à froid par le maire de la ville et président du Conseil de gouvernement, Sékou Touré. Ce dernier dénonce dans son discours « le désordre moral dû au fait colonial », puis soutient que la dignité et la liberté sont intégralement liées de telle sorte que le peuple guinéen préfère « la pauvreté dans la liberté à la richesse dans l’esclavage ». Estimant que la France ne marche pas dans le sens de l’histoire en décidant d’intensifier son e fort de guerre en Algérie, mais que le projet de Communauté est intéressant dans le cadre de la mise en place de grands ensembles géopolitiques dans le monde, Sékou Touré insiste : « Nous ne renonçons pas et ne renoncerons jamais à notre droit légitime et naturel à l’indépendance. » Lors du référendum organisé le 28 septembre 1958, la [6] Guinée est le seul territoire à voter « non » . Et accède à l’indépendance quatre jours plus tard. Craignant que l’exemple guinéen ne fasse des émules, Paris lance des représailles économiques contre Conakry. Les dirigeants comprennent surtout que, sans renoncer pour autant à la Communauté, il va leur falloir rapidement négocier l’accès à l’indépendance des autres territoires.
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Ces négociations leur paraissent d’autant plus urgentes que Sékou Touré se rapproche immédiatement de Nkrumah, avec lequel il signe, dès le 23 novembre 1958, l’Union Ghana-Guinée. Le dirigeant guinéen, qui n’avait pas envisagé de rompre si brutalement avec la France et qui n’anticipait pas les mesures de rétorsion de Paris, sait que la situation lui impose d’aller de l’avant. Alors qu’il concevait l’unité africaine comme un projet par étapes, devant commencer « au niveau de l’Afrique de culture française », il accepte la main tendue de Nkrumah. « Notre liberté perdrait de sa plus grande signification si nous devions la restreindre aux limites étroites de notre pays », déclare[7] t-il . Nkrumah, qui cherche à unir tous les États africains indépendants le plus rapidement possible, prend l’initiative de soutenir la candidature de la Guinée à l’ONU et de faire jouer l’article 2 de la Constitution ghanéenne qui autorise le pays à renoncer à sa souveraineté dans le cadre de la mise en place d’une union avec un autre État. Réciproquement, la Guinée inscrit à l’article 34 de sa Constitution du 10 novembre 1958 qu’elle « peut conclure avec tout État africain les accords d’association ou de communauté, comprenant abandon partiel ou total de souveraineté en vue de réaliser l’Unité africaine ». Le 23 novembre, l’annonce de l’Union entre les deux États est suivie d’un prêt de 10 millions de livres sterling d’Accra à Conakry.
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En dépit des di férences liées à leur ancienne appartenance à deux zones de colonisation culturelle et monétaire di férentes, ainsi que de leur di férence d’organisation étatique et administrative, Accra et Conakry décident d’échanger des ministres résidents qui sont à la fois membres du gouvernement du Ghana et de la Guinée. Réunis par l’anticolonialisme, les deux dirigeants ne sont pas tout à fait sur la même longueur d’onde : alors que Nkrumah a de longue date médité son projet d’unité africaine, c’est surtout en raison de la conjoncture immédiate, et pour pallier au plus vite les di ficultés financières de la Guinée, que Sékou Touré accepte l’union. Le fossé idéologique qui les sépare, l’inégalité entre les deux territoires et la forte personnalité des deux dirigeants empêchent l’Union de dépasser le stade du projet vague et théorique, et d’emporter l’adhésion populaire. Certes, une seconde étoile noire est ajoutée sur le drapeau du Ghana, servant de drapeau à l’Union, mais, contrairement aux attentes, chaque État garde sa monnaie, son armée et sa diplomatie.
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Pourtant, Nkrumah est convaincu qu’il tient là le noyau des futurs États-Unis d’Afrique. En juillet 1959, à la conférence de Sanniquellie, un petit village libérien, Nkrumah invite, en présence de Sékou Touré, le Liberia de William Tubman à se joindre à l’Union GhanaGuinée. Le refus du Liberia renforce Sékou Touré dans sa volonté de réduire le projet à [8] un simple outil de coopération interétatique .
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S’unir à la veille des indépendances ? Bien que marginalisé par Houphouët-Boigny, Senghor, qui décrit la Communauté [9] française comme une « association du pot de fer et des pots de terre », ne renonce pas à son projet fédéral. Sous son impulsion, une conférence acte, en janvier 1959, le principe de la Fédération du Mali qui réunit le Sénégal, le Dahomey (Bénin), le Soudan français (Mali) et la Haute-Volta (Burkina Faso). Mais le projet, qui prévoit un exécutif avec un président et deux ministres de chaque État, un Conseil législatif de douze membres venus de chacun des quatre territoires, est rejeté par référendum au Dahomey et en Haute-Volta, réduisant la Fédération du Mali à l’axe Dakar-Bamako.
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Pour extraire le Dahomey et la Haute-Volta du projet de la Fédération du Mali, la France a usé de pressions politiques et économiques, mettant notamment en jeu le financement d’infrastructures portuaires à Cotonou. Des pressions intra-africaines interviennent dans le cadre de la rivalité entre Dakar et Abidjan. En avril 1959, Houphouët-Boigny fonde le Conseil de l’Entente (ou l’Union Bénin-Sahel), qui réunit la Côte d’Ivoire et la Haute-Volta, puis le Niger et le Dahomey dans un vaste projet d’infrastructures, de services communs et d’union douanière. Frileuse au moment de financer l’association, la Côte d’Ivoire traite les trois autres pays comme des satellites. Le
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Conseil de l’Entente, qui ne dispose d’aucune base historique, géographique, économique ou politique réelle, sert tout simplement à bloquer tout regroupement [10] panafricain dans la région . Parallèlement, la Fédération du Mali se désagrège à son tour. Entre Senghor, plutôt modéré, gradualiste et profrançais, et son homologue malien, Modibo Keita, plus radical, panafricain et progressiste, les désaccords se multiplient. Aux divergences personnelles s’ajoutent des divisions stratégiques en matière socioéconomique et de [11] multiples frictions sur les institutions ou la politique étrangère . La Fédération, qui obtient son indépendance en juin 1960, éclate trois mois plus tard : le Sénégal et le Mali deviennent indépendants séparément en septembre, tout en restant membres de la Communauté franco-africaine. Peu après son indépendance, Bamako rejoint Accra et Conakry dans l’Union Ghana-Guinée-Mali. Là encore, cette Union des États africains ne donne lieu à aucune organisation politique commune, et chacun continue à mener ses a faires de manière indépendante, notamment sur les questions de politique étrangère, de défense et d’économie. L’Union Ghana-Guinée-Mali finira par éclater en 1962.
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Le RDA, dominé par Houphouët-Boigny, a laissé peu de place aux initiatives venues de l’AEF. Pourtant, bien que divisées entre les colonialismes français, belge et portugais, les populations d’Afrique centrale possèdent des a finités culturelles importantes pouvant les assimiler à de véritables nations. Conscient de ces possibles rapprochements à la veille des indépendances, Barthélemy Boganda, président du Grand Conseil de l’AEF, organe sans pouvoir censé représenter les quatre territoires de l’AEF (Oubangui-Chari, Moyen-Congo, Tchad, Gabon), propose de mettre en place un ensemble [12] supranational . Convaincu que les frontières coloniales ne peuvent rester en l’état, il propose en octobre 1957 un modèle d’unité africaine original, qui mettrait la région à l’abri des in luences communistes et arabes : les États-Unis de l’Afrique latine. La fusion des quatre territoires de l’AEF formerait dans un premier temps une « République centrafricaine » forte, en mesure d’intégrer par la suite le Cameroun (sous tutelle franco-britannique), les territoires belges (Congo, Rwanda, Burundi) et enfin l’Angola [13] (colonie portugaise) . Ces États-Unis de l’Afrique latine fonctionneraient avec un Conseil des ministres (quatre membres par territoire) et une Assemblée législative unique remplaçant les organes de l’administration coloniale. L’attachement de Boganda au christianisme, à la langue française et à une certaine sympathie pour le capitalisme a fait débat, l’écrivain afro-américain Richard Wright s’étonnant par exemple d’un projet qui unirait les Africains catholiques et mettrait en pratique à l’écart les protestants, majoritaires dans les pays anglophones. Mais ce projet ne survit pas à la disparition de [14] son concepteur, dans un accident d’avion, en mars 1959 .
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D’autres projets de coordinations régionales, qui émergent à cette période, méritent d’être signalés. C’est le cas notamment en Afrique de l’Est où un regroupement interterritorial, réunissant des organisations nationalistes venues du Kenya, du
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Nyassaland, du Tanganyika, de l’Ouganda et de Zanzibar, se forme en septembre 1958 sous le nom de Mouvement panafricain de libération d’Afrique centrale et orientale (Pan-African Freedom Movement of East and Central Africa, PAFMECA). Cherchant à coordonner les e forts des nationalistes dans le processus d’accession à l’indépendance, le PAFMECA annonce en 1960 sa volonté de créer une Fédération de l’Afrique orientale et centrale – sorte de pendant de l’Union Ghana-Guinée – pour éviter des indépendances séparées. Mais les résultats seront là encore décevants : bien que le mouvement réussisse pendant quelques années à prendre des positions communes (sur l’apartheid sud-africain, les essais nucléaires français au Sahara ou la crise congolaise), chacun des pays représentés en son sein accède à l’indépendance individuellement sans donner naissance à la fédération envisagée.
Balkanisation Plusieurs raisons expliquent l’échec des constructions fédérales en Afrique. La première tient sans doute à la volonté des puissances mondiales, à commencer par les anciennes métropoles, d’éviter d’avoir à traiter avec des États à la fois indépendants et unis, et donc capables de leur résister plus facilement (en s’alliant par exemple à l’ONU pour faire barrage aux décisions des puissances dominantes). La politique française en la matière est un cas d’école. Privilégiant les relations bilatérales avec ses anciennes colonies africaines, la Communauté française entre rapidement en déliquescence et mute au début des années 1960 en un réseau centralisé reliant de façon très personnalisée le tout-puissant conseiller du général de Gaulle, Jacques Foccart, et les dirigeants africains francophones.
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L’échec de la dynamique fédérale s’explique aussi par la sociologie des responsables politiques africains. Issus, pour beaucoup, des couches sociales intermédiaires sur lesquelles les autorités coloniales ont cherché à s’appuyer dans la dernière phase de la colonisation et auxquelles elles ont fini par confier, à la veille des indépendances, une certaine autonomie politique et économique, nombre de ces responsables voient dans ces indépendances si longtemps attendues une chance pour leur promotion personnelle et leur ascension sociale. Accédant enfin aux plus hautes fonctions des nouveaux États, rares sont ceux qui souhaitent autrement que de façon rhétorique partager le pouvoir avec les responsables des autres territoires.
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Les jeunes États indépendants étant d’ailleurs dotés de potentiels économiques très di férents, le risque est grand pour leurs dirigeants de voir les regroupements régionaux se transformer en instruments de domination pour les États les plus riches et les plus puissants. Telle est notamment la crainte de nombre de dirigeants africains qui voient derrière le projet d’États-Unis d’Afrique de Kwame Nkrumah le paravent d’une politique
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d’hégémonie régionale ou continentale. Même au sein de l’Union Ghana-Guinée, l’inégalité entre les deux partenaires est manifeste : alors que le Ghana ren loue les caisses de la Guinée, Sékou Touré ne peut que se sentir redevable sans pour autant être convaincu par le projet de Nkrumah. Mais la balkanisation de l’Afrique s’explique aussi par des raisons plus profondes qui renvoient à la nature même des États-nations africains. Dotées de frontières arbitraires héritées d’un processus de colonisation sur lequel les Africains n’ont pas eu leur mot à dire et qui a démembré les sociétés précoloniales, les nouvelles entités étatiques africaines font face, au moment de l’indépendance, à la résurgence et à la multiplication des revendications culturelles, linguistiques et identitaires. Alors que les Africains pouvaient se sentir unis dans la résistance, plus ou moins active, contre l’occupation coloniale, la question se pose, au moment de la libération, de la place respective des di férents groupes sociaux.
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La politisation des identités, « ethniques », territoriales, culturelles et sociales, sur laquelle les puissances coloniales se sont longtemps appuyées pour asseoir leur autorité, resurgit sous de nouvelles modalités dans le processus de décolonisation. Elle se pose par exemple, en mai 1956, lorsque l’ONU organise un référendum dans la partie de l’exTogoland placée sous administration britannique pour déterminer l’avenir du territoire. Mais le référendum est organisé de telle façon que toute la région passe sous souveraineté ghanéenne au moment de l’accession de l’ex-Gold Coast à l’indépendance, au grand dam des électeurs minoritaires et des nationalistes togolais francophones.
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Les problèmes de ce type se multiplieront dans toute l’Afrique à cette période et engendreront dans les décennies suivantes d’innombrables con lits, du Congo au Nigeria, de l’Érythrée au Sahara, que les dirigeants tenteront la plupart du temps d’éteindre en renforçant leur mainmise sur les frontières nationales, en réa firmant les pouvoirs étatiques, en instaurant des partis uniques et en musclant leurs systèmes répressifs.
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Notes [1]
Pierre KIPRÉ, Le Congrès de Bamako ou la naissance du RDA en 1946, Chaka, Paris, 1989. Voir aussi OIF, Le Mouvement panafricaniste…, op. cit., p. 211-216.
[2]
Elikia M’BOKOLO, Afrique noire. Histoire et civilisations, du XIXe siècle à nos jours, Hatier, Paris, 2004, p. 475.
[3]
Cité in Jean-François BILLON, « Senghor fédéraliste, de la négritude à la civilisation de l’universel », < http://mondesfrancophones.com >, 3 août 2010.
[4]
Cité in Antoine GLASER et Stephen SMITH, Comment la France a perdu l’Afrique, CalmannLévy, Paris, 2005, p. 45.
[5]
Henri GRIMAL, La Décolonisation, Complexe, Bruxelles, 1996, p. 298.
[6]
Jean SURET-CANALE, « L’indépendance de la Guinée », in Charles R. AGERON et Marc MICHEL, L’Afrique noire française. L’heure des indépendances, CNRS, Paris, 2010, p. 161-176.
[7]
Cité in Lansiné KABA, op. cit., p. 116.
[8]
OIF, Le Mouvement panafricaniste…, op. cit., p. 333-337.
[9]
Cité in Jean-François BILLON, loc. cit.
[10]
Colin LEGUM, op. cit., p. 80.
[11]
Guédel NDIAYE, L’Échec de la Fédération du Mali, Nouvelles Éditions africaines, Dakar, 1980.
[12]
OIF, Le Mouvement panafricaniste…, op. cit., p. 247-248 et p. 309-310.
[13]
Elikia M’BOKOLO, Afrique noire, op. cit., p. 476.
[14]
Michel KOUNOU, op. cit., p. 126-132, p. 190-191.
Plan Grandeur et misère du Rassemblement démocratique africain (RDA) L’Union Ghana-Guinée défie la Communauté française S’unir à la veille des indépendances ? Balkanisation
Auteur
14. Frantz Fanon, au carrefour des Afriques Amzat Boukari-Yabara Dans Africa Unite ! (2017), pages 194 à 203
Chapitre
«
Nous demandons un État Nègre unique, regroupant l’ensemble de l’Afrique noire et de la Caraïbe, et dans cet État nous ferons de la question raciale ce qu’elle a été : un objet de diversité, d’approbation mutuelle, et de compétition amicale, et non pas une excuse pour des antipathies amères. Les Nord-Africains, aussi, s’ils le veulent, peuvent [1] avoir accès à cet État … » Cette déclaration des rédacteurs du premier numéro de La Race Nègre montre que, dès les années 1920, les militants noirs incluent l’Afrique du Nord dans leur conception d’un État panafricain. Reste que la place et le rôle de la partie septentrionale du continent dans la dynamique panafricaine demeurent incertains.
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Le parcours de Frantz Fanon est une façon intéressante de poursuivre la ré lexion sur la nature du « panafricanisme », sur son extension géographique et sur ses objectifs au tournant des années 1960. Martiniquais, descendant d’esclaves, auteur dès 1952 d’un ouvrage retentissant, Peau noire, masques blancs, Fanon s’installe en Algérie en tant que psychiatre en 1953. Vivant au plus près des Algériens, il prend fait et cause pour l’insurrection nationaliste lancée en novembre 1954 par le FLN. Bientôt exilé en Tunisie, il voyage ensuite au sud du Sahara, notamment au Ghana, où il représente o ficiellement le FLN. Brillant analyste des relations raciales, militant de la révolution algérienne et théoricien de la révolution africaine, Fanon se situe, en somme, aux carrefours des « Afriques ».
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Panarabisme, panafricanisme
Kwame Nkrumah n’est pas le seul dirigeant africain, ni même le premier, à mener une politique résolument panafricaine. Avant lui, Gamal Abdel Nasser, arrivé au pouvoir en Égypte en 1952, s’était illustré dans ce domaine. Partisan du non-alignement sur les superpuissances, figure centrale de la conférence de Bandung en 1955, vainqueur des puissances coloniales coalisées contre lui (Grande-Bretagne, France, Israël) lors de la crise de Suez en 1956 et champion de l’indépendance totale – à la fois politique et économique – des territoires colonisés, Nasser apparaît aux yeux de nombre de militants nationalistes comme un héros. Au milieu des années 1950, les peuples arabes et africains regardent le régime nassérien comme un exemple et un modèle.
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Déterminé à aider les mouvements de libération à sortir des gri fes coloniales, Nasser accueille leurs militants et les soutient financièrement, politiquement et militairement. Le Caire devient ainsi une base arrière pour les combattants du FLN algériens qui mènent une lutte acharnée contre l’armée française. C’est là que les responsables de l’UPC, expulsés du Cameroun, trouvent également refuge. Nasser mène ainsi une [2] politique panafricaine indépendante . Un Haut comité pour les a faires africaines est créé au Caire en 1956. L’Égypte donne des bourses aux étudiants africains, accorde l’asile aux nationalistes africains et à leurs proches. Avec des programmes en haoussa, swahili et amharique, Radio Le Caire, dont les puissantes ondes touchent une bonne partie de l’Afrique, devient une antenne de propagande anticolonialiste. Nasser finance également des conférences diplomatiques et culturelles, et héberge la conférence afroasiatique de 1957.
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Mais Nasser n’est pas seulement panafricain. Il milite aussi, et surtout, pour l’union des peuples arabes. Renonçant à un projet d’Union des États du Nil avec le Soudan, voire avec l’Ouganda, il se tourne vers la Syrie pour fonder avec elle, en février 1958, la République arabe unie (RAU), conçue comme la première étape d’un grand État panarabe. Au moment où s’organise la Conférence des peuples africains, en décembre 1958, les chemins panafricain et panarabe semblent se séparer. Bien qu’il s’intéresse de près à l’Égypte (dont son épouse Fatiah, copte, est d’ailleurs originaire), Nkrumah apparaît de plus en plus comme un concurrent de Nasser sur la scène politique continentale. Il est intéressant de noter, par exemple, que les militants de l’UPC, en délicatesse avec le pouvoir nassérien à cette période, quittent l’Égypte après la conférence d’Accra pour s’installer au Ghana et en Guinée.
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Nasser doit aussi faire face à d’autres projets concurrents en Afrique du Nord. Accédant à l’indépendance en 1956, la Tunisie et le Maroc nourrissent en e fet leurs propres projets d’union régionale. La Constitution tunisienne reconnaît, dans son préambule, l’appartenance de la Tunisie à un « Grand Maghreb ». Rabat, de son côté, est partisan d’un « Grand Maroc » dans un ensemble fédéral maghrébin incluant donc les territoires de la Mauritanie, du Sahara espagnol et français, de l’Algérie, de la Tunisie et de la Libye. Rencontrant à Tanger leurs homologues du Néo-Destour tunisien et de l’Istiqlal
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marocain en avril 1958, les dirigeants du FLN algériens rejoignent o ficiellement la ligne panmaghrébine du Maroc et de la Tunisie. « Nous, les représentants des mouvements de libération nationale de Tunisie, d’Algérie et du Maroc, proclamons solennellement notre foi en l’unité du Maghreb et notre volonté de la réaliser dès que les conditions s’y prêteront, c’est-à-dire quand les forces françaises et étrangères auront évacué leurs bases de Tunisie et du Maroc et quand l’Algérie sera devenue indépendante », proclament les délégués réunis à Tanger, qui proposent la mise en place d’une Assemblée, formée des trois parlements nationaux, pour poser les fondements de la [3] future Fédération maghrébine .
Un panafricaniste sur tous les fronts La pensée et l’action du psychiatre Frantz Fanon témoignent des débats en cours, à la fin des années 1950, sur la coordination des di férentes luttes de libération. Nommé à l’hôpital de Blida en 1953 après une formation en France, il est vite convaincu que le combat pour l’indépendance de l’Algérie mérite d’être mené. Témoin des exactions de l’armée française, porte-parole de la cause algérienne lors du congrès de la Sorbonne de septembre 1956, Fanon démissionne de son poste, puis il est expulsé d’Algérie en décembre. Après un court passage en France, il rejoint le FLN en exil à Tunis, pendant que la bataille d’Alger contraint de nombreux cadres à se réfugier dans les pays voisins.
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La France tente alors d’isoler l’Algérie en posant une barrière électrifiée à la frontière tunisienne pour éviter les incursions de combattants, et bombarde, le 9 février 1958, le village tunisien de Sakiet Sidi Youssef pour montrer sa capacité à frapper toute base extérieure du FLN. Le bombardement entraîne la chute du gouvernement de Félix Gaillard et de son ministre de la Défense, Jacques Chaban-Delmas. Ce dernier a tout juste le temps de créer dans le Constantinois le Centre d’instruction à la pacification et à la contre-guérilla (CIPCG), une école de propagande et de guerre psychologique contrerévolutionnaire dont les « élèves » exercent ensuite au Cameroun, au Congo, en Angola et au Mozambique.
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Lors de son exil à Tunis, Fanon devient le rédacteur du journal El Moudjahid, puis l’émissaire du GPRA auprès des dirigeants progressistes d’Afrique subsaharienne. Il s’engage sur le terrain en participant aux conférences panafricaines d’Accra en 1958 et de Léopoldville (Kinshasa) en 1960, et en exprimant des positions idéologiques particulièrement fortes. Les articles et interventions de Fanon à cette période ont été rassemblés en un volume publié trois ans après sa mort sous le titre Pour la révolution africaine. Car, comme le note l’éditeur François Maspero dans la préface de ce livre, la
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pensée de Fanon, dont la dimension panafricaine est souvent passée sous silence (il faut dire qu’il n’utilise jamais ce terme), a toujours eu à cœur de lier le destin de l’Algérie au reste de l’Afrique en lutte : L’un des premiers à envisager de manière concrète – non pas comme une « vision prophétique », mais comme un objectif de combat immédiat – l’unité de l’Afrique, il lie constamment le sort de la révolution algérienne à celui de l’ensemble du continent, faisant de celle-ci l’avant-garde de la révolution africaine. El Moudjahid développe constamment cette ligne : La Révolution algérienne et la libération de l’Afrique, ce titre donné à la brochure d’articles et de documents du FLN la plus di fusée à cette époque [4] indique bien l’importance que les révolutionnaires algériens lui accordent alors .
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Le panafricanisme de Fanon s’est construit dans la lutte, en dissidence à l’esprit de confort de la négritude et en opposition au capitalisme comme au communisme. Pour lui, l’unité de l’Afrique est avant tout une unité de combat, visant à libérer le continent du colonialisme et de la violence qui lui est consubstantielle. L’Afrique, explique-t-il, doit résoudre ses contradictions au plus vite, sous peine de rater le rendez-vous historique des indépendances. Tel est le langage qu’il tient dans les adresses destinées aux Africains qu’il publie dans El Moudjahid. Il faut, leur dit-il en mai 1958, que vous refusiez d’envoyer les soldats de vos pays se battre aux côtés des Français et que vous rejoigniez plutôt les rangs des patriotes algériens car, « où que vous soyez, il faut que vous sachiez que le moment est arrivé pour nous tous d’unir nos e forts et d’asséner le coup de grâce [5] à l’impérialisme français ».
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Mais il faut aussi, ajoute-t-il, que les Africains retirent leur soutien aux dirigeants africains qui cautionnent la répression française en Algérie et la perpétuation du système colonial en Afrique : « Lorsqu’un colonisé comme M. Houphouët-Boigny, oublieux du racisme des colons, de la misère de son peuple, de l’exploitation éhontée de son pays, en arrive à ne pas participer à la pulsation libératrice qui soulève les peuples opprimés et que, en son nom, tous pouvoirs sont donnés aux Bigeard et autres Massu, nous ne devons pas hésiter à a firmer qu’il s’agit ici de trahison, de complicité et [6] d’incitation au meurtre . »
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Virulent contre Houphouët, « le frein le plus conscient à l’évolution et à la libération de l’Afrique », soulignant que « les peuples africains gagneraient à l’isoler et à précipiter sa [7] chute » , Fanon n’épargne pas non plus Senghor, qu’il accuse également de défendre la position de la France en Algérie alors que la défense de la culture africaine ne peut passer que par la libération totale du continent. Il souligne que, lors du congrès de Cotonou de juillet 1958, qui a donné naissance au Parti du regroupement africain (PRA), Senghor ne s’est rallié à l’appel à l’indépendance immédiate que par dépit, avant de [8] conduire son peuple à voter en faveur de l’entrée dans la Communauté française .
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Le même reproche est adressé, après le second congrès des écrivains et artistes noirs, à l’intellectuel Jacques Rabemananjara, qui avait été condamné en 1947 dans le cadre de la grande répression française contre l’insurrection nationaliste malgache :
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En 1959, les hommes de culture africains réunis à Rome n’ont cessé de parler de l’unité. Mais l’un des plus grands chantres de cette unité culturelle, Jacques Rabemananjara, est aujourd’hui ministre du gouvernement malgache et à ce titre a décidé avec son gouvernement de prendre position contre le peuple algérien à l’Assemblée générale des Nations unies. Rabe, s’il était fidèle à lui-même, aurait dû démissionner de ce gouvernement, dénoncer les hommes qui prétendent incarner la volonté du peuple malgache. Les quatre-vingt-dix mille morts de Madagascar n’ont pas donné mission à Rabe de s’opposer, à l’Assemblée générale des Nations unies, aux aspirations du peuple [9] algérien .
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C’est donc vers Kwame Nkrumah et Sékou Touré que Fanon appelle les Africains à se tourner. Quelques mois après avoir défendu, lors de la conférence panafricaine des peuples en décembre 1958, la constitution d’un corps de volontaires africains qui prouverait, par son engagement contre le colonialisme de l’Algérie à l’Afrique du Sud, que « la libération nationale est liée à la libération du continent », Fanon est nommé à Accra, en mars 1960, comme représentant du GPRA en Afrique subsaharienne. De là il e fectue, à l’été 1960, une mission de reconnaissance au Mali en vue d’ouvrir ainsi un front militaire au sud de l’Algérie :
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Que du Mali s’engou frent sur notre territoire des Maliens, des Sénégalais, des Guinéens, des Ivoiriens, des Ghanéens. Et ceux du Nigeria, du Togo. Que tous grimpent les pentes du désert et déferlent sur le bastion colonialiste. Prendre l’absurde et l’impossible à rebrousse-poil et lancer un continent à l’assaut des derniers remparts [10] de la puissance coloniale .
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L’Afrique doit montrer ses muscles et hausser le ton L’usage de la force comme élément de dissuasion est un point qui caractérise la vision panafricaine de Fanon. Alors que Nkrumah associe la philosophie de Gandhi et de Marx (il a rédigé en 1958, avec son conseiller George Padmore, un « programme de libération de l’Afrique par la non-violence gandhienne »), Fanon prend une autre position. À la conférence des peuples d’Accra, en tant que représentant légitime d’un mouvement de libération armé, il soutient l’usage de la violence comme stratégie de lutte. Prenant les cas de l’Algérie, du Kenya, du Cameroun et de l’Indochine, il estime que la lutte de
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libération armée et l’action directe sont légitimes puisque le régime colonial est par nature un régime de violence. Dès lors, explique-t-il en janvier 1960 dans El Moudjahid, le combat pour la liberté et la bataille pour l’unité du continent se rejoignent : Nous, Africains, disons que depuis plus de cent ans la vie de 200 millions d’Africains est une vie au rabais, contestée, une vie hantée perpétuellement par la mort. Nous disons que nous ne devons pas faire confiance à la bonne foi des colonialistes, mais que nous devons nous armer de fermeté et de combativité. L’Afrique ne sera pas libre par le développement mécanique des forces matérielles, mais c’est la main de l’Africain et son cerveau qui déclencheront et mèneront à bien la dialectique de la libération du continent.
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Fanon développe ses ré lexions sur la violence dans Les Damnés de la terre. Cet ouvrage, préfacé par Jean-Paul Sartre qui note que « Fanon est le premier depuis Engels à [11] remettre en lumière l’accoucheuse de l’histoire », aura par la suite une immense in luence sur les mouvements de libération radicaux, en Afrique comme dans la diaspora (voir chapitres 18, 19, 20 et 23).
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Dans ce livre, Fanon tente de retracer l’histoire de la violence coloniale et de la résistance des colonisés, en distinguant trois étapes : la colonisation introduit une violence en provenance de la métropole ; cette violence se dissémine ensuite dans la colonie en favorisant le repli identitaire des colonisés ; puis la violence intériorisée par les colonisés se retourne contre le colon. Partant de cette analyse, Fanon note que la plupart des dirigeants révolutionnaires qui optent pour des méthodes de non-violence refusent la lutte armée sous prétexte d’un rapport de forces défavorable. Or, insiste-t-il, le colonialisme, en a firmant que la force est le seul langage que comprend le colonisé, ne peut être brisé que par l’usage d’une force plus grande, quitte à ce que celle-ci soit simplement suggérée. Les opérations de répression menées par les forces coloniales contre les nationalistes au Kenya, à Madagascar, en Algérie et au Cameroun notamment, note Fanon, n’ont pas l’e fet escompté. Au lieu de briser la marche libératrice, elles « scandent les progrès de la conscience nationale. Aux colonies, les hécatombes, à partir d’un certain stade de développement embryonnaire de la conscience, renforcent cette conscience, car elles indiquent qu’entre oppresseurs et [12] opprimés tout se résout par la force ».
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C’est donc en répondant à la violence du colonisateur que le colonisé se libère, et c’est en se libérant qu’il libère le colonisateur. La violence, dans la guerre de libération, est donc le processus grâce auquel la décolonisation crée un « homme nouveau » : le colonisé, jusque-là passif, entre en action. Refusant la placidité de trop nombreux dirigeants africains, Fanon estime que la violence est la force qui permettra de faire émerger une nouvelle Afrique, cette « Afrique à venir », dans laquelle le combat des « masses » ne
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[13]
pourra pas être récupéré par « les démagogues, les opportunistes, les magiciens ». Formées politiquement dans le combat quotidien contre toutes les formes d’oppression, les populations sont alors en mesure de rejeter toute tentative de mystification.
Quelle « unité africaine » ? Observant les premiers pas des États africains indépendants au tournant des années 1960, Fanon s’inquiète en e fet de l’attitude de leurs dirigeants. Lors de son séjour en Afrique de l’Ouest à l’été 1960, il rencontre un adversaire inattendu, comme il le note dans son carnet de bord :
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Le colonialisme et ses dérives ne constituent pas à vrai dire les ennemis actuels de l’Afrique. À brève échéance, ce continent sera libéré. Pour ma part, plus je pénètre les cultures et les cercles politiques, plus la certitude s’impose à moi que le grand danger [14] qui menace l’Afrique est l’absence d’idéologie .
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Les dirigeants des jeunes États indépendants, poursuit Fanon, se comportent trop souvent comme de nouveaux prédateurs se contentant de prendre la place des anciens colonisateurs en reproduisant leurs pratiques :
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Après quelques pas hésitants dans l’arène internationale, les bourgeoisies nationales ne sentant plus la menace de la puissance coloniale traditionnelle se découvrent soudain de grands appétits. Et comme elles n’ont pas encore la pratique politique, elles entendent mener cette a faire comme leur négoce. Prébendes, menaces, voire littéralement dépouillement de la victime. […] Les ouvriers mécontents subissent une répression aussi impitoyable que celle des périodes coloniales. Syndicats et partis politiques d’opposition sont confinés dans une quasi-clandestinité. Le peuple, le peuple qui avait tout donné aux heures di ficiles de la lutte de libération nationale, [15] s’interroge mains et ventre vides sur le degré de réalité de sa victoire .
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Particulièrement lucide, Frantz Fanon s’interroge également sur le sens véritable que les bourgeoisies qui s’installent progressivement à la tête des nouvelles nations donnent au mot d’ordre d’« unité africaine », qui est sur toutes les bouches mais reste bien souvent lettre morte :
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Depuis près de trois ans, j’essaie de faire sortir la fumeuse idée d’Unité africaine des marasmes subjectivistes, voire carrément fantasmatiques de la majorité de ses supporters. L’Unité africaine est un principe à partir duquel on se propose de réaliser les États-Unis d’Afrique sans passer par la phase nationale chauvine bourgeoise avec son cortège de guerres et de deuils. Pour amorcer cette unité toutes les combinaisons sont possibles. Certains, comme la Guinée, le Ghana, le Mali, et demain peut-être l’Algérie, mettent au premier plan l’action politique. D’autres, comme le Liberia et le Nigeria, insistent sur la coopération économique. La RAU de son côté insisterait davantage sur le plan culturel. Tout est possible, et les uns et les autres devraient éviter de discréditer ou de dénoncer ceux qui voient cette unité, ce rapprochement des États africains d’une façon qui di fère de la leur. Ce qu’il faut éviter, c’est la tension ghanéo-sénégalaise, la tension somaloéthiopienne, maroco-mauritanienne, congolo-congolaise… En réalité, les États colonisés qui ont accédé à l’indépendance par la voie politique semblent n’avoir d’autres préoccupations que de se trouver un vrai champ de bataille avec des blessures [16] et des destructions .
Comme Cheikh Anta Diop à la même période, Fanon s’inquiète donc du devenir de l’Afrique alors que celle-ci accède par petits bouts à la souveraineté politique. Il a raison. Alors qu’il rédige Les Damnés de la terre en 1961, il apprend l’assassinat, coup sur coup, de Félix Moumié, président en exil de l’UPC, et de Patrice Lumumba, Premier ministre du Congo, qu’il avait tous deux côtoyés depuis leur rencontre à Accra en décembre 1958. Malgré les indépendances, les puissances impérialistes n’ont à l’évidence pas l’intention de lâcher l’Afrique. Atteint d’une leucémie fulgurante, Fanon meurt en décembre 1961, à trente-six ans, sans même avoir vu l’indépendance de l’Algérie pour laquelle il s’était tant battu.
Notes [1]
J. Ayodele LANGLEY, Pan-Africanism and Nationalism in West Africa, op. cit., p. 323.
[2]
Vijay PRASHAD, op. cit., p. 71-84.
[3]
Samy GHORBA, « La conférence de Tanger, un rêve maghrébin », Jeune Afrique, 23 avril 2007.
[4]
François MASPERO, « Note de l’éditeur », Pour la révolution africaine, in Œuvres, op. cit., p. 687.
[5]
Frantz FANON, « Lettre à la jeunesse africaine », Pour la révolution africaine, in Œuvres, op. cit., p. 804.
[6]
Ibid., p. 804.
29
[7]
Frantz FANON, « Cette Afrique à venir », Pour la révolution africaine, in Œuvres, op. cit., p. 864.
[8]
Frantz FANON, Les Damnés de la terre, in Œuvres, op. cit., p. 611-612 et « Cette Afrique à venir », Pour la révolution africaine, in Œuvres, op. cit., p. 820.
[9]
Frantz FANON, Les Damnés de la terre, in Œuvres, op. cit., p. 611.
[10]
Frantz FANON, « Cette Afrique à venir », Pour la révolution africaine, in Œuvres, op. cit., p. 862.
[11]
Jean-Paul SARTRE, « Préface », Les Damnés de la terre, in Œuvres, op. cit., p. 436.
[12]
Frantz FANON, Les Damnés de la terre, in Œuvres, op. cit., p. 479.
[13]
Ibid., p. 496.
[14]
Frantz FANON, « Cette Afrique à venir », Pour la révolution africaine, in Œuvres, op. cit., p. 867.
[15]
Ibid., p. 868.
[16]
Ibid., p. 868-869.
Plan Panarabisme, panafricanisme Un panafricaniste sur tous les fronts L’Afrique doit montrer ses muscles et hausser le ton Quelle « unité africaine » ?
Auteur
15. Le crime fondateur de l’impérialisme au Congo Amzat Boukari-Yabara Dans Africa Unite ! (2017), pages 204 à 213
Chapitre
T
errain de partage des impérialismes lors de la conférence coloniale de Berlin en 1884-1885, le Congo devient la propriété du roi des Belges puis de l’État de Belgique. Pendant la Seconde Guerre mondiale, le Congo finance l’intégralité des dépenses du gouvernement belge en exil à Londres, et fournit les réserves d’uranium permettant la fabrication des deux premières bombes atomiques américaines. Après 1945, les autorités belges restent persuadées que l’avenir du Congo leur appartient pour plusieurs décennies. Paternalistes convaincues de leur « mission civilisatrice », elles développent des travaux d’anthropologie pour dresser des typologies de travailleurs et catégoriser les peuples du Congo et du Rwanda-Urundi voisin. Ainsi, pour les besoins de main-d’œuvre des multinationales et des compagnies minières qui font la loi dans le pays (Union minière du Katanga, Société générale de Belgique, Unilever…), les populations sont déplacées d’une région à l’autre. Quant à l’élite intellectuelle, très réduite, elle se retrouve principalement dans les associations culturelles d’anciens élèves des missions chrétiennes et dans certains cercles d’études privés.
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En 1954, Joseph Kasa-Vubu prend la direction de l’un de ces groupes, l’Association des Bakongo (ABAKO). Deux ans plus tard, après un travail de politisation dans les villes et les campagnes, l’ABAKO publie un Manifeste de conscience africaine. Réclamant la fin de la ségrégation raciale et l’extension des droits politiques des Africains, ce texte s’oppose au plan du professeur Antoine Van Bilsen qui n’entrevoyait pas l’indépendance du Congo avant trente ans. La même année 1956, un jeune fonctionnaire écrit un livre intitulé Le Congo, terre d’avenir, est-il menacé ? Alors inconnu, son auteur, Patrice Lumumba,
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deviendra quatre ans plus tard le Premier ministre du Congo indépendant. Et sera assassiné quelques mois plus tard, devenant l’un des principaux martyrs de l’histoire du panafricanisme.
Lumumba à Accra D’origine tetela, un petit groupe installé dans la province du Kasaï, au centre du Congo, Lumumba est éduqué dans les missions chrétiennes, catholiques et protestantes. Après avoir occupé des fonctions subalternes dans une société minière, il trouve un poste d’employé de bureau à Léopoldville (Kinshasa). En 1956, revenant d’un court séjour en Belgique, il est arrêté, jugé et condamné à douze mois de prison pour détournement de fonds dans une a faire liée à son travail à l’O fice des chèques postaux. C’est au cours de sa détention qu’il rédige son ouvrage Le Congo, terre d’avenir, qui espère-t-il, aidera Belges et Congolais à réaliser « une entente fraternelle afin d’aboutir, par voie de conséquence, [1] à une union définitive ».
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En 1957, Lumumba prend en charge la direction commerciale d’une grande brasserie. Il fréquente alors les bars de la capitale, animés par des groupes de musique panafricains comme l’orchestre African Jazz de Joseph Kabasellé. De l’autre côté du leuve Congo, à Brazzaville, l’indépendance vis-à-vis de la France est déjà discutée. Le jeune homme, qui préside ou participe à plusieurs cercles de débats, décide de fonder en octobre 1958 le Mouvement national congolais (MNC). Encore modéré et réformiste, le MNC cherche néanmoins à combattre résolument toutes les formes de division à l’intérieur du Congo. Convaincu qu’il est important d’implanter le mouvement dans toutes les régions du pays, Lumumba se distingue de la classe politique de l’époque, qui s’inscrit plus volontiers dans un cadre « ethnique ».
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Son séjour à Accra, en décembre 1958, va définitivement faire basculer Lumumba dans l’anticolonialisme et le panafricanisme. Se rendant à la conférence panafricaine d’Accra, les délégués du Mouvement panafricain de libération d’Afrique centrale et orientale [2] (PAFMECA) font une escale de trois jours à Léopoldville . Ils y reçoivent un accueil très organisé de la part des autorités coloniales belges. Pour les rassurer, ces dernières les introduisent auprès d’un petit nombre de Congolais émancipés, acquis au système colonial. Surpris par le discours de ces Congolais dociles qui leur dressent un portrait élogieux de la colonie et des relations harmonieuses entre Belges et Congolais et constatant qu’ils n’ont jamais entendu parler de la conférence d’Accra, pourtant annoncée depuis six mois à travers toute l’Afrique, les délégués est-africains mènent leur propre enquête qui leur permet de comprendre la manipulation des autorités belges. Le soir venu, ils rencontrent Lumumba dans un bar du quartier africain de la capitale. Le courant passe immédiatement, et la délégation kényane décide de lui payer
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le billet d’avion ainsi qu’à quatre de ses camarades. Les autorités belges, qui ne voient pas en Lumumba une menace, autorisent son déplacement. Ils regretteront bien vite cette erreur de jugement qui allait bouleverser l’histoire du Congo et de toute l’Afrique. À Accra, Padmore, Fanon et Moumié sont séduits par la personnalité de Lumumba, et [3] Nkrumah décide de faire de la libération du Congo une a faire personnelle .
La fin de la colonie belge Lorsque Lumumba revient à Léopoldville, son discours a changé. Il est déterminé à obtenir l’indépendance du Congo dans un cadre nationaliste et panafricain. Alors que le Congo est sans doute la colonie la moins préparée à l’indépendance, il y accède avant toutes les autres colonies d’Afrique centrale et orientale. En fait, dès le 4 janvier 1959, les Belges sont dépassés par une insurrection dans les quartiers africains de Léopoldville. L’état d’urgence est décrété. La Belgique comprend que les choses risquent d’aller plus vite que prévu et qu’il est important de trouver un moyen de ne pas tout perdre.
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Mais ce que Lumumba redoutait depuis longtemps commence à se produire à mesure qu’approche la perspective de l’indépendance : l’unité du Congo, territoire immense, quatre-vingts fois plus grand que la Belgique, dont certaines régions sont dotées de fabuleuses richesses, se craquelle. En juillet 1959, le MNC lui-même se scinde en deux à la suite d’un con lit avec Albert Kalonji. Ce dernier proclamera en août 1960 l’indépendance de la région minière du Sud-Kasaï. Dans l’autre région minière stratégique, le Katanga, l’homme d’a faires Moïse Tshombé développe un discours tribaliste et sécessionniste. Dans la capitale, Lumumba continue de di fuser des idées qui déplaisent aux autorités belges. À l’automne 1959, il est à nouveau arrêté pour des propos nationalistes tenus lors d’un discours. Cependant, en janvier 1960, à Bruxelles, sa présence est réclamée par les délégués congolais envoyés à la conférence de la Table ronde, organisée pour examiner les conditions de transition à l’indépendance. Libéré, Lumumba rejoint la capitale belge où il retrouve Kalonji, Kasa-Vubu et Tshombé. Un journaliste, alors proche de Lumumba, est également présent : Joseph Désiré Mobutu.
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Lorsqu’il revient de Bruxelles, Lumumba est membre du Collège exécutif général qui dispose d’une feuille de route pour conduire le Congo à l’indépendance d’ici au 30 juin 1960. Au mois d’avril, il retourne au Ghana pour voir Nkrumah et Moumié. Ce voyage inquiète les Belges et les Américains qui soupçonnent Nkrumah d’avoir des visées sur le Congo. Dès lors, Lumumba fait l’objet d’attaques régulières de la part de ses adversaires mais également de son propre camp. Ses ambitions et sa manière d’être décontenancent les Belges, peu habitués à voir un Africain leur tenir tête. Lumumba, que les Belges croyaient au départ malléable, apparaît comme un homme qu’on ne peut manipuler. Ses détracteurs reviennent sur ses erreurs de jeunesse, en les exagérant. Jamais fondée et
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toujours démentie, son adhésion au communisme revient comme un leitmotiv. Mais sa popularité grandit. Le MNC remporte les élections en mai 1960. Tandis que Kasa-Vubu devient président de la République, Lumumba est chargé de former le gouvernement. Le jour de l’indépendance, le 30 juin 1960, Lumumba gri fonne quelques mots sur un papier en écoutant les discours de Kasa-Vubu et du roi Baudouin, qui s’autocongratulent. Il se lève, se dirige vers l’estrade. Contre toute attente, il prend la parole et, s’adressant aux « Congolais et Congolaises, combattants de l’indépendance aujourd’hui victorieux », il délivre le discours d’indépendance le plus critique jamais [4] prononcé par un Africain en présence de la plus haute autorité métropolitaine . Accusant les Belges d’avoir rendu nécessaire « une lutte indispensable pour mettre fin à l’humiliant esclavage qui nous était imposé par la force », Lumumba indique que les Congolais n’oublieront jamais « les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir, parce que nous étions des nègres ». Sur un ton clair, il annonce que le Congo traitera dorénavant « d’égal à égal » avec la Belgique, mais choisira ses alliances en fonction des intérêts congolais.
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Dans la salle, son discours, retransmis en direct à la radio, est applaudi à chaque mesure invitant le peuple congolais à « commencer une nouvelle lutte, une lutte sublime qui va mener notre pays à la paix, à la prospérité et à la grandeur ». Demandant « à tous d’oublier les querelles tribales qui nous épuisent et risquent de nous faire mépriser à l’étranger », il paraphrase la déclaration d’indépendance de Nkrumah : « Nous allons montrer au monde ce que peut faire l’homme noir quand il travaille dans la liberté, et nous allons faire du Congo le centre de rayonnement de l’Afrique tout entière. » Sous les applaudissements de la salle, il conclut son discours en a firmant que « l’indépendance du Congo marque un pas décisif vers la libération de tout le continent africain ».
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Le roi Baudouin revient à Bruxelles humilié. Alors que le Premier ministre congolais accède immédiatement au rang de héros de la cause africaine, le président américain Dwight Eisenhower, qui demande l’ouverture d’un dossier sur Lumumba, comprend [5] que la situation congolaise risque de se compliquer .
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Une crise internationale De fait, quelques jours après l’indépendance, le Congo s’enfonce dans une grave crise. Une mutinerie éclate lorsque le général belge Émile Janssens, qui commande la Force publique, humilie les soldats congolais en leur annonçant que la décolonisation ne changera rien à l’ordre hiérarchique et à leurs conditions de vie. Lumumba a à peine le temps d’essayer de régler le problème, en décrétant l’africanisation de l’armée, que la Belgique envoie des troupes, en violation de la souveraineté congolaise, sous prétexte de protéger ses ressortissants. De son côté, Moïse Tshombé profite de la crise pour
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proclamer l’indépendance du Katanga. Cette région particulièrement riche, exploitée et contrôlée par l’Union minière, est peuplée par une minorité d’Européens qui, acquise aux idées de l’apartheid, plaide pour un Katanga indépendant ou rattaché à l’Afrique du Sud et aux deux Rhodésies (futures Zambie et Zimbabwe). Un mois après la sécession katangaise, la riche province diamantifère du Sud-Kasaï déclarera à son tour son indépendance. Décidé à préserver la souveraineté et l’intégrité territoriale de son pays, Lumumba demande l’intervention de l’ONU, qui réclame le retrait des troupes belges et envoie des « casques bleus ». Mais ces derniers refusant d’intervenir au Katanga, où Tshombé bénéficie de la protection belge, le Premier ministre se tourne vers Moscou, d’une part, [A] et vers ses homologues africains, d’autre part. Conscient de ce qui se joue au Congo , Kwame Nkrumah cherche à intervenir. Le 8 août, il obtient du Parlement ghanéen que son gouvernement « engage les troupes du Ghana dans une action militaire o fensive contre les troupes belges si l’ONU était incapable de mettre en œuvre la résolution du [7] Conseil de sécurité ». Mais les troupes ghanéennes, présentes au Congo, n’interviennent en fait que dans le cadre de l’ONU, ce qui les paralyse et les empêche de mener toute « opération o fensive ».
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Envoyant directement les troupes congolaises à l’assaut du Katanga et du Sud-Kasaï, Lumumba tente de plaider sa cause devant ses homologues lors d’un sommet [8] panafricain organisé en urgence, fin août 1960, à Léopoldville . Il leur demande de passer de la parole aux actes : « L’unité et la solidarité africaines ne sont plus des rêves, elles doivent se traduire par des décisions. Unis dans un même esprit, dans un même élan, avec le même cœur, nous ferons bientôt de l’Afrique un continent réellement libre [9] et indépendant . »
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Lorsqu’il prononce ses paroles, le destin de Lumumba est déjà scellé. Les Américains, qui craignent une intervention soviétique, décident secrètement d’écarter Lumumba. Le 4 septembre 1960, le président Kasa-Vubu révoque son Premier ministre qui, à son tour, annonce la destitution du président. Tandis que Kasa-Vubu se rend au siège de l’ONU pour faire reconnaître sa légitimité, Lumumba est interdit de voyage. La « communauté internationale » a choisi son camp : elle soutient un président nommé au terme d’un accord politique plutôt que son Premier ministre pourtant arrivé au pouvoir en toute légalité, à l’issue d’élections démocratiques. De plus en plus isolé, Lumumba enrage. Y compris contre ses « amis africains ». « Prudence, prudence, tout le monde me recommande la prudence, lance-t-il à un de ses visiteurs, fin septembre. Les Africains sont des couards ! […] Tous les Nasser, Nkrumah, Sékou Touré font de beaux discours [10] sur le Congo, mais ils ne savent pas de quoi ils parlent ! »
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Placé en résidence surveillée, en octobre, par son propre chef d’état-major, Joseph Mobutu, qui travaille en connexion avec les services secrets américains, Lumumba parvient à s’enfuir en novembre et tente de rejoindre ses partisans qui ont établi un gouvernement à Stanleyville. Grâce aux renseignements américains et canadiens, il est finalement arrêté le 1er décembre 1960 par les hommes de Kasa-Vubu et Mobutu. Alors que l’ONU tient responsables les autorités congolaises du sort de Lumumba, Mobutu et Kasa-Vubu décident de l’expédier au Katanga et de le livrer à son pire ennemi, Tshombé. Dans la nuit du 16 au 17 janvier 1961, le Premier ministre déchu est torturé, puis exécuté par un commando belgo-congolais. Son corps est dépecé et disparaît après avoir été dissous dans l’acide sulfurique par deux mercenaires belges.
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Symbole du panafricanisme… et de ses limites La disparition tragique de Lumumba fait immédiatement de lui un symbole international. En février 1961, en apprenant sa « mort en brousse », des activistes afroaméricains font irruption au siège des Nations unies, à New York, pour dénoncer son assassinat. Lumumba devient un cri de ralliement de tous les anti-impérialistes. Dans presque toutes les capitales occidentales et africaines, des manifestations ou des événements pro-Lumumba sont organisés. Le nom de Lumumba est donné à de nombreux clubs ou lieux de ré lexion anti-impérialistes en Afrique, aux États-Unis, dans la Caraïbe et dans les pays de l’Est. Plusieurs militants donnent « Lumumba » comme prénom à leur enfant, ou en font leur nom de guerre. Des livres, des films et des documentaires avec des partis pris parfois discutables, ou des œuvres de création vont également s’inspirer des di férents événements de sa vie, en particulier son discours de l’indépendance. Jusqu’à nos jours, Lumumba incarne une Afrique combattante et cohérente avec elle-même : l’Afrique qui réclame justice.
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Paradoxalement, pourtant, la mort de Lumumba symbolise aussi les échecs du panafricanisme. Bien que les principaux responsables de sa chute soient incontestablement les puissances impériales, à commencer par la Belgique et les ÉtatsUnis, elle illustre aussi l’incapacité de l’Afrique à peser sur les décisions de la « communauté internationale », et notamment sur l’ONU.
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Fondée en 1945 par les seuls États qui étaient indépendants à cette date, l’organisation internationale a certes, dans certains cas, permis d’accélérer le processus de décolonisation. Elle a également intégré les nouveaux États, à mesure qu’ils étaient rendus à la souveraineté. Mais, comme le démontre la crise congolaise, elle reste l’instrument des cinq puissances mondiales représentées de façon permanente au Conseil de sécurité. Bien que son Assemblée générale se présente comme le forum de la communauté internationale, le principe « un pays, une voix » n’est en fait que
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faussement démocratique puisqu’il favorise les puissances anciennes et coalisées au détriment des États en construction et des régions « balkanisées ». Faute d’avoir pu parler d’une seule voix, les États africains indépendants ont entériné une décision lourde de conséquences en laissant l’ONU intervenir et s’installer au Congo. En e fet, à partir du moment où les puissances dominantes peuvent intervenir en Afrique sous couvert de l’ONU, quelle marge de manœuvre reste-t-il aux Africains ? Paradoxalement limité par son indépendance juridique, qui lie son destin aux aléas de l’armée congolaise embryonnaire, Lumumba ne disposait pas de la même marge de manœuvre que ses agresseurs. Alors que Tshombé a usé de son « indépendance » pour recruter des mercenaires blancs, belges et sud-africains, afin de renverser le gouvernement central, Lumumba, chef d’un gouvernement indépendant et respectueux du droit international, s’est tourné vers la seule instance légitime pour régler la crise politique et sécuritaire. Alors que les mercenaires obéissaient à Tshombé, ou en tout cas à celui qui les payait, l’ONU est intervenue en avançant sa neutralité, et donc en refusant d’obéir à Lumumba et de reconnaître implicitement sa légitimité. Dépendants de New York et non de Léopoldville, les « casques bleus » envoyés au Congo n’étaient par conséquent pas « neutres » et favorisaient, en pratique, les adversaires de Lumumba. « Le tort de Lumumba, explique Frantz Fanon en février 1961, a été […] de croire en l’impartialité amicale de l’ONU. Il oubliait singulièrement que l’ONU, dans l’état actuel, n’est qu’une assemblée de réserve, mise sur pied par les grands, pour continuer entre [11] deux con lits armés la “lutte pacifique” pour le partage du monde . »
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Si les nationalistes africains se déchaînent, à juste titre, contre l’impérialisme des puissances occidentales et l’impuissance coupable de l’ONU, certains d’entre eux ont conscience que la crise congolaise illustre l’échec d’un « panafricanisme » purement incantatoire. Fanon, comme Nkrumah après lui reconnaissent que les pays africains n’auraient jamais dû laisser l’ONU intervenir au Congo, ni envoyer leurs troupes sous couvert de l’ONU, mais créer leur propre force d’intervention dans la lignée des engagements pris à Accra en 1958, et réitérés à la conférence des peuples africains à Tunis en janvier 1960 : constituer une légion africaine indépendante chargée d’appuyer les peuples africains en lutte pour leur indépendance ou menacés pour leur souveraineté. Mais, pour qu’une telle légion voie le jour autrement qu’à l’état embryonnaire, pour que les États nouveaux défendent les véritables intérêts des Africains, il faut que l’Afrique fasse un choix. « Il faudra qu’elle dise si elle avance ou si elle recule, insiste Fanon. Il faudra qu’elle comprenne qu’il ne lui est plus possible d’avancer par régions, que, comme un grand corps qui refuse toute mutilation, il lui faudra avancer en totalité, qu’il n’y aura pas une Afrique qui se bat contre le colonialisme et une autre qui tente de s’arranger avec le colonialisme. Il faudra que l’Afrique, c’est-àdire les Africains, comprenne qu’il n’y a jamais de grandeur à atermoyer et qu’il n’y a
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jamais de déshonneur à dire ce que l’on est et ce que l’on veut, et qu’en réalité l’habileté du colonisé ne peut être en dernier ressort que son courage, la conception lucide de ses [12] objectifs et de ses alliances, la ténacité qu’il apporte à sa libération . »
Notes [1]
Cité in Jean OMASOMBO et Benoît VERHAEGEN, Patrice Lumumba, acteur politique. De la prison aux portes du pouvoir, juillet 1956-février 1960, L’Harmattan, Paris, 2005, p. 67.
[2]
Abdulrahman BABU, The Future that Works, Africa World Press, Trenton, N.J., 2002, p. 63-64.
[3]
Kwame NKRUMAH, I Speak of Freedom, op. cit., p. 245-257.
[4]
Patrice LUMUMBA, Patrice Lumumba : recueil de textes, CETIM, Genève, 2013, p. 44-49.
[5]
Jacques DEPELCHIN, Silences in African History, Mkuki na Nyota publications, Dar es Salaam, 2005, p. 85-88.
[A]
Premier leader du premier pays indépendant de cette région du continent, Lumumba était une menace pour les régimes racistes et capitalistes d’Afrique australe et les colonies lusophones qui redoutaient un Congo uni et servant de base aux forces progressistes. À Accra en 1958, sur les conseils de Padmore qui était convaincu que le décollage de l’Afrique reposait sur le Congo et l’Afrique du Sud, Nkrumah et Lumumba s’étaient accordés sur l’idée que le Congo, dans la foulée de son indépendance, rejoigne l’Union Ghana-Guinée, et s’engage à ouvrir un front contre le régime de Pretoria.
[7]
Cité in André LEWIN, Ahmed Sékou Touré (1922-1984), tome 4, L’Harmattan, Paris, 2009, p. 135.
[8]
OIF, Le Mouvement panafricaniste…, op. cit., p. 325-331.
[9]
Cité in Rachel-Albert KISONGO MAZAKALA, L’Idéologie du lumumbisme, L’Harmattan, Paris, p. 130.
[10]
Cité in André LEWIN, Ahmed Sékou Touré (1922-1984), op. cit., p. 136.
[11]
Frantz FANON, « La mort de Lumumba : pouvions-nous faire autrement ? », Pour la révolution africaine, in Œuvres, op. cit., p. 876.
[12]
Ibid., p. 873-874.
Plan
16. L’Organisation de l’unité africaine (1963) Amzat Boukari-Yabara Dans Africa Unite ! (2017), pages 214 à 225
Chapitre
L
a crise du Congo, qui a éclaté à l’été 1960 et qui se prolonge pendant plusieurs années, brise l’unité de façade. Autour du Ghana, les pays africains progressistes reconnaissent le gouvernement lumumbiste du vice-Premier ministre Antoine Gizenga, installé à Stanleyville, tandis que les pays restés proches des anciennes métropoles coloniales décident de travailler avec le gouvernement du président KasaVubu à Léopoldville (Kinshasa). Au nord du continent, la guerre d’Algérie divise déjà les Africains entre ceux qui se veulent « révolutionnaires » et ceux que la presse qualifie de [1] « modérés » . En octobre 1960, le président ivoirien Houphouët-Boigny, chef de file de cette seconde catégorie en Afrique francophone, organise une rencontre à Abidjan dans le but o ficiel d’assurer une médiation des anciennes colonies françaises indépendantes entre la France et l’Algérie. La réunion cherche aussi à établir une position commune avant l’entrée de ces nouveaux États africains à l’ONU à la fin du mois de décembre.
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C’est à partir de ce moment que les États africains se divisent sur des lignes idéologiques opposées. Des rapprochements aboutissent à la création de di férents ensembles : groupes dits de Brazzaville, de Casablanca et de Monrovia. Les divisions qui s’expriment au début des années 1960 n’empêchent pas les États indépendants, réunis à Addis-Abeba (à l’exception de l’Afrique du Sud), de signer, en mai 1963, la charte de l’Organisation de l’unité africaine (OUA). Mais cette nouvelle organisation est loin d’être l’émanation de l’unité des peuples africains, que Fanon et quelques autres appelaient de
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leurs vœux. Derrière une unité factice, il s’agit plutôt d’une alliance entre dirigeants qui, gouvernant pour la plupart leurs pays respectifs de façon autoritaire, cherchent à défendre leur pouvoir. En réalité, entre 1960 et 1963, la dynamique révolutionnaire ne domine que dans les territoires encore à décoloniser, notamment les colonies portugaises et l’Afrique australe. Ailleurs, les indépendances ont souvent été proclamées, parfois contre leur gré, par des régimes opportunistes qui, proclamant leur désir d’« unité africaine » de manière incantatoire, décident de se rapprocher entre eux pour mieux en paralyser l’objectif. Avec la création de l’OUA, tout le monde, y compris les régimes défavorables à l’unité africaine, peut se revendiquer habilement du panafricanisme. Ainsi, les conditions dans lesquelles les États africains décident de s’unir contiennent déjà les raisons pour lesquelles cette unité n’a pas été à la hauteur des espérances, notamment en matière de sécurité et de développement.
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Jeu d’alliances : les groupes de Brazzaville, Casablanca et Monrovia Se retrouvant à Brazzaville en décembre 1960, douze anciennes colonies françaises (Congo-Brazzaville, Côte d’Ivoire, Sénégal, Mauritanie, Haute-Volta, Niger, Dahomey, [a] Tchad, Gabon, République de Centrafrique, Cameroun, Madagascar ) reconnaissent l’indépendance de la Mauritanie et proposent une médiation africaine dans les crises algérienne et congolaise. Surtout, ils signent la naissance de l’Union africaine et malgache (UAM), qui confirme la réticence des pays francophones, dits « modérés », à rompre avec Paris et à intégrer un ensemble continental où ils sont minoritaires. Se retrouvant à nouveau à Dakar, en février 1961, ce « groupe de Brazzaville » jette les fondations d’une nouvelle Organisation commune africaine et malgache (OCAM) qui verra le jour quelques années plus tard, en 1965. Proche de Paris, le groupe de Brazzaville est le premier groupe fermé, dont les invitations ne sont plus envoyées à tous les États africains mais uniquement à ceux qui répondent à certains critères idéologiques. C’est aussi le premier bloc politique rompant avec l’objectif du regroupement continental.
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Constatant qu’ils sont minoritaires dans le groupe africain formé à l’ONU, les pays [3] africains « progressistes » réagissent . Le Maroc, déplorant le soutien du groupe de Brazzaville à l’indépendance de la Mauritanie (en raison du contentieux frontalier qui oppose les deux pays), annonce une conférence à Casablanca, qui réunit en janvier 1961 le Ghana, la Guinée, le Mali, la RAU (Égypte et Syrie), ainsi que la Libye, le GPRA et Ceylan en tant qu’observateurs. Unis sur l’Algérie et dans leur condamnation du colonialisme et de l’apartheid, les pays du « groupe de Casablanca » sont en revanche divisés sur d’autres dossiers. Le Ghana, qui refuse de retirer ses troupes envoyées au
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Congo, accepte, pour ne pas être totalement isolé, d’endosser la résolution de la RAU condamnant Israël (avec lequel il entretient pourtant de solides relations). Signée en mai 1961 par les ministres des A faires étrangères, à l’exception de celui de la Libye, la charte établit un comité politique réunissant les chefs d’État, un comité économique réunissant les ministres des Finances, un comité culturel réunissant les ministres de l’Éducation et un commandement suprême réunissant les états-majors des pays membres. L’interdiction de conclure des pactes militaires avec des puissances étrangères est soulignée. Mais, contrairement aux souhaits de Nkrumah, la charte de Casablanca ne parle nullement d’abandonner les souverainetés pour fusionner dans une [4] union politique . Bamako est désigné comme la capitale du groupe, qui reste ouvert aux autres pays. Constatant à son tour le poids des gouvernements pro-Casablanca en Afrique de l’Ouest, Senghor, élu président du Sénégal en septembre 1960, prend contact avec Sylvanus Olympio (Togo), William Tubman (Liberia) et Abubakar Balewa (Nigeria) afin d’organiser une conférence à Monrovia le 8 mai 1961. La Côte d’Ivoire et le Cameroun se rallient à l’initiative. La Guinée et le Mali renoncent en revanche à participer, à la suite de la pression du Ghana, tout comme le Soudan, en raison de la présence de la Mauritanie. Les deux gouvernements en guerre pour le contrôle du Congo ne sont pas [5] invités . La conférence de Monrovia apparaît ainsi comme un élargissement du groupe de Brazzaville, qui bénéficie du renfort de huit pays : Liberia, Nigeria, Sierra Leone, Somalie, Togo, Éthiopie, Libye et Tunisie.
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Inscrit dans une gestion réformiste et individualiste de l’indépendance, le groupe de Monrovia, alors le plus grand rassemblement d’États africains jamais réalisé, plaide pour la non-ingérence dans les a faires internes et pour le maintien des frontières héritées de la période coloniale. Estimant que le modèle de l’État-nation européen est adapté aux réalités africaines, il rejette l’idée d’un regroupement fédéral. Pour le groupe de Casablanca à l’inverse, en particulier pour le courant ghanéen, il faut dépasser les frontières coloniales et élargir les nationalismes à l’échelle continentale. Mais, derrière ces options tranchées, les deux groupes s’in luencent mutuellement et, en leur sein, les sociétés civiles de chaque pays sont traversées par des courants progressistes, radicaux, conservateurs et révolutionnaires. Les uns tempèrent les autres, tout en sachant que les forces « conservatrices » sont numériquement supérieures aux forces « progressistes ».
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Selon la terminologie de l’universitaire Michel Kounou, des divergences apparaissent, à l’intérieur de chaque groupe, entre un « courant unitaire objectif », qui se résume principalement à la mouvance radicale de Nkrumah, un « courant intermédiaire étapiste régional », qui correspond à la mouvance gradualiste incarnée par des personnalités à la fois proches et éloignées comme Senghor et Nyerere, et un « courant défaitiste-collaborationniste et capitulard », autour de l’axe Monrovia-Abidjan-Lagos[6] Tananarive . Mais les groupes de Casablanca et Monrovia peuvent tout de même
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s’accorder sur un certain nombre de mots d’ordre consensuels : « Non au colonialisme et à l’apartheid » et « Oui à la paix et à l’unité ». Reste à savoir quelle définition on donne à ces mots.
L’Afrique des peuples… À la conférence des États indépendants qui se tient à Lagos en janvier 1962, l’Éthiopie mène une mission diplomatique pour que la prochaine conférence du groupe de Monrovia, prévue en 1963 à Addis-Abeba, soit l’occasion d’intégrer le groupe de [7] Casablanca . En obtenant la venue de la Guinée de Sékou Touré, puis des autres pays du groupe de Casablanca, le chef de la diplomatie éthiopienne, Ato Ketema Yifru, frappe un grand coup. Les diplomates éthiopiens tentent alors de convaincre, un à un, tous les États africains de venir à Addis-Abeba. Nkrumah comprend qu’il ne peut se permettre de rester isolé. Grâce au prestige d’Hailé Sélassié, au pouvoir depuis 1930, l’Éthiopie, qui avait jusque-là une longue tradition isolationniste, devient subitement le centre politique de l’Afrique et du panafricanisme.
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À partir du 15 mai 1963, les ministres des A faires étrangères se réunissent en Éthiopie pour préparer l’agenda de la conférence des chefs d’État, et pour rédiger la version de la charte de la future Organisation de l’unité africaine (OUA). Ketema Yifru et Tesfaye Gebre-Egzy, l’ambassadeur éthiopien aux Nations unies, occupent respectivement les fonctions de président et secrétaire général de la conférence. Plus expérimentés que leurs collègues, disposant d’un pool de juristes éthiopiens et de conseillers venus leur apporter le modèle de la charte de l’Organisation des États américains (OEA), les diplomates éthiopiens préparent le projet de charte de l’OUA en tenant compte des intérêts particuliers de leur pays, notamment les questions de frontières qui touchent au contrôle d’Addis-Abeba sur l’Érythrée et la région de l’Ogaden.
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Déterminé à convaincre ses homologues, Nkrumah demande à son ministre des A faires étrangères Kojo Botsio de faire distribuer à tous les dirigeants présents à Addis-Abeba un exemplaire de son dernier livre, Africa Must Unite. Cependant, lorsqu’il arrive à AddisAbeba, le 19 mai, Nkrumah apprend qu’il est en minorité, et que même le soutien des pays du groupe de Casablanca ne lui est plus acquis. Le projet clair et ambitieux de l’unité sous la forme d’un gouvernement continental, à exécuter dans un délai très court, e fraie l’ensemble des dirigeants présents qui, fraîchement arrivés au pouvoir pour la plupart, ne veulent absolument pas s’engager sur une voie fédérale qui remettrait en cause les fondements de l’État postcolonial (et le statut que ce dernier leur octroie). Nkrumah est même accusé de vouloir prendre la tête des a faires continentales
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pour mener une politique dictatoriale. Cependant, avec la certitude que « les forces qui [8] nous unissent font plus que contrebalancer celles qui nous divisent », il est convaincu que son discours et sa force de conviction peuvent encore faire pencher la balance. Le 24 mai 1963, Nkrumah s’adresse directement à ses pairs. A firmant d’entrée de jeu que « nous devons nous unir dès maintenant ou périr », il tente de donner un contenu concret aux mots d’ordre d’anticolonialisme, de paix et d’unité. Cette dernière doit être réalisée immédiatement, indique-t-il, pour opposer un front commun aux velléités dominatrices des puissances étrangères. En créant une solidarité politique, militaire et économique, grâce à un gouvernement continental et une armée commune, l’unité africaine doit permettre de lutter contre les puissances coloniales qui dirigent encore directement une partie du continent, contre le néocolonialisme qui agit sournoisement dans les États formellement indépendants, mais également contre les con lits interafricains qui se multiplient depuis les indépendances. S’appuyant sur les exemples – et les contre-exemples – américain et européen, le président ghanéen réclame une union africaine au service des peuples. C’est là sans doute que son discours, qui restera dans les annales du panafricanisme, tranche le plus radicalement avec ceux de ses homologues, qui semblent avant tout soucieux de conserver leur pouvoir, fût-ce aux dépens de leurs administrés.
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Parmi les rares critiques constructives qui sont adressées à Nkrumah, Sekou Touré, réclamant une charte « en harmonie avec les nouvelles exigences de l’évolution du continent africain », souligne que, puisqu’il est question des peuples, ceux-ci devraient être consultés par référendum sur cette question de l’unité. Cela ne sera pas le cas, et la charte de l’OUA sera proclamée au nom des chefs d’État. D’autres comme Milton Obote (Ouganda) ou Julius Nyerere (Tanganyika) se disent ouverts à l’idée d’une organisation supranationale pour éviter que des questions majeures ne soient traitées de manière isolée. Sentant que l’unification de l’Afrique de l’Est est techniquement possible, mais qu’il convient de ne pas e frayer les forces nationalistes locales en allant trop vite, Nyerere soutient cependant une unification graduelle, et non immédiate comme le demande le leader ghanéen, à partir des cinq grandes régions du continent. Pour Nkrumah, les fédérations régionales sont déjà des formes de balkanisation à grande échelle qui doivent disparaître au plus tôt.
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Pour Nyerere, à l’inverse, une fédération régionale est un premier pas vers une union continentale : si chaque région du continent réalise son unité, cela réduira d’autant le nombre de parties à réunir pour parachever l’unification du continent. Nyerere estime que Nkrumah, en fustigeant le fédéralisme régional, a des responsabilités dans l’échec de la Fédération de l’Afrique de l’Est. Évoquée par le PAFMECA à la fin des années 1950, cette fédération se résumera à la naissance, en 1964, de la Tanzanie, fruit conjoncturel de la seule et de la plus petite union réalisée entre deux États indépendants du continent, le Tanganyika et Zanzibar (voir chapitre 17).
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Le régionalisme de Nyerere, que ce dernier conçoit comme une étape vers les États-Unis d’Afrique, se distingue du régionalisme prôné par Senghor, qui postule que les Africains sont culturellement et linguistiquement trop di férents pour s’entendre. Nasser, lui aussi venu par crainte de se retrouver isolé, doute également de la motivation de ses homologues, et introduit la double question de l’appartenance de l’Afrique du Nord et de l’utilisation de la langue arabe au sein de la nouvelle organisation. Mais les adversaires les plus résolus de Nkrumah sont Félix Houphouët-Boigny (Côte d’Ivoire), Philibert Tsiranana (Madagascar) et Abubakar Balewa (Nigeria). Les deux premiers estiment que l’Union africaine et malgache (UAM) constituée des anciennes colonies françaises prime sur une organisation continentale. Fustigeant le soutien et l’asile que le Ghana o fre aux opposants politiques des autres pays, ce qu’ils décrivent comme une grave ingérence dans leurs a faires intérieures, ces responsables refusent que l’organisation continentale qu’il s’agit de mettre sur pied soit autre chose qu’un organe de coopération.
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… ou un « syndicat de chefs d’État » ? Appartenant au groupe de Monrovia et perçue, à cette période, comme proche des ÉtatsUnis, l’Éthiopie présente son projet de charte de l’OUA. Évitant les sujets con lictuels, elle se borne à énoncer les principes, les objectifs et les modalités de fonctionnement de [9] la nouvelle organisation . Celle-ci, est-il indiqué, se donne pour objectif la promotion de l’unité, de la solidarité, de la coopération et de l’intégration entre les États africains, ainsi que l’éradication de toutes les formes de colonialisme. La prévention des con lits, la consolidation de la souveraineté et la défense de l’intégrité territoriale des États membres dans le respect de la charte de l’ONU sont entérinées, avec une mention spéciale pour la non-ingérence dans les a faires intérieures des États.
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Sur la forme, l’organe suprême de l’organisation est l’assemblée des chefs d’État et de gouvernement qui, se réunissant une fois par an ou sur convocation exceptionnelle, doit discuter des dossiers communs et se mettre d’accord sur la politique à mener. Les présidents élisent l’un d’entre eux à la tête de l’OUA pour un an, et un secrétaire général est chargé du fonctionnement quotidien de l’organisation. Le conseil des ministres des A faires étrangères se réunit deux fois par an, ou en cas de crise, pour préparer l’agenda de la réunion des chefs d’État, pour coordonner les a faires continentales, approuver le budget et veiller à l’application des décisions de l’assemblée. Une commission de médiation, d’arbitrage et de conciliation est créée pour veiller aux bonnes relations entre les membres et un comité de libération est constitué pour rassembler et distribuer les fonds alloués aux mouvements de libération.
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Adoptée, le 25 mai, après deux jours de discussion, par les trente chefs d’État présents à Addis-Abeba (où s’installe le siège permanent de l’OUA) mais en l’absence de toute organisation non gouvernementale (partis politiques, syndicats, chefs traditionnels ou autres représentants de la société civile), cette charte est très éloignée des objectifs poursuivis par Kwame Nkrumah, grand vaincu de la conférence. La volonté de regrouper tous les pays indépendants, sans considération de leurs options idéologiques, ne peut qu’entraîner une politique de compromis reposant sur des principes aussi abstraits que lous. Entre la Côte d’Ivoire d’Houphouët-Boigny, qui travaille main dans la main avec Paris, et le Ghana de Nkrumah, qui appelle à l’unification immédiate et concrète de l’Afrique, aucun mariage n’est envisageable. Le compromis d’Addis-Abeba, dicté par des États majoritairement conservateurs, scelle ainsi une alliance contre nature, qui ne suscite guère de crainte dans les capitales européennes et américaine.
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Loin d’être l’émanation des peuples africains, la charte de l’OUA consacre surtout la prééminence des exécutifs étatiques sur la politique continentale, au point de s’attirer le sobriquet de « syndicat de chefs d’État » soucieux de se protéger mutuellement contre les aléas du pouvoir. Le cinquième paragraphe de l’article III de la charte est significatif à cet égard. Proscrivant « les activités subversives exercées par des États voisins ou tous autres États », ce qui vise en particulier Nkrumah, il condamne également, « sans réserve, l’assassinat politique ». L’allusion fait moins référence à la mort de Lumumba qu’à celle du Premier ministre togolais Sylvanus Olympio, assassiné quatre mois avant la conférence d’Addis-Abeba, par des éléments profrançais. Faisant allusion à ce meurtre, Nyerere demande aux gouvernements africains de ne pas reconnaître le nouveau régime togolais tant que les commanditaires de l’assassinat d’Olympio restent inconnus et impunis (le Togo est e fectivement absent de la conférence d’Addis-Abeba). L’OUA, explique Nyerere, ne peut pas se permettre d’accueillir en son sein des dirigeants illégitimes ou incapables d’assurer l’émancipation de leur propre pays. Mais le nombre de dirigeants correspondant à cette définition est si important que la clause visant à exclure par principe les « dirigeants illégitimes » est rapidement écartée…
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Unis, mais chacun pour soi Sur la scène internationale, c’est presque toujours la crainte d’un ennemi commun, ou perçu comme tel, qui forge les alliances. C’est ce que note l’historien Yves Bénot, qui remarque que les seules décisions précises prises à Addis-Abeba concernent la lutte contre les régimes colonialistes encore présents sur le continent et contre le régime raciste d’Afrique du Sud. « Aussi est-ce sur ce point que les résolutions d’Addis-Abeba sont les plus concrètes, note Yves Bénot : interdire le survol des territoires africains par les avions de lignes sud-africains, intervenir auprès de l’Angleterre pour qu’elle ne transfère pas le pouvoir en Rhodésie du Sud “au gouvernement d’une minorité
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étrangère”, intervention auprès des grandes puissances pour qu’elles cessent d’aider matériellement le Portugal […], décision d’organiser l’aide commune aux mouvements [10] de libération en lutte […], telles sont les décisions les plus frappantes . » Mais là où l’« ennemi » est plus lou, moins consensuel, voire divise les « partenaires », les décisions deviennent plus abstraites et plus incantatoires. Les délégués d’AddisAbeba ayant soigneusement évité de mentionner concrètement les litiges frontaliers, les désaccords idéologiques, les mésententes personnelles et les cas d’ingérences interétatiques ou impérialistes, l’OUA est rapidement paralysée de l’intérieur et sombre dans une sclérose bureaucratique qui entretient mécaniquement le statu quo. L’organisation ne disposant pas de ses propres moyens budgétaires et militaires, la fonction de secrétaire général est vidée de toute autorité. Confrontée à des défis économiques, humanitaires et sécuritaires qui la dépassent, l’OUA tente quelques médiations dans les crises continentales, sans grand succès. L’absence d’une armée lui enlève tout moyen de pression. Dans un contexte de guerre froide, d’interventions et d’ingérences étrangères, auxquelles s’ajoutent des rivalités entre les regroupements régionaux, l’OUA perd peu à peu l’initiative en matière de politique continentale. Ayant refusé de donner au concept d’« unité » une définition précise, elle accueille un nombre grandissant de membres, qui passeront d’une trentaine à une cinquantaine en à peine trente ans, sans avoir fixé au préalable de critères solides pour en faire partie (garanties démocratiques, respects des principes édictées par la charte, etc.).
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Contrairement aux apparences, l’étude du panafricanisme dans les relations internationales n’est pas stricto sensu l’étude de la politique menée par l’OUA, mais l’interprétation historique des critères panafricanistes appliqués par une poignée d’États (Ghana, Tanzanie…) dans le cadre de leur propre politique en matière de diplomatie et de défense. De fait, les membres de l’OUA ne se gênent pas pour mener leur propre politique, indépendamment, et souvent en contradiction avec les principes de l’OUA. Isolé lors de la conférence d’Addis-Abeba et constatant la faiblesse des fonds alloués au comité de libération, Kwame Nkrumah poursuit sa politique d’aide directe aux mouvements de libération africains. Le président ghanéen doit ainsi, à nouveau, constater son isolement lors du deuxième sommet de l’OUA, qui se tient au Caire en juillet 1964. Ses adversaires habituels, comme Senghor, lui reprochent de ne pas reconnaître sa défaite de 1963 et de continuer à vouloir imposer sa vision en réclamant la mise en place d’un Haut commandement militaire. Mais Nkrumah se fait de nouveaux adversaires, comme le président malien Modibo Keita, chargé de nommer les membres au sein du comité de libération, auquel il reproche l’absence du Ghana au sein de cet [a] organe . Tandis que Nyerere fait remarquer à Nkrumah que personne ne veut faire l’unité avec lui, Sékou Touré manifeste lui aussi son désaccord avec son allié ghanéen. [12] « Il n’est pas question d’un gouvernement d’union », tranche-t-il .
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Au Caire, le sacro-saint principe de « l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation » est entériné afin de préserver les nouveaux États indépendants des nombreux litiges frontaliers qui se posent, ainsi que des revendications d’autodétermination de groupes « ethniques » qui ne se reconnaissent pas dans le cadre des nouveaux États. Nkrumah décide alors de renforcer son soutien aux réfugiés et aux mouvements d’opposition, ce qui conduit la quasi-totalité des chefs d’État africains à se liguer contre lui, voyant la main du régime ghanéen derrière chaque action « subversive ».
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En février 1965, sous l’impulsion d’Houphouët-Boigny, les pays membres de l’OCAM (exUAM), tous francophones, menacent de boycotter le troisième sommet de l’OUA prévu à Accra. Mais l’« ingérence ghanéenne » dans les a faires intérieures des États voisins n’est qu’un prétexte pour mettre Nkrumah à l’index. Car Houphouët-Boigny est le premier à outrepasser les principes édictés par la charte de l’OUA et à s’« ingérer » dans les a faires intérieures de ses voisins. Lors de la guerre du Biafra, qui déchire le Nigeria entre 1967 et 1970, le président ivoirien soutient la sécession biafraise, avec l’aide active la France, et joue ainsi un rôle décisif dans cette crise qui fera plus d’un million de morts. De même, et toujours dans le cadre de son alliance stratégique avec la France, il participe secrètement au trafic d’armes à destination du régime raciste de Pretoria au moment même où celui-ci participe militairement à la lutte contre les nationalistes angolais (voir [13] chapitre 18) …
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Notes [1]
Charles R. AGERON, « Les États africains de la Communauté et la guerre d’Algérie (19581960) », in Charles R. AGERON et Marc MICHEL, op. cit., p. 269-311. Voir dans le même volume la contribution de Guy PERVILLÉ, « Le panafricanisme du FLN algérien », p. 559574.
[2]
En l’absence, donc, de la Guinée, du Mali et du Togo.
[3]
Colin LEGUM, Pan-Africanism, op. cit., p. 50-52.
[4]
Ibid., p. 57.
[5]
Ibid., p. 52.
[6]
Michel KOUNOU, op. cit., p. 217.
[7]
Pour un compte rendu détaillé de la conférence d’Addis-Abeba, notamment du point de vue des organisateurs éthiopiens, voir l’article de Delphine LECOUTRE, « L’Éthiopie et la création de l’OUA », Annales d’Éthiopie, vol. 20, 2004, p. 113-147. Voir aussi OIF, Le Mouvement panafricaniste…, op. cit., p. 361-388.
[8]
Kwame NKRUMAH, L’Afrique doit s’unir, op. cit., p. 159.
[9]
Toyin FALOLA, Key Events in African History, Greenwood Press, Westport, 2002, p. 239245.
[10]
Yves BÉNOT, Idéologies des indépendances africaines, F. Maspero, Paris, 1969, p. 157.
[a]
Le comité de libération est formé par l’Algérie, l’Égypte, l’Éthiopie, la Guinée, le Nigeria, l’Ouganda, le Sénégal, la Tanzanie et le Zaïre.
[12]
Lansiné KABA, op. cit., p. 182.
[13]
Claude WAUTHIER, « Jacques Foccart et les mauvais conseils de Félix HouphouëtBoigny », Les Cahiers du Centre de recherches historiques, n° 30, 2002. Voir aussi le documentaire de Joël CALMETTES, Histoires secrètes du Biafra, France 3, 2001.
Plan Jeu d’alliances : les groupes de Brazzaville, Casablanca et Monrovia L’Afrique des peuples… … ou un « syndicat de chefs d’État » ? Unis, mais chacun pour soi
Auteur Amzat Boukari-Yabara
Mis en ligne sur Cairn.info le 18/05/2019
17. De Nkrumah à Nyerere : la relève panafricaine ? Amzat Boukari-Yabara Dans Africa Unite ! (2017), pages 226 à 237
Chapitre
A
lors qu’il avait joué un rôle crucial dans le rapprochement des États indépendants d’Afrique, la conférence d’Addis-Abeba de 1963 est une cuisante défaite pour Kwame Nkrumah. Certes, la nouvelle organisation avalise l’existence d’un comité de libération, ardemment souhaitée par le leader ghanéen, mais elle rejette le concept fédéral au profit d’un système simplement « coopératif » parfaitement compatible avec le système néocolonial qui favorise les puissances occidentales et leurs alliés africains. Malgré les apparences, l’OUA n’est pas « panafricaine » au sens où l’entendent Kwame Nkrumah et ses partisans.
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Le président tanzanien Julius Nyerere n’est pas un partisan inconditionnel de Nkrumah, avec lequel il a eu de nombreux désaccords pratiques ou tactiques. Mais il s’inscrit tout de même dans la tradition « progressiste » du panafricanisme. Dans les années qui suivent l’éviction de Kwame Nkrumah, chassé du pouvoir par un coup d’État en 1966, c’est lui qui reprend le lambeau du panafricanisme. Accueillant dans son pays de nombreux militants révolutionnaires africains et afro-américains qui poursuivent la lutte contre l’impérialisme occidental, contre le colonialisme dans les territoires portugais, contre l’apartheid en Afrique du Sud et contre la discrimination raciale aux États-Unis, il cherche aussi, à travers une politique de développement originale, à rompre avec le modèle économique colonial qui se perpétue au-delà des indépendances politiques.
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Le panafricanisme orphelin : la chute de Nkrumah Personnellement marqué par la guerre italo-éthiopienne de 1935 et par la crise du Congo de 1961 qui démontrent comment la « communauté internationale », pilotée par les puissances dominantes, refuse de se mobiliser e ficacement pour l’Afrique en suivant les ordres ou les demandes des Africains, Nkrumah comprend très tôt la menace néocoloniale que représentent les alliances militaires qui lient les grandes puissances, de l’Ouest ou de l’Est, avec les régimes africains théoriquement indépendants (à l’instar des accords secrets de défense que Paris a fait signer à ses anciennes colonies africaines [1] au moment des indépendances) .
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Pourtant, alors que l’écrivain Richard Wright, par exemple, lui avait conseillé de purger son armée des éléments britanniques et des o ficiers africains formés par l’ancienne [2] puissance coloniale , Nkrumah décide au moment de l’indépendance de maintenir [3] toute la structure britannique de l’armée ghanéenne . D’une part, il a besoin d’une armée organisée pour peser sur la politique continentale et, d’autre part, il estime que les o ficiers britanniques ne peuvent le trahir. Mais le doute s’installe dans son esprit lorsqu’il envoie les troupes ghanéennes au Congo, à l’été 1960. Ces dernières, commandées par un général britannique, Henry Templer Alexander, et un colonel [4] ghanéen, Joseph Arthur Ankrah, ne sont pas en mesure de défendre Lumumba . Les deux hommes constatent de leur côté que l’armée ghanéenne, jusqu’alors équipée par Londres, s’approvisionne en armes auprès de Moscou et que Nkrumah, rompant avec la tradition qui voulait que les o ficiers ghanéens soient formés dans les académies militaires britanniques, souhaite envoyer des hommes en formation en URSS. Redoutant le virage socialiste de Nkrumah, les o ficiers britanniques expliquent qu’une armée ghanéenne hybride, disposant à la fois du matériel soviétique et britannique, formée à Londres et à Moscou, ne peut fonctionner. Quant aux États-Unis, qui savent en outre que Nkrumah a lancé la construction d’une piste d’atterrissage dans le nord du Ghana qui permet aux avions soviétiques en route pour Cuba de faire escale, ils pensent que les armes soviétiques arrivées au Ghana sont destinées à être livrées, via le CongoBrazzaville, aux rebelles prolumumbistes.
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Entre-temps, dans une ambiance de plus en plus lourde, Nkrumah et HouphouëtBoigny s’accusent mutuellement de préparer des coups d’État. Ayant plaidé en vain, à la conférence fondatrice de l’OUA en mai 1963, pour la mise en place d’un Haut commandement militaire et d’une armée africaine, afin d’éviter d’avoir à recourir aux forces étrangères, Nkrumah durcit son régime dans les années suivantes : il purge une partie de son armée et renforce les pouvoirs du Bureau des forces armées créé pour former idéologiquement les soldats. Lorsque le gouvernement blanc de Rhodésie du Sud
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(Zimbabwe), dirigé par Ian Smith, proclame l’indépendance unilatérale du pays au profit de la minorité blanche, en novembre 1965, Nkrumah annonce qu’il est prêt à envoyer une armée si l’OUA n’intervient pas. Le durcissement progressif de Nkrumah cristallise les oppositions, extérieures et intérieures, contre lui. Le 24 février 1966, alors qu’il est en transit à Pékin pour rejoindre Hanoï, où il doit participer à des pourparlers de paix sur le Vietnam, une junte militaire menée par le colonel Ankrah, celui-là même qui avait o ficié au Congo, s’empare du pouvoir à Accra. Nkrumah entre dans une grande colère et annonce son intention de revenir à Accra, avant de se résoudre à se rendre en exil à Conakry où il s’installe, dans un ancien bâtiment colonial français, avec une délégation d’environ quatre-vingts personnes. Sékou Touré le nomme vice-président de la Guinée, mais à titre honorifique. Dans la capitale guinéenne, il se consacre à l’écriture, reçoit de nombreuses visites et [5] intervient régulièrement dans les médias . Jusqu’à son décès le 27 avril 1972, à Bucarest, Nkrumah est convaincu que son erreur n’est pas d’avoir noué des relations avec les pays de l’Est, notamment la Corée du Nord et le Vietnam, mais d’avoir gardé des liens avec l’Occident.
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La chute de Nkrumah arrange de nombreux dirigeants africains et leurs parrains occidentaux qui ne supportaient plus son rapprochement avec le bloc soviétique et son soutien aux mouvements « subversifs » africains et afro-américains. Quelques jours après son renversement, l’OUA reconnaît la délégation envoyée par le nouveau régime ghanéen, ce qui provoque le départ des délégations de la Guinée et du Mali, puis de la Tanzanie, de l’Égypte, du Congo-Brazzaville et du Kenya. Solidaires avec Nkrumah, ces délégations sont également en désaccord avec la tonalité trop consensuelle du texte de l’OUA sur la crise rhodésienne.
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Lorsque la junte du général Ankrah prend le pouvoir, elle annonce le renvoi des assistants soviétiques et est-allemands, tandis que l’ambassade de Cuba ferme. L’Allemagne de l’Ouest reconnaît immédiatement le nouveau régime ghanéen et les États-Unis envoient de nouveaux équipements aux putschistes. Pour éviter les accusations de néocolonialisme, les Britanniques attendent que le nouveau régime ghanéen soit reconnu par une dizaine de gouvernements africains pour en faire de même. Bien que le parcours et la personnalité de Nkrumah, marqués par un singulier mélange d’autoritarisme, d’idéalisme et de mégalomanie, ne soient pas exempts de critiques, tout le monde reconnaît que sa disparition de la scène politique africaine sonne la fin d’une époque. Et que sa chute confirme en partie le bien-fondé des thèses panafricaines qu’il a défendues avec acharnement pendant de longues années.
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Tanzanie : une expérience panafricaine
Avec la chute de Nkrumah en février 1966, la dynamique panafricaine, presque anesthésiée en Afrique de l’Ouest, bascule vers l’Afrique de l’Est, et plus particulièrement vers la Tanzanie, où de nombreux militants afro-américains et caribéens, chassés d’Accra, viennent se réfugier. Ils y trouvent un régime dont le credo panafricain, d’abord modéré, évolue vers plus de radicalité sous l’impulsion de Julius Nyerere.
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Le parcours de Nyerere est, à bien des égards, comparable à celui de Nkrumah. Originaire du Tanganyika, ancien territoire allemand passé sous mandat britannique après la Première Guerre mondiale, formé en Ouganda puis en Écosse dans les années 1940 et 1950, il constitue le Tanganyika African National Union (TANU), parti politique réclamant l’indépendance. Celle-ci obtenue, pacifiquement, en 1961, il devient, à quarante ans, le premier président de la République du Tanganyika l’année suivante alors que la plupart des pays alentour viennent tout juste d’accéder à l’indépendance [a] (Burundi, Rwanda, Ouganda ) ou sont encore sous domination coloniale (Kenya, [b] Zanzibar, Mozambique, Fédération de Rhodésie et du Nyassaland ).
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Présent à la conférence panafricaine des peuples à Accra, en décembre 1958, et principal animateur du PAFMECA, Nyerere s’intéresse très tôt au courant panafricain et milite pour la création d’une Fédération de l’Afrique orientale et centrale. Instruit par les indépendances qui ont précédé celle de son propre pays et conscient des troubles qui agitent les pays voisins, à commencer par le Congo, Nyerere engage une ré lexion sur la place et le rôle de l’armée dans les pays rendus à la souveraineté. Le poids parfois démesuré des jeunes armées africaines sur la scène nationale et leur incapacité à lutter contre les intrusions des grandes puissances l’incitent à militer, comme Nkrumah, pour la création d’une armée africaine. Il faut, selon lui, laisser la police assurer l’ordre et le respect de la loi à l’intérieur des frontières nationales de chaque État, et confier à l’armée continentale la mission de ramener la paix et la sécurité lorsqu’un con lit atteint une [8] dimension régionale ou continentale .
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En l’absence d’une telle armée africaine, Nyerere avait ainsi envisagé, au moment de l’indépendance du Tanganyika, de placer son pays sous protection militaire de l’ONU, avant de renoncer à la suite de la faillite des « casques bleus » lors de la crise congolaise. Fidèle à ses opinions panafricaines, il avait également milité pour une indépendance groupée du Tanganyika, de l’Ouganda, du Kenya et de Zanzibar rassemblés dans une [9] seule fédération . Alors que ces trois derniers territoires préfèrent aller seuls à l’indépendance, une révolution éclate en janvier 1964 à Zanzibar, qui vient tout juste d’accéder à l’indépendance. Le sultanat arabe est renversé par un régime révolutionnaire mené par Abdulrahman Babu. Également présent à la conférence panafricaine d’Accra en décembre 1958, Babu est en relation avec tous les mouvements de libération et tous les gouvernements qui les soutiennent, de la Chine de Mao au Cuba
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de Fidel Castro en passant par la Palestine de Yasser Arafat. La Corée du Nord, Cuba, l’Allemagne de l’Est et la Chine ouvrent leur représentation sur le petit archipel au large des côtes du Tanganyika. Plus « modéré », Nyerere apparaît comme un facteur d’équilibre à l’échelle régionale. Soutenant la rébellion lumumbiste au Congo, il accepte d’envoyer des troupes stabiliser Zanzibar à la demande des Occidentaux. Mais cette attitude fragilise son pouvoir. Le 19 janvier, des soldats, qui réclament la revalorisation de leur solde et le départ des o ficiers britanniques, s’emparent des points stratégiques de la capitale du Tanganyika, Dar es Salaam, et menacent de prendre le pouvoir. Leurs homologues kényans et ougandais font de même dans leurs pays respectifs dès le lendemain. Nyerere décide alors de repenser la question militaire, en instaurant un programme d’éducation [10] idéologique à destination de l’armée , et de relancer la dynamique de rapprochement régional.
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Hostiles à une indépendance groupée du Tanganyika avec le Kenya et l’Ouganda, les Occidentaux, qui craignent que Zanzibar devienne le Cuba de l’Afrique, encouragent cette fois-ci le projet d’union Zanzibar-Tanganyika. Ainsi, le 26 avril 1964, la République unie de Tanzanie devient le seul exemple de deux États indépendants qui fusionnent pour donner naissance à un seul État souverain (avec pour devise : « Unité et liberté »). Cependant, la stratégie des Occidentaux, qui parient sur le conservatisme de Nyerere, est défaite lorsque Dar es Salaam, capitale de la Tanzanie, devient o ficiellement le siège du comité de libération de l’OUA et donc de tous les mouvements anti-impérialistes du continent.
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De l’indépendance à la self-reliance : l’échec d’un « développement » alternatif Alors que tous les pays anglophones avaient refusé l’idée d’une armée commune du Commonwealth britannique, le Kenya, voisin de la Tanzanie, signe à l’indépendance (décembre 1963) des accords militaires bilatéraux avec Londres. La décision du Kenya d’accueillir sur son sol des armées occidentales, et de servir ainsi de base militaire en mesure de soutenir des opérations de déstabilisation dans la région, contraint Nyerere à [11] convoquer un sommet spécial de l’OUA et l’incite à rompre avec ses alliances militaires antérieures. Constatant que des mutineries éclatent en juin 1965 à la veille d’une tournée dans la région du chef de la diplomatie chinoise Zhou Enlai, Nyerere décide de renforcer ses relations avec la Chine et d’expulser les troupes britanniques, et obtient de l’OUA l’envoi d’un contingent de soldats nigérians le temps de fonder une armée nationale. Triomphalement réélu, Nyerere décide en décembre 1965 de rompre
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ses relations diplomatiques avec la Grande-Bretagne à la suite du refus de Londres de condamner la déclaration d’indépendance unilatérale du pouvoir blanc en Rhodésie. [a] Immédiatement, Londres gèle une aide financière promise à la Tanzanie . S’éloignant progressivement des puissances occidentales, Nyerere décide d’approfondir sa politique progressiste et originale inspirée du socialisme et des valeurs de solidarité africaines (Ujamaa). En février 1967, Nyerere rompt explicitement avec le modèle néocolonial en prononçant la déclaration d’Arusha, un programme qui entend faire de la Tanzanie un État socialiste, non aligné et autosu fisant, militairement engagé auprès des mouvements de libération africains. Le concept clé du programme de Nyerere est celui de self-reliance (« autonomie »), qui vise à rompre avec les modèles de développement extraverti qui maintiennent les Africains, et l’Afrique en général, dans une situation de dépendance à l’égard des gouvernements, des investisseurs et des bailleurs de fonds étrangers. La déclaration d’Arusha appelle ainsi les Africains à rompre avec l’idée selon laquelle le développement pourrait se faire avec les capitaux et les techniques des autres : « Jusqu’ici, nous nous sommes servis d’une arme inadéquate pour la lutte que nous menons, car nous avons choisi l’argent comme moyen de défense. Nous essayons de sortir de notre état économiquement faible en utilisant les armes des [13] économiquement forts – armes que, du reste, nous ne possédons pas . » C’est donc en utilisant leurs propres armes – leur propre travail, leurs propres connaissances, leurs propres traditions – qu’ils pourront améliorer leurs conditions de vie et sortir de la pauvreté entretenue par le système économique international.
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Pendant une dizaine d’années, la Tanzanie devient le laboratoire d’une expérience politique socialiste, inspirée du communalisme africain à l’échelle nationale. Conçue comme une « guerre contre la pauvreté », la politique de Nyerere suscite un grand enthousiasme dans le reste du continent et chez les experts internationaux, qui comprennent à l’époque qu’un pays, même politiquement indépendant, ne peut mener une politique de développement véritable sans rompre avec la logique de dépendance économique. « Nyerere sait qu’il s’est engagé dans une voie audacieuse mais di ficile, notent par exemple René Dumont et Marcel Mazoyer en 1969. Son courage mérite de grands compliments, car il peut nous apporter des éléments irremplaçables pour l’édification d’une société nouvelle, et pas seulement en Afrique. Mais il ne faudrait pas qu’il se prenne pour un homme providentiel ; il doit donc confronter tous les jours ses [14] théories avec les réalités de son vaste pays . »
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De fait, si la politique de Nyerere permet de di fuser une culture de l’autonomie, elle se conclut par un échec économique cinglant que Gilbert Rist, spécialiste des questions de « développement », explique entre autres par l’autoritarisme de certaines mesures, à commencer par la mise en place de « villages de regroupement » qui bouleversent les modes de vie paysans, et par l’isolement de la Tanzanie sur le plan international. S’il a compris des choses essentielles, Nyerere a surestimé la capacité de son pays à sortir de
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manière isolée de l’économie de marché (ce qu’il reconnaît d’ailleurs lui-même). « Quelles sont les chances réelles de succès d’une politique qui vise l’autonomie dans un seul pays ? s’interroge Rist. Alors que le système est fondé sur la division internationale du travail et la multiplication des échanges, est-il vraiment possible de s’en extraire pour mener, isolément, une politique totalement di férente ? La réponse est probablement négative. En revanche, la réponse serait tout autre si la self-reliance pouvait atteindre un [15] même degré de généralisation que le système marchand . » Une nouvelle fois, ce qui pose problème, ce n’est pas tant la politique menée par Nyerere que le manque de volonté ou l’incapacité des autres pays africains à suivre avec lui cette voie alternative.
Les révolutionnaires et Walter Rodney à l’école de Dar es Salaam Proposant un nouveau modèle de « développement », le régime de Nyerere devient la cible des forces réactionnaires africaines et de leurs référents occidentaux lorsque les intellectuels expulsés d’Accra après la chute de Nkrumah, ou en dissidence avec Le Caire ou Conakry, viennent se réfugier à Dar es Salaam. La capitale accueille également toute la fine leur révolutionnaire noire et internationaliste de passage sur le continent : Malcolm X, C.L.R. James, Stokely Carmichael mais également Che Guevara (voir chapitres 19 et 20). Ces personnalités viennent rencontrer les di férents mouvements de libération d’Afrique australe : l’ANC sud-africaine, l’Union nationale africaine du Zimbabwe (Zimbabwe African National Union, ZANU), ainsi que l’Organisation du peuple du Sud-Ouest africain (South-West African People’s Organisation, SWAPO) dirigée par Samuel Nujoma, qui dispose aussi de bases en Zambie puis en Angola après 1975 pour libérer la future Namibie de l’occupation sud-africaine. En lutte contre le colonialisme portugais (voir chapitre 18), le Mouvement populaire de libération de l’Angola (Movimento Popular de Libertação de Angola, MPLA) et le Front de libération du Mozambique (Frente de Libertação de Moçambique, FRELIMO) s’installent eux aussi en Tanzanie. Le premier y rencontre son allié cubain, de plus en plus engagé à ses côtés. Le second installe son état-major à Dar es Salaam et des camps de combattants dans le sud du pays.
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Les dissidences internes aux mouvements de libération conduisent cependant les diplomates tanzaniens à faire des choix, en concertation avec les diplomates cubains, vietnamiens et chinois qui jouent un rôle logistique important pour les combattants anti-impérialistes. Intermédiaire incontournable de la livraison de matériel (armes, médicaments, vêtements) aux armées de libération qui s’entraînent sur son territoire, la Tanzanie réussit l’exploit peu commun de soutenir des guerres de libération dans le continent tout en maintenant la paix dans ses propres frontières. Tous les mouvements progressistes installés en Occident, et plus particulièrement dans les pays scandinaves,
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très engagés dans le soutien aux peuples du tiers monde, entrent en relation avec la Tanzanie. La radio et l’imprimerie nationales tanzaniennes se mettent au service de la propagande anti-apartheid, et Dar es Salaam prend en charge l’a lux des populations venues des pays voisins en guerre, en leur accordant l’asile ou la nationalité tanzanienne. Pour aller dans le sens de la charte de l’OUA, rédigée en français et en anglais mais qui stipule que les langues africaines doivent devenir des langues o ficielles, Nyerere se distingue des autres régimes africains, arc-boutés sur les langues coloniales, en faisant du kiswahili la langue o ficielle de l’administration et du système éducatif primaire et secondaire. Il refuse cependant que la politique d’africanisation de l’administration favorise les seuls Tanzaniens et décide d’ouvrir les emplois publics aux étrangers. C’est [16] dans ce cadre que l’historien britannique blanc Terence Ranger , expulsé en 1963 de la Rhodésie du Sud (Zimbabwe) en raison de ses publications scientifiques sur l’histoire des résistances anticoloniales, rejoint la toute nouvelle université de Dar es Salaam, [17] pour y créer le département d’histoire . Il y accueille en 1966 et 1967, puis de 1969 à 1974, l’historien guyanien Walter Rodney dont les travaux consacrés à la lutte contre l’impérialisme font de la Tanzanie « le hub intellectuel révolutionnaire de l’Afrique de l’Est, de l’Afrique et du tiers monde en général », comme le note l’écrivain kényan Ngugi [18] Wa Thiong’o .
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Intellectuel engagé, disciple dissident de C.L.R. James et partisan critique de Julius Nyerere, Rodney cristallise une grande partie de l’activité idéologique consistant à extraire le panafricanisme de l’enveloppe conservatrice et bureaucratique dans laquelle il s’est progressivement enfoncé avec la création de l’OUA, à décoloniser l’enseignement de l’histoire en y faisant entrer les résistances populaires et à redonner une place à la [19] diaspora noire . Concrètement, Rodney donne, à l’université de Dar es Salaam, les premiers cours d’histoire consacrés aux Noirs des Amériques, ce qui incite de nombreux étudiants afro-américains et caribéens à venir étudier en Tanzanie. Il enseigne également l’économie politique et l’histoire des révolutions (américaine, britannique, chinoise, française, russe…) en faisant le lien avec les luttes de libération en cours sur le continent africain.
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Estimant que les révolutionnaires doivent mettre leurs modes de vie en accord avec leurs choix politiques, Rodney incite ses étudiants à ne pas se contenter des facilités et des commodités matérielles o fertes par le système capitaliste, et à ne pas opposer le travail intellectuel au travail manuel. En se rendant auprès des paysans, il cherche également à ouvrir toute la société au débat et à l’histoire. Par ailleurs, Rodney fait partie de ces intellectuels engagés qui partent dans les camps des mouvements de libération, installés en Tanzanie, pour donner des conférences sur le fonctionnement de l’impérialisme, mais qui n’y vont jamais les mains vides : il utilise les revenus de ses publications pour acheter des armes et des munitions à l’attention des combattants.
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Rodney distribue également des extraits, traduits pour l’occasion en portugais et en swahili, de son livre How Europe Underdeveloped Africa, publié en 1972, que les combattants exilés font clandestinement passer dans les territoires sous domination coloniale afin de nourrir intellectuellement la résistance intérieure. L’enseignement interdisciplinaire dispensé à l’université de Dar es Salaam permet de réduire les di férences sociales et ethniques. Ainsi, des Africains, des Afro-Américains, des Caribéens, mais également des ressortissants africains d’origine indienne expulsés d’Ouganda par le dictateur Idi Amin Dada (arrivé au pouvoir en 1971) se découvrent et s’a frontent dans des débats en lammés sur le rôle des classes sociales et des intellectuels dans la révolution africaine. L’esprit critique mais solidaire du régime de Nyerere fait dire aux professeurs Issa Shivji et Walter Rodney que la Tanzanie réalise une révolution silencieuse, sans le son saccadé des mitraillettes.
Notes [1]
Colin LEGUM, op. cit., p. 49.
[2]
Ronald W. WALTERS, Pan Africanism in the African Diaspora. An Analysis of Modern Afrocentric Political Movements, Wayne State University, Detroit, 1997, p. 110.
[3]
Ruth FIRST, The Barrell of a Gun. Political Power in Africa and the Coup d’Etat, A. Lane, Londres, 1970, p. 169-201.
[4]
Kwame NKRUMAH, The Challenge of the Congo, Panaf Books, Londres, 2002.
[5]
Kwame NKRUMAH, The Conakry Years, His Life and Letters, Panaf Books, Londres, 1990.
[a]
L’Ouganda, le Rwanda et le Burundi accèdent à l’indépendance en 1962.
[b]
Le Kenya et Zanzibar accèdent à l’indépendance en décembre 1963. La Fédération de Rhodésie et du Nyassaland éclate, dans les années suivantes, en trois entités : Nyassaland (futur Malawi), Rhodésie du Nord (Zambie), Rhodésie du Sud (Zimbabwe). Le Mozambique devient indépendant en 1975.
[8]
Ali MAZRUI, op. cit., p. 202.
[9]
Julius NYERERE, « Freedom and Unity », Transition, n° 14, 1964, p. 40-45.
[10]
Henry BIENEN, « National security in Tanganyika a ter the mutiny », Transition, n° 21, 1965, p. 45.
[11]
Ali MAZRUI, op. cit., p. 156.
[a]
Par ailleurs, en 1965, Bonn rappelle son ambassadeur pour protester contre l’ouverture d’une ambassade de République démocratique allemande (RDA) à Dar es Salaam. Des négociations conduisent la RDA à se contenter d’un consulat mais la République fédérale allemande (RFA) retire néanmoins son aide militaire à la Tanzanie.
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[13]
Cité in Gilbert RIST, Le Développement. Histoire d’une croyance occidentale, Presses de Sciences Po, Paris, 1996, p. 208.
[14]
René DUMONT et Marcel MAZOYER, Développement et socialismes, Esprit, coll. « Frontières ouvertes », Seuil, Paris, 1969, p. 159.
[15]
Gilbert RIST, op. cit., p. 226-227.
[16]
Terence O. RANGER, Writing Revolt. An Engagement With African Nationalism, 1957-1967, James Currey, Woodbridge, 2013.
[17]
Henri SLATER, « Dar es Salaam and the postnationalist historiography of Africa », in Bogumil JEWSIEWICKI et David NEWBURY (dir.), African Historiographies. What History for Which Africa ?, Sage publications, Londres, 1986, p. 249-260.
[18]
Ngugi wa THIONG’O, Moving the Centre. The Struggle for Cultural Freedoms, James Currey, Londres, 1993, p. 166.
[19]
Walter RODNEY, Walter Rodney Speaks. The Making of an African Intellectual, Africa World Press, Trenton, N.J., 1990, p. 35-36.
Plan Le panafricanisme orphelin : la chute de Nkrumah Tanzanie : une expérience panafricaine De l’indépendance à la self-reliance : l’échec d’un « développement » alternatif Les révolutionnaires et Walter Rodney à l’école de Dar es Salaam
Auteur
18. « A luta continua ! » S’unir pour expulser le colonialisme portugais (1961-1975) Amzat Boukari-Yabara Dans Africa Unite ! (2017), pages 238 à 247
Chapitre
L
e Portugal est la première puissance européenne à s’être installée sur le continent africain, dès le XVe siècle, et le dernier empire colonial classique à s’e fondrer, au mitan des années 1970, au terme de plusieurs luttes armées qui a fectent à des degrés variables l’ensemble des territoires placés sous sa dépendance : Mozambique, Angola, Guinée-Bissau, Cap-Vert, São Tomé et Principe.
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Lorsque António de Oliveira Salazar prend le pouvoir à Lisbonne en 1926, il renforce le contrôle sur les colonies. La culture coloniale portugaise est si forte que le Portugal reste convaincu, à la fin des années 1940, que ses territoires coloniaux ne seront pas touchés par les mouvements nationalistes et indépendantistes qui émergent un peu partout en Afrique. Cette conviction repose en particulier sur l’idée que le Portugal apporte la « civilisation » aux colonisés, ce qui justifie la mise en place dans les années 1920 et 1930 d’un système racial séparant les Africains « assimilés » (assimilados), qui ont reçu les bases d’une éducation leur permettant d’avoir plus de droits et d’occuper parfois des positions dans l’administration coloniale, des autres indigènes (indígenas), privés de tous droits et soumis au travail forcé (qui ne sera aboli qu’en 1962).
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Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les Portugais sont pourtant très en retard dans le calendrier de ce qu’ils considèrent comme leur « mission civilisatrice ». À São Tomé et Principe, ils n’ont encore ouvert aucun lycée. En Angola et au Mozambique, les seules institutions ouvertes en annexes à l’université de Coimbra sont destinées aux fils
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de colons. Par conséquent, c’est à Lisbonne, au sein de la Maison des étudiants de l’Empire, que des étudiants venus de toute l’Afrique portugaise créent des liens d’amitié et se forment politiquement à mesure qu’ils prennent conscience de l’injustice du système colonial. C’est également à Lisbonne que, traqués par la police politique, les étudiants africains se rapprochent des mouvements anarchistes espagnols réfugiés dans la capitale portugaise et que, grâce à un petit groupe de marins brésiliens, ils reçoivent la presse anticolonialiste et panafricaine qui leur permet d’étendre leurs réseaux au-delà de la barrière linguistique. Nombre d’entre eux retournent ensuite dans leurs colonies respectives avec une solide formation professionnelle et idéologique. La lutte des Africains des colonies portugaises arrive à maturité entre la fin des années 1950 et le début des années 1960, avant d’entrer dans une phase active dans les années 1960 et 1970, au moment où la majorité des autres pays africains, devenus indépendants, sont entrés dans une dynamique conservatrice ou réactionnaire. Dès lors, cette lutte réintroduit de manière concrète la question des solidarités et des avant-gardes révolutionnaires dans le panafricanisme.
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Amílcar Cabral, l’intellectuel de la guérilla populaire D’origine capverdienne et guinéenne, Amílcar Cabral est l’un de ces étudiants [a] politiquement engagés, venus se former à Lisbonne . En 1954, après avoir reçu son diplôme d’ingénieur agronome, Cabral retourne en Guinée-Bissau, où il travaille au sein du Bureau provincial des services agricoles et des forêts, et ré léchit à la manière [2] d’a fronter le système colonial . Persuadé qu’on ne fait pas de révolution sans le soutien des populations, Cabral se rapproche des milieux populaires, tente de les former politiquement et s’attache à comprendre les problématiques locales. Il estime qu’il faut déconstruire l’anthropologie européenne, sur laquelle reposent les structures de pouvoir colonial. C’est seulement en comprenant intimement les aspirations des populations que l’on pourra mener à bien le combat qui devra amener à la libération nationale et sociale. Cabral profite de sa profession d’agronome, qui l’emmène en Guinée-Bissau et au Cap-Vert, pour développer une vision anthropologique révolutionnaire.
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En sillonnant la Guinée-Bissau, qui ne compte pas plus d’un demi-million d’habitants dans les années 1950, Cabral prend contact avec les quatre grands groupes principaux : les Balante, qui représentent 32 % de la population, les Foula (22 %), les Manjaks (15 %) et les Mandingues (13 %). Il constate que les Balante et les Foula dominent dans les campagnes, mais fonctionnent selon deux modèles politiques et sociaux distincts. Les premiers sont animistes et évoluent dans une « société sans État », communautaire, tandis que les seconds évoluent dans un cadre islamisé et hiérarchisé.
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À l’instar de Fanon, dont il s’inspire pour élaborer sa théorie de la révolution, Cabral s’intéresse également à la sociologie urbaine et souligne le fractionnement social qui caractérise les villes guinéennes. La « société européenne » coloniale est elle-même hiérarchisée, les hauts fonctionnaires et les chefs d’entreprise dominant un groupe formé de petits fonctionnaires, d’employés, de commerçants et d’ouvriers spécialisés. Derrière les Européens, une petite bourgeoisie africaine – fonctionnaires, employés de commerce, professions libérales, petits propriétaires agricoles – domine le reste de la population autochtone, composée des salariés et des employés sans contrat, des domestiques, des ouvriers et des paysans.
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Marquée par l’insularité, la structure sociale du Cap-Vert est dominée, dans les campagnes, par des grands propriétaires fonciers dépendants du colonialisme et, dans une moindre mesure, par de petits propriétaires fonciers parfois favorables aux Portugais. En bas de l’échelle sociale, les fermiers et les métayers complètent le tableau du Cap-Vert rural. Quant aux villes, outre des hauts fonctionnaires européens et capverdiens, elles abritent également des commerçants et des industriels, des employés du secteur public et privé, des travailleurs salariés et un certain nombre de chômeurs.
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Cherchant à « apprécier correctement les relations entre la situation internationale et la [3] situation interne des colonies portugaises », Cabral tente de résoudre les contradictions qui apparaissent parfois entre les préoccupations locales, qui s’expriment dans un cadre que l’on pourrait qualifier de micronationaliste, et les conceptions panafricaines, souvent excessivement englobantes mais pourtant nécessaires à la libération. Du point de vue économique et sociologique, comprend-il, le Cap-Vert insulaire et la Guinée-Bissau continentale, deux territoires inclus dans un empire géographiquement éclaté, peuvent, et doivent, s’unir pour s’émanciper de la tutelle portugaise. C’est dans cette disposition d’esprit qu’il fonde, avec une demidouzaine de camarades, le Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du CapVert (Partido Africano para a Independência da Guiné e Cabo Verde, PAIGC) en septembre 1956. Dans les semaines qui suivent, il participe à la création du Parti de la lutte unie des peuples africains d’Angola (Partido da luta unida dos Africanos de Angola, PLUA), puis du Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA) autour d’Agostinho Neto et Mário de Andrade.
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Suivant avec intérêt l’actualité du Ghana (1957) et de la Guinée-Conakry (1958), qui ont accédé à l’indépendance sans e fusion de sang, Cabral doute cependant de la volonté de Lisbonne de négocier. Après la répression par les autorités portugaises d’une grève des dockers à Bissau en 1959, les cadres du PAIGC s’exilent à Conakry, ce qui provoque l’inquiétude de la France et, plus tard, du Sénégal de Senghor, hostile à l’extension d’un anti-impérialisme radical. Cherchant à élargir ses alliances, Cabral tient une conférence de presse du PAIGC à Londres, en février 1960, puis, à l’été, se rend en Chine pour demander une assistance militaire. Il voyage également à plusieurs reprises aux États-
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Unis, où il prend la parole dans des universités afro-américaines. En décembre, il lance l’organe de presse du PAIGC, Libertação, pour s’adresser directement au peuple [4] portugais .
Unidade e libertação ! En même temps qu’ils s’engagent tour à tour dans la lutte armée, les di férents mouvements nationalistes d’« Afrique portugaise » poursuivent leur rapprochement. À la conférence panafricaine des peuples de Tunis, en janvier 1960, le Mouvement anticolonialiste (Movimento anti-colonialista, MAC), qui réunit le PAIGC et le MPLA, devient le Front révolutionnaire africain pour l’indépendance nationale des colonies portugaises (FRAIN) qui se transforme, après l’adhésion en 1962 du FRELIMO mozambicain, en Conférence des organisations nationalistes des colonies portugaises (Conferência das Organizações Nacionalistas das Colónias Portuguesas, CONCP). Cette évolution permet de restructurer politiquement des mouvements de libération qui, en plus de leur ennemi commun, le Portugal, contestent les structures néocoloniales et impériales américaines, britanniques, françaises et sud-africaines qui tirent des bénéfices du colonialisme portugais.
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Bénéficiant du recul qui a manqué aux nationalistes qui les ont précédés sur le continent, les mouvements révolutionnaires d’Afrique portugaise savent en e fet que le colonialisme peut se perpétuer malgré les « indépendances » politiques. Ils le constatent notamment pendant la crise du Congo, lorsque Salazar, confronté dès 1961 à la rébellion des nationalistes angolais, encourage la sécession du Katanga pour contrer le soutien décisif que Lumumba avait promis aux combattants anticolonialistes d’Angola (avec lequel le Congo partage 2 500 km de frontière). Par le jeu des alliances ethniques et du mercenariat, des Katangais s’engagent, aux côtés des Portugais, dans le combat contre les nationalistes angolais. Alors que Salazar tente d’écraser les nationalistes angolais au plus vite (dès avril 1961, il envoie des troupes supplémentaires, avec le soutien logistique de l’OTAN), ces derniers, instruits par la longue lutte des Algériens, qui s’achève victorieusement en 1962, et confiant dans leur alliance avec leurs homologues lusophones, qui s’apprêtent à déclencher leur propre insurrection dans leurs territoires respectifs, savent qu’ils doivent installer le con lit dans la durée.
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Trois ans après le début de l’insurrection angolaise, l’attaque de la caserne de Tite, au sud de la Guinée-Bissau, en janvier 1963, marque le coup d’envoi d’une guerre de libération totale dans ce pays. Le PAIGC dispose de 4 000 à 6 000 combattants, la plupart sélectionnés par Cabral en personne, pour combattre une armée portugaise lourdement équipée. Malgré le déséquilibre des forces, la stratégie de Cabral, longuement mûrie, fait la di férence :
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Nous déclenchons la lutte armée au centre de notre territoire et adoptons une stratégie que nous pouvons appeler centrifuge, qui part du centre et va vers la périphérie. Cela a totalement surpris les Portugais qui avaient placé leurs forces aux frontières de la République de Guinée et du Sénégal, espérant que nous essaierions d’envahir le pays. Nous nous mobilisons dans les villages et nous organisons clandestinement dans les villes et les campagnes, nous préparons nos cadres, nous armons le minimum de gens, davantage avec des armements traditionnels qu’avec des armes modernes, et nous [5] déclenchons la révolution à partir du centre de notre pays .
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Quelques mois plus tard, l’OUA, à peine constituée, annonce son soutien aux mouvements de libération d’Afrique lusophone. Les soldats portugais, en dépit du soutien de l’OTAN, perdent du terrain. Plus les combattants africains avancent, plus ils développent leur organisation. Recrutement, ravitaillement, mobilisation idéologique, [6] contrôle des richesses et renseignements comblent l’infériorité numérique . En outre, le contrôle des campagnes habitées par les Africains permet de couper l’approvisionnement en vivres des centres urbains majoritairement habités par les colons. En réunissant des unités de combattants dans des cellules, puis en formant des colonnes qui se déploient en zones, régions et interrégions, le PAIGC transforme ses commandos en une véritable armée. En 1970, la synchronisation entre les branches politiques, militaires et sociales permet au parti de proclamer la devise du « peuple en armes ». Rien, pas même l’assassinat de Cabral à Conakry en janvier 1973 par des agents des services portugais infiltrés dans le PAIGC, ne vient stopper l’élan libérateur. Ainsi, la Guinée-Bissau et le Cap-Vert, au contraire de l’Angola et du Mozambique, proclament de manière unilatérale leur indépendance avant l’e fondrement de l’Empire colonial portugais.
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Angola et Mozambique : de la guerre de libération au chaos ? Le cas de l’Angola et du Mozambique est plus complexe en raison de la présence d’un nombre important de colons portugais. En Angola, sur un peu moins de 5 millions d’habitants en 1960, on dénombre un peu plus de 170 000 Portugais. Au Mozambique, ils sont 97 000 sur une population totale dépassant les 6 millions. Et, surtout, cette minorité détient le pouvoir économique et politique, impose son agenda culturel en se fondant sur le racisme, et exploite sans honte les populations africaines.
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Le MPLA, qui entend construire la nation et réunir tous les Angolais sans distinction ethnique, est concurrencé par l’Union des populations du nord de l’Angola (União das populações do norte de Angola, UPNA), fondée en 1957 dans le pays bakongo, à cheval sur les territoires coloniaux français, belge et portugais. Très rapidement, l’UPNA élargit
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sa base pour devenir en 1962, le Front national de libération de l’Angola (Frente nacional de libertação de Angola, FNLA). Entre-temps, le leader du FNLA, Holden Roberto, obtient le soutien des États-Unis pour prendre la tête d’un Gouvernement de la République d’Angola en exil (GRAE) installé à Léopoldville, tandis que les Portugais cherchent le soutien du régime de Pretoria. L’Angola devient la courroie de transmission [7] de l’impérialisme entre le Congo et l’Afrique du Sud . Cet enjeu devient manifeste lorsqu’en 1966 Jonas Savimbi quitte le FNLA pour fonder l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (União nacional para a independência total de Angola, UNITA). Développant un discours révolutionnaire maoïste avec des relents de tribalisme, l’UNITA profite de la propagande raciste des Portugais pour recruter des combattants, au détriment du MPLA ou du FNLA. Traversés par des questions relevant de l’ethnie, de l’origine sociale et de la couleur de peau, ces mouvements, unis le jour contre le colonialisme portugais, se déchirent la nuit en fonction des appartenances ethniques, des intérêts personnels de leurs leaders, des contacts que ceux-ci entretiennent avec les puissances étrangères. Car dans ce pays devenu stratégique, et qui regorge de diamants et de pétrole, les alliances évoluent en fonction des intérêts. D’abord favorables à l’UPA-FNLA, les États-Unis se rapprochent de Lisbonne à la fin des années 1960, le président Richard Nixon voyant dans les autorités portugaises un allié contre l’adversaire communiste à l’heure où la Chine et Cuba s’engagent à leur tour en Angola.
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Au Mozambique, Eduardo Mondlane parvient à réunir les mouvements indépendantistes au sein du FRELIMO, créé en 1962 à Dar es Salaam. Après deux années de vaines négociations avec Lisbonne, le FRELIMO lance la lutte armée en 1964. Le soutien de la Tanzanie conduit les forces portugaises à bombarder le sud de ce pays afin de couper les circuits de ravitaillement et de retraite militaire des soldats du FRELIMO vers ce pays. Après l’assassinat de Mondlane, à Dar es Salaam en février 1969, l’un de ses protégés, un jeune cadre militaire nommé Samora Machel lui succède. Machel décide de s’inspirer de Cabral en formant des cadres et en élargissant les programmes de santé et d’éducation populaire dans les campagnes. Cependant, en plus des clivages idéologiques et ethniques, la marche vers la libération est ralentie par des mouvements clandestins financés par les États-Unis et l’Afrique du Sud, qui fusionnent en 1975 dans la Résistance nationale mozambicaine (RENAMO).
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Dans le maelström qui s’installe progressivement en Angola et au Mozambique, l’OUA paraît, une fois de plus, dépassée. Bien que l’organisation africaine a fiche son soutien à l’e fort global contre l’occupant portugais, ses membres jouent à nouveau leur partition individuellement. La situation en Afrique orientale et australe, où se maintiennent des régimes racistes et colonialistes (Afrique du Sud, Rhodésie du Sud, colonialisme portugais) qui déstabilisent la région, mériterait une politique commune. Face aux lourdeurs bureaucratiques et diplomatiques de l’OUA, deux dirigeants nationalistes et
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panafricanistes assument un soutien politique et personnel direct aux mouvements de libération. Le premier, Julius Nyerere, pilote le comité de libération de l’OUA installé à Dar es Salaam en fusionnant la diplomatie tanzanienne et la diplomatie panafricaine. Le second, discret mais incontournable, est Kenneth Kaunda, qui parvient en 1964 à obtenir par la voie politique et pacifique l’indépendance de la Zambie (ex-Rhodésie du Nord britannique). Les deux hommes établissent un axe diplomatique et politique entre leurs deux pays, ce qui permet à de nombreux combattants et réfugiés sud-africains, mozambicains et rhodésiens (Zimbabwe) de disposer d’une base arrière en plein cœur de l’Afrique australe. Ainsi, dès les années 1960, le comité de libération organise le boycott diplomatique et économique du Portugal et de l’Afrique du Sud, ainsi que la prise en charge de la formation des armées de libération. En proposant la nationalité tanzanienne à tous les réfugiés africains et afro-américains, Nyerere donne également un sens à l’idée d’une citoyenneté africaine. En réformant sa propre armée et sa politique diplomatique, il inspire les armées et les états-majors mis en place par les mouvements de libération d’Afrique lusophone.
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Sentant la situation lui échapper militairement malgré la répression accrue, le Portugal essaie d’augmenter massivement les investissements afin d’acheter la paix sociale et conserver ce qui peut l’être. Mais Lisbonne est de plus en plus isolé. Au début des années 1970, le régime colonial perd le soutien de l’Église catholique, tandis que l’aide économique de l’OTAN ne su fit plus pour équilibrer le budget grevé par les dépenses militaires. Le 25 avril 1974, des o ficiers de l’armée coloniale prennent le pouvoir à [8] Lisbonne . La « révolution des œillets » est assumée par le Mouvement des forces armées (Movimento das Forças Armadas, MFA), qu’Agostinho Neto présente « comme le [9] “quatrième mouvement” indépendantiste après le MPLA, le FRELIMO et le PAIGC ».
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Mais les lendemains de la lutte de libération sont rudes pour les nationalistes d’Afrique lusophone. En dépit de la survivance d’un parti politique commun, l’union entre la Guinée-Bissau et le Cap-Vert ne survit pas à l’indépendance, à laquelle ils accèdent respectivement le 10 septembre 1974 et le 5 juillet 1975. Au Mozambique, après l’indépendance accordée le 25 juin 1975, la RENAMO obtient le soutien des gouvernements de Rhodésie (Zimbabwe) et d’Afrique du Sud pour déclencher une guerre civile contre le gouvernement dirigé par le FRELIMO. En Angola, le 11 novembre 1975, au nom du MPLA, Neto proclame l’indépendance de la République populaire de l’Angola. Le FNLA au nord et l’UNITA au centre du pays proclament conjointement la naissance de la République populaire et démocratique de l’Angola, entraînant le pays dans une guerre civile qui, entretenue par l’Afrique du Sud, durera pendant plusieurs décennies.
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Notes
[a]
Dès 1953, il s’illustre en publiant un article dans la revue Présence africaine sur le « rôle de l’étudiant africain ».
[2]
Patrick CHABAL, Amílcar Cabral, Hurst & Company, Londres, 2002, p. 50.
[3]
Amady A. DIENG, Hegel, Marx, Engels et les problèmes de l’Afrique noire, Nubia, Paris, 1978, p. 138.
[4]
Amílcar CABRAL, Unité et lutte, F. Maspero, Paris, 1980, p. 18.
[5]
Oscar O. ORAMAS, Amílcar Cabral. Un précurseur de l’indépendance africaine, Indigo, Paris, 1998, p. 57.
[6]
Gérard CHALIAND, Guérillas, Hachette, Paris, 2008, p. 317-320.
[7]
Basil DAVIDSON, L’Angola au cœur des tempêtes, F. Maspero, Paris, 1972.
[8]
Abou HAYDARA, L’In luence des guerres de libération sur la révolution des Œillets, L’Harmattan, Paris, 2012.
[9]
Armelle ENDERS, Histoire de l’Afrique lusophone, Chandeigne, Paris, 1994, p. 125.
Plan Amílcar Cabral, l’intellectuel de la guérilla populaire Unidade e libertação ! Angola et Mozambique : de la guerre de libération au chaos ?
Auteur
19. L’heure du « Black Power »
Amzat Boukari-Yabara Dans Africa Unite ! (2017), pages 249 à 264
Chapitre
O
n l’a vu au début de cet ouvrage, c’est aux États-Unis, où le concept du fédéralisme est lié à la souveraineté, et dans la Caraïbe, espace colonial géographiquement éclaté, que le courant panafricain a émergé. Ce courant, qui a pris des formes variées au cours du XXe siècle, cherche depuis le départ à réconcilier l’unité et la diversité qui caractérisent les peuples noirs et africains. D’un point de vue politique, le système institutionnel états-unien intéresse les partisans des États-Unis d’Afrique qui, après les indépendances africaines, entendent réaliser l’unité du continent tout en respectant sa diversité. Dans son livre Africa Must Unite, Nkrumah ne manque pas de prendre l’exemple des États-Unis d’Amérique, où il a longtemps vécu, pour promouvoir son projet d’États-Unis d’Afrique.
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S’ils peuvent constituer un modèle sur le plan institutionnel, les États-Unis restent cependant un repoussoir aux yeux des milieux panafricains : leur modèle économique capitaliste, leur politique étrangère impérialiste et leur système social inégalitaire et raciste rebutent les militants noirs progressistes et révolutionnaires. Depuis l’abolition de l’esclavage (1865) jusqu’au vote de la loi sur les droits civiques (1964), les Noirs des États-Unis mènent un combat acharné contre la politique raciale de leur gouvernement. Après W.E.B. Du Bois et Marcus Garvey, une nouvelle génération de militants émerge qui tente, dans les années 1950-1960, de mettre un terme à la ségrégation et à la discrimination raciales dont les minorités noires sont victimes. Attentifs à la situation internationale, marquée dans ces années par la crise congolaise, la guerre du Vietnam et la lutte contre les régimes d’apartheid en Afrique australe, les militants des droits
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civiques et du Black Power voient dans la dynamique panafricaine, les mouvements de libération nationale et les régimes progressistes africains des sources majeures d’inspiration.
Martin Luther King à Accra Confrontée à l’esclavage et au racisme, une première génération de Noirs libres a conçu des stratégies de survie et de lutte, qui ont été reprises et perfectionnées par les générations suivantes. Retour en Afrique, lutte pour l’égalité, séparatisme : di férentes options politiques se côtoient dans les milieux militants afro-américains au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. À cette période, les principaux mouvements afroaméricains s’écartent des problématiques africaines, au sens continental du terme, pour se recentrer sur les enjeux nationaux. La NAACP et le Congrès de l’égalité raciale (Congress of Racial Equality, CORE), créé à Chicago en 1942 par une cinquantaine [1] d’étudiants majoritairement blancs, militent pour une « seconde reconstruction », en référence à la Reconstruction qui avait suivi la guerre de Sécession. Réclamant l’abolition des pratiques ségrégationnistes dans les écoles et les lieux publics, en particulier dans le Sud, ces mouvements demandent l’égalité raciale et le plein accès des Noirs aux droits civiques.
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Une première victoire judiciaire intervient en 1954 grâce à un arrêt de la Cour suprême qui rend inconstitutionnel le principe de la ségrégation scolaire. En décembre 1955 à Montgomery (Alabama), l’arrestation de Rosa Parks, pour avoir refusé de céder sa place assise à un Blanc dans un bus, déclenche un mouvement de boycott, d’abord spontané puis organisé, de plus d’un an de la compagnie de transports par les Noirs afin d’obtenir qu’elle mette un terme à sa politique de ségrégation. Le mouvement ne s’arrête pas là et la dynamique impulsée par le boycott de Montgomery ira jusqu’à la signature de la première loi sur les droits civiques en 1964. La personne qui en porte la responsabilité et une grande part du mérite est un jeune pasteur noir, Martin Luther King.
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Dans les années 1950, en parallèle à la dénonciation du colonialisme en Afrique et de la violence raciste aux États-Unis, plusieurs militants noirs américains engagés dans les mouvements pacifistes et non alignés cherchent à rapprocher les leaders nationalistes africains et les activistes afro-américains. L’un d’eux, Bill Sutherland, installé à Accra depuis 1953, suggère ainsi à Nkrumah d’inviter le pasteur King aux cérémonies de l’indépendance du Ghana. Ce dernier est en e fet l’étoile montante de la scène noire américaine, et les médias lui accordent de plus en plus d’importance depuis qu’il a fondé, en janvier 1957, la Conférence des leaders chrétiens du Sud (Southern Christian Leadership Conference, SCLC) qui réunit plusieurs associations.
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En mars 1957, Martin Luther King et son épouse Coretta arrivent à Accra. Ils sont pris en charge par Sutherland et un autre expatrié afro-américain, Robert Lee, qui les [2] introduisent auprès de Nkrumah et du leader du Tanganyika, Julius Nyerere . Dans la capitale ghanéenne, King rencontre également le vice-président américain Richard Nixon, qui accepte ensuite de le revoir plus longuement aux États-Unis. Le 6 mars 1957, il écoute Nkrumah proclamer l’indépendance de son pays, qui devient un symbole de la lutte victorieuse pour l’émancipation et de la dignité retrouvée des peuples noirs : « Aujourd’hui, à partir de maintenant, un nouvel Africain est apparu au monde. Et ce nouvel Africain est prêt à livrer ses propres combats et à démontrer qu’après tout l’Africain est tout à fait capable de gérer ses propres a faires. »
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Lorsqu’il revient aux États-Unis, après un court séjour au Nigeria puis en Europe de l’Ouest, où il rencontre C.L.R. James, King prononce un long sermon où il raconte l’histoire récente du Ghana, depuis les mouvements de désobéissance civile jusqu’à l’indépendance. Assimilant par métaphore cette victoire contre le colonialisme à la sortie d’Égypte du peuple hébreu et mettant en parallèle la lutte des Africains pour leur libération avec celle des Afro-Américains, King note que « le boycott n’est qu’un début » et que « la liberté vient seulement à travers une révolte persistante, à travers une agitation persistante, à travers un soulèvement persistant contre le système [3] diabolique ». Six ans plus tard, King prononcera à Washington son célèbre discours « I have a dream ». Ponctué d’extraits de negro spirituals et de références bibliques, ce discours n’est pas sans rappeler les accents du leader ghanéen en 1957 : « Free at last ! Free at last ! Thank God Almighty, we are free at last ! » (« Enfin libres ! Enfin libres ! Dieu Tout-Puissant merci, nous sommes enfin libres ! »)
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En réalité, si King revient particulièrement inspiré de son premier voyage en Afrique, la relation avec le continent et avec les forces panafricaines ne prend ni d’un côté ni de l’autre. Face à un panafricanisme modéré qui entre dans la routine avec la création de l’OUA en mai 1963, un courant plus radical se maintient autour des mouvements de libération qui rejettent le principe de la non-violence et qui sont convaincus, depuis la fin de la guerre d’Algérie, que le colon doit être expulsé par la force. Les thèses de Fanon, dont le livre Les Damnés de la terre est publié en anglais en 1963, nourrissent la ré lexion des militants noirs américains radicaux qui se reconnaissent dans le mot d’ordre « Black Power ! » comme des combattants en lutte dans les colonies portugaises et en Afrique australe. De son côté, King poursuit son action jusqu’à l’obtention du vote des lois pour les droits civiques de 1964 et 1965, puis élargit son action à la lutte contre la pauvreté, la guerre du Vietnam et l’apartheid en Afrique du Sud. Peu avant son assassinat, le 4 avril 1968, il reconnaissait qu’il aurait voulu accorder plus d’importance à l’Afrique dans son combat et qu’il espérait e fectuer un nouveau voyage sur le continent d’ici la fin de [4] l’année 1968 .
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Enfin, conscient que « l’abîme entre le texte des lois et leur application est l’une des raisons fondamentales du mépris que les défenseurs du Black Power professent à l’égard [5] du processus légal », King est également dépassé par une jeunesse noire prête à en découdre avec la police. Ces jeunes, après avoir fait leur apprentissage des stratégies de lutte au sein du Comité de coordination non-violent des étudiants (Student Nonviolent Coordinating Committe, SNCC) créé en 1960 en Caroline du Nord, veulent plus de pouvoir. Menés par Stokely Carmichael, un étudiant de Trinidad qui s’était désolidarisé de King en 1966, ils revendiquent l’héritage radical et révolutionnaire de Malcolm X et une plus grande solidarité avec les mouvements de libération africains.
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Malcolm X et l’internationalisation de la question noire L’in luence de Malcolm X sur la scène afro-américaine et panafricaine est souvent présentée en opposition à celle de Martin Luther King. Elles sont en réalité plus complémentaires qu’on ne le pense généralement. Rosa Parks, dont l’acte de désobéissance civique l’inscrit dans le courant non-violent de King, a toujours soutenu [6] être plus proche de l’esprit de résistance incarné par Malcolm X . Reste que la pensée de ce dernier a beaucoup évolué avec le temps, passant du séparatisme à l’internationalisme. [7]
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Fils d’un militant garveyiste assassiné par le Ku Klux Klan , Malcolm Little connaît une jeunesse di ficile puis un séjour de six années en prison, qu’il met à profit pour se former en autodidacte, parcourant de nombreux livres d’histoire. En 1952, en sortant de prison, il adopte l’initiale « X » pour e facer son nom de famille hérité de l’esclavage, et il rejoint Nation of Islam (NOI) dont il devient rapidement le porte-parole. Organisation séparatiste créée en 1930 à Detroit, NOI, qui est alors dirigée par Elijah Muhammad, le fils du fondateur, recrute et forme des milliers de jeunes Noirs grâce à un programme d’action et de réinsertion économique et sociale, une discipline paramilitaire et une doctrine politico-religieuse. L’organisation soutient notamment que l’année 1955 marque la fin de quatre siècles d’esclavage des Noirs en Amérique, et le moment de reprendre le contrôle de leur destinée. Prônant la mise en place, sur le sol américain, de territoires indépendants peuplés et dirigés par les Noirs, le discours ambigu de Muhammad semble valider un système de ségrégation contre lequel la grande majorité des mouvements noirs se battent à l’époque. En outre, en refusant tout contact avec les Blancs, Nation of Islam demeure dans une position apolitique qui la rend finalement moins radicale que la non-violence de King.
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Constatant les dysfonctionnements internes de NOI et en désaccord politique avec ses dirigeants, Malcolm X finit par rompre avec l’organisation début 1964. Excellent orateur et redoutable débatteur, n’ayant plus de compte à rendre à NOI et n’hésitant pas à
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pousser la provocation sur les plateaux de télévision, où il est régulièrement invité, il devient encore plus dangereux aux yeux de tous : la NOI, à laquelle il a apporté des dizaines de milliers de membres ; les milieux conservateurs afro-américains, qui n’apprécient pas d’être traités de « Nègres de maison » ou d’« Oncles Tom », et les puissances médiatiques et politiques dont il dénonce la soumission aux intérêts impérialistes. Tous s’e forcent de détruire l’image et les idées de Malcolm X. De son côté, Malcolm X comprend qu’il ne peut lutter contre ces forces réactionnaires qu’en internationalisant son combat. Le 13 avril 1964, il part en tournée au Moyen-Orient [8] et en Afrique . En Arabie saoudite, il réalise le pèlerinage et adopte le nom d’El Hadj Malik El Shabazz. En adhérant à l’islam orthodoxe sunnite, il se libère définitivement de l’in luence sectaire de Nation of Islam et montre un intérêt pour le panarabisme. Ensuite, à Lagos, il se présente comme un « musulman américain militant » mais également comme l’un « des frères que l’Afrique avait longtemps cru perdus ». À l’étape suivante, à Accra, il rencontre l’ambassadeur d’Algérie et décide d’abandonner le critère [9] racial comme élément d’unité des groupes révolutionnaires . Il développe également ses ré lexions panafricaines devant la communauté afro-américaine installée dans la capitale ghanéenne. Même si les Afro-Américains doivent « rester physiquement en Amérique » et lutter pour leurs droits, il leur conseille cependant de « créer une unité e ficace dans le cadre du panafricanisme » pour renforcer les deux versants de la [10] lutte .
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Mettant cette idée en pratique, il décide, à son retour à New York, d’adopter la proposition de l’historien John Henrik Clarke consistant à créer une nouvelle structure destinée à rassembler toutes les diasporas africaines afin de peser politiquement sur les exécutifs occidentaux : l’Organisation de l’unité afro-américaine (Organization of AfroAmerican Unity, OAAU). Censée être le pendant de l’OUA, l’OAAU considère que les Africains du continent et de la diaspora doivent s’unir pour faire avancer leur cause. Le respect des États occidentaux à l’égard des populations africaines vivant sur leur territoire, estiment ses responsables, ne sera réel que lorsque l’Afrique, unie et puissante, sera en mesure d’exporter son unité et sa puissance derrière chaque individu [11] d’origine africaine vivant en dehors du continent .
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En juillet 1964, Malcolm X e fectue un second voyage de quatre mois en Afrique et au [12] Moyen-Orient . Sa première étape le conduit au Caire où, du 17 au 21 juillet 1964, il participe comme observateur au deuxième sommet de l’OUA. Il y explique combien le destin des Afro-Américains est lié à celui de leur terre d’origine :
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Puisque vingt-deux millions d’entre nous étaient originellement africains, que nous sommes désormais en Amérique, pas par choix mais par un cruel accident de l’histoire, nous croyons fermement que les problèmes africains sont nos problèmes et que nos [13] problèmes sont des problèmes africains .
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En sa qualité de président de l’OAAU, Malcolm X appelle l’OUA à voter la résolution, proposée par le président Nyerere, condamnant les États-Unis, au même titre que l’Afrique du Sud, pour leur politique à l’égard des Noirs. Le militant afro-américain, qui avait toujours soutenu dans ses déclarations des positions semblables au groupe de Casablanca, ravive les divisions au sein de l’organisation continentale et reçoit les critiques des mouvements afro-américains conservateurs qui ne se reconnaissent pas dans l’OAAU.
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Malcolm X est ainsi le premier leader afro-américain à embrasser clairement le panafricanisme comme solution politique aux problèmes rencontrés par l’ensemble des peuples noirs. À sa suite, plusieurs militants afro-américains assisteront, dans les années suivantes, aux sommets de l’OUA pour demander le soutien de l’organisation panafricaine. Malcolm X entreprend une démarche parallèle du côté des Nations unies, demandant en particulier aux ambassadeurs qui y représentent les pays africains progressistes de donner une tribune au siège new-yorkais de l’organisation, en plein cœur de l’Amérique, aux mouvements de libérations noirs.
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Durant son séjour de plusieurs semaines en Égypte, Malcolm X intervient à l’université Al-Azhar et visite les sites historiques. Il rencontre plusieurs personnalités du monde arabe qui l’amènent à renforcer sa critique du sionisme. Après un séjour en Arabie saoudite, Malcolm X revient en Afrique. À Nairobi, Dar es Salaam, Lagos, Accra ou Conakry, il s’entretient à chaque fois avec les autorités, les mouvements de libération en exil et les militants afro-américains sur les possibilités de constituer un large front antiimpérialiste. Après des escales à Alger puis Genève, où il ne cesse d’inviter les AfroAméricains à choisir entre « le bulletin de vote ou le fusil », il donne un meeting dans la salle parisienne de la Mutualité consacré aux conséquences de l’élection du président Johnson et à la lutte noire aux États-Unis.
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Quelques mois après son périple africain, Malcolm X, devenu un voyageur infatigable et un conférencier à succès, repart en février 1965 pour l’Angleterre. À Oxford, il donne une conférence au cours de laquelle il explique qu’une fois la révolution noire lancée, les Blancs la rejoindront pour renverser le système. Cette déclaration est un coup de tonnerre car Malcolm X, perpétuellement décrit par les médias dominants comme un raciste anti-Blancs, fascine de plus en plus la jeunesse blanche engagée qui, en ces années 1960, rêve d’en découdre avec les structures de pouvoir et les hiérarchies traditionnelles. Interdit de séjour en France, où il avait notamment prévu d’évoquer avec le militant noir cubain Carlos Moore la possibilité d’ouvrir une antenne de l’OAAU dans l’Hexagone, Malcolm X repart à Londres d’où il donne, par téléphone, une conférence di fusée aux trois cents personnes qui l’attendaient à Paris.
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À son retour aux États-Unis, la position de Malcolm X est clairement internationaliste. La solidarité des oppresseurs, explique-t-il à Detroit, le 13 février 1965, exige une solidarité des opprimés dont l’importance numérique ne peut que leur assurer la victoire :
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Les intérêts des États-Unis sont liés à ceux de la France et à ceux de la GrandeBretagne. Tout cela forme un seul et immense complexe : il ne s’agit pas du pouvoir américain, ou français, mais d’un pouvoir international. Ce pouvoir international sert à réprimer les masses à peau sombre du monde entier et à exploiter leurs ressources naturelles. […] Le simple fait de défendre l’idée d’une coalition des Africains, des AfroAméricains, des Arabes et des Asiatiques qui vivent à l’intérieur de la structure a su fi à déranger la France, que l’on dit être l’un des pays les plus libéraux du monde, et à lui faire abattre son jeu. Pour l’Angleterre, même chose. […] Si l’on songe que le Brésil compte deux tiers de « gens de couleur », de « non-Blancs », et que l’on y ajoute ceux du Venezuela, du Honduras et du reste de l’Amérique centrale, de Cuba, de la Jamaïque, des États-Unis et même du Canada – le total dépassera sans doute 100 millions. Et c’est la présence de ces 100 millions-là à l’intérieur de la structure qui préoccupe aujourd’hui [14] très fort le pouvoir .
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Les Black Panthers dynamitent l’Amérique Huit jours après son discours à Detroit, Malcolm X est assassiné par un commando de Nation of Islam. Ce meurtre choque l’Amérique noire. En juin 1966, Stokely Carmichael, d’abord proche de Martin Luther King et militant au sein du SNCC, lance le mouvement du Black Power, qui remet en cause, comme l’avait fait Malcolm X dans les années qui avaient précédé sa mort, la stratégie de la non-violence et de la résistance passive. L’heure est venue de se lever pour défendre ses droits (« Stand up for your rights ! ») plutôt que de s’asseoir (« Stand up, not sit in ! »), de faire chanceler l’adversaire plutôt que de le faire danser (« Swing, not sing ! »). Les Noirs, estime Carmichael, doivent prendre le contrôle de leur propre communauté et mettre en place leurs propres organisations sans suivre les conseils des Blancs. Si les militants afro-américains ne réclament pas l’indépendance, ils demandent le droit à l’autodétermination et la sortie du modèle impérialiste et capitaliste américain. In luencée par les indépendances africaines et la révolution cubaine, le mouvement Black Power prend ainsi des allures de [15] révolution socialiste et internationaliste noire .
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En octobre 1966, à Oakland (Californie), la création du parti des Panthères noires pour l’autodéfense (Black Panthers Party for Self-Defense, BPPSD) consacre cette philosophie de la résistance par tous les moyens nécessaires. Ses fondateurs, Bobby Seale et Huey P. Newton, bientôt rejoints par Carmichael, s’inspirent de Malcolm X, ainsi que des
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idéologies marxistes et maoïstes révolutionnaires, pour émettre un programme en dix points. Les Panthères réclament la liberté et l’autodétermination de la communauté noire à l’issue d’un plébiscite organisé sous contrôle des Nations unies, le plein-emploi, la fin de l’exploitation capitaliste, l’amélioration des conditions de logement, la mise en place d’une politique éducative répondant aux attentes de la communauté. Revendiquant le port d’arme en conformité avec la Constitution et en réponse aux brutalités policières, les Panthères demandent l’exemption de tous les hommes noirs du service militaire, la libération des Noirs emprisonnés, la mise en place de tribunaux mixtes et un programme d’activités sociales complet. Nourris par la lecture de Fanon, les Black Panthers se lient à la révolution mondiale en défendant la thèse d’un colonialisme interne frappant les Noirs des États-Unis. Tous les indicateurs économiques et sociaux révèlent e fectivement l’existence de grandes poches de pauvreté à l’intérieur des États-Unis qui correspondent aux regroupements de population noire. La lutte afro-américaine montre que la nature impérialiste des États-Unis n’est que l’extension au reste du monde des structures internes de ce pays, et que les Noirs forment le groupe qui, au cours du XXe siècle, a le mieux incarné la [16] tradition de lutte et de résistance aux États-Unis . Se vivant comme des colonisés à l’intérieur des États-Unis, Les Black Panthers s’organisent en contre-société. Comme les mouvements de libération du Vietnam, d’Angola ou de Guinée-Bissau, ils fondent leurs propres troupes d’autodéfense, leurs propres écoles et hôpitaux et même leur propre « gouvernement ».
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Défiant Washington depuis l’intérieur même des États-Unis, les Black Panthers attirent rapidement l’attention des gouvernements et mouvement de libération du tiers monde. En juillet 1969, ils sont o ficiellement invités par le gouvernement algérien dans le cadre du premier Festival culturel panafricain (voir chapitre 21). Guidés dans Alger par la militante panafricaine Julia Hervé – fille de l’écrivain Richard Wright –, les militants Black Panthers participent aux conférences aux côtés des représentants des mouvements de libération qui combattent à l’époque le colonialisme en Afrique lusophone et en Afrique australe. S’inscrivant dans la filiation de Malcolm X, ils se présentent comme les représentants légitimes de la lutte de libération des Noirs américains. « Les Algériens, qui ont achevé leur guerre d’indépendance depuis seulement huit ans, estiment naturel de soutenir les autres mouvements de libération, note le New York Times. Ils veulent jouer un rôle moteur dans une Afrique complètement décolonisée. Ils veulent aussi reconnaître tous les mouvements en dehors de l’Afrique qui, comme les Panthères, luttent contre les États qu’ils considèrent comme [17] impérialistes ou fascistes . » Présentés par le gouvernement algérien comme « le [18] noyau d’un futur gouvernement américain », les Black Panthers disposent, dans les mois qui suivent le festival, d’une ambassade o ficielle dans la capitale algérienne.
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Le parcours de Stokely Carmichael est également intéressant. Ayant pris ses distances avec le mouvement, il s’installe en Guinée-Conakry à la fin des années 1960, avec sa femme, la chanteuse sud-africaine Miriam Makeba (voir chapitre 21). Le couple se passionne pour le panafricanisme au contact de Sékou Touré et de Kwame Nkrumah, qui a trouvé refuge à Conakry après le coup d’État qui l’a chassé du pouvoir en 1966. « Notre idéologie doit être le panafricanisme, et rien d’autre », décrète Carmichael après [19] avoir dévoré les écrits de Padmore et Du Bois et la littérature consacrée à Garvey . Persuadé que le vent de l’histoire fera triompher l’idéologie panafricaine, il développe ses théories dans un livre publié en 1971, Stokely Speaks : Black Power Back to PanAfricanism, adopte sept ans plus tard un nouveau nom, Kwame Toure, en hommage à ses deux mentors, et reprend en main le Parti révolutionnaire des peuples panafricains (AllAfrican People’s Revolutionary Party, A-APRP) lancé à Conakry par Nkrumah en 1968.
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La contestation menée par les Black Panthers aux États-Unis et les alliances qu’ils scellent avec les gouvernements révolutionnaires à travers le monde inquiètent les dirigeants américains. Dès la fin des années 1960, le FBI déclenche une répression féroce dans le cadre de son Programme de contre-espionnage (Counter Intelligence Program, COINTELPRO). Ils infiltrent les Panthers, tentent de les discréditer dans la presse, emprisonnent ou assassinent certains de leurs responsables, obligeant les autres à fuir à l’étranger, à abandonner le combat ou à revenir à des méthodes moins radicales. Alors que la crise économique conduit les autorités à réduire les programmes d’action positive en faveur des Noirs, la drogue envahit les ghettos et touche une jeunesse livrée à ellemême tandis qu’une petite bourgeoisie noire émerge grâce aux opportunités o fertes par un capitalisme fondé sur une vision individualiste de la réussite.
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Les Noirs se réapproprient leur histoire Dans les années qui suivent le vote des lois sur les droits civiques, des villes moyennes (Springfield, Gary, Cleveland) puis de premier plan (Washington DC, Atlanta, La Nouvelle-Orléans, Detroit) élisent des maires noirs. Mettant en avant des individus et démantelant le système de solidarité sociale des mouvements radicaux, les autorités détruisent la stratégie du Black Power qui consiste à redonner confiance et autonomie aux populations noires en leur permettant de contrôler leurs propres institutions. Malgré la répression, certains militants décident de poursuivre la bataille de la culture et [20] de l’éducation .
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Dès 1957, l’Association des études africaines (African Studies Association, ASA) est créée aux États-Unis, avec l’aval des autorités américaines qui ont besoin de travaux pour mieux comprendre ce continent en voie de décolonisation. Plus de deux mille chercheurs – majoritairement blancs – intègrent l’ASA, qui construit un réseau et des
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programmes de cours en études africaines. Le département d’État se met parallèlement à former des diplomates américains en swahili, et les fonctionnaires noirs les plus dévoués sont envoyés défendre les intérêts de la Maison-Blanche dans les ambassades [21] en Afrique . Ce vivier académique au service du gouvernement américain est décrié par les chercheurs militants. En octobre 1968, à la conférence annuelle de l’ASA, des chercheurs noirs créent un groupe dissident pour contrôler leur propre histoire, rapprocher la communauté noire et les chercheurs qui en sont issus, et collaborer avec les ambassades, les universités et les chercheurs en Afrique. Un an plus tard, l’historien noir John Henrik Clarke, qui s’étonne de voir tant d’universitaires blancs s’intéresser à l’Afrique et si peu de chercheurs noirs occuper des positions de direction des programmes d’études africaines, décide de fonder l’Association des études sur l’héritage africain (African Heritage Studies Association, AHSA), puis d’aller à la conférence de l’ASA pour demander la parité raciale dans la [22] direction de l’ASA . Clarke souhaite également l’adoption dans les études de la perspective panafricaniste qui montre que « tous les Noirs sont des Africains » et rejette « la division des peuples africains en fonction d’une géographie fondée sur les sphères [23] d’in luence colonialistes ». Lorsqu’en octobre 1969 l’ASA tient à Montréal sa conférence annuelle conjointement avec l’Association canadienne des études africaines (ACEA), la connexion entre chercheurs et activistes est inévitable : le campus montréalais de l’université Sir George Williams est occupé par des étudiants antillais et des militants du Black Power qui interrompent les travaux de l’ASA. À une courte majorité, l’ASA rejette toutes les demandes de l’AHSA.
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Une conséquence de ce refus est la naissance de l’afrocentricité comme science académique (Africana studies) pour traduire les besoins des chercheurs noirs qui veulent articuler l’idéologie panafricaine avec les luttes politiques, sociales et culturelles en cours. Constatant l’impossibilité de purger le racisme présent dans le système scolaire et universitaire, et estimant que le dysfonctionnement des institutions éducatives recevant les jeunes Noirs avait un lien avec la surreprésentation carcérale de cette frange de la population, l’éducation afrocentrée décide de revenir aux fondamentaux de la culture et de l’identité africaines. L’égyptologie de Cheikh Anta Diop devient alors une voie de passage obligé, tout comme l’apprentissage du swahili. Le système culturel afrocentré de Maulana Karenga, fondé sur des fêtes et un calendrier africains, ainsi que son corollaire académique de l’afrocentricité de Molefi Kete Asante prennent leur essor. De nouvelles revues et de nouveaux centres de recherche et associations scientifiques et culturels afro-américains voient le jour. Sur les campus afro-américains, les leaders africains méprisés dans l’historiographie o ficielle deviennent des héros populaires, et une vision romantique de l’Afrique se développe en parallèle à un regain de militantisme.
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En 1972, un Comité de soutien à la libération de l’Afrique (African Liberation Support Committee, ALSC) est créé par une coalition de panafricanistes et de nationalistes [24] noirs . Il organise des collectes d’argent, d’habits, de médicaments, assure la publication de textes alternatifs et organise des actions de protestation contre l’apartheid.
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Le 27 mai 1972 est organisée à Washington la première édition américaine de l’African Liberation Day (Journée de la libération de l’Afrique, ALD), qui réunit entre 30 000 et 50 000 personnes sur un trajet allant de Malcolm X Park jusqu’à la 16e rue, en passant [25] devant le consulat d’Afrique du Sud et le département d’État . L’événement, organisé par l’ALSC en solidarité avec le comité de libération de l’OUA, est repris dans plusieurs pays occidentaux et africains. Après 1975, l’ALSC se divise en plusieurs branches : l’AAPRP de Stokely Carmichael, le Parti des travailleurs socialistes (Socialist Worker Party, SWP) d’Abdul Alkalimat et le groupe d’orientation marxiste-léniniste-maoïste d’Owusu Sadaukai et Imamu Baraka. Tous ces mouvements prennent position contre la répression des mouvements anti-impérialistes, notamment en Angola, au Mozambique [26] ou en Afrique australe .
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Notes [1]
Manning MARABLE, Race, Reform and Rebellion, University Press of Mississippi, Jackson, 2007.
[2]
Bill SUTHERLAND et Matt MEYER, Guns and Gandhi in Africa. Pan-African Insights on NonViolence, Armed Struggle and Liberation, Africa World Press, Trenton, N.J., 2000, p. 33-34.
[3]
Cité in Marie-Agnès COMBESQUE, Martin Luther King, Le Félin-Kiron, Paris, 2008, p. 171174.
[4]
Bill SUTHERLAND et Matt MEYER, op. cit., p. 213.
[5]
Martin Luther KING, Black Power, Payot & Rivages, Paris, 2008, p. 27.
[6]
Jeanne THEOHARIS, « “A life history of being rebellious”. The radicalism of Rosa Parks », in Dayo F. GORE, Jeanne THEOHARIS et Komozi WOODARD (dir.), Want to Start a Revolution ? Radical Women in the Black Freedom Struggle, New York University Press, New York, 2009, p. 115-137.
[7]
Manning MARABLE, Malcolm X. A Life in Reinvention, Penguin Books, Londres, 2012.
[8]
Ibid., p. 314-320.
[9]
Ibid., p. 406.
[10]
Malcolm X, Le Pouvoir noir, La Découverte, Paris, 2002, p. 250.
[11]
Ibid., p. 206, p. 249-250.
[12]
Ibid., p. 360-387.
[13]
Cité in Saïd BOUAMAMA, Figures de la révolution africaine. De Kenyatta à Sankara, Zones-La Découverte, Paris, 2014, p. 223.
[14]
Malcolm X, op. cit., p. 196-198.
[15]
Charles HAMILTON et Stokely CARMICHAEL, Black Power, Africa World Press, Trenton, N.J., 1987.
[16]
Horace G. CAMPBELL, Barack Obama and Twenty-first Century Politics, Pluto, Londres, 2010, p. 63.
[17]
Cité in Joshua BLOOM et Waldo E. MARTIN, Black Against Empire. The History and Politics of the Black Panther Party, University of California Press, Berkeley, 2013, p. 315.
[18]
Ibid.
[19]
Donald J. MCCORMACK, « Stokely Carmichael and Pan-Africanism. Back to Black Power », The Journal of Politics, vol. 35, n° 2, mai 1973, p. 406.
[20]
St. Clair DRAKE, « Black studies and global perspectives : An Essay », The Journal of Negro Education, vol. 53, n° 3, été 1984, p. 226-242.
[21]
Carol ANDERSON, « The Cold War in the Atlantic world », in Toyin FALOLA et Kevin D. ROBERTS (dir.), The Atlantic World 1450-2000, Indiana University Press, Bloomington, 2008, p. 294-314.
[22]
John Henrik CLARKE, « African American historians and the reclaiming of african history », Présence Africaine, n° 110, 2nd trimestre, 1979, p. 29-48.
[23]
Ronald W. WALTERS, op. cit., p. 368.
[24]
Edward O. ERHAGBE, « The African-American contribution to the liberation struggle in Southern Africa. The case of the African Liberation Support Committee, 1972-1979 », The Journal of Pan-African Studies, vol. 4, n° 5, septembre 2011, p. 26-56.
[25]
Ronald W. WALTERS, op. cit., p. 71.
[26]
Ibid., p. 73-75.
Plan
20. La Caraïbe et l’Amérique du Sud. Des héritiers de la résistance africaine aux orphelins de la révolution panafricaine Amzat Boukari-Yabara Dans Africa Unite ! (2017), pages 265 à 278
Chapitre
L
’une des erreurs stratégiques dans la formation de l’OUA, en mai 1963, est d’exclure a priori les pays des Amériques peuplés à majorité d’Afro-descendants. Des années 1960 à 1980, la Caraïbe constitue pourtant un laboratoire politique, culturel et social de la révolution panafricaine et anti-impérialiste. À partir de la fin des années 1990, c’est d’Amérique du Sud, notamment du Brésil et du Venezuela, que sou le un nouvel esprit révolutionnaire, fondé sur des mouvements sociaux et idéologiques intégrant la composante africaine. Alors que des régimes néocolonialistes s’installent en Afrique et que les États-Unis répriment les mouvements afro-américains, ce qui se joue dans cette partie du monde mérite une attention particulière. Car c’est de là que de nombreux militants espèrent relancer la dynamique panafricaine.
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Cuba : « Le sang africain coule abondamment dans nos veines » Ce n’est qu’en 1895, soit bien après l’indépendance des colonies espagnoles du continent américain (années 1820), l’abolition de la traite (1867) et de l’esclavage (1886), que Cuba parvient à réaliser sa première révolution. Une alliance entre les travailleurs noirs et les propriétaires blancs ruinés par la chute du cours du sucre se forme sous l’impulsion du Ajouter
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poète nationaliste José Marti, fondateur du Parti révolutionnaire cubain, et débouche sur une guerre d’indépendance menée par le général métis Máximo Gomez et le général noir Antonio Maceo. Toutefois, cette révolution est vite récupérée par les États-Unis qui, prétextant l’explosion d’un navire américain dans la rade de La Havane, placent Cuba sous tutelle économique et militaire dès 1902. Ainsi, lorsque Fidel Castro et ses hommes renversent le dictateur Fulgencio Batista et entrent dans La Havane le 1er janvier 1959, ils mettent fin à un système qui, en un demi-siècle, avait fait de Cuba un terrain de jeu et une succursale du capitalisme américain. L’intransigeance des États-Unis à l’égard du régime castriste accélère le rapprochement de Cuba avec le bloc socialiste et o fre aux autres pays caribéens un modèle alternatif à celui que leur puissant voisin tente d’imposer dans la région. La révolution cubaine apparaît alors, note C.L.R. James dans la préface de 1962 des Jacobins noirs, comme une « révolution antillaise ».
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Rompant avec la discrimination raciale perpétuée par l’occupation américaine, la révolution de 1959 cherche à éliminer le racisme institutionnel et à rendre leur dignité aux Noirs en valorisant les arts, la culture et l’histoire des peuples africains. S’inspirant de la formule de José Martí, qui expliquait à la fin du XIXe siècle que le Cubain est « plus que blanc, plus que mulâtre, plus que noir », les révolutionnaires cubains entendent e facer les barrières raciales sur l’île, politique qui rencontrera un succès mitigé, et se montrent immédiatement solidaires des mouvements de résistance africains et afroaméricains.
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Venu participer à l’Assemblée générale de l’ONU en septembre 1960, Castro quitte son hôtel de Manhattan à la suite du harcèlement des autorités américaines et du comportement raciste du personnel. Sans hésiter, la délégation cubaine accepte la proposition de Malcolm X de venir loger à l’hôtel Theresa, en plein cœur de Harlem. Accueillie par une foule scandant « Liberté pour l’Algérie ! », « Hors du Congo ! » ou « Vive Cuba ! », la délégation cubaine reçoit ensuite les visites de Nkrumah, Nehru, Nasser, Sukarno, Tito et Khrouchtchev. Castro quitte New York avec une très bonne image de la lutte afro-américaine, mais avec beaucoup d’inquiétude sur la crise au Congo. Dès l’annonce de la mort de Lumumba en janvier 1961, il critique l’obstruction manifeste de l’ONU.
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La Havane se rapproche alors du groupe de Casablanca, constitué en 1961, et envoie Che Guevara sur le continent africain pour approfondir les relations avec les dirigeants progressistes (Algérie, Égypte, Guinée, Ghana, Mali, Tanzanie). À la tête d’un commando de combattants cubains, le célèbre guérillero s’envole pour la Tanzanie en avril 1965. De là, avec ses hommes, tous noirs pour ne pas se faire repérer, mais qui découvrent pour la première fois l’Afrique, il part dans l’est du Congo avec l’objectif d’ouvrir un troisième
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front anti-impérialiste après le Vietnam et l’Amérique du Sud. Cette expédition s’achève sur un échec cinglant que Che Guevara attribue à la désorganisation et la faiblesse idéologique des rebelles lumumbistes dirigés par Laurent-Désiré Kabila. Malgré cet échec, Cuba continue de soutenir les régimes africains progressistes par des programmes militaires, éducatifs et sociaux. Ainsi, rappelant toujours que « le sang africain coule abondamment dans nos veines », Fidel Castro pratique une forme de panafricanisme d’État : il accueille les révolutionnaires afro-américains en exil, invite les représentants des mouvements de libération africains et envoie des milliers d’hommes combattre sur le continent lui-même. Une dizaine d’années après l’expédition manquée au Congo, le régime cubain n’expédie pas moins de 17 000 soldats en Éthiopie pour [a] soutenir le régime de Mariam Mengistu, en guerre contre la Somalie . Mais c’est en Angola que l’intervention cubaine est la plus décisive. Grâce au financement et au soutien logistique de Moscou, La Havane y envoie plusieurs dizaines de milliers de soldats pour aider le MPLA à repousser les troupes de l’UNITA et les forces sudafricaines qui cherchent à faire tomber le gouvernement socialiste de Luanda. Inscrite dans la durée, l’alliance des forces angolaises et cubaines permettra en 1988, de repousser les assaillants lors la bataille de Cuito-Cuanavale. Cette victoire, qui précipite la chute du régime de l’apartheid, vaudra à Castro et au peuple cubain les remerciements de Nelson Mandela lors de sa visite à La Havane en juillet 1991.
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La Jamaïque et le tournant des « émeutes Rodney » (1968) L’autre île qui semble en mesure de suivre la révolution cubaine est la colonie britannique de la Jamaïque, peuplée à plus de 90 % de Noirs, mais dominée par une élite blanche et mulâtre. Ayant rejeté, à l’occasion d’un référendum organisé en septembre 1961, le projet d’une Fédération regroupant les dix territoires antillais britanniques, la Jamaïque prend son indépendance un an plus tard. Inféodé aux ÉtatsUnis, entretenant un climat de violence politique et sociale, le régime jamaïcain se désintéresse de l’Afrique et persécute les disciples de Garvey, le groupe social des [2] Rastafaris et tous les militants qui se revendiquent du Black Power .
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Après avoir enseigné et vécu dans la Tanzanie de Nyerere, l’historien guyanien Walter Rodney retourne en Jamaïque en janvier 1968 pour enseigner à la University of the West [3] Indies (UWI), où il avait été étudiant au début des années 1960 . Sous son impulsion académique et militante, une grande partie de la jeunesse de la classe moyenne jamaïcaine découvre ses a finités avec l’histoire culturelle de l’Afrique et avec l’esprit d’insoumission et de critique anticonsumériste des Rastafaris. Dans les amphithéâtres comme dans les rues des quartiers défavorisés de Kingston, des centaines de personnes de toute classe sociale assistent aux conférences de Rodney sur le Black Power et la Ajouter
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[4]
révolution africaine dans le contexte de la Caraïbe . Rodney bénéficie du soutien critique des doyens du mouvement rastafari, qui avaient montré leur popularité en assurant la médiation entre la foule et les autorités débordées lors de la visite d’Hailé [5] Sélassié à Kingston le 21 avril 1966 . Le 14 octobre 1968, alors que Rodney est à Montréal pour participer à la Conférence des écrivains noirs, aux côtés de C.L.R. James et de Stokely Carmichael, son titre de séjour [6] est annulé par les autorités jamaïcaines . Depuis le Québec, il prononce un discours acerbe à l’encontre du gouvernement et de la bourgeoisie néocoloniale jamaïcains. Deux jours plus tard, les étudiants et amis de Rodney organisent à Kingston une marche de protestation qui rassemble une foule de déshérités et se termine en émeute. Près d’une centaine de bâtiments représentant des symboles du capitalisme (banques, entreprises, commerces) sont endommagés, treize bus sont brûlés, onze policiers blessés et deux manifestants tués. La répression de ce qui prend le nom d’« émeutes Rodney » (Rodney riots) par les autorités jamaïcaines, qui expulsent au passage les étudiants étrangers, favorise la di fusion, dans l’île et ailleurs, des idées de l’historien, inspiré par le mouvement du Black Power et très attaché à la réappropriation par les Caribéens noirs [7] de leur identité africaine .
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Interdit de séjour en Jamaïque, Walter Rodney retourne en Tanzanie. Proche de C.L.R. James, il s’investit dans la lutte panafricaine et publie, en 1972, son livre fondateur, How Europe Underdeveloped Africa (« Comment l’Europe a sous-développé l’Afrique »), qui tente de donner une explication globale, à la fois historique et systémique, du prétendu « sous-développement » africain. De retour dans son Guyana natal en 1974, Rodney s’engage en politique. Il mourra dans un attentat, en juin 1980, sans doute commandité par les plus hautes autorités guyaniennes.
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État d’urgence à Trinidad et Tobago et révolution à la Grenade (1970-1983) En 1969, quelques mois après le passage de Rodney au Québec, des étudiants caribéens occupent un bâtiment du campus Sir George Williams de Montréal pour dénoncer le racisme de la société canadienne, a ficher leur solidarité avec les mouvements de libération et demander la réforme des études africaines en milieu universitaire. Arrêtés, les étudiants les plus actifs, originaires de Trinidad et Tobago, sont expulsés du Canada avec l’accord du gouvernement trinidadien dirigé par Eric Williams, l’ancien camarade [8] de James et Padmore dans l’Angleterre des années 1930 .
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En apprenant la collaboration de leur gouvernement, qui a également banni de l’île leur compatriote Stokely Carmichael, les étudiants manifestent à Port of Spain, capitale de Ajouter Trinidad et Tobago, et s’en prennent aux intérêts canadiens. Le mouvement prend de
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l’ampleur lorsque les étudiants expulsés ouvrent une antenne du parti des Black [9] Panthers et introduisent les tactiques de contestation apprises en Amérique du Nord . Dans la foulée, la radicalisation des mouvements sociaux dans les secteurs stratégiques (pétrole, sucre, transports) conduit le gouvernement à promulguer l’état d’urgence et à arrêter une quinzaine de personnes issues de la mouvance Black Power. Fragilisé par une tentative de putsch, Williams s’engage cependant à lutter contre les divisions raciales, à revaloriser la culture africaine et à lancer un programme de nationalisation ou de recapitalisation par l’État des entreprises stratégiques. À la Grenade, une petite île au large du Venezuela qui compte un peu plus de cent mille habitants en 1970, le régime d’Eric Gairy est également secoué par des collectifs populaires autonomes qui fusionnent dans le Nouveau mouvement d’entreprise commune pour l’éducation sociale et la libération (New Jewel Movement, NJM). Le délégué du NJM, Maurice Bishop, participe au congrès panafricain qui se tient à Dar es Salaam en 1974, puis revient sur l’île pour introduire le concept du pouvoir populaire [10] (power to the people) inspiré des Black Panthers et des mouvements de libération . Pendant plusieurs années, une vague de mouvements sociaux et de violences politiques [11] touche la Grenade jusqu’à la prise du pouvoir par Bishop en mars 1979 .
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En pleine guerre froide, la Grenade tente la première révolution de la Caraïbe depuis celle de Cuba. Des programmes sociaux sont lancés (logement, éducation, santé) avec le soutien cubain, et Bishop mène une politique internationale pancaribéenne et antiimpérialiste. Saluant la chute du dictateur proaméricain Anastasio Somoza au Nicaragua en 1979, réclamant l’indépendance de Porto Rico, la rétrocession du canal de Panama au peuple panaméen et le retrait des Américains de la base cubaine de Guantánamo, il propose aux États insulaires de la Caraïbe de réaliser une union politique pour abolir leurs divisions linguistiques et établir un nouveau droit de la mer. En dénonçant l’assassinat en juin 1980 au Guyana de son ami Walter Rodney, il pointe les intimidations commises par les impérialistes à l’égard des petites nations. Soutenant les mouvements anti-apartheid et le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui dans le con lit qui l’oppose au Maroc pour le contrôle de l’ancienne colonie espagnole du Sahara occidental, Bishop, qui est déjà très proche de Julius Nyerere (Tanzanie), prépare une tournée en Afrique avec l’aide des présidents Samora Machel (Mozambique) et Robert Mugabe (Zimbabwe) lorsqu’il est exécuté le 19 octobre 1983 dans un coup d’État suivi par une intervention militaire américaine.
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La brutalité avec laquelle plusieurs expériences de changement de l’ordre social ont été éteintes dans la Caraïbe n’est pas sans rappeler ce qui se passe à la même période en Afrique, où les régimes conservateurs sponsorisés par les grandes puissances occidentales se multiplient. Mais les régimes dits « révolutionnaires », avec lesquels les
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militants progressistes caribéens tentent de tisser des liens, ne sont pas toujours réceptifs à leurs revendications. C’est ce qu’ils constatent, par exemple, lors du congrès panafricain organisé en Tanzanie en 1974.
La rupture du congrès panafricain de 1974 L’initiative de ce congrès panafricain, le premier organisé depuis celui de Manchester et le premier à se tenir sur le continent africain, revient à C.L.R. James et à l’ancien parlementaire bermudien Roosevelt Brown, qui avaient lancé l’idée en juin 1969, lors d’une rencontre sur l’archipel des Bermudes. Soutenu par Nkrumah et Nyerere, un petit groupe d’activistes expérimentés réunis par James rédige un appel et un argumentaire, tandis que trois comités régionaux (Afrique, Amérique du Nord, Amérique du Sud et Caraïbe) sont mis en place pour préparer le congrès. Publié et di fusé dans les milieux étudiants et militants dès février 1972, l’appel laisse des questions en suspens. Et notamment cette question sensible : quelle place doit-on faire aux partis d’opposition et aux délégations non o ficielles lors du congrès ?
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Sous la pression de plusieurs de ses homologues, qui refusent la liste des intervenants pressentis, les jugeant trop subversifs ou trop marginaux, l’hôte du congrès, Julius Nyerere, accepte que seules les délégations o ficielles prennent la parole lors de la rencontre et refuse de placer à l’agenda du congrès les résolutions qui pointent les échecs de l’OUA et de la politique de non-alignement. Le congrès panafricain de Dar es Salaam, qui réunit une majorité de délégations o ficielles venues de tous les pays membres de l’OUA et des principaux États caribéens, et une minorité de mouvements de libération, paraît, en pratique, particulièrement conservateur et bien peu ouvert à la [12] critique . Presque toutes venues des Amériques, les délégations non gouvernementales sont marginalisées par les délégations o ficielles habituées à la maîtrise des débats dans les enceintes parlementaires et les instances internationales.
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[13]
Estimant que l’héritage de Nkrumah a été sacrifié , C.L.R. James et plusieurs militants caribéens et afro-américains ont organisé des sessions alternatives. Dans cette perspective, Walter Rodney prépare un long texte, consacré à la « lutte des classes [14] internationale en Afrique, dans les Caraïbes et en Amérique », dans lequel il s’en prend aux dirigeants qui, à l’instar de Félix Houphouët-Boigny (Côte d’Ivoire), Léopold Sédar Senghor (Sénégal), Jean-Claude Duvalier (Haïti), Idi Amin Dada (Ouganda), Joseph Mobutu (Zaïre) ou Kamuzu Banda (Malawi), versent dans le tribalisme sous couvert de « négritude ». Approfondissant les analyses de Fanon et Cabral, Rodney souligne que le concept de « panafricanisme » a été détourné de sa vocation originelle par la bourgeoisie néocoloniale. Brandissant leurs professions de foi « panafricaine », sous prétexte qu’ils assistent aux réunions de l’OUA, tous ces dirigeants pratiquent en Ajouter
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réalité un nationalisme aussi chauvin que rétrograde. Le pseudo-panafricanisme sert ainsi à écarter les peuples africains et à réprimer les mouvements qui cherchent à leur rendre la parole. « Le panafricanisme a été tellement bafoué par les régimes africains actuels que le concept d’“Afrique”, dans ses objectifs pratiques, est mort », a firme l’historien. Par conséquent, la critique panafricaniste authentique doit poser la question de la structure et du contrôle de l’État. Quelle est la classe sociale qui dirige l’État ? Pour quels intérêts se déclare-t-elle « panafricaine » ? C.L.R. James craint que ce texte – qui est distribué aux organisateurs mais qui ne sera pas lu, car Rodney tombe malade – rajoute de la division. Alors que les Africains s’agacent des critiques exprimées par les Noirs des Amériques, il pourrait briser l’équilibre fragile entre les forces étatiques et non étatiques et entre le continent et la diaspora. Signe de la fracture de plus en plus palpable entre les gouvernements africains et les mouvements d’outre-Atlantique, l’Amérique du Sud n’est représentée, au congrès, que par un seul délégué, l’Afro-Brésilien Abdias do Nascimento (lequel, apprenant que son camarade du Guyana, Eusi Kwayana, avait été exclu du congrès, avait d’ailleurs [15] longtemps hésité à confirmer sa participation ). C’est donc en tant que seul délégué sud-américain que do Nascimento lit sa communication – que le président de séance lui demande à plusieurs reprises d’abréger – dans laquelle il retrace l’histoire de la communauté afro-brésilienne, qui représente numériquement la plus importante diaspora africaine. Le lendemain, en réunion privée avec Nyerere, il se plaint des restrictions imposées aux délégués venus des Amériques et souligne l’impérieuse nécessité de soutenir la résistance que les Afro-Brésiliens opposent au régime militaire installé au Brésil depuis 1964.
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Le quilombisme et la critique des relations Afrique-Brésil Au moment de son intervention, Abdias do Nascimento a déjà plus de trente ans de militantisme derrière lui. Lorsqu’en 1944 il fonde à Rio le Théâtre expérimental du Noir (Teatro experimental do Negro, TEN), do Nascimento veut faire de ce « laboratoire d’expression culturelle et artistique » un outil pour combattre les stéréotypes racistes, former des Noirs illettrés et dégager des revenus pour financer de manière indépendante des conférences et d’autres activités. Cette recherche de l’autonomie le place dans la tradition des quilombos, ces « communautés de survie » dans lesquelles se retrouvaient les Africains en fuite, du temps de l’esclavage, pour reconstruire leur liberté [16] de manière collective et indépendante . Progressivement, le quilombisme est devenu l’expression d’un mouvement sociopolitique défiant l’autorité du pouvoir et [17] l’individualisme du système économique .
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Critique d’art et éducateur, traducteur des thèses de Cheikh Anta Diop, do Nascimento tente d’élaborer dans les années 1960 une épistémologie afro-brésilienne libérée du folklore. Pour cela, il reproche aux chercheurs brésiliens blancs travaillant sur l’Afrique de donner une lecture eurocentrée du problème racial et de se réfugier derrière l’objectivité scientifique pour étou fer les revendications des Noirs. Militant politique, il dénonce l’alignement du Brésil sur le colonialisme portugais et la proximité de Brasilia avec Houphouët-Boigny (la Côte d’Ivoire est à l’époque le seul pays africain avec lequel le régime brésilien entretient des relations diplomatiques). Menacé par le régime militaire, do Nascimento quitte le Brésil en 1968 pour enseigner aux États-Unis, puis au Nigeria où il retrouve une importante communauté de retornados, ces descendants d’Africains déportés au Brésil et revenus en Afrique de l’Ouest.
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Intervenant au congrès de 1974 avec un texte sur la « Révolution culturelle et le futur du [18] panafricanisme », do Nascimento critique la tonalité élitiste des congrès panafricains qui se limitent bien souvent à des déclarations de bonnes intentions en français et en anglais, deux langues inconnues de la majorité des Afro-Brésiliens. Exprimant la solidarité des Noirs du Brésil avec les mouvements de libération, il met en garde les Africains contre les nouvelles formes d’impérialisme qui, dit-il, pourraient même venir du Brésil. En e fet, au moment où l’Empire portugais s’e fondre, le Brésil, qui est en phase d’industrialisation, lance une o fensive diplomatique et commerciale sur l’Afrique. Si l’Angola ou le Mozambique hésitent à travailler avec un régime qui a attendu le dernier moment pour se désolidariser du colonialisme portugais et qui entretient des relations commerciales avec l’Afrique du Sud, nombre de régimes africains se montrent moins regardants.
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La junte militaire au pouvoir au Nigeria depuis 1966 fait partie de ces régimes qui se sont rapprochés de Brasilia. C’est donc sans surprise qu’elle censure do Nascimento lorsque celui-ci, installé dans le pays depuis l’année précédente, participe, en 1977, au Festival des arts et de la culture africains (FESTAC) de Lagos (voir chapitre 21) : l’intellectuel afrobrésilien, qui parvient tout de même à prendre la parole grâce à la délégation afroaméricaine, subit les représailles de la junte, qui lui retire son passeport et le déclare persona non grata. Revenu au Brésil au début des années 1980, do Nascimento, porté par la renaissance des mouvements noirs au Brésil, devient l’unique député du Parti démocratique travailliste (Partido Democrático Trabalhista, PDT).
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Les mouvements noirs engagés pour le changement politique
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Alors que le régime militaire corrompu et répressif finit par tomber en 1985 face à la contestation des mouvements sociaux, une coalition d’organisations noires réclame l’amnistie des prisonniers politiques, la lutte contre les violences policières racistes et la promotion de la culture afro-brésilienne. Elles boycottent les célébrations du centenaire de l’abolition de l’esclavage en 1988, préférant à la date o ficielle du 13 mai celle du 20 novembre qui correspond à l’exécution par les Portugais en 1695 de Zumbi, le fondateur du quilombo de Palmares. Sentant la tension monter, le gouvernement tente de calmer le jeu en promulguant une Constitution reconnaissant la nature multiraciale du pays. Tout en ciblant la police et la presse, qui propagent les violences et les stéréotypes racistes, le mouvement civique afro-brésilien rejoint le front progressiste de la société civile brésilienne.
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Cette action déterminée porte ses fruits au début des années 2000. Sous la présidence de Luiz Inácio Lula da Silva (2003-2011), le Brésil vote une loi sur l’enseignement obligatoire de l’histoire de l’Afrique dans les écoles, s’engage à traduire en brésilien les volumes de l’Histoire générale de l’Afrique par l’UNESCO et lance une série d’initiatives pour lutter contre les stéréotypes anti-Noirs. Les progrès sont lents, mais ils permettent à Brasilia d’inaugurer une nouvelle politique africaine fondée sur la proximité historique et culturelle avec l’Afrique, avec en ligne de mire des perspectives économiques et commerciales. Des accords de coopération bilatéraux sont signés avec plusieurs pays africains pour développer les industries, les infrastructures, le secteur de l’énergie et des transports, l’agriculture et les services.
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En juillet 2006, le Brésil endosse la déclaration de Salvador de Bahia émise à l’occasion de la seconde Conférence des intellectuels d’Afrique et de la diaspora (CIAD), dans laquelle des intellectuels lancent un « appel aux leaders africains pour que la diaspora [19] soit considérée comme la sixième région du continent ». Enfin, invitée d’honneur aux célébrations du cinquantenaire de l’OUA à Addis-Abeba en mai 2013, la présidente brésilienne Dilma Rousse f, qui a succédé à « Lula » en 2011, annonce l’annulation de la dette d’une douzaine de pays africains. Une mesure qui confirme que la démarche « panafricaine » du Brésil, à l’heure où l’Afrique apparaît comme un continent d’« opportunités économiques », s’inscrit dans un projet de nature plutôt libérale et utilitariste. Ce dont se défendent d’autres pays de la région qui, cherchant également à ra fermir leurs liens avec le continent africain, adoptent une approche plus « révolutionnaire ».
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Vers un afro-bolivarisme ?
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Au Mexique et en Amérique centrale, notamment au Panama et au Belize, la présence africaine est encore très visible dans le phénotype. Dans les pays andins, où ils représentent jusqu’à 15 % de la population, au Venezuela et en Colombie, où 30 % à 40 % des habitants ont des origines africaines, les Noirs fondent plusieurs organisations sociales et culturelles. Mais, à l’exception de quelques percées liées à la di fusion des écrits de Garvey, ils sont globalement restés en dehors de la dynamique panafricaine, pour des raisons géographiques ou linguistiques. Dans les années 2000, alors qu’une vague de régimes socialistes arrive au pouvoir, les populations noires de Colombie, du Venezuela, d’Équateur, du Pérou, d’Uruguay et d’Amérique centrale bénéficient d’une renaissance culturelle et sociale importante.
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Hugo Chávez, ancien militaire élu président du Venezuela en 1999, est sans doute le chef d’État sud-américain qui a adopté la politique africaine la plus originale. Cherchant à réhabiliter le bolivarisme, cette idéologie prônant l’unité des pays latino-américains, il s’intéresse aussi au panafricanisme, dont l’histoire est également marquée par cette volonté de conjuguer indépendance et unité. Pour faire le lien entre les deux courants, que Kwame Nkrumah rapprochait déjà en 1963 dans son livre Africa Must Unite, Chávez, qui n’hésite pas à mettre en avant ses propres origines africaines (sa grand-mère était noire), invoque l’asile accordé en 1815 par le président haïtien Alexandre Pétion à Simon Bolivar, le libérateur des colonies espagnoles.
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Reste que le bolivarisme et le panafricanisme ne bénéficient pas de la même dynamique historique : alors que le premier semble renaître, le second paraît trop souvent galvaudé. Ainsi, la révolution bolivarienne impulsée par Chávez met en place des institutions qui donnent aux populations un rôle moteur dans l’intégration latino-américaine et caribéenne. C’est le cas notamment de l’Alliance bolivarienne pour les peuples des Amériques (ALBA, « aube » en espagnol), un projet d’union politique qui vise à rompre l’hégémonie capitaliste et états-unienne. Au-delà des Amériques, Chávez souhaite renforcer les relations Sud-Sud et relancer les dynamiques tiers-mondistes et anti[20] impérialistes en se tournant vers l’Afrique . Le Venezuela élargit son réseau diplomatique, lance des programmes de coopération dans l’éducation, la culture et la communication (TeleSur) et développe des partenariats économiques et énergétiques (PetroSur) pour aider les pays africains à sortir ensemble de leur dépendance à l’égard de l’Occident.
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Le 22 février 2013, deux semaines avant son décès, Chávez écrit une lettre d’adieu destinée à être lue aux présidents africains lors de la troisième conférence Amérique du [21] Sud-Afrique à Malabo en Guinée équatoriale . A firmant « du plus profond de [sa] conscience [que] l’Amérique du Sud et l’Afrique sont un même peuple », il rappelle l’histoire et les sacrifices de la lutte contre le colonialisme. Dans un contexte de guerre économique et d’interventions impérialistes en Afrique, et face à la menace Ajouter « extrarégionale », il invoque les mots de Simon Bolivar, « Union, union, union, cela doit
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être notre plus importante consigne », pour réa firmer la nécessité d’une coopération intergouvernementale au service des populations. Toutefois, la discrétion des présidents africains au moment de la mort de Chávez rappelle que les initiatives à destination de l’Afrique provenant des régimes sud-américains et caribéens se réclamant de la « révolution » sou frent aujourd’hui de l’absence d’interlocuteurs sur le continent africain.
Notes [a]
Mengistu avait renversé Hailé Sélassié en 1974.
[2]
Obika GRAY, Radicalism and Social Change in Jamaica, 1960-1972, University of Tennessee Press, Knoxville, 1991.
[3]
Rupert LEWIS, Walter Rodney’s Intellectual and Political Thought, Wayne State University Press, Detroit, 1998.
[4]
Michael O. WEST, « Walter Rodney and Black Power. Jamaican intelligence and US diplomacy », African Journal of Criminology & Justice Studies, vol. 1, n° 2, novembre 2005.
[5]
Sur les deux premières missions en Éthiopie et la visite d’Hailé Sélassié à Kingston, voir Giulia BONACCI, Exodus !, op. cit., p. 283-299. Voir aussi Horace G. CAMPBELL, Rasta et résistance. De Marcus Garvey à Walter Rodney, Camion blanc, Rosières-en-Hayes, 2014.
[6]
David AUSTIN, Small Axe, vol. 5, n° 2, septembre 2001. Voir aussi Walter RODNEY, The Groundings with my Brothers, Bogle Louvertures Publications, Londres, 1969.
[7]
Ralph GONSALVES, « The Rodney A fair and its a termath », Caribbean Quarterly, vol. 25, n° 3, septembre 1979, p. 1-24.
[8]
Hakim ADI et Marika SHERWOOD, Pan-African History, op. cit., p. 185-189. Voir aussi Ronald W. WALTERS, op. cit., p. 303.
[9]
Sur le nationalisme et le Black Power dans la Caraïbe, voir Dennis BENN, op. cit., p. 65102 et p. 231-263.
[10]
Marcus BRUCE et Michael TABER, Maurice Bishop Speaks. The Grenada Revolution and its Overthrow, 1979-1983, Pathfinder, New York, 1983.
[11]
Manning MARABLE, African and Caribbean Politics. From Kwame Nkrumah to the Grenada Revolution, Verso, Londres, 1987, p. 197-272.
[12]
Horace G. CAMPBELL, Pan-Africanism. The Struggle Against Imperialism and NeoColonialism : Documents of the Sixth Pan-African Congress, Afro-Carib Publications, Toronto, 1975, p. 59-70.
[13]
C.L.R. JAMES, Nkrumah and the Ghana Revolution, Allison and Busby, Londres, 1977.
[14]
Walter RODNEY, « Towards the sixth Pan-African Congress. Aspects of the Ajouter international class struggle in Africa, the Caribbean and America », in Horace
G. CAMPBELL, Pan-Africanism, op. cit., p. 18-41.
[15]
Abdias DONASCIMENTO, Brazil : Mixture or Massacre ?, The Majority Press, Dover, 1989, p. 11-13.
[16]
Abdias DONASCIMENTO, « Quilombismo. An Afro-Brazilian political alternative », Journal of Black Studies, vol. 11, n° 2, Déc. 1980, p. 151.
[17]
Luiz Fernando DO ROSÁRIO LINHARES, « Kilombos of Brazil : Identity and land entitlement », Journal of Black Studies, vol. 34, n° 6, juillet 2004, p. 817-837.
[18]
Abdias DONASCIMENTO, Brazil. Mixture or Massacre ?, op. cit., p. 23-55.
[19]
Cette demande, qui avait été proposée une première fois au congrès panafricain de 1974, n’est acceptée par l’Union africaine qu’en janvier 2013.
[20]
Camille FORITE, Chávez et l’Afrique : dix ans de politique extérieure vénézuélienne, IHEAL, Paris, 2014.
[21]
Les deux premières avaient eu lieu au Nigeria en 2006 et au Venezuela en 2009.
Plan Cuba : « Le sang africain coule abondamment dans nos veines » La Jamaïque et le tournant des « émeutes Rodney » (1968) État d’urgence à Trinidad et Tobago et révolution à la Grenade (1970-1983) La rupture du congrès panafricain de 1974 Le quilombisme et la critique des relations Afrique-Brésil Les mouvements noirs engagés pour le changement politique Vers un afro-bolivarisme ?
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21. Festivals culturels et chants de libération Amzat Boukari-Yabara Dans Africa Unite ! (2017), pages 279 à 293
Chapitre
L
e panafricanisme est un sentiment qui a été porté par des artistes qui ont montré qu’ils étaient en avance sur les visions politiques de leur époque. Ainsi, dans les années 1940, prenant le contre-pied des danses et des rythmes apportés par les colons, des sonorités africaines reviennent des Amériques. Surfant sur les vagues et les [1] re lux de l’Atlantique noir , des musiques urbaines comme la rumba congolaise ou le highlife ghanéen apparaissent dans les bars des grandes villes africaines, introduisant [2] de nouvelles formes de sociabilité et de solidarité . Dans les années 1950, le son des grands orchestres panafricains accompagne ainsi la marche vers les indépendances en célébrant avec ferveur le nom des pères et des héros de la nation, constituant la racine d’une mémoire musicale du panafricanisme.
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Débattue lors des congrès organisés par Présence africaine à Paris (1956) et à Rome (1959), puis dans le cadre de la Société africaine de culture (SAC), la politique culturelle des pays africains nouvellement indépendants prend également une dimension militante. La réappropriation et la revalorisation de l’histoire et des cultures précoloniales correspondent e fectivement à des objectifs fixés par des révolutionnaires comme Fanon ou Cabral.
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Ainsi, l’intérêt des festivals culturels nègres ou panafricains qui se déroulent ensuite à Dakar (1966), Alger (1969) et Lagos (1977) est que, en dépit de leur caractère ponctuel, ils réunissent des Africains autour de questions essentielles comme l’utilisation des langues africaines ou la création comme moyen de lutter. Ces festivals divisent
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également les artistes sur des lignes idéologiques intra-panafricaines. En e fet, l’OUA, qui attend 1976 pour rédiger une Charte culturelle de l’Afrique, laisse à chaque État l’initiative de mener sa politique culturelle selon ses moyens et son ambition.
Festivals culturels et organisations scientifiques panafricains Du 1er au 21 avril 1966, sous l’égide du président sénégalais Senghor, des écrivains, des artistes, des troupes de danse, de théâtre, de musique d’Afrique, des Amériques et de la Caraïbe se retrouvent à Dakar à l’occasion du Festival mondial des arts nègres (FESMAN). L’intitulé thématique du FESMAN est : « Fonction et importance de l’art nègre et africain pour les peuples et dans la vie des peuples ». Dans la lignée des travaux posés par la SAC, le FESMAN est l’occasion de dresser un vaste panorama des formes de créativité de l’Afrique et de la diaspora, et de plaider pour une coopération culturelle et scientifique.
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Néanmoins, la rencontre ne fait pas l’unanimité, et une divergence de fond apparaît entre Senghor et Césaire. Dès le discours d’ouverture, Senghor rappelle qu’il a voulu [3] organiser ce festival « pour la défense et l’illustration de la négritude ». Aimé Césaire lui répond dans son allocution que le mot « négritude » est une « notion de divisions » quand il n’est pas remis dans le contexte historique des années 1930 et 1940. Pour Césaire, avant de demander aux artistes de « travailler à sauver l’art africain », les politiques doivent d’abord faire de la « bonne politique africaine », pour « une Afrique où il y a encore des raisons d’espérer, des moyens de s’accomplir, des raisons d’être [4] fiers […] ». Dénonçant la dérive bureaucratique et l’endoctrinement idéologique qui gangrène les politiques culturelles en Afrique, Césaire se fait le porte-parole de tous ceux qui réclament une certaine liberté politique et matérielle pour que l’Afrique puisse développer sa propre expertise en matière artistique.
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À ces réserves, il convient d’ajouter les critiques adressées à Senghor par une opposition sénégalaise communiste persécutée, le boycott de pays essentiels comme Cuba, ainsi que la Guinée-Conakry qui dénonce un « Festival des sales nègres ». D’autres artistes et militants comme le chanteur afro-américain Paul Robeson et la chanteuse sud-africaine Miriam Makeba refusent également de cautionner un événement qui donne du crédit à un régime sénégalais qu’ils jugent conservateur, anticommuniste et néocolonialiste.
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Par ailleurs, la motivation des pays arabes est trouble. Outre les Émirats arabes unis (EAU), la Tunisie de Bourguiba inscrit sa participation davantage dans le cadre de la diplomatie francophone que dans l’intérêt pour le monde nègre. Quant au Maroc d’Hassan II, en con lit frontalier avec l’Algérie, il voit dans cet événement une occasion d’isoler Alger. En e fet, seule la chanteuse algérienne Taos Amrouche est présente,
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contre l’avis des autorités algériennes qui boycottent le FESMAN. Au-delà des décisions prises par Hassan II et Bourguiba, les artistes et les citoyens des pays nord-africains se reconnaissent à ce moment davantage dans le panarabisme ou même le panafricanisme que dans la négritude et l’unité raciale. En réponse à Dakar, le Festival panafricain (FESPAN) d’Alger du 21 juillet au 1er août 1969 invite l’ensemble du continent – à l’exception des régimes racistes et colonialistes – et la diaspora à se rencontrer et se découvrir. Alger, qui héberge plusieurs mouvements de libération ainsi que le siège de l’organisation afro-américaine des Panthères noires, [5] assume pleinement sa position de ville continentale et internationaliste . Au terme de débats engagés, un Manifeste culturel panafricain de l’OUA est produit pour souligner le rôle de la culture dans les luttes de libération et de désaliénation, ainsi que dans le développement économique et social.
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Le Manifeste établit ainsi une liste de quarante propositions : la réalisation d’une encyclopédie scientifique et littéraire africaine, la promotion de la médecine traditionnelle et de la pharmacopée africaines expurgées de leurs formes ésotériques, la création d’un Institut panafricain du cinéma, de maisons d’édition et de distribution (livres, disques, presse), la protection de la propriété intellectuelle, ou encore un programme pour éviter la « fuite des compétences » et pour assurer une alphabétisation [6] massive .
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Pour donner suite au Manifeste, et pour soutenir une industrie africaine du film engagée sur des problématiques politiques et socioculturelles peu rentables dans des contextes [a] autoritaires, le Festival panafricain du cinéma de Ouagadougou (FESPACO) , lancé par un groupe de cinéphiles en 1969, prend son essor en 1972 lorsque les autorités voltaïques décident de le soutenir et d’en faire un rendez-vous majeur à l’échelle continentale. C’est en 1972 également que l’Association des historiens africains est établie sous la direction de l’historien malien Sékéné Mody Cissoko, puis présidée de 1975 à 2005 par son collègue burkinabé Joseph Ki-Zerbo. Après avoir publié en 1972 la première synthèse globale d’Histoire de l’Afrique noire, Ki-Zerbo est également l’un des maîtres d’œuvre du projet monumental de l’Histoire générale de l’Afrique, initié pendant le long mandat de directeur général de l’UNESCO du Sénégalais Amadou Mohtar M’Bow. La contribution au projet de l’Histoire générale est en e fet la quarantième et dernière proposition du Manifeste d’Alger. En réalité, les huit volumes de cette Histoire qui sont publiés en anglais, en français et en arabe, puis traduits dans une dizaine de langues, dont trois langues africaines (peul, haoussa, kiswahili), s’inscrivent dans un cadre scientifique, culturel et politique plus vaste, lancé par l’UNESCO dès 1952 avec le projet de rédiger une « Histoire de l’humanité ».
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Bénéficiant de la dynamique institutionnelle, le Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique (CODESRIA), créé en 1973 à Dakar, coordonne des travaux scientifiques collectifs et plurilingues à travers le continent. La littérature africaine est de plus en plus reconnue et étudiée dans les grandes universités nordaméricaines, grâce à l’expertise d’intellectuels souvent contraints à l’exil par les régimes réactionnaires africains. Dans les plus grands musées, les collections d’art africain continuent à drainer un public européen de plus en plus fasciné par les cultures du continent (parfois excessivement exotisées…). Des intellectuels comme Marcien Towa, Paulin Hountondji ou Valentin Mudimbe articulent une pensée et des sciences adaptées à la condition africaine, avec des travaux sur la tradition orale, la linguistique et la philosophie critique de la libération.
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Onze ans après Dakar, du 15 janvier au 12 février 1977, un second Festival des arts et de la [8] culture (FESTAC) est organisé à Lagos, avec un accent mis sur la civilisation noire . Le FESTAC confirme que l’ouverture raciale et anti-impérialiste présente à Alger en 1969 a disparu au profit d’une mise en scène servant les autorités locales. Organisé par le régime militaire d’Olusegun Obasanjo, le FESTAC est critiqué par l’opposition nigériane et par les militants panafricains radicaux. Néanmoins, plus de sept cents délégués venus d’une cinquantaine de pays d’Afrique et de la diaspora proposent des communications scientifiques. La réforme de l’enseignement et du système éducatif est abordée à partir d’une ré lexion sur les langues africaines, sur l’histoire de l’art africain et le rôle de l’artiste dans la société africaine. Cependant, d’Alger à Lagos en passant par Kingston, ce sont des musiciens de renommée internationale qui constituent l’avant-garde culturelle d’un panafricanisme de résistance anti-impérialiste.
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« Africa Unite ! » : du rastafarisme à Bob Marley Mélange de musiques africaines, caribéennes et américaines, ancrée dans une conscience historique et une foi tournée vers l’Afrique, le reggae est probablement la [9] musique qui a le plus di fusé la pensée panafricaine . L’évolution politique et sociale de cette musique est intimement liée à l’in luence du garveyisme et de la philosophie du [10] mouvement rastafari . En 1930, le couronnement d’Hailé Sélassié en Éthiopie ravive en Jamaïque et dans toute la Caraïbe le thème du retour en Afrique, incarné par une [11] longue lignée de leaders charismatiques dont le « premier rasta », Leonard Howell , et le « Moïse noir », Marcus Garvey. Dans la foulée, l’agression de l’Éthiopie par l’Italie fasciste renforce la vision binaire de la lutte du Bien contre le Mal (Babylone).
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Des années 1930 aux années 1960, le mouvement rastafari subit des persécutions de la part des autorités coloniales puis néocoloniales de la Jamaïque, qui reprochent l’esprit de liberté et de résistance de cette communauté qui ne cesse de valoriser l’héritage
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africain. Dans les années 1950, en remerciement à leur mobilisation pendant la guerre, des terres sont données par Hailé Sélassié aux Noirs du monde entier souhaitant venir vivre à Shashemene, en Éthiopie. Le tournant intervient véritablement en 1966, lorsque le monarque éthiopien vient en visite o ficielle à la Jamaïque. Plus de cent mille rastas accourent pour le voir, et sabordent le protocole o ficiel. Les autorités prennent alors conscience de la force politique et sociale du mouvement rastafari. En réaction à cette visite d’Hailé Sélassié, mais également sous l’in luence de la révolution cubaine, des indépendances africaines, de l’essor du mouvement Black Power aux États-Unis et des luttes contre le racisme menées par les diasporas jamaïcaines en Angleterre et en Amérique du Nord, la musique reggae se radicalise. Les thèmes historiques étaient déjà chantés, comme en 1955, avec la chanson Ethiopia de Lord Lebby qui inaugure la discographie du retour en Afrique. Des artistes et des groupes comme Burning Spear, Black Uhuru, Gregory Isaacs ou les Wailers revisitent les sonorités du nyabinghi, une musique de percussion purement africaine incarnée par le groupe de Count Ossie, les Mystic Revelation of Rastafari. Au croisement de ces in luences, Bob Marley, natif de St. Ann, la même paroisse que Marcus Garvey, va changer la manière de chanter l’Afrique.
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En posant des textes durs sur des mélodies douces, apportant une foi en la possibilité d’une humanité meilleure mais une critique sans concession des systèmes fondés sur l’oppression, le reggae de Bob Marley va ouvrir de nouveaux horizons. En reprenant en musique un discours prononcé le 28 février 1968 à l’ONU par Hailé Sélassié, Bob Marley déclare la guerre au racisme et au colonialisme. La chanson War devient immédiatement un hymne de ralliement pour la jeunesse et les combattants africains. Mieux, à l’instar de la chanson Jah Live, composée en 1975, Marley renforce le mythe de l’immortalité d’Hailé Sélassié, disparu un an plus tôt.
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C’est en 1977, depuis les studios londoniens d’Island Records, que Bob Marley chante cette fois-ci l’idéologie du retour en Afrique. La chanson Exodus, extrait de l’album éponyme qui sera d’ailleurs consacré « album du siècle » par le magazine américain Time, retrace ainsi l’errance des peuples africains en quête de la Terre promise, en reprenant ce parallèle avec le peuple élu. Lors de son voyage en Éthiopie en 1978, Marley compose la chanson Zimbabwe, le titre phare de son album Survival, entièrement consacré à l’Afrique. En lien avec la pochette qui aligne les drapeaux des États africains, [12] la chanson Africa Unite appelle à la réconciliation des peuples d’origine africaine .
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Marley se produit sur scène pour réaliser l’unité. D’abord lors du One Love Peace Concert d’avril 1978 en Jamaïque, lorsqu’il pousse Michael Manley et Edward Seaga, les leaders des deux partis politiques qui entretiennent un climat de violence, à monter sur scène et à se serrer la main en plein concert. Et puis, le grand moment, deux ans plus tard, aux cérémonies de l’indépendance du Zimbabwe. La présence de Marley au Rufaro
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Stadium le 17 avril 1980 attire des Africains de tout le continent, venus voir le porteparole des damnés de la terre, celui qui ose défier l’impérialisme dans chacun de ces albums. Le concert de Marley à Harare, capitale du Zimbabwe, est sans doute le symbole musical le plus important de l’histoire des luttes de libération. Dans Redemption Song, une ultime chanson qui sonne comme un testament un an avant sa propre mort, Marley, qui avait déjà prophétisé la libération du Zimbabwe, capture l’essence d’un peuple déshumanisé par la traite et l’esclavage, mais toujours prêt à se battre pour réaliser son salut. Il encourage cette fois-ci les combattants africains à défier la menace nucléaire brandie par l’Afrique du Sud, et à se lever contre les impérialistes qui assassinent un à un les prophètes de la libération.
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Fela Kuti place l’Afrique au « centre du monde » La popularité de Bob Marley en Afrique est immense, mais il n’est pas unique. En 1977, alors que le régime militaire d’Obasanjo organise à Lagos le FESTAC, le chanteur Fela Anikulapo (« celui qui porte la mort dans sa poche ») Kuti décide d’organiser un contrefestival pour les pauvres dans sa république de Kalakuta. L’objectif est de montrer l’envers du décor installé par un régime corrompu. En attaquant directement le pouvoir, Fela Kuti et ses proches font l’objet de persécutions et de représailles qui montrent la di ficulté d’être un artiste politiquement engagé et indépendant en Afrique.
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Fela, qui est né en 1938 dans une famille politiquement engagée, d’origine yoruba, part [13] étudier la médecine en Angleterre, avant de se réorienter sur des études de musique . En cela, il appartient à cette minorité consciente qui décide de renoncer aux privilèges pour exprimer les aspirations populaires. À Londres, il fonde un premier groupe qui joue un mélange de jazz et de highlife, cette musique ghanéenne qui circule dans toute l’Afrique de l’Ouest. Lorsque la guerre du Biafra éclate au Nigeria en 1967, Fela part au Ghana, où il trouve les bases de l’afrobeat et des vestiges de l’ère panafricaine de Nkrumah.
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En mélangeant le jazz et le highlife, puis en ajoutant des sonorités venues de la musique yoruba, des percussions et du funk noirs américains, Fela produit une musique de transe, avec des accents psychédéliques, rythmée par des chants et par des dialogues. À la manière des gospels et des spirituals, le chanteur nigérian utilise un jeu d’appels et de réponses avec les choristes, donnant ainsi une musique polyrythmique. Lors d’une tournée américaine, il découvre les thèses de Malcolm X et du Black Power. Avec son groupe des Nigeria Africa 70’s, il intègre le rythm’n’blues afro-américain pour compléter
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sa musique. L’afrobeat devient alors la musique panafricaine par excellence, réunissant toutes les in luences afro-américaines à l’intérieur d’un rythme yoruba, et sur des paroles chantées dans la langue du peuple nigérian, le pidgin. À son retour des États-Unis, le chanteur se consacre aux questions sociales et politiques, comme en témoignent ses albums Zombie (1977) et Black President (1981), fonde son propre parti politique (Movement of the People) et ouvre un studio d’enregistrement qui devient le centre de son territoire, qu’il baptise « République libre de Kalakuta ». Avec beaucoup de cran, il annonce que Kalakuta est un territoire indépendant du Nigeria, avec ses propres lois. Il y fait construire sa propre salle, l’Afrika Shrine (shrine signifiant « lieu de pèlerinage »), qui devient un lieu incontournable de la scène musicale africaine et internationale. Déjouant le système capitaliste de l’industrie musicale en fondant sa renommée sur des concerts, il crée autour de lui une communauté panafricaine qui inquiète de plus en plus le régime militaire nigérian. Emprisonné et persécuté à plusieurs reprises, Fela n’abandonne pas la cause. Avec son nouveau groupe, les Egypt 80’s, dont le nom témoigne de son évolution vers l’afrocentrisme, il compose avec le vibraphoniste afro-américain Roy Ayers un album intitulé Africa, Center of the World (« Afrique, centre du monde »). Aucun doute, Fela, en mélangeant les in luences musicales pour créer l’afrobeat, mélange également les références idéologiques et politiques de l’afrocentrisme, du panafricanisme et du nationalisme noir, avec une satire sociale qui n’épargne aucun puissant, et qui le rend extrêmement populaire.
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En 1984, la junte militaire de Muhammadu Buhari, qui dirige alors le Nigeria, accentue les pressions sur le chanteur, qui est emprisonné pendant un an, puis relâché à la suite d’une mobilisation internationale. Fela rejoint alors Makeba et les nombreux autres artistes qui consacrent un album et des tournées à la lutte contre l’apartheid. Malade, réduit au silence sous la junte militaire de Sani Abacha, Fela Kuti, qui est peut-être l’artiste africain le plus in luent de son époque, décède le 2 août 1997. Plus d’un million de personnes assistent à ses funérailles. Comme Bob Marley, Fela Kuti a chanté en soutien aux mouvements de libération africains, faisant applaudir le projet d’États-Unis d’Afrique de Nkrumah et la philosophie du Black Power.
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Miriam Makeba, la voix du panafricanisme En 1963, une jeune femme à peine trentenaire prend la parole à la tribune des Nations unies pour dénoncer l’apartheid et demander aux dirigeants du monde entier de faire pression sur le régime de Pretoria. Miriam Makeba est alors une chanteuse de plus en plus populaire dans l’industrie musicale. Native d’une banlieue populaire de Johannesburg où elle s’imprègne des ambiances musicales de jazz, de kwela et de marabi, Makeba découvre les conditions de vie du prolétariat noir des années 1950,
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confronté à l’oppression de l’apartheid. Devenant la voix de plusieurs groupes masculins aux noms évocateurs (Cuban Brothers, Manhattan Brothers), elle a l’occasion de partir en tournée en Afrique australe, puis de participer à de nombreux projets artistiques, dont l’un va la conduire à quitter son pays. En e fet, jouant son propre rôle dans le film tourné de manière clandestine par Lionel Rogosin, Come Back, Africa, elle est invitée par le réalisateur américain à assister à la projection prévue au Festival du film de Venise. Alors qu’elle commence à devenir une star en Afrique du Sud, Makeba, la seule passagère noire à bord d’un vol de la South African Airways en direction d’Amsterdam, quitte sa terre natale en survolant tout le continent africain. Depuis l’Europe, elle gagne ensuite les États-Unis au début des années 1960.
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Si les débuts de sa carrière américaine sont réussis, Miriam Makeba ne délaisse pas pour autant l’engagement politique. Refusant de fuir l’apartheid sud-africain pour subir la ségrégation raciale américaine, elle s’engage dans le mouvement pour les droits civiques et contre le régime de Pretoria. Au lendemain de sa prise de parole à l’ONU le 16 juillet 1963, à l’invitation du Comité spécial contre l’apartheid, ses disques sont retirés de la vente dans son pays.
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Toutefois, cette censure n’est rien en regard de la vague de soutien dont elle bénéficie : Kwame Nkrumah, Sékou Touré, Amílcar Cabral et Eduardo Mondlane la félicitent. D’autres n’avaient pas attendu le discours à l’ONU, à l’instar du dirigeant kényan Tom Mboya qui, constatant qu’elle n’a plus de passeport pour voyager, lui procure dès 1962 un visa d’entrée exceptionnel pour revenir en Afrique. Makeba part au Kenya, puis en Tanzanie où l’enthousiasme avec lequel le président Nyerere lui remet un passeport lui donne « pour la première fois [cette] impression de ne pas être une Sud-Africaine mais [14] d’être une Africaine ».
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Miriam Makeba est logiquement invitée à chanter à l’occasion de la création de l’OUA à Addis-Abeba en mai 1963. Interprétant une chanson éthiopienne, elle touche la fibre panafricaine de l’empereur Hailé Sélassié, tout en captivant des présidents aussi conservateurs que Senghor et Houphouët-Boigny. De retour de la célébration de l’indépendance du Kenya en décembre 1963, elle répond favorablement à une invitation du président ivoirien, avant d’e fectuer, à l’invitation des autres dirigeants l’une de ses nombreuses tournées sur le continent africain, Maghreb compris. Car Nasser et Bourguiba, tout comme les dirigeants algériens, sont fascinés par cette chanteuse sudafricaine capable d’interpréter des chansons populaires dans toutes les langues africaines de son pays, mais également en arabe, en anglais, en français, en portugais, en espagnol, en italien et même, plus problématique, en hébreu. Avec talent, Makeba
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reprend également des chansons populaires du monde entier, et elle les interprète dans des langues africaines, pour montrer l’universalité de son message et toucher le plus grand nombre de personnes. Polyglotte, elle milite cependant très clairement pour l’adoption d’une langue africaine comme outil de communication. Le choix de Makeba de chanter dans les langues africaines est à la fois la plus belle preuve de son engagement pour la valorisation des cultures africaines, mais également un appel aux Africains à trouver une langue commune pour se comprendre les uns les autres. Avec entrain, Makeba appelle les jeunes Africains à écrire à l’OUA pour demander aux chefs d’État de se mettre d’accord pour qu’une seule langue africaine soit enseignée dans toutes les écoles du continent, sans négliger pour autant les langues locales et nationales, afin que les Africains colonisés par des métropoles di férentes puissent s’entendre entre eux.
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Lors de son passage à Addis-Abeba, Makeba ne se contente pas de chanter. Loin du stéréotype de la star qui ne connaîtrait rien des enjeux géopolitiques, elle veut voir la réalisation du rêve de l’unité africaine. Néanmoins, elle retient avec déception la mise en minorité de Nkrumah, puis elle reçoit à son hôtel un livre dédicacé par le président guinéen Sékou Touré. Lorsqu’elle revient aux États-Unis, les délégués guinéens à l’ONU deviennent ses plus fidèles soutiens.
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Artiste confirmée, Miriam Makeba est la première femme noire à obtenir, en 1965, un Grammy Awards pour son album avec Harry Belafonte, artiste noir américain particulièrement engagé dans le mouvement pour les droits civiques. Elle multiplie les disques et les tubes, notamment le fameux Pata Pata, qu’elle a composé en 1956 mais qui ne s’envole dans les charts qu’en 1967. Limiter la carrière de Makeba à cette chanson, aussi bien rythmée soit-elle, est sans doute révélateur de la volonté de ne pas promouvoir les chansons bien plus engagées qu’elle a consacrées à Jomo Kenyatta, Patrice Lumumba, Sékou Touré, Malcolm X ou Samora Machel. Pata Pata a néanmoins le mérite de lui assurer une célébrité, en servant de chanson promotionnelle pour réaliser des tournées dans le monde entier.
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Le courage de Makeba lui attire également les soutiens des plus grandes figures américaines de l’époque, notamment l’acteur Marlon Brando et le boxeur Mohamed Ali, et bien sûr les leaders noirs américains. Mais au moment où une polémique éclate à la suite d’une chanson qu’elle interprète en hébreu juste après la guerre des Six-Jours entre Israël et l’Égypte, Makeba choisit de repartir vivre plusieurs mois dans des pays africains (Guinée, Liberia, Tanzanie). Lorsqu’elle arrive à Dar es Salaam, le disciple de Malcolm X, Stokely Carmichael, est présent, en train de mener une tournée auprès des forces de libération africaines. Au printemps 1968, ils se retrouvent ensuite aux États-Unis, où ils décident de se marier.
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La rencontre avec Carmichael renforce sa sensibilité au nationalisme noir. Makeba devient une représentation de la « Beauté noire » tout en se défendant d’avoir voulu lancer une quelconque mode. À ses yeux, elle ne fait qu’être elle-même. Pourtant, les autres femmes noires se mettent à imiter son style, à laisser tout simplement leurs cheveux au naturel. Makeba désaliène et décomplexe les femmes noires en montrant qu’une star internationale peut simplement leur ressembler.
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Malgré son statut de star, elle est victime, à la fin des années 1960, de la répression qui frappe les militants afro-américains. Victime de pressions sur sa carrière en raison de son union avec un homme traqué par le FBI, Makeba choisit de s’installer avec Carmichael en Guinée, tout en gardant des liens aux États-Unis. Admirant le courage du président guinéen, Makeba adopte la culture de ce pays dont elle devient une ressortissante à part entière, réalisant encore une fois dans la pratique un principe du panafricanisme. Alors que son époux étudie auprès de Nkrumah, Makeba reprend ses tournées internationales, notamment en compagnie du Ballet de Guinée. Ainsi, lors des Jeux panafricains d’Alger de 1978, elle interprète en arabe la chanson Ifriqyia, un hymne au continent introduit par un couplet vantant l’Algérie révolutionnaire. Face au public qui exulte, les autorités comprennent qu’elles ont eu raison de donner la nationalité algérienne à cette artiste engagée qui chante la libération et l’unité continentale d’Alger au Cap.
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Entre répression… et « world music » Au cours des années 1960 et 1970, Miriam Makeba ou Bob Marley chantent, mais ils entretiennent aussi des relations privilégiées avec les grandes figures de l’histoire panafricaine. En cela, ils parviennent à redonner de la chair et de l’éclat à un mouvement en perte de vitesse. Surtout, alors que les révolutions progressistes échouent, que les frontières se ferment sous le poids des con lits et des crises, leur musique arme la résistance. Le reggae jamaïcain chargé de l’histoire de la traite et de l’esclavage, puis le rap, porteur d’une certaine contestation antiraciste et anticolonialiste, investissent le cœur des métropoles occidentales.
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Sur le continent, alors que les musiques éthiopienne et congolaise ne connaissent pas de frontières, les orchestres nationaux deviennent panafricains à Abidjan ou Conakry. Les répressions politiques amènent les musiciens exilés à ouvrir des scènes panafricaines à Londres, Paris ou New York, tandis que les musiques afro-américaines comme le jazz et le gospel reviennent en Afrique, dans le sillage d’un vaste projet culturel de l’UNESCO, baptisé la « Route de l’esclave », cherchant à valoriser les lieux de mémoire de la traite sur la côte ouest-africaine.
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Un demi-siècle après Joseph Kabasellé, qui immortalise Lumumba dans Indépendance Chacha, ou Franklin Boukaka, qui chante Les Immortels en hommage aux martyrs de la révolution africaine, de nouvelles générations d’artistes qui n’ont pas connu la période des indépendances émergent. Particulièrement denses, les pratiques culturelles (musique, littérature, cinéma…) qui prennent leur source dans le panafricanisme ou qui construisent le panafricanisme comme objet n’ont probablement pas fini d’incarner une résistance éclectique du monde noir.
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Cependant, la disparition progressive des grandes figures nationalistes et panafricanistes et l’e fet dissolvant des crises économiques ont entraîné une dépolitisation des populations. La baisse de l’écoute de la musique panafricaine engagée, souvent plus e ficace que des longs discours, a coïncidé avec le développement des chansons de propagande nationaliste. Sous le poids de l’industrie musicale et des radios occidentales quadrillant l’Afrique (RFI, BBC, Voice of America), la musique africaine militante s’est diluée dans la « musique du monde » (world music). Du point de vue technique, la radio reste le média roi en Afrique, mais l’accès de plus en plus individualisé à la musique à travers les réseaux sociaux semble remplacer les grandes messes musicales panafricaines par des communautés virtuelles trop souvent apolitiques.
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Enfin, de plus en plus d’artistes d’origine africaine, mais également européenne et sudaméricaine, formés ou « découverts » en Occident, retournent ou se tournent vers l’Afrique pour y trouver leur inspiration. Si cela prend parfois la forme du plagiat, des artistes engagés, notamment dans le hip-hop et le reggae, musiques qui se revendiquent d’une forme de résistance, combattent cette évolution afin de redonner au panafricanisme une musique digne de son histoire. L’artiste sénégalais Didier Awadi consacre ainsi tout son album Présidents d’Afrique aux grands leaders panafricains. Au sein même de la musique du monde, l’artiste béninoise Angélique Kidjo reprend par exemple les classiques de la musique noire (Miriam Makeba, Nina Simone, Bella Bellow, Jimi Hendrix, Gilberto Gil) en y réintégrant un sou le panafricain. Au service de causes sociales progressistes, cette musique remobilise et responsabilise les Africains sans tomber dans la nostalgie d’un âge d’or.
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Notes [1]
Paul GILROY, L’Atlantique noir, Amsterdam, Paris, 2010. Carlos AGUDELO, Capucine BOIDIN et Livio SANSONE (dir.), Autour de l’« Atlantique noir », IHEAL, Paris, 2009.
[2]
Tsisti Ella JAJI, Africa in Stereo. Modernism, Music, and Pan-African Solidarity, Oxford University Press, New York, 2014.
[3]
Cité in OIF, Le Mouvement panafricaniste…, op. cit., p. 391.
[4]
Ibid., p. 395-403.
[5]
Vijay PRASHAD, op. cit., p. 157-174.
[6]
OIF, Le Mouvement panafricaniste…, op. cit., p. 405-418.
[a]
Il sera renommé par la suite Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou, mais conserve son acronyme.
[8]
Toyin FALOLA, Key Events in African History, op. cit., p. 281-288.
[9]
Lloyd BRADLEY, Bass Culture : quand le reggae était roi, Allia, Paris, 2005.
[10]
Barry CHEVANNES, Rastafari : Roots and Ideology, UWI Press, Kingston, 1995.
[11]
Hélène LEE, Le Premier Rasta, Flammarion, Paris, 1999.
[12]
Adebayo OJO, Bob Marley l’Africain. Une révolution africaine, Scali, Paris, 2008.
[13]
Mabinuori K. IDOWU, Fela. Le combattant, Le Castor astral, Paris, 2002.
[14]
Miriam MAKEBA, Myriam Makeba. Une voix pour l’Afrique, Nouvelles éditions africaines, Abidjan, 1988, p. 143.
Plan Festivals culturels et organisations scientifiques panafricains « Africa Unite ! » : du rastafarisme à Bob Marley Fela Kuti place l’Afrique au « centre du monde » Miriam Makeba, la voix du panafricanisme Entre répression… et « world music »
22. Un héritier visionnaire. Thomas Sankara et la quête de la « seconde indépendance » Amzat Boukari-Yabara Dans Africa Unite ! (2017), pages 294 à 306
Chapitre
D
ans les années 1970 et 1980, le continent africain est frappé de plein fouet par ce que l’on a coutume d’appeler la « crise de la dette ». S’étant vu proposer des prêts massifs dans les premières années de leur indépendance, et notamment après le premier choc pétrolier de 1973, nombre de ces pays se voient contraints, par leurs créanciers, de réformer drastiquement leurs systèmes économiques pour se mettre en capacité de rembourser leurs dettes. Les uns après les autres, les gouvernements africains doivent mettre en œuvre des Plans d’ajustement structurel (PAS) concoctés pour eux par les institutions financières internationales (IFI) : Banque mondiale, Fonds monétaire international (FMI), etc. En déléguant à ces organismes internationaux, et aux pays qui les contrôlent, l’expertise et la validation de ces réformes, l’Afrique des [1] années 1980 devient « le continent des plans économiques ».
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Alors qu’aucun pays, ou presque, n’a réussi à échapper au système de prédation néocolonial dans les années 1960 et 1970, le continent devient le laboratoire du néolibéralisme, considéré par certains observateurs comme une nouvelle forme de colonisation. Les PAS, qui cherchent à « rationaliser » les systèmes économiques et institutionnels des pays qui y sont soumis, obligent en e fet ces derniers à renforcer leur intégration dans le système économique mondial, à réduire drastiquement les dépenses publiques, à privatiser nombre d’équipements stratégiques et à ouvrir leurs marchés
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nationaux à la concurrence et aux investisseurs étrangers. Cette politique, qui accroît la dépendance – notamment alimentaire – des pays africains, provoque d’innombrables con lits sociaux et un appauvrissement généralisé des populations locales. C’est dans ce contexte que Thomas Sankara, jeune militaire âgé de trente-quatre ans, prend le pouvoir en Haute-Volta, qu’il rebaptise Burkina Faso (le « pays des hommes intègres » en langues mooré et dioula) et qu’il dote d’un nouveau drapeau, avec deux [2] bandes horizontales rouge et verte frappées de l’étoile révolutionnaire . Héritier de la tradition panafricaine progressiste portée successivement, dans la période précédente, par Nkrumah, Fanon, Cabral ou Nyerere, et du courant internationaliste révolutionnaire, incarné notamment par Che Guevara, il remet en cause avec une fougue et une lucidité étonnantes, les mécanismes économique, politique et culturel qui empêchent les peuples africains de sortir de la dépendance dans laquelle ils se débattent depuis que leurs pays sont considérés comme « indépendants ».
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On ne peut pas se faire développer par autrui Dans leurs écrits, Kwame Nkrumah et Cheikh Anta Diop expliquent l’intérêt de mutualiser les ressources financières, humaines et matérielles du continent pour mener une politique de développement menant à l’autosu fisance, voire à l’exportation de produits africains vers le reste du monde. L’Afrique dispose en e fet de toutes les sources d’énergie, de tous les minerais et de tous les climats propices pour constituer une puissance agricole, minière et industrielle. Cependant, elle ne peut y parvenir qu’en sortant du système concurrentiel d’inspiration libérale qui empêche les États de coordonner leurs politiques économiques et leurs e forts productifs. Ainsi, l’économiste camerounais Osende Afana – par ailleurs militant de l’UPC – note que les pays ouestafricains dépendants de la monoculture du cacao doivent passer d’une concurrence stérile organisée par le marché international à une complémentarité inscrite dans un [3] marché intra-africain .
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Dans How Europe Underdeveloped Africa, Walter Rodney souligne pour sa part que les sociétés africaines, peu hiérarchisées avant l’arrivée des Européens, n’avaient aucune raison d’embrasser volontairement un système générateur d’inégalités comme le capitalisme. C’est leur entrée forcée dans l’économie esclavagiste et coloniale qui, engendrant de nouvelles inégalités, a transformé les Africains en une classe de travailleurs exploités et dominés à l’échelle internationale. Aussi, l’économie classique qui régule le système néocolonial feint d’ignorer que l’organisation économique et commerciale de l’Afrique actuelle n’est pas le résultat d’un processus de développement
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traditionnel, c’est-à-dire propre à l’historicité des sociétés africaines, mais bien le résultat des contradictions héritées de la période coloniale et perpétuées après les indépendances. Constatant que les « modèles de développement » imposés par leurs créanciers, qui postulent que l’Afrique ne pourra se développer qu’en suivant les étapes qu’ont franchies avant elle l’Europe et les États-Unis, sont erronés, de nombreux gouvernements africains s’étaient tournés vers le modèle soviétique. D’autres, conscients que le système soviétique ne fonctionnait pas davantage, tentent d’élaborer des modèles de développement endogènes. C’est notamment ce qu’a tenté Julius Nyerere à la fin des années 1960, avec – comme il le reconnaîtra plus tard – assez peu de succès. C’est également dans cette filiation que l’on peut classer Thomas Sankara, qui s’installe au pouvoir en Haute-Volta, au début des années 1980. Comme Nyerere, Sankara pense que l’Afrique doit apprendre à se battre avec ses propres armes.
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Formé à l’Académie militaire d’Antsirabé à Madagascar au début des années 1970, Sankara devient un lieutenant populaire au sein de l’armée de la Haute-Volta. Nommé secrétaire d’État à l’Information en septembre 1981, il démissionne au bout de sept mois en lançant une formule cinglante : « Malheur à ceux qui bâillonnent le peuple ! » Devenu Premier ministre en janvier 1983, il prononce un discours contre le néocolonialisme lors du sommet des pays non alignés à New Delhi, puis commet l’erreur diplomatique, aux yeux de la France, de recevoir le colonel Mouammar Kadhafi à Ouagadougou en avril. Le mois suivant, il est mis aux arrêts, avant de revenir au pouvoir à la faveur d’un coup d’État militaire le 4 août 1983. Très vite, il engage son pays dans la dynamique des expériences révolutionnaires menées en Afrique et en Amérique du Sud.
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Annonçant « une société nouvelle, débarrassée de l’injustice sociale et de la domination [4] impérialiste », la révolution burkinabé vise d’abord une transformation des mentalités et de la conscience nationale. En voyant que 40 % du budget national dépend de l’aide française, Sankara souligne dans ses discours qu’un pays ne peut pas se faire développer par autrui sans perdre son identité. Il décide de limiter les crédits et l’aide extérieure pour favoriser le développement endogène en imposant à son peuple une austérité doublée d’une mobilisation politique.
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À une époque où les pays africains sont gangrenés par la corruption et que leurs dirigeants multiplient les dépenses de prestige, Sankara décide d’en finir avec le luxe ostentatoire et les privilèges matériels liés aux fonctions publiques et politiques. Dans tout le pays, des comités de défense de la révolution (CDR) – qui ne sont pas sans rappeler ceux qu’a mis en place le régime castriste à Cuba – organisent des débats politiques, tandis que des structures agricoles, commerciales et économiques sont créées au sein de la population. La révolution sankariste invite ainsi les Burkinabés au patriotisme économique. Le mot d’ordre nationaliste de « l’Afrique aux Africains » se
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décline alors dans la sphère économique et dans une optique anti-impérialiste : « Consommons ce que nous produisons et produisons ce que nous consommons. » Consommer burkinabé devient un acte de résistance qui permet de développer l’agriculture locale et de réduire les crédits ou l’aide liée aux importations. En encourageant le port du tissu traditionnel, le faso dan fani, la révolution permet à des milliers de femmes de trouver une activité professionnelle dans le tissage. Ponctuant chacun de ses discours de la nouvelle devise, « La patrie ou la mort, nous vaincrons ! » (lui aussi inspiré par la révolution cubaine), Sankara estime que les Africains doivent réapprendre à aimer leur continent, et à en être fiers. Pour les Africains, comme pour les Noirs revenus des Amériques, ce contact avec la terre maternelle est essentiel pour s’enraciner et s’ouvrir au monde. Pour Sankara, cette problématique implique évidemment une réforme agraire et une redistribution des terres pour que les revenus agricoles profitent au plus grand nombre. Mais elle porte également une dimension environnementale. Pays enclavé, aride, sans grandes richesses minières, soumis à des sécheresses et des pénuries alimentaires, le Burkina Faso de Sankara devient le premier pays africain à mener le combat contre la dégradation des sols, la déforestation, l’avancée du désert et les conséquences de [5] l’industrialisation et de l’urbanisation sur le développement et l’environnement . [6] A firmant que « l’impérialisme est le pyromane de nos forêts et de nos savanes », il crée l’un des tout premiers ministères d’Afrique dédiés à l’environnement et lance des campagnes nationales de lutte contre la coupe abusive des bois, les feux de brousse et la divagation des animaux.
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Pour construire le « pays des hommes intègres », Sankara popularise la pratique du sport et des arts, en a firmant notamment, en référence au FESPACO, que la lutte pour « conquérir nos écrans » requiert d’occuper l’espace culturel et idéologique du cinéma, sous peine de laisser les adversaires s’en emparer. Une Union des femmes du Burkina est créée pour lutter contre l’excision et la polygamie, et pour aider à la réinsertion et à la reconversion des prostituées. Des campagnes de vaccination font converger au Burkina Faso des enfants venus de tous les pays voisins, et les taux de scolarisation ne cessent de croître.
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Suivant les enseignements de Fanon, qui savait qu’un pays neuf ne pouvait sortir que [7] « des muscles et du cerveau des citoyens », et de Nyerere, pour qui « l’ardeur au travail [8] est la racine du développement », Sankara demande au peuple de participer concrètement à l’édification de nouvelles infrastructures (puits, écoles, hôpitaux, routes). Quand la Banque mondiale refuse de financer le chemin de fer reliant Ouagadougou à Tambao, au nord du pays, et prévoyant deux bretelles vers le Niger et le Mali, Sankara ne baisse pas les bras. Au lieu de se tourner vers la Chine, qui avait construit le chemin de fer reliant la Tanzanie à la Zambie, il mobilise son propre peuple dans la « bataille du rail » pour tenter de réaliser cette infrastructure.
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Les réformes impulsées par la révolution sankariste ne sont évidemment pas du goût de tous. Les chefs coutumiers, les enseignants, les militaires et un certain nombre de syndicalistes se montrent de plus en plus hostiles à un processus qui provoque des baisses de revenus et bouleverse les structures de pouvoir. À l’étranger aussi la politique de Thomas Sankara irrite : les grandes puissances comme les gouvernements voisins s’inquiètent de voir se développer, au cœur de l’Afrique, un régime alternatif qui les met directement en cause.
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Un appel à la révolution africaine et internationaliste Extrêmement volontariste en politique intérieure, Sankara se montre parallèlement hyperactif en politique étrangère. Animé par un authentique esprit internationaliste, il sait aussi que la révolution burkinabé ne pourra survivre que s’il trouve des alliés. Malgré la pauvreté et la faiblesse de son pays, Sankara n’hésite pas à s’en prendre à la plus grande puissance du monde : les États-Unis. Dénonçant le soutien de Washington à Israël et à l’Afrique du Sud, il appelle en 1984 les pays de l’OUA à boycotter les Jeux olympiques qui se déroulent, cette année-là, à Los Angeles. Quelques mois plus tard, le 4 octobre 1984, dans son premier grand discours devant l’Assemblée générale de l’ONU [9] (« La liberté se conquiert dans la lutte »), il dénonce l’invasion de la Grenade par les États-Unis, qui lui répondent immédiatement en réduisant leur aide économique au Burkina Faso. Toujours à l’ONU, Sankara demande la fin du droit de veto des grandes puissances en soulignant que ce droit, accordé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, néglige la participation décisive des troupes africaines pendant ce con lit. Avant de rentrer au Burkina Faso, il renoue avec la tradition des grands leaders panafricains en se rendant dans le quartier historique noir de Harlem. « Tout chef d’État africain qui vient à New York devrait d’abord passer par Harlem parce que nous considérons que notre Maison-Blanche se trouve dans le Harlem noir », déclare-t-il à [10] cette occasion .
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En Afrique, à l’exception du Ghana dirigé par le colonel progressiste Jerry Rawlings avec lequel il a signé un traité de défense dès novembre 1983, et dans une moindre mesure du président nigérien Seyni Kountché, Sankara entretient des relations di ficiles avec ses homologues. S’il a, dans un premier temps, de bonnes relations avec Kadhafi, ce qui lui sera abondamment reproché, il refuse de prêter allégeance au Guide libyen, dont il critique la politique d’ingérence (notamment au Tchad et au Sahara occidental). Mais c’est avec Houphouët-Boigny et avec les autres présidents profrançais que les relations sont les plus tendues. En mars 1984, Sankara suscite la colère du régime du roi Hassan II du Maroc en étant le premier chef d’État africain à visiter et à reconnaître la République arabe sahraouie démocratique (RASD), une décision qui conduit le royaume chérifien à
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sortir de l’OUA en novembre de la même année. Pire encore, il s’engage en décembre 1985 dans une courte guerre avec le Mali de Moussa Traoré en raison d’un di férend frontalier. A fichant son mépris pour les « bourgeoisies nationales » qui refusent de renoncer à leurs privilèges pour faire advenir la justice sociale, Sankara milite pour le droit des peuples. C’est pour cette raison qu’il soutient le peuple sahraoui, les combattants palestiniens, les sandinistes nicaraguayens, les indépendantistes kanaks et, bien sûr, les Noirs sud-africains toujours soumis au régime d’apartheid. Estimant, comme d’autres avant lui, que la solidarité avec les opprimés doit être concrète, il o fre symboliquement dix fusils à l’ANC sud-africaine lors d’un congrès de l’OUA. Comme pour mieux dire aux [11] autres chefs d’État : « Nous avons trop parlé, agissons . »
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Prenant clairement parti pour l’union des peuples, et non la collusion de leurs dirigeants, Sankara remet également en cause le modèle sclérosé de l’OUA, en pleine crise à cette période. La crise de ce « syndicat de chefs d’État » est même « souhaitable », avance-t-il en août 1984 :
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L’OUA telle qu’elle existait ne peut pas continuer. […] L’Afrique est face à elle-même avec des problèmes que l’OUA réussit toujours à contourner en remettant leur résolution à demain. Ce demain-là, c’est aujourd’hui. On ne peut plus remettre à demain toutes ces questions. C’est pourquoi nous trouvons que cette crise est tout à [12] fait normale. Elle arrive peut-être même avec un peu de retard .
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Rendant visite à d’innombrables chefs d’État à travers le continent et estimant qu’il ne doit pas y avoir de coupure entre l’Afrique du Nord (l’« Afrique blanche ») et l’Afrique subsaharienne (l’« Afrique noire ») – car, dit-il, « les daltoniens n’ont pas leur place » en [13] ce qui concerne l’OUA puisqu’« il n’y a qu’une couleur : l’unité africaine » –, Sankara se montre particulièrement attaché à l’idéal panafricain, comme il l’explique au romancier et militant camerounais Mongo Beti :
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Le panafricanisme, dans sa conception pure, a été un grand espoir, non seulement pour les Africains, mais pour les Noirs de la diaspora. […] C’est un problème, une question très sérieuse pour les Africains, s’ils veulent véritablement s’a franchir de toute domination étrangère. Tout le monde constate aujourd’hui avec amertume, face aux méfaits et autres exactions de l’impérialisme en Afrique, que Nkrumah avait très bien raison d’appeler de tous ses vœux à l’unité du continent. […] Il appartient aux patriotes africains de lutter partout et toujours pour sa concrétisation. Il appartient à tous les peuples panafricanistes de reprendre le lambeau de Nkrumah pour donner [14] espoir à l’Afrique .
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Critique à l’égard du pseudo-panafricanisme de l’OUA, il se montre encore plus hostile aux interférences américaines et européennes dans les a faires africaines. Lesquelles doivent, selon lui, se régler entre Africains. C’est pour cette raison que le leader burkinabé décide, après avoir participé au sommet France-Afrique de Vittel en octobre 1983, de ne pas participer aux suivants. Fustigeant la politique néocolonialiste de l’Organisation internationale de la Francophonie, s’attaquant au franc CFA qui permet à « la bourgeoisie capitaliste marchande française [de bâtir] sa fortune sur le dos de nos [15] peuples » et s’étonnant que les chefs d’État africains soient plus nombreux à ses sommets France-Afrique qu’aux réunions de l’OUA, Sankara reconnaît lors d’une visite à Paris en février 1986 que les relations avec la France sont « parfois di ficiles chacun [16] estimant de son côté qu’il est insatisfait ».
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En novembre 1986, lors de la réception o ficielle du président François Mitterrand à Ouagadougou, Sankara improvise une déclaration historique en demandant à son invité pourquoi « des bandits comme Jonas Savimbi », le chef de la rébellion pro-occidentale angolaise de l’UNITA, ou « des tueurs comme Pieter Botha », le président sud-africain coupable de graves exactions sur la population noire, « ont eu le droit de parcourir la France, si belle et propre. Ils l’ont tachée de leurs mains et de leurs pieds couverts de [17] sang », ajoute-t-il. Sankara n’est pas le premier Africain à s’indigner de telles pratiques. Mais cette diatribe, devant les caméras et en présence du président de l’ancienne puissance coloniale, rappelle sans conteste le discours de Lumumba, en 1960, devant le roi des Belges. À la fois surpris et séduit par la causticité et la sincérité de Sankara, Mitterrand n’hésite pas à lui répondre point par point, avec la même franchise, saluant « le tranchant d’une belle jeunesse et le mérite d’un chef d’État totalement [18] dévoué à son peuple […] mais qui va plus loin qu’il ne faut ».
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S’unir contre la dette pour ne pas se laisser « assassiner individuellement » Plus provocant encore est le discours que Sankara prononce, le 29 juillet 1987, au sommet de l’OUA d’Addis-Abeba. Il lance à cette occasion l’idée d’un « front uni contre la dette » pour inverser le rapport de forces qui place les États sous la coupe des bailleurs de fonds. Accusant les assistants techniques – rebaptisés « assassins techniques » – qui ont incité les gouvernements africains à s’endetter et à hypothéquer l’avenir de leurs pays pour des décennies, le tribun réinscrit l’histoire de la dette dans l’histoire longue, celle de la colonisation, de la Seconde Guerre mondiale et de la crise économique des années 1970, et inverse ainsi les responsabilités. Les coupables, explique-t-il, ne sont pas les pays endettés, mais les puissances créditrices :
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Ceux qui nous ont conduits à l’endettement ont joué comme dans un casino. Quand ils gagnaient, il n’y avait point de débat. Maintenant qu’ils ont perdu au jeu, ils nous exigent le remboursement. Et l’on parle de crise ! Non, monsieur le Président : ils ont joué, ils ont perdu, c’est la règle du jeu, la vie continue ! Nous ne pouvons pas rembourser la dette parce que nous n’avons pas de quoi payer. Nous ne pouvons pas rembourser la dette parce que nous ne sommes pas responsables de la dette. Nous ne pouvons pas payer la dette parce que, au contraire, les autres nous doivent ce que les plus grandes richesses ne pourront jamais payer, c’est-à-dire la dette de sang. C’est notre sang qui a été versé [pendant la Seconde Guerre mondiale] !
Sankara demande donc aux pays africains, quels que soient leurs positionnements idéologiques, de s’unir pour faire face aux « pays développés » qui s’organisent pour récupérer – avec intérêts – les sommes prêtées :
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Nous entendons parler de clubs, club de Rome, club de Paris, club de partout. Nous entendons parler du groupe des cinq, du groupe des sept, du groupe des dix, peut-être du groupe des cent et que sais-je encore. Il est normal que nous créions notre club et notre groupe faisant en sorte que, dès aujourd’hui, Addis-Abeba devienne également le siège, le centre d’où partira le sou le nouveau : le club d’Addis-Abeba. Nous avons le devoir aujourd’hui de créer le front uni d’Addis-Abeba contre la dette. Ce n’est que de cette façon que nous pouvons dire aux autres qu’en refusant de payer la dette nous ne venons pas dans une démarche belliqueuse, au contraire, c’est dans une démarche fraternelle pour dire ce qui est. […] Je voudrais que notre conférence adopte la nécessité de dire clairement que nous ne pouvons pas payer la dette, non pas dans un esprit belliqueux, belliciste, ceci pour éviter que nous allions individuellement nous faire assassiner.
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Particulièrement lucide, Sankara sait que le combat contre les puissances financières internationales nécessite l’union de tous les Africains, et même de tous les endettés à travers le monde. Telle est la condition sine qua non pour l’emporter, et permettre enfin à l’Afrique de sortir de la crise dans laquelle ses créanciers l’ont mise. « Si le Burkina Faso tout seul refuse de payer la dette, je ne serai pas là à la prochaine conférence, explique-til de façon prémonitoire. Par contre, avec le soutien de tous, dont j’ai besoin, nous pourrons éviter de payer. Et en évitant de payer, nous pourrons contribuer à notre développement. »
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Tel ne sera pas le cas. Deux mois et demi après son discours d’Addis-Abeba, Thomas Sankara est assassiné au cours d’un coup d’État qui permet à son ancien camarade, Blaise Compaoré, de prendre le pouvoir. Soutenu par les di férents réseaux « françafricains » qui lient Paris, Abidjan et Tripoli, le nouvel homme fort du Burkina Faso lance une politique de « rectification » qui met fin aux réformes socioéconomiques
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initiées par son prédécesseur et remet le Burkina Faso dans l’orbite de l’ancienne puissance coloniale. La révolution sankariste, inachevée, rejoint ainsi les di férents mouvements radicaux panafricanistes qui n’ont pu trouver les moyens de s’étendre dans l’espace et de se perfectionner dans la durée.
Les conversions politiques, économiques et militaires Pourtant, au tournant des années 1990, alors que l’URSS s’écroule, les régimes d’Afrique francophone, en place pour la plupart depuis des décennies, sont secoués par une vague de mini-révolutions. Les peuples réclament la modernisation de la vie politique et l’amélioration des conditions de vie. Au Bénin, l’État, en situation de banqueroute, signe avec la Banque mondiale et le FMI un programme d’ajustement structurel en juin 1989. Les étudiants et les employés du secteur public lancent une grève illimitée, obligeant le régime de Mathieu Kérékou – qui se revendique du marxisme-léninisme – à annoncer la tenue, en février 1990, d’une Conférence nationale des « forces vives de la nation ». L’objectif du régime, en place depuis 1972, est de refonder l’unité du pays en pariant sur [19] le consensus entre toutes les composantes de la société .
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Réunissant des délégués de toutes les organisations politiques, civiles, sociales et culturelles du pays, la conférence débouche sur la mise en place d’institutions de transition, puis sur une élection présidentielle remportée en mars 1991 par un ancien administrateur de la Banque mondiale, Nicéphore Soglo. Ce dernier parvient à relancer l’économie de ce pays autrefois champion des coups d’État, mais perd l’élection présidentielle de 1996 qui l’oppose à l’ancien président Kérékou. Car tel est bien le dilemme auquel sont alors confrontés les électeurs béninois : voter pour les représentants de l’ancien système ou pour ceux qui ont travaillé pour les institutions financières internationales responsables de la mise sous tutelle économique de leur pays ?
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Entre-temps, la fin de la guerre froide incite Paris à revoir ses liens avec les régimes africains, au moins formellement. Au sommet franco-africain de juin 1990 à La Baule, Mitterrand annonce qu’il conditionne l’aide économique à la conversion des régimes africains au multipartisme. Mais, plus qu’à la démocratie, les États africains francophones, toujours rongés par la corruption et le trucage des élections, se convertissent surtout au néolibéralisme triomphant depuis le début des années 1980. Refusant de s’unir contre leurs créanciers, comme le suggérait Sankara en 1987, ils entrent en concurrence pour décrocher le diplôme de « bon élève » du FMI.
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Les États africains ne manquent pourtant pas d’organes de coordination. Mais ceux-ci préfèrent endosser la logique néolibérale que la contrer. C’est le cas de la Banque africaine de développement (BAD), créée en 1964 à Abidjan, ou de la Communauté
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économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), créée en 1975 à Lagos. L’OUA ne se donnant pas les moyens d’aborder les enjeux régionaux sous l’angle de la compétitivité économique, la CEDEAO entend lutter contre la crise économique et sociale qui gagne l’Afrique de l’Ouest en acclimatant les recettes des institutions financières internationales : intégration des économies, libéralisation des échanges commerciaux, harmonisation de politiques agricoles et industrielles, etc. Toutefois, la CEDEAO, qui réunit une quinzaine d’États ouest-africains, fonctionne sur une structure proche de l’OUA (conférence des chefs d’État, Conseil des ministres…) et reste dépendante des économies ivoirienne et nigériane. Aux crises économiques et sociales – qui conduisent la Côte d’Ivoire et le Nigeria à expulser des dizaines de milliers de travailleurs étrangers dans les années 1980 – s’ajoutent bientôt de graves con lits armés. À partir de 1989, au Liberia puis en Sierra Leone, sur fond de contentieux historiques et ethniques entre les descendants des Noirs rapatriés des Amériques et les populations africaines, des groupes armés entrent en guerre pour le contrôle des zones diamantifères. Dès 1990, pour endiguer un con lit qu’ont pourtant attisé plusieurs de ses membres (à commencer par la Côte d’Ivoire d’Houphouët-Boigny et le Burkina Faso de Blaise Compaoré), la CEDEAO crée une Brigade de surveillance du cessez-le-feu (Economic Community of West African States [a] Cease-fire Monitoring Group, ECOMOG) .
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Mais cette « brigade panafricaine », menée par des chefs d’État bien peu soucieux des intérêts de leurs administrés et toujours liés, pour la plupart, aux grandes puissances occidentales par le biais d’accords de défense, a bien peu de points communs – c’est un euphémisme – avec celle que Frantz Fanon appelait de ses vœux, à la fin des années 1950, pour libérer l’Afrique. Quant à ces accords de défense, ils sont bien di férents de celui que Thomas Sankara proposait de signer avec François Mitterrand, lors de sa visite à Ouagadougou en 1986, « pour permettre à toutes ces armes que vous possédez de venir stationner ici, afin de continuer [le combat] » contre le régime d’apartheid sud[21] africain …
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Notes [1]
Andrew M. KAMARCK, The Economics of Development, Pall Mall, Londres, 1967, p. 209.
[2]
Saïd BOUAMAMA, op. cit., p. 275-292.
[3]
Osende AFANA, L’Économie de l’Ouest africain. Perspectives de développement, F. Maspero, Paris, 1977.
[4]
Thomas SANKARA, Nous sommes les héritiers des révolutions du monde, Pathfinder Press, New York, 2008, p. 29-58.
[5]
Toyin FALOLA, Key Events in African History, op. cit., p. 305-311.
[6]
Thomas SANKARA, op. cit., p. 87-93.
[7]
Frantz FANON, Les Damnés de la terre, in Œuvres, op. cit., p. 582.
[8]
Déclaration d’Arusha, cité inGilbert RIST, op. cit., p. 208.
[9]
Thomas SANKARA, op. cit., p. 61-84.
[10]
Cité in Bruno JAFFRÉ, Biographie de Thomas Sankara. La patrie ou la mort…, L’Harmattan, coll. « Études africaines », Paris, 2007, p. 175.
[11]
David GAKUNZI, « “Oser inventer l’avenir” : la parole de Sankara », L’Harmattan, Paris, 1991, p. 15.
[12]
Cité in ibid., p. 78.
[13]
Cité in ibid., p. 79.
[14]
« Interview de Thomas Sankara réalisée par Mongo Beti », < http://thomassankara.net >, 3 novembre 1985.
[15]
Ibid.
[16]
« Interview de Thomas Sankara », Soir 3, France Régions 3, 6 février 1986.
[17]
Thomas SANKARA, Thomas Sankara parle, Pathfinder, New York, 2007, p. 348.
[18]
« Suite et fin du voyage de François Mitterrand en Afrique », Midi 2, Antenne 2, 18 novembre 1986.
[19]
Philippe NOUDJENOUME, La Démocratie au Bénin, 1988-1993 : bilan et perspectives, L’Harmattan, Paris, 1999.
[a]
Avec le Nigeria, qui fournit le gros du contingent, tous les États membres et non belligérants de la CEDEAO apportent des soldats, et deux pays hors zone, l’Ouganda et la Tanzanie, déjà engagés dans des opérations de stabilisation en Afrique centrale, se joignent à l’ECOMOG.
[21]
Cité in David GAKUNZI, op. cit., p. 217.
Plan
23. De la Conscience noire de Steve Biko à la Renaissance africaine de Nelson Mandela Amzat Boukari-Yabara Dans Africa Unite ! (2017), pages 307 à 319
Chapitre
T
out au long du XXe siècle, l’Afrique du Sud semble aller dans le sens contraire de l’histoire. En 1900, quand se réunit à Londres la première conférence panafricaine, la situation sud-africaine préoccupe déjà les congressistes, qui dénoncent la spoliation des terres dont sont victimes les populations noires sud-africaines par les colons blancs, les Afrikaners, et l’exploitation économique des travailleurs dans les mines d’or et de diamants. En 1948, alors que le colonialisme est remis en cause dans le monde entier, la situation sud-africaine empire à la suite de la victoire électorale du Parti national, parti afrikaner fondé en 1914, qui instaure l’apartheid. Cette politique o ficielle fondée sur la ségrégation raciale assure aux Afrikaners une domination [1] économique et politique sans partage . Dès lors, l’action du gouvernement blanc vise à rendre les Africains étrangers sur leur propre sol.
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Maintenu jusqu’en 1990, l’apartheid devient un sujet de préoccupation grandissant pour les militants africains et internationalistes au cours des années 1960 et 1970. Tandis que le colonialisme direct disparaît progressivement du continent, ce qui se déroule à cette période en Afrique australe, autour d’une Afrique du Sud qui, en plus de se cramponner à un racisme biologique d’un autre âge, intervient directement dans les a faires des pays voisins, de l’Angola au Mozambique, en passant par la Rhodésie du Sud (Zimbabwe, indépendant en 1980) et le Sud-Ouest africain (Namibie, indépendante en 1990), exige l’intervention des milieux qui se revendiquent du panafricanisme. Pour les Noirs, d’Afrique ou de la diaspora, riches ou pauvres, le régime d’apartheid est l’adversaire
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commun, aisément identifiable, qui permet de faire vivre la dynamique panafricaine malgré les désaccords et les divisions qui ont progressivement fissuré ce mouvement historique.
Mandela porte le message dans toute l’Afrique (1962) C’est logiquement en Afrique du Sud elle-même que la résistance anti-apartheid se structure. Dès 1949, autour de Robert Sobukwe, Walter Sisulu, Nelson Mandela, Oliver Tambo et Peter Roboroko, la résistance à l’apartheid s’organise au sein de l’ANC, créé en 1912, et notamment au sein de la toute récente Ligue de jeunesse qui lui est a filiée. Inspirée par les méthodes de Gandhi, qui avait déjà lancé un mouvement de désobéissance civile à l’époque où il vivait en Afrique du Sud, entre 1893 et 1914, une campagne de défiance est organisée qui conduit des milliers de Noirs à enfreindre volontairement les lois pour se faire arrêter, selon une tactique que l’on retrouve à la même époque en Gold Coast et chez les militants pour les droits civiques aux ÉtatsUnis. Pourtant unis dans la lutte contre le régime, les militants sud-africains les plus impatients, réunis autour de Robert Sobukwe, quittent l’ANC en avril 1959 et fondent le Congrès panafricain (Pan-African Congress, PAC). Développant une vision raciale et radicale de la lutte, leur objectif est de libérer l’Azanie, ce pays que les Blancs préfèrent nommer Afrique du Sud.
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En juin 1955, les forces progressistes réunies dans un Congrès de tous les peuples d’Afrique du Sud (Congress of All the People of South Africa) adoptent cependant la Charte de la liberté qui rassemble di férentes luttes sectorielles dans la lutte globale contre l’apartheid. Alors que la résistance sud-africaine trouve un écho dans les rassemblements internationaux, à commencer par la conférence panafricaine d’Accra, qui condamne fermement l’apartheid en 1958, et tandis que les puissances coloniales se montrent extrêmement timorées, quand elles ne soutiennent pas ouvertement l’Afrique du Sud raciste, le régime sud-africain intensifie sa politique d’oppression. Cherchant à contrôler les déplacements des Noirs, il établit o ficiellement des zones réservées, les bantoustans, pour accueillir le « surplus démographique » des Noirs vivant jusque-là dans les ghettos urbains (townships). Si la promiscuité des townships permet de mélanger et de fédérer les dix grands groupes ethniques, les bantoustans favorisent le regroupement des populations sur la base de caractéristiques « tribales ». Lorsque, le 21 mars 1960, dans la commune de Sharpeville, près du Cap, les manifestants qui défilent, à l’appel du PAC et de l’ANC, contre la politique des passeports intérieurs (pass) sont réprimés par la police, l’ANC décide de déclencher la lutte armée.
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Peu après, alors que les États africains s’accordent pour ne plus délivrer de visas aux Sud-Africains blancs, Nelson Mandela reçoit une invitation pour participer à la conférence du PAFMECA prévue en février 1962 à Addis-Abeba. Quittant l’Afrique du Sud pour la première fois de sa vie, Mandela rejoint Dar es Salaam en passant par la Rhodésie du Nord (future Zambie, toujours sous domination britannique à cette période). Muni, en guise de passeport, d’un simple laissez-passer délivré par Nyerere, il profite de cette sortie clandestine d’Afrique du Sud pour entreprendre une tournée continentale. « Je devais trouver un soutien politique et financier à notre nouvelle force militaire, expliquera-t-il dans son autobiographie, et, plus important, des possibilités d’entraînement pour nos hommes dans le plus grand nombre d’endroits possible sur le [2] continent . »
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Au cours de son périple, qui le mène dans un premier temps à Accra puis à Lagos, il découvre l’intense activité en cours dans les bureaux de l’ANC, qui ouvrent des sections dans de nombreux pays et constituent ainsi un réseau continental. Inspiré par la résistance éthiopienne de 1936, mais conscient que « l’Éthiopie contemporaine n’était pas non plus un modèle de démocratie », il découvre à Addis-Abeba où il rejoint les militants du PAFMECA, pour la première fois de sa vie, des avions pilotés par des Noirs, mais aussi « des soldats noirs, commandés par des généraux noirs, applaudis par des [3] responsables noirs qui étaient tous les invités d’un chef d’État noir ». Prenant la parole après Hailé Sélassié, Mandela note que « l’extension de la zone couverte par le PAFMECA à l’Afrique du Sud, cœur et noyau de la réaction impérialiste, devrait marquer le commencement d’une nouvelle phase dans le mouvement pour la libération totale de [4] l’Afrique ». Il s’entretient ensuite avec le leader nationaliste zambien Kenneth Kaunda, qui s’inquiète de la division des forces anti-apartheid entre le PAC et l’ANC.
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Après l’Éthiopie, Mandela se rend en Égypte où il s’imprègne de l’histoire pharaonique, ainsi que des réformes économiques et militaires menées par Nasser. À Tunis, Bourguiba lui propose de financer des équipements militaires et accepte de former des combattants pour l’ANC. Au Maroc, il rencontre des combattants du Mozambique, d’Angola, du Cap-Vert et d’Algérie en exil à Rabat. Constatant que la situation algérienne est celle qui se rapproche le plus de celle de son pays, il part visiter une unité sur le front algérien. Arrivant au Liberia après le Mali, la Guinée et la Sierra Leone, il reçoit un nouveau financement, de la part du président William Tubman, pour acheter des armes. En Guinée, déçu dans un premier temps par l’accueil de Sékou Touré qui se contente de tenir en public un discours impersonnel et de lui o frir deux livres dédicacés, il reçoit avant son départ et en toute discrétion une valise pleine de billets. Au Sénégal, il se montre prudent envers Senghor qui lui remet néanmoins un passeport diplomatique et un billet pour aller à Londres, où il achète notamment de la littérature consacrée à la guerre de guérilla.
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Après Londres, Mandela retourne en e fet à Addis-Abeba pour suivre un entraînement militaire. Mais cette formation est interrompue au bout de deux mois par l’aggravation de la situation en Afrique du Sud. Avant de quitter Addis-Abeba, il a l’occasion de croiser le premier groupe d’une vingtaine de recrues venues d’Afrique du Sud qui allait former le premier noyau de la branche armée de l’ANC (baptisée Umkhonto we Sizwe, le « fer de lance de la nation »). « L’entraînement militaire [doit] s’accompagner d’une formation politique, leur explique-t-il, car la révolution ne consiste pas seulement à appuyer sur la [5] détente d’un fusil ; son but est de créer une société honnête et juste . »
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Lorsqu’il est arrêté peu après son retour en Afrique du Sud, puis condamné avec huit camarades de l’ANC, lors du procès de Rivonia en juin 1964, à une peine d’emprisonnement à perpétuité pour des actes de sabotage, Mandela sait que sa tournée continentale permet à la résistance de s’organiser sur les fronts extérieurs avec le soutien de la quasi-totalité des pays africains qui, depuis sa tournée, ont constitué au sein de l’OUA un comité de libération. Il sait aussi que son courage et celui de ses camarades emprisonnés inspirent les jeunes, les femmes et les travailleurs qui mènent la résistance interne au régime.
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La Conscience noire et la révolte des townships (1976) Au début des années 1960, des parents sud-africains noirs inquiets de voir les résultats scolaires catastrophiques de leurs enfants s’organisent contre la discrimination dans l’accès à l’éducation. Ils constatent notamment que l’éducation donnée à leurs enfants les maintient dans un complexe d’infériorité qui empêche leur développement intellectuel et social. Devenus des étudiants, les lycéens de cette génération se désolidarisent de l’Union nationale des étudiants sud-africains (National Union of South African Students, NUSAS), jugée trop libérale et conciliante dans son credo multiracial.
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Certes, les délégués chargés des relations internationales de la NUSAS soulignent l’apport positif du panafricanisme dans la lutte contre l’apartheid. Mais, selon leur définition, le panafricanisme réunit toutes les personnes qui, ressortissantes d’un État africain, désirent se battre pour l’autonomie politique, l’indépendance économique et [6] l’utilisation des ressources dans l’intérêt des populations . En pleine période de nationalisme noir, cette définition, qui évite à la NUSAS de faire allusion à la question raciale pour ne pas froisser le courant étudiant blanc et libéral qui la domine, irrite particulièrement les étudiants et militants noirs du PAC, qui décident donc de fonder, en 1969, l’Organisation des étudiants sud-africains (South African Students’ [7] Organisation, SASO) . Dirigée par Steve Biko, un étudiant contestataire renvoyé de
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l’école de médecine de l’université du Natal, la SASO fait alliance avec un autre regroupement d’associations militantes, la Convention du peuple noir (Black People’s Convention, BPC). Dès la fin de l’année 1973, l’alliance BPC-SASO compte une quarantaine de sections formant un réseau d’aide juridique, médicale, scolaire et sanitaire. En relation avec les puissantes Églises noires sud-africaines, elles mettent en place des programmes pour les communautés noires (Black Community Program, BCP). Le parallèle avec les Black Panthers et la contestation étudiante afro-américaine est visible dans les références [8] communes à Frantz Fanon et Malcolm X . Sous l’impulsion de Biko, des travailleurs, des artistes, des éditeurs, souvent in luencés par l’action radicale du PAC, s’associent à la démarche des étudiants pour créer un vaste mouvement de la Conscience noire (Black [9] Consciousness Movement) .
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Ce mouvement est décrit par Biko comme « un état d’esprit, un mode de vie qui rejette les valeurs qui font des Noirs des étrangers sur leur propre terre, qui promeut l’autodéfinition plutôt que la définition par les autres, qui considère l’unité de groupe [10] comme la clé pour prendre le pouvoir, politiquement et économiquement ». Réclamant une indépendance des Noirs, le mouvement de la Conscience propose de construire une théorie politique permettant de préparer le peuple à passer à l’action. Pour y parvenir, il convient de former des intellectuels pétris de la culture populaire, prêts à mener des actions d’éducation populaire, sans avoir besoin nécessairement d’une organisation autour d’eux. Dans un contexte où l’apartheid pousse les cadres des mouvements de libération à l’exil, quand ils ne pourrissent pas en prison, l’objectif est de faire émerger au sein de la classe moyenne des éléments prêts à transformer en révolution l’agitation qui règne dans les townships, en particulier dans celui de Soweto, situé au sud-ouest de Johannesburg, la capitale industrielle et financière du pays.
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Le 17 mai 1976, plus d’un millier de lycéens de Soweto lancent un mouvement de grève contre une loi qui impose l’enseignement de la langue afrikaans dans les écoles noires. Un mois plus tard, le 16 juin, aux cris de « Amandla Ngawethu ! » (« Le pouvoir au peuple ! »), une manifestation, coordonnée à partir de plusieurs établissements scolaires par des leaders dont la moyenne d’âge ne dépasse pas vingt ans, est réprimée dans le sang. Alors que la situation de guerre civile se généralise, et que les images de la répression sont di fusées par les télévisions du monde entier, la « communauté internationale » condamne le régime de Pretoria, et le Conseil de sécurité de l’ONU décide enfin de voter un embargo sur les ventes d’armes, de munitions et de matériel. Pour autant, les pays occidentaux peinent à imposer un « code de bonne conduite » à leurs multinationales (banques, énergies, armement, technologie) qui trouvent régulièrement des moyens de contourner les décisions politiques.
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De la mobilisation internationale à la création de la ligne de front (1977-1984) Le 12 septembre 1977, le décès de Steve Biko, à la suite de tortures in ligées en détention, et l’interdiction de la SASO et de la BPC constituent, note Nelson Mandela, « le premier [11] clou dans le cercueil de l’apartheid ». Dans la clandestinité, les militants noirs sudafricains mettent sur pied le groupe paramilitaire de l’Organisation du peuple azanien (Azanian People’s Organisation, AZAPO). Confronté à cette nouvelle organisation, bien plus radicale que l’ANC, et à la pression internationale, de plus en plus forte, le gouvernement de John Vorster réplique en déclarant l’indépendance des bantoustans afin de couper les mouvements de libération de leur base populaire. Pour cela, le régime latte les autorités tribales qui dirigent cette constellation de proto-États inféodés à l’Afrique du Sud. L’un de ces chefs particulièrement puissant, Mangosuthu Buthelezi, est partisan d’une Alliance noire sud-africaine (South African Black Alliance, SABA) qui s’oppose au front multiracial de l’ANC. Buthelezi s’appuie sur l’Inkatha, une ancienne organisation culturelle, qu’il transforme en un parti politique nationaliste et tribaliste, chargé de diviser les Noirs.
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Dans les pays occidentaux, de nombreux militants sud-africains animent des campagnes de boycott du régime d’apartheid. Puisque les puissances occidentales se montrent en pratique solidaires avec la minorité blanche sud-africaine, en dépit des protestations formelles, les Noirs du monde entier doivent soutenir la lutte menée contre l’apartheid par les Noirs sud-africains. Pendant que des musiciens se mobilisent à travers le monde, le chanteur afro-américain Harry Belafonte appelle les artistes noirs à ne plus se produire en Afrique du Sud. Organisés dans un collectif depuis les Jeux olympiques de Mexico (1968), rendu célèbre par les coureurs Tommie Smith et John Carlos qui boycottent l’hymne américain en levant le poing ganté de noir du Black Power, les sportifs noirs, menés par le joueur de tennis Arthur Ashe, boycottent toute compétition impliquant l’Afrique du Sud.
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Les employés noirs américains de l’entreprise Polaroid décident, quant à eux, de se mettre en grève quand ils découvrent que leur entreprise produit les cartes du système d’identification sud-africain utilisé dans la fabrication des pass. En réponse, les entreprises visées par le boycott mettent en avant les dirigeants noirs qui se rendent en Afrique du Sud. L’un d’entre eux, Roy Wilkins, dirigeant de la NAACP, estime que le boycott de l’Afrique du Sud risque d’entraîner le chômage des ouvriers noirs de l’industrie automobile américaine. Ainsi, une petite bourgeoisie capitaliste noire préfère défendre les multinationales américaines sous couvert d’un soutien au prolétariat afroaméricain, et cela contre les intérêts des travailleurs noirs sud-africains. L’attitude de l’ancien militant pour les droits civiques Andrew Young déçoit elle aussi. Premier Noir à être nommé ambassadeur des États-Unis à l’ONU, il conclut sa première année, en
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octobre 1977, en exerçant le veto américain contre les résolutions africaines visant à rendre obligatoires les sanctions économiques et l’embargo total sur la livraison d’armes à Pretoria. En juillet 1977, des parlementaires afro-américains décident pourtant de créer l’ONG TransAfrica afin d’exprimer le point de vue des Noirs sur la politique étrangère américaine. Organisant des conférences, des projections et des débats à l’attention des décideurs économiques et politiques, ainsi que des sit-in et des manifestations, TransAfrica s’engage pleinement dans la mobilisation contre l’apartheid, mettant régulièrement le gouvernement américain face à ses responsabilités en dévoilant notamment les négociations entre le président Ronald Reagan et le gouvernement sudafricain.
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Comme dans les cas angolais et mozambicains, la division des mouvements antiapartheid, principalement entre le PAC et l’ANC, qui possèdent chacun leur organisation étudiante et leur branche militaire, perturbe la solidarité afro-américaine scindée en deux pôles idéologiques. Les organisations nationalistes noires et afrocentristes soutiennent le PAC, qui est opposé à toute alliance multiraciale, tandis que les organisations marxistes soutiennent l’ANC, qui collabore avec les communistes. Moins au fait de ces divisions, la grande majorité de l’opinion afro-américaine soutient l’ANC qui jouit d’une meilleure visibilité.
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Les divisions existent également en Afrique. Alors que le comité de libération de l’OUA soutient l’ANC, des pays comme la Côte d’Ivoire d’Houphouët suggèrent d’ouvrir le dialogue avec le régime de l’apartheid, tandis que d’autres, comme le Zaïre de Mobutu, fidèle allié des Occidentaux, soutiennent le régime de l’apartheid au nom de la lutte contre le communisme. Les indépendances de l’Angola et du Mozambique (1975) conduisent Pretoria à soutenir les groupes contre-révolutionnaires de l’UNITA et de la RENAMO, ainsi qu’à diviser les guérillas de Rhodésie du Sud (Zimbabwe).
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Entre 1960 et 1964, l’ANC de Rhodésie du Sud, qui avait été créée dans les années 1930 sur le modèle sud-africain, donne naissance à deux principaux partis : l’Union populaire africaine du Zimbabwe (Zimbabwe African People’s Union, ZAPU) et l’Union nationale africaine du Zimbabwe (Zimbabwe African National Union, ZANU). Les deux partis lancent une guérilla en 1966, juste après la déclaration unilatérale d’indépendance du régime blanc proclamée par Ian Smith. En janvier 1980, après des combats féroces, qui ont ravagé l’économie, et des pourparlers impliquant les belligérants, les États-Unis, la Grande-Bretagne et l’OUA, la signature d’un cessez-le-feu débouche sur des élections remportées par le Front patriotique (ZANU-PF) de Robert Mugabe.
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Alors que les puissances occidentales et les pays africains conservateurs soutiennent la mise en place d’un « groupe de contact » avec Pretoria, les pays voisins ou directement engagés dans le con lit contre l’Afrique du Sud fusionnent en 1980 dans une
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organisation des pays de la ligne de front (Frontline states), connue o ficiellement sous le nom de Conférence de coordination pour le développement de l’Afrique australe (Southern African Development Coordination Conference, SADCC). Les neuf pays [a] membres signent une série d’accords diplomatiques, économiques et militaires pour sortir de la dépendance sud-africaine et faire plier le régime de Pretoria.
1984-1994 : la chute finale de l’apartheid En 1984, le gouvernement sud-africain tente un double coup de poker. Signés entre le président mozambicain Samora Machel et le chef de la diplomatie sud-africaine Pieter Willem Botha, les accords de Nkomati engagent le Mozambique à expulser les membres de l’ANC présents sur son territoire en échange d’un arrêt du soutien sud-africain à la RENAMO. Ensuite, le régime sud-africain convoque des élections dans le cadre d’une nouvelle Constitution qui institue un Parlement tricaméral (blanc, noir et indien). Mais le coup de poker échoue : le Front démocratique uni (United Democratic Front, UDF), mené par l’ANC, boycotte le scrutin et l’opinion internationale se montre plus hostile que jamais au gouvernement de Pretoria (comme en témoigne l’attribution, cette annéelà, du prix Nobel de la paix à l’archevêque Desmond Tutu).
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Un an plus tard, le Congrès des syndicats sud-africains (COSATU) est créé, avec un but stratégique. En e fet, depuis son institutionnalisation en 1948, le système de l’apartheid, au-delà de son aspect idéologique, fonctionne avant tout sur le monopole économique de quatre millions de Blancs sur les terres, les emplois, les ressources minières et les services sociaux au détriment d’une vingtaine de millions de Noirs. L’apartheid permet notamment à la classe moyenne blanche d’être relativement préservée du chômage, et aux professions libérales d’être épargnées de toute concurrence, les Sud-Africains noirs diplômés et qualifiés devant s’exiler pour trouver un emploi. Confrontée à un marché intérieur étroit, avec des millions de Noirs sans pouvoir d’achat, à la di ficulté grandissante d’exporter sa production, en raison du boycott, à un déficit de maind’œuvre qualifiée et à des grèves impliquant des centaines de milliers de mineurs, l’économie sud-africaine est au bord de l’asphyxie.
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La puissance militaire sud-africaine, a faiblie par l’embargo sur la vente d’armes, touche ses limites face à la coalition cubano-angolaise lors de la bataille de Cuito-Cuanavale en 1988. Le régime, qui ne peut plus entretenir d’armée en dehors de l’Afrique du Sud, accepte, en échange du retrait des troupes cubaines d’Angola, de mettre fin à l’occupation sud-africaine du Sud-Ouest africain, qui devient indépendant, sous le nom de Namibie, le 21 mars 1990. Entre-temps, les négociations entre le régime et l’ANC se sont accélérées avec le départ de Pieter Botha et l’arrivée au pouvoir, en août 1989, de Frederik de Klerk. E fectuant, immédiatement après son arrivée au pouvoir, la première
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visite d’un président sud-africain blanc en Zambie, de Klerk s’entretient avec le président Kaunda, puis rencontre les représentants de l’ANC et des pays de la ligne de front. Le 2 février 1990, il annonce d’un bloc, devant le Parlement, « la levée de l’interdiction de l’ANC, du PAC, du Parti communiste sud-africain et de trente et une autres organisations illégales ; la libération des prisonniers politiques incarcérés pour des activités non violentes ; la suppression de la peine capitale ; et la levée de di férentes [13] restrictions imposées par l’état d’urgence ». Le 11 février 1990, devant les caméras du monde entier, Nelson Mandela, accompagné de son épouse Winnie Madikizela, est libéré. Deux semaines plus tard, l’ex-prisonnier politique se rend à Lusaka (Zambie), pour remercier tous les chefs d’État d’Afrique australe et centrale qui ont soutenu la lutte contre l’apartheid, et entame bientôt une tournée internationale pour remercier ses plus fidèles soutiens, au rang desquels figurent notamment les régimes cubain de Fidel Castro et libyen de Mouammar Kadhafi.
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Dans les capitales africaines et européennes, où il remercie les comités qui se sont battus pour sa libération, il est accueilli avec tous les honneurs. Aux États-Unis, sa visite, en juin 1990, est prise en charge par le Mouvement pour une Afrique du Sud libre (Free South African Movement, FSAM), une organisation soutenue financièrement par TransAfrica. À New York, il souligne dans son discours qu’« un cordon ombilical impossible à couper reliait les Noirs d’Afrique du Sud et les Noirs d’Amérique, car nous [14] étions tous des enfants de l’Afrique ». Dans toutes les villes nord-américaines qu’il visite, il est accueilli par les élus, les intellectuels, les religieux et les entrepreneurs noirs, ainsi que des milliers d’anonymes, certains ayant combattu l’apartheid depuis 1948, d’autres étant nés au militantisme à partir du simple slogan : « Free Nelson Mandela ». Remerciant tout le monde, Mandela refuse en revanche de plier devant le maire de Miami, qui exclut de l’accueillir tant qu’il soutient Fidel Castro, ou devant les médias américains qui, en plus d’attribuer sa victoire finale à la mansuétude du gouvernement sud-africain blanc, lui demandent de se désolidariser de Yasser Arafat et de condamner l’usage de la violence. « C’est toujours l’oppresseur, non l’opprimé, qui détermine la forme de la lutte, justifie Mandela, non sans faire allusion à la répression qui s’est abattue contre les Noirs, en Afrique comme en Amérique. Si l’oppresseur utilise la [15] violence, l’opprimé n’a pas d’autre choix que de répondre par la violence . » Applaudissant cette intransigeance, les Noirs sont convaincus qu’une révolution se prépare en Afrique du Sud, tandis que l’opinion publique blanche se montre sceptique, voire alarmiste, sur le devenir de l’Afrique du Sud.
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Après une période de transition e fectivement insurrectionnelle, marquée notamment par l’assassinat en avril 1993 du dirigeant noir Chris Hani, qui représentait un courant populaire et radicalement anticapitaliste au sein de l’ANC, le parti de Mandela s’engage à mener une politique de croissance, d’emploi et de redistribution qui renforce le
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pouvoir des milieux financiers et qui préserve en grande partie les avantages économiques et sociaux acquis par les Blancs sous l’apartheid. Le 27 avril 1994, sur la base d’un consensus avec les tendances libérales, nationalistes et socialistes, Nelson Mandela est le premier président noir élu d’Afrique du Sud avec 62 % des su frages. Lors de sa prestation de serment le 10 mai 1994, souhaitant que « plus jamais ce beau pays ne connaisse l’oppression d’un homme par un autre », Mandela annonce de nouveaux objectifs, qui s’appliquent à son peuple mais reprennent en réalité les défis de tout le continent africain :
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Nous avons enfin atteint notre émancipation politique. Nous nous engageons à libérer la totalité de notre peuple de la servitude, de la pauvreté, des privations, des [16] sou frances, du sexisme et des autres discriminations .
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Avec ce discours, qui s’achève sur un salut à toute l’Afrique (« God Bless Africa ! »), Mandela s’engage à faire de son pays, qui est alors la première puissance économique, financière et industrielle du continent, une terre de justice et de progrès social.
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Se rendant au sommet de l’OUA à Tunis en juin 1994, son premier sommet en tant que chef d’État, il débute son discours en faisant référence à la destruction de Carthage et des grands empires africains avant d’énumérer une liste de personnalités qui ont permis à l’Afrique de se relever et de se libérer de l’oppression. Appelant à retirer de l’agenda de l’OUA la question de l’apartheid, Mandela annonce qu’il veut engager la nouvelle Afrique du Sud sur le chemin de la Renaissance africaine, un concept qui vise à redonner à l’Afrique les moyens de réaliser son développement en fonction de ses propres critères. Le thème de la Renaissance africaine, repris par son successeur Thabo Mbeki, va ainsi s’introduire dans le débat qui monte, à la fin des années 1990, sur la nécessaire réforme de l’OUA.
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Notes [1]
John ILIFFE, Les Africains. Histoire d’un continent, Flammarion, Paris, 2002, p. 385-404.
[2]
Nelson MANDELA, Un long chemin vers la liberté, Fayard, Paris, 2013, p. 347.
[3]
Ibid., p. 355.
[4]
Cité in OIF, Le Mouvement panafricaniste…, op. cit., p. 341.
[5]
Nelson MANDELA, op. cit., p. 370.
[6]
Clyde R.D. HALISI, Black Political Thought in the Making of South African Democracy, Indiana University Press, Bloomington, 1999, p. 100.
[7]
Ibid., p. 106.
[ ] [8]
p Ibid., p. 121.
[9]
N. Barney PITYANA, Bounds of Possibility. The Legacy of Steve Biko and Black Consciousness, Zed Books, Londres, 1992.
[10]
Ronald W. WALTERS, Panafricanism, op. cit., p. 256.
[11]
Cité in Augusta CONCHIGLIA, « Steve Biko, la conscience noire », Le Monde diplomatique, 11 septembre 2007.
[a]
Angola, Botswana, Lesotho, Malawi, Mozambique, Swaziland, Tanzanie, Zambie, Zimbabwe.
[13]
Nelson MANDELA, Un long chemin vers la liberté, op. cit., p. 671.
[14]
Ibid., p. 703.
[15]
Ibid., p. 647.
[16]
Ibid., p. 750-751.
Plan Mandela porte le message dans toute l’Afrique (1962) La Conscience noire et la révolte des townships (1976) De la mobilisation internationale à la création de la ligne de front (1977-1984) 1984-1994 : la chute finale de l’apartheid
Auteur
24. Mbeki, Kadhafi, Obama… L’Afrique prise au piège Amzat Boukari-Yabara Dans Africa Unite ! (2017), pages 320 à 334
Chapitre
E
n 1974, les participants au sixième congrès panafricain, qui se réunit à Dar es Salaam, annoncent que le congrès suivant se tiendra trois ans plus tard en Libye, sous la direction de Mouammar Kadhafi. Mais l’ingérence grandissante du Guide libyen dans les a faires intérieures des pays africains conduit à l’annulation de la rencontre. Ce n’est qu’au début du mois d’avril 1994, en Ouganda, que le septième congrès panafricain est organisé autour du militant nigérian Tajudeen Abdul-Raheem. L’objectif est alors de repenser le panafricanisme comme une force de résistance au [1] néolibéralisme . La fin de la guerre froide, qui avait fait de l’Afrique un champ d’a frontement entre les deux blocs, oblige le continent à trouver sa place dans le nouvel ordre mondial.
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Mais il doit aussi faire face à de nouveaux drames. Le génocide des Tutsi au Rwanda, qui se déroule au moment même où s’ouvre ce septième congrès, prouve une nouvelle fois l’impuissance de l’OUA. Paralysée par son fonctionnement bureaucratique, son manque de moyens matériels et son vide idéologique, l’organisation continentale semble en fin de vie, et son agonie est assimilée à un échec du panafricanisme. Pourtant, dans le cadre d’une réorganisation des alliances géopolitiques, plusieurs initiatives reviennent donner de l’épaisseur au rêve d’unité africaine, et à sa forme politique, les États-Unis d’Afrique. L’idée d’un gouvernement continental est relancée par Kadhafi, dont le volontarisme soulève de nombreuses questions.
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Les projets d’États-Unis d’Afrique ou d’Union africaine, qui ressemblent à un mauvais copier-coller des États-Unis d’Amérique ou de l’Union européenne, ne risquent-ils pas de galvauder un peu plus l’idée du panafricanisme ? L’assassinat de Kadhafi en octobre 2011, à la suite d’une guerre menée par les gouvernements français et britannique avec le soutien de Barack Obama, le premier président d’origine africaine des États-Unis d’Amérique, ne montre-t-il pas que le panafricanisme des « grands hommes » est définitivement hors d’usage ?
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Unir des territoires ou des marchés ? Dans les années 1990, plusieurs analystes repensent la carte de l’Afrique débarrassée des allégeances liées à la guerre froide. Revenant sur les thèses de Cheikh Anta Diop, cherchant à extraire la pensée panafricaine du romantisme qui l’a souvent caractérisée et distinguant le panafricanisme de libération, qui a accompagné la décolonisation, du panafricanisme d’intégration, qui reste en chantier, Ali Mazrui tente, en 1995, d’établir une nouvelle cartographie de l’Afrique en s’appuyant sur les points forts de chaque grande région. Il identifie ainsi quatre pôles de dynamisme susceptibles de constituer les piliers d’une nouvelle intégration continentale : un pôle économique, menée par une Afrique australe dynamisée par l’Afrique du Sud, première puissance économique du continent ; un pôle culturel mené par une Afrique orientale tournée vers l’océan Indien et le monde indo-arabo-musulman ; un pôle politique mené par une Afrique septentrionale bien reliée au continent européen ; et un pôle militaire centré sur l’Afrique occidentale, et en particulier sur le Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique et [2] épine dorsale de l’ECOMOG . Cette intégration par pôles spécialisés se concrétiserait avec la mise en place d’un Conseil de sécurité africain composé de cinq États régionaux, doté d’une Force d’urgence panafricaine et d’un Haut-Commissariat aux réfugiés placés sous contrôle de l’ONU, et par l’installation d’un Sénat panafricain où siégeraient les anciens chefs d’État après leur retrait, dans des conditions honorables, de la vie politique.
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Pour Issa Shivji, titulaire de la chaire d’études panafricaines à l’université de Dar es Salaam, c’est au cœur du continent, dans le « foyer crisogène » de l’Afrique centrale, qu’il [3] faut au contraire établir un nouveau centre de gravité du continent . L’immense Congo-Kinshasa, situé à la jointure des grandes aires géographiques continentales et doté de formidables richesses minérales, apparaît comme la clé de voûte de tout projet de révision du système étatique panafricain. Malheureusement, les guerres et les crises qui secouent le Congo et les pays alentour depuis le début des années 1990 empêchent les gouvernements de la région de participer sereinement aux discussions concernant la nécessaire réorganisation de l’OUA et la résistance à la percée néolibérale qui bouleverse le continent depuis les années 1980.
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Sur ce dernier point, il faut relever que la situation a évolué depuis la fin de l’apartheid en Afrique du Sud. Longtemps considéré comme l’ennemi commun des pays africains, Pretoria joue un rôle central dans la nouvelle géographie politique et économique du continent depuis le milieu des années 1990. En libérant l’Afrique du Sud de l’apartheid, les « combattants de la liberté », pourtant d’inspiration socialiste à l’origine, ont paradoxalement permis à la puissance économique sud-africaine d’étendre sa domination sur une partie du continent. Cette évolution s’explique par le tournant idéologique pris par l’ANC dans les années qui ont suivi son accession au pouvoir. « Mis sous pression par des conseillers de l’ancien régime, par des économistes de la Banque mondiale et du FMI et des experts issus du monde des a faires, explique Nancy Murray, [l’ANC] remit en cause la priorité accordée aux dépenses sociales et, à la place, adopta une stratégie économique néolibérale d’exportation qui mettait l’accent sur l’économie de marché, la discipline fiscale et la consolidation de la confiance des milieux d’a faires, même si cela impliquait de faire des coupes afin d’être compétitifs dans l’économie [4] globale . »
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Depuis le milieu des années 1990, les multinationales sud-africaines investissent massivement en Afrique, dans les secteurs stratégiques des mines, de l’énergie, des transports et de la télécommunication. C’est le cas notamment au sein de la Communauté de développement de l’Afrique australe (Southern African Development Community, SADC). Créée en 1980, lors de la conférence de Lusaka, par les mouvements de libération cherchant à sortir les pays d’Afrique australe de leur dépendance économique et infrastructurelle vis-à-vis de l’Afrique du Sud, la SADC a progressivement muté pour se transformer en un grand marché dominé par les intérêts sud-africains et ouvert sur un espace économique encore plus vaste, le Marché commun de l’Afrique orientale et australe (Common Market for Eastern and Southern Africa, COMESA), fondé en décembre 1994 dans le but de créer une union douanière regroupant pas moins de vingt pays et plus de 340 millions d’habitants. Loin des projets d’union politique imaginés par Kwame Nkrumah dans les années 1950, les pays africains sont engagés, depuis le milieu des années 1990, dans un processus de rapprochement économique d’inspiration néolibérale.
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Le NEPAD, ou l’Afrique à l’ère néolibérale À la fin des années 1990, l’OUA compte une cinquantaine d’États membres, dont la plupart sont parallèlement membres d’organisations qui les relient, à des degrés divers, à d’autres aires géographiques : Organisation de la conférence islamique (OCI), Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), Organisation internationale de la Francophonie, Commonwealth, Ligue arabe, etc. Signe de la montée en puissance de la logique néolibérale, ce sont les organisations à vocation économique et monétaire qui,
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à l’échelle continentale, paraissent les plus dynamiques : CEDEAO, SADC, COMESA, Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC, 1980), Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA, 1994), Communauté des États sahélo-sahariens (CEN-SAD, 1998), etc. Fusion de plusieurs projets portés par le Sénégal, l’Afrique du Sud, l’Algérie, l’Égypte et le Nigeria au cours de l’année 2000, le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (New Partnership for Africa’s Development, NEPAD), adopté en 2001 par les États membres de l’OUA, marque une étape importante dans l’acceptation des modèles néolibéraux par les gouvernements africains. Soutenu avec ferveur par le président sudafricain de l’époque, Thabo Mbeki, qui en est la cheville ouvrière, le NEPAD se présente comme un plan d’action destiné à favoriser le décollage économique du continent. Mais, derrière un catalogue de bonnes intentions (mettre fin aux con lits, favoriser la démocratie, les droits de l’homme, soutenir la recherche contre le paludisme et le VIH…), il cherche surtout à adapter les États africains à la mondialisation, en améliorant leur « stabilité », leur « gouvernance » et leur « compétitivité ».
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Élaboré sans consultation des syndicats, des partis politiques et des ONG, le document fondateur du NEPAD ne répond pas aux attentes et aux besoins des populations africaines. « Les problèmes de la paix, de la sécurité et de la bonne gouvernance n’y sont abordés que comme des obstacles à lever pour un a lux massif des capitaux, relève un militant nigérien. Le document est d’ailleurs totalement muet sur les causes profondes des con lits qui minent certains pays du continent ; muet sur le pillage des ressources auquel s’adonnent certains pays et firmes internationales ; muet sur les frustrations liées à l’impunité, à l’injustice et aux inégalités dans l’accès aux ressources nationales, et qui provoquent souvent des situations de rébellion armée, notamment chez les minorités nationales ; muet sur les répercussions sociales des politiques d’ajustement structurel imposées aux pays africains, et qui se traduisent par une généralisation de la pauvreté, elle-même source de con lits et d’insécurité dans les villes et les [5] campagnes . »
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Dans la lignée des Plans d’ajustement structurel imposés par les institutions financières internationales, le NEPAD entend donc favoriser les investissements étrangers, [6] considérés comme la clé du « développement » futur , et apparaît comme un plan de communication élaboré par une nouvelle génération de dirigeants africains qui n’ont en aucune façon cherché à inventer, avec leurs populations, un modèle de développement endogène adapté aux réalités et aux urgences africaines. « Pour l’essentiel, commentent les chercheurs Ian Taylor et Roland Marchal, le NEPAD sert les intérêts des fractions du capital orientées vers l’extérieur, et c’est sur cette base que se sont regroupées les élites africaines qui voient leur pays en butte aux mêmes politiques commerciales protectionnistes du Nord. Plutôt que de repenser l’architecture du commerce mondial, le NEPAD et l’Afrique du Sud essaient d’acclimater le néolibéralisme à tous les pays
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africains. Le NEPAD peut donc être décrit comme une tentative d’insertion plus profonde de l’Afrique dans l’ordre capitaliste mondial, mais selon des termes renégociés [7] octroyant quelques faveurs aux élites africaines les plus extraverties . »
L’activisme panafricain du Guide libyen Si le projet du NEPAD se nourrit en grande partie du programme de Renaissance africaine piloté par l’Afrique du Sud, un autre projet est incarné par Mouammar Kadhafi, qui tente de faire valoir sa vision en soulignant l’ancienneté de son engagement pour l’Afrique, et surtout l’originalité de sa position : un leader arabe nord-africain appelant à l’unité continentale sur le modèle des États-Unis d’Afrique de Nkrumah.
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Arrivé au pouvoir en 1969 par un coup d’État contre le roi Idriss, Kadhafi est alors un jeune colonel de l’armée libyenne, inspiré par la figure de Nasser, et déterminé à laver l’a front in ligé en juin 1967 par Israël aux États arabes. Dans ses toutes premières années au pouvoir, Kadhafi abolit la monarchie, rompt avec l’impérialisme angloaméricain en fermant les bases militaires étrangères, nationalise les compagnies pétrolières et élabore une pensée politique hybride alliant le nationalisme arabe et la double critique du marxisme et du capitalisme. Mais il ne se contente pas de reprendre le lambeau du panarabisme, il veut également rattacher le panafricanisme au cercle de l’anti-impérialisme, de l’anticommunisme et de l’antisionisme.
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La grande force de Kadhafi, par rapport à Nkrumah, Nyerere ou Sankara, tient au fait qu’il contrôle les immenses ressources naturelles et énergétiques de son pays, et dispose ainsi d’une manne financière colossale pour appuyer sa diplomatie. Finançant des régimes amis, des rébellions armées ou des projets sociaux dans toute l’Afrique, Kadhafi est accusé de pratiquer le chantage économique, la déstabilisation militaire ou la démagogie panafricaine comme armes diplomatiques. Bien que cette accusation soit largement fondée, elle émane en particulier de pays spécialistes de l’ingérence dans les a faires africaines, tels que la France ou les États-Unis, qui ont beaucoup à craindre de l’activisme libyen dans la région. La guerre tchado-libyenne, entre 1978 et 1987, est ainsi l’occasion de vives confrontations entre Tripoli et Paris, qui déploie des troupes au Tchad dans le cadre des opérations Manta et Épervier.
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Placée sous embargo international, au début des années 1990, à l’initiative des ÉtatsUnis, qui l’accusent de financer le « terrorisme international », la Libye approfondit sa politique africaine dans le but de desserrer l’étau imposé par la « communauté internationale » et multiplie les investissements au sud du Sahara par l’intermédiaire de sociétés commerciales et de banques libyennes. Surtout, en gérant avec intelligence les
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revenus pétroliers et en opérant une transformation industrielle, Kadhafi parvient à rendre son pays autosu fisant et attractif pour des travailleurs migrants africains, qui [8] s’installent massivement en Libye à partir du milieu des années 1990 . Dans le cadre de sa politique africaine, Kadhafi multiplie les initiatives symboliques pour améliorer son image aux yeux des populations africaines. Ainsi en va-t-il lorsqu’en 1992 les pays africains lancent l’Organisation régionale africaine de communications par satellite (RASCOM), basée à Abidjan. Souhaitant se doter, pour quatre cents millions de dollars d’un satellite de communication africain, qui ferait économiser les cinq cents millions de dollars annuels versés pour la location des satellites européens, les gouvernements africains se heurtent au veto de la Banque mondiale et du FMI. Kadhafi décide alors, en 2000, de prendre en charge 75 % du coût de construction du satellite, et de diviser le montant restant entre la Banque africaine de développement (BAD) et la Banque ouest-africaine de développement (BOAD), afin de concrétiser un projet qui fait perdre à l’Europe une rente annuelle colossale.
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À l’heure où les médias occidentaux le décrivent comme un terroriste, un tyran ou un clown, Kadhafi comprend l’intérêt de mener une nouvelle politique panafricaine : rien ne peut le rendre plus populaire aux yeux de millions d’Africains que la reprise du vieux [9] rêve de l’unité africaine de Nkrumah . Le régime libyen s’engage ainsi à financer pour l’UNESCO le projet de réécriture de l’Histoire générale de l’Afrique, à payer les cotisations des États défaillants auprès des organisations africaines ou à briser le monopole des compagnies aériennes occidentales dans le ciel africain grâce à la compagnie aérienne Ifriqyiah (lancée en 2001). D’autres projets ambitieux, censés permettre aux pays africains de sortir du système de Bretton Woods, sont annoncés : une Banque d’investissement africaine, un Fonds monétaire africain ou une Banque centrale africaine. Outre le rachat des dettes et des engagements contractés auprès des institutions financières internationales, ces structures laissent entrevoir une révolution monétaire sur le continent avec, pour les anciennes colonies françaises, la possibilité de s’émanciper du système monétaire hérité de la période coloniale (franc CFA).
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Opposé à l’Europe et aux États-Unis, isolé dans son soutien à la cause palestinienne mais fermement engagé dans la lutte contre l’apartheid afin de briser l’axe Tel-AvivPretoria, Kadhafi bénéficie en 1997 de l’action diplomatique et personnelle de Nelson Mandela pour obtenir la levée de l’embargo et la réintégration progressive de son pays dans la communauté internationale.
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L’Union africaine, un choix par défaut ?
Le 9 septembre 1999, à l’occasion du trentième anniversaire de sa prise du pouvoir, Kadhafi accueille un sommet extraordinaire de l’OUA à Syrte. Dans sa ville natale, il annonce la création d’une nouvelle organisation, qu’il souhaite dans un premier temps appeler « États-Unis d’Afrique », mais la majorité des dirigeants préfèrent le nom d’« Union africaine », qui est finalement adopté. Grâce aux fonds investis par Kadhafi, le projet, en germe depuis plusieurs années, devient une réalité à une vitesse incroyable qui fait douter du sérieux de la nouvelle organisation.
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Estimant qu’il ne faut pas aller à l’encontre de la volonté des peuples, Kadhafi prononce, lors du sommet de l’OUA qui se tient à Lomé en juillet 2000, un discours favorable à la fin de l’État-nation et à l’abolition des frontières. Dans la foulée, les présidents africains [10] présents signent l’Acte constitutif de l’Union africaine . En mars 2001, un nouveau sommet extraordinaire de l’OUA à Syrte voit plusieurs présidents défendre avec emphase le projet d’unité africaine, alors même que la plupart d’entre eux, au pouvoir depuis des décennies, n’ont jusque-là jamais été sensibles à cette question, se sont montrés particulièrement complaisants avec les dirigeants occidentaux et ont pris l’habitude de terroriser leur propre population. Galvanisés ou terrorisés par Kadhafi, ils applaudissent à chaque discours du dirigeant libyen.
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En juillet 2001, trente-huit chefs d’État africains se retrouvent au sommet de l’OUA à Lusaka, pour o ficialiser la création du NEPAD. À aucun moment, les populations africaines ou les organisations de la société civile, en majorité opposées au NEPAD, ne sont consultées sur les processus en cours. Et tandis que Yasser Arafat est présent ou délivre un message à chacun des sommets, aucun dirigeant de la diaspora n’est invité à donner son avis. Comme en témoigne l’hommage rendu à Houphouët-Boigny par son secrétaire général, le diplomate ivoirien Amara Essy, la nouvelle organisation s’inscrit dans la filiation conservatrice du groupe de Monrovia qui avait imprimé sa marque, au début des années 1960, lors de la constitution de l’OUA. Loin de l’esprit démocratique qui animait nombre de militants panafricains, l’UA reste une organisation de chefs d’État coupée des préoccupations populaires.
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C’est finalement lors du sommet de Durban, du 8 au 10 juillet 2002, que l’Union africaine est o ficiellement créée. Construite sur un modèle hybride inspiré de l’Union européenne, des Nations unies et des États-Unis d’Amérique, l’UA consolide le pouvoir et la souveraineté des États existants et écarte les projets kadhafistes d’États-Unis d’Afrique. L’UA dispose, parmi ses principaux organes, d’une Conférence des chefs d’État et de gouvernement, d’un Conseil exécutif des ministres, d’un Comité de [a] représentants permanents, et d’un nouvel organe central, la Commission . Bien que cette dernière s’apparente formellement à un gouvernement continental, elle n’a pourtant pas les moyens d’imposer ses décisions aux États membres.
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À ses premières structures s’ajoute un Parlement panafricain, installé en Afrique du Sud, qui réunit, sur deux sessions annuelles, deux députés venus de chacun des pays membres de l’UA. Cette assemblée, qui pourrait théoriquement permettre la démocratisation et le renouvellement de l’institution continentale, reste cependant dépendante des parlements nationaux, dont la plupart sont loin de re léter l’opinion des électeurs africains, trop souvent étou fée par la fraude électorale, la propagande o ficielle et la répression des partis d’opposition. Le Conseil économique, social et culturel, la Cour de justice, les Comités techniques spécialisés, le Conseil de paix et de sécurité, ainsi que des projets d’institutions financières complètent l’architecture institutionnelle de l’UA.
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Malgré la nouvelle dénomination, l’UA n’est que le prolongement de l’OUA. Mis à part quelques organes techniques ou consultatifs supplémentaires, qui alourdissent un peu plus sa structure et son budget de fonctionnement, l’UA ne dispose d’aucune compétence supplémentaire par rapport à l’OUA. Les chefs d’État gardent la haute main sur l’organisation et les attributions du Parlement panafricain, organe simplement consultatif, ne sont pas réellement définies. En l’absence d’une politique continentale sur les secteurs stratégiques (armée, monnaie, diplomatie) et en raison de sa dépendance à l’égard de l’Europe (qui finance une partie de ses activités), l’UA n’est pas en mesure d’incarner le renouveau du continent, ni de mettre un terme aux con lits qui divisent ses membres.
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La réforme inachevée de l’OUA montre une fois de plus que l’« unité africaine », qui demeure l’objectif a fiché de nombreux responsables politiques africains, restera une chimère tant que les dirigeants ne seront pas des panafricanistes convaincus, compétents et motivés. Comme l’OUA, l’UA ressemble à un cénacle de dirigeants âgés, souvent mal élus, très éloignés des populations qu’ils sont censés représenter et trop dépendants des grandes puissances internationales, qu’elles soient européennes, américaines ou asiatiques.
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Barack Obama : derrière le « symbole » L’« unité » paraît d’autant plus chimérique que l’Afrique, longtemps regardée comme une terre de désolation, est l’objet de nouvelles convoitises depuis le début des années 2000. Les préoccupations économiques et sécuritaires des États-Unis et des pays européens depuis le 11 septembre 2001 et l’émergence de nouvelles puissances asiatiques ou sud-américaines ont remis l’Afrique, à la fois richissime et fragile, au cœur de la géopolitique mondiale. Les militants panafricains craignent que cette nouvelle ruée vers l’Afrique, qui risque de ramener le continent à son statut de « réservoir » des puissances, réduise leur idéal à néant.
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Un espoir était pourtant né, en 2008, avec l’élection de Barack Obama à la présidence des États-Unis. Né à Hawaii d’un père kényan noir et d’une mère américaine blanche à une époque où les unions mixtes n’étaient pas autorisées sur tout le territoire des ÉtatsUnis, et marié à une Afro-Américaine descendante d’esclaves, Obama apparaissait comme le fruit d’une certaine forme de « panafricanisme ». Son élection à la MaisonBlanche, saluée aux États-Unis comme la réalisation du rêve de Martin Luther King et l’aboutissement de la lutte pour les droits civiques, a parfois été interprétée en Afrique comme la revanche des générations de Noirs qui se sont battus, à travers les siècles, contre l’hégémonie blanche.
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Pendant sa campagne électorale, Obama a pourtant tout fait pour ne pas apparaître comme « le candidat des Noirs ». Plusieurs personnalités noires américaines ont d’ailleurs pris leurs distances avec lui, à l’instar d’Amiri Baraka, qui ne lui a apporté qu’un soutien critique, ou d’Andrew Young et Maya Angelou qui ont soutenu Hillary Clinton (concurrente d’Obama lors des élections primaires démocrates). Certains militants de gauche ont alors proposé la création d’un troisième parti, en dehors des Partis démocrate et républicain, prenant en compte tous les exclus. Car derrière le « symbole Obama », la majorité des Américains noirs, durement frappés par la crise économique de la fin des années 2000, vivent dans une situation sociale particulièrement di ficile. Aujourd’hui, le nombre de Noirs emprisonnés ou sous contrôle judiciaire aux États-Unis, par exemple, est supérieur au nombre d’esclaves présents sur le sol américain au moment de l’abolition.
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En dépit de certaines réformes importantes, en matière de droits sociaux ou d’immigration, Barack Obama continue, depuis son élection, de mener une politique pour le moins prudente, sur le plan intérieur comme en politique étrangère. Pourtant accusé de « socialisme » par les milieux les plus conservateurs, il n’a pas cherché à remettre en cause le système financier international alors que l’occasion historique se présentait, au moment de la crise de 2007-2008, de réformer radicalement des institutions qui restreignent dangereusement les droits socioéconomiques des populations du Sud. Sa politique africaine, elle aussi, déçoit. Malgré un discours consensuel devant le Parlement ghanéen, en juillet 2009, au cours duquel il a plaidé pour le renforcement des institutions africaines (« L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais d’institutions fortes »), sa politique en Afrique ne tranche pas radicalement avec celle de ses prédécesseurs. Fidèle au credo néolibéral et sécuritaire, elle reste liée aux intérêts géostratégiques des États-Unis et à ceux de leurs entreprises multinationales.
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L’investissement massif des États-Unis dans la « société civile » africaine pour se constituer un réseau d’allégeance (ONG, entrepreneurs, etc.) et le soutien apporté aux régimes, plus ou moins démocratiques, qui acceptent d’intensifier leurs relations commerciales, militaires et diplomatiques avec Washington témoignent de la di ficulté de l’administration américaine à rompre avec les schémas clientélistes traditionnels. Le
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redéploiement du Commandement militaire américain pour l’Afrique (United States Africa Command, Africom), lancé par l’administration américaine qui cherche à transférer son siège, actuellement installé dans la ville allemande de Stuttgart, dans un pays africain, est une autre illustration de ce que les militants progressistes ont toujours qualifié de « politique impérialiste ». Face à ce projet, pour l’instant bloqué par les dirigeants africains, une campagne internationale (« Africom, Go Home ! ») a été lancée par des militants panafricains qui soulignent que l’expulsion des bases militaires étrangères a toujours été un principe cardinal de la libération du continent, et que les nombreux accords militaires signés depuis les indépendances avec les puissances [a] occidentales n’empêchent pas la multiplication des con lits .
Une Afrique en voie de recolonisation ? Alors que les présidents africains multiplient les sommets pour annoncer une Renaissance qui ne vient pas, l’Afrique est soumise à des forces de division qui tournent les di férences ethnoculturelles, phénotypiques et religieuses les unes contre les autres, et transforment la diversité des identités africaines en un outil d’autodestruction. C’est ce qu’on a par exemple pu constater, dans la période récente, en Côte d’Ivoire, où le concept d’« ivoirité », introduit par Henri Konan Bédié pour écarter de la course à la présidentielle de 1995 l’ancien Premier ministre, Alassane Dramane Ouattara, divise tout un peuple dont une grande partie est originaire des pays voisins. Après l’élection de Laurent Gbagbo en 2000, la guerre civile qui a éclaté dans le pays a amené la France à intervenir militairement, sous couvert de l’ONU, et à prendre parti, après l’élection présidentielle de 2010, pour Alassane Ouattara dans le con lit qui l’opposait à Laurent Gbagbo, au grand dam d’une partie de l’opinion publique africaine outrée qu’une ancienne puissance coloniale puisse encore, cinquante ans après les indépendances, s’ingérer si violemment dans les a faires intérieures de ses anciennes colonies.
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Le thème de la « recolonisation » a également été entendu lorsque, dans le sillage des « printemps arabes », la France, le Royaume-Uni et les États-Unis, par l’intermédiaire de l’OTAN, associés au Conseil de coopération du Golfe et à la Ligue arabe, interviennent militairement en Libye pour écarter du pouvoir le colonel Kadhafi aux prises avec une rébellion armée. La coalition pro-occidentale obtient des Nations unies une résolution d’exclusion aérienne du ciel libyen, puis invoque la « responsabilité de protéger » les populations pour mener une intense campagne de bombardements qui ramène la Libye, considérée comme l’un des pays les plus modernes du continent africain, à l’âge de [13] pierre . Alors que Kadhafi est finalement assassiné, le 20 octobre 2011, une partie de l’arsenal militaire libyen est transférée par des groupes se revendiquant du « djihad » qui
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se joignent à l’o fensive de séparatistes touarègues cherchant, au nord du Mali voisin, à en découdre avec le régime de Bamako. Entraînant, début 2013, une nouvelle intervention militaire française soutenue par la « communauté internationale »… Ces interventions fortement médiatisées, qui font au passage resurgir dans la presse de vieux stéréotypes coloniaux – sur les « ethnies » africaines, l’« humanisme » des Européens, les « divisions ancestrales entre Arabes et Noirs »… –, comme d’autres initiatives moins visibles, mais tout aussi néfastes, lancées par des gouvernements étrangers et des multinationales suscitent d’intenses débats parmi les Africains. Si les uns se désolent de voir leur continent, pourtant entré dans le rang de puissance démographique en dépassant le cap du milliard d’habitants en 2010, (re)devenir le terrain préféré du capitalisme sauvage et le trophée de la guerre économique mondiale qui oppose les grandes puissances économiques entre elles, qu’elles soient occidentales ou non, d’autres estiment qu’il est enfin possible de retourner la convoitise dont il fait l’objet au profit de ses habitants.
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Un rapport du ministère de la Défense français a firmait en 2012 que, dans le contexte d’une crise générale frappant le continent africain, « les sentiments nationalistes et/ou panafricains pourraient se développer, parfois au détriment des intérêts [14] occidentaux ». Outre la confirmation que les intérêts étrangers seraient mieux servis dans une « Afrique sans Africains » ou, du moins, dans une Afrique débarrassée de tout esprit critique, cet avertissement, qui reste au conditionnel, est paradoxalement le plus grand signe d’encouragement pour les militants panafricains. Lesquels, partout dans le [15] monde, se rallient derrière ce mot d’ordre : « Ne vous a frontez pas, organisez-vous ! »
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Notes [1]
Tajudeen ABDUL-RAHEEM (dir.), Pan-Africanism. Politics, Economy, and Social Change in the Twenty-First Century, Pluto, Londres, 1996.
[2]
Ali MAZRUI, « Pan-Africanism. From poetry to power », Issue : a Journal of Opinion, vol. 23, n° 1, hiver-printemps 1995, p. 35-38.
[3]
Issa SHIVJI, Pan-Africanism or Pragmatism, Mkuki na Nyota Publishers, Dar es Salaam, 2008.
[4]
Cité in Ian TAYLOR et Roland MARCHAL, « La politique sud-africaine et le Nepad. Contradictions et compromis », Politique africaine, n° 91, octobre 2003 (disponible sur < www.cairn.info >).
[5]
Moussa TCHANGARI, « Une version africaine du néolibéralisme », < www.alternativeniger.org >, 24 novembre 2005.
[6]
OIF, Le Mouvement panafricaniste au XXe siècle, op. cit., p. 557-582.
[7]
Ian TAYLOR et Roland MARCHAL, loc. cit.
[8]
Saïd HADDAD, « Anciens et nouveaux parias. Des usages des migrations et du transit dans la politique libyenne », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, n° 119-120, novembre 2007.
[9]
Fulbert S. ATTISSO, De l’unité africaine de Nkrumah à l’Union africaine de Khadafi, L’Harmattan, Paris, 2008.
[10]
OIF, Le Mouvement panafricaniste…, op. cit., p. 545-556.
[a]
La Commission comprend une présidence ainsi que huit secrétariats chargés des questions de paix et de sécurité, des a faires politiques, des infrastructures et de l’énergie, des a faires sociales, des ressources humaines scientifiques et technologiques, du commerce et de l’industrie, de l’agriculture et de l’économie rurale, et enfin des a faires économiques.
[a]
Cette campagne a été lancée depuis Montréal par Aziz Salmone Fall, chercheurmilitant et membre fondateur du Groupe de recherche et d’initiative pour la libération de l’Afrique (GRILA).
[13]
Horace G. CAMPBELL, Global NATO and the Catastrophic Failure in Libya. Lessons for Africa in the forging of African Unity, Monthly Review Press, New York, 2013.
[14]
Rapport de la Délégation aux a faires stratégiques, Horizons stratégiques, « Approches régionales », Paris, Ministère de la Défense, 2012, p. 212 (disponible sur < www.defense.gouv.fr >).
[15]
Tajudeen ABDUL-RAHEEM, La Vérité aux puissants, Pambazuka Press, Dakar, 2011.
Plan Unir des territoires ou des marchés ? Le NEPAD, ou l’Afrique à l’ère néolibérale L’activisme panafricain du Guide libyen L’Union africaine, un choix par défaut ? Barack Obama : derrière le « symbole » Une Afrique en voie de recolonisation ?
Épilogue
« Ne criez pas trop vite victoire… » Amzat Boukari-Yabara Dans Africa Unite ! (2017), pages 335 à 337
Chapitre
L
’histoire du panafricanisme, histoire vagabonde, est une histoire de circulations. Circulation des hommes, circulation des idées, circulation des luttes. Après des siècles d’échanges transatlantiques, intracontinentaux et internationaux, W.E.B. Du Bois soulignait, à la conférence panafricaine de Londres, en 1900, l’importance des communications : « Le monde moderne doit comprendre qu’à cette époque, où les confins du globe se trouvent si rapprochés par la facilité des moyens de communication, les millions d’hommes noirs qui vivent en Afrique, en Amérique et dans les îles de l’Océan, sans parler des myriades d’hommes de couleur répandus partout, sont appelés à exercer une grande in luence dans l’avenir. »
1
Déportations, migrations, allers et retours… C’est dans le mouvement, forcé, contraint ou volontaire, que le panafricanisme est né. C’est en communiquant sans cesse – par courrier, par télégramme, par téléphone – et en ralliant les points du globe – à pied, en bateau, en avion – que les militants panafricains ont peu à peu brisé les frontières et rapproché les mondes. De Londres à Monrovia, de Kingston à Accra, de New York à Dar es Salaam, d’Alger à La Havane ou à Rio de Janeiro, l’esprit panafricain a irrigué les Africains, du continent comme de la diaspora. Un réseau s’est formé qui a remporté, par les mots ou par les armes, de belles victoires contre le racisme, le colonialisme et l’apartheid.
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Mais la lutte est loin d’être terminée. L’Union africaine (UA) aujourd’hui, comme l’Organisation de l’unité africaine (OUA) hier, et les dirigeants qu’elle représente demeurent bien éloignés des préoccupations populaires. La chute des régimes colonialistes n’a pas mis fin à la domination et à la xénophobie, plus que jamais vivaces, y compris à l’intérieur de l’Afrique. Les indépendances nationales, souvent partielles, [1] souvent mutilées, n’ont pas permis de concrétiser le rêve panafricain . La répression et la pauvreté empêchent son éclosion. Trop de frontières, de barrières et de murs séparent encore les Africains, maintenus bien souvent dans des idéologies étriquées et chauvines. « Ne cachez pas les di ficultés, les fautes, les échecs, prévenait Amílcar Cabral. Ne criez [2] pas trop vite victoire … »
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Le panafricanisme est aujourd’hui confronté à de nombreux défis. Dans un monde « globalisé », où les identités s’hybrident, où la géographie se virtualise, où les dominations se dissimulent, comment appréhender cette « famille africaine mondiale » (global African family) qui connecte en quelques clics les Africains du continent, les AfroAméricains de la première diaspora, les Jamaïcains de Londres, les Martiniquais de Paris, les Surinamiens d’Amsterdam, les Nigérians d’Atlanta, les Congolais de Pékin ? Périodiquement, des événements sportifs ou culturels ravivent l’esprit panafricain. La webosphère fourmille d’initiatives allant dans le sens d’une « panafricanisation » du monde, à l’instar de la Pan African Space Station (PASS), une radio libre et virtuelle basée au Cap qui cherche à construire un espace panafricain de créations musicales [3] reprenant des éléments hérités de la lutte contre l’apartheid .
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Alors que les lux migratoires se diversifient, malgré les contraintes imposées par les États, alors que les lux financiers se dématérialisent, permettant à l’argent des migrants comme des multinationales de circuler en temps réel, alors, en un mot, que les « confins du globe », comme disait Du Bois, se rapprochent et se superposent, de nouvelles communautés se créent, qui rassemblent et excluent simultanément. L’« Afrique » se déploie et se replie, faisant par endroits émerger de nouvelles formes de pan-négrisme et réactivant ailleurs l’espoir d’un nouveau panafricanisme de combat. La révolte des peuples arabes, en 2011, qui n’est pas sans rappeler les mini-révolutions des peuples africains vingt ans plus tôt, a fait renaître l’espoir, formulé jadis par Nkrumah, d’une Afrique combattante « du Cap à Tanger ou au Caire, du cap Guardafui aux îles du [4] Cap-Vert ». Mais l’espoir a été rapidement douché par le retour des régimes autocratiques et des a frontements armés, du Caire à Benghazi en passant par Kidal ou Bangui.
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Dans ce contexte, l’histoire du panafricanisme donne des clés pour comprendre, et parfois résoudre, les questions et les problèmes qui se posent à l’Afrique et que se posent les Africains. L’« Afrique » globalisée doit connaître son passé. Face à « la situation coloniale ou semi-coloniale ou para-coloniale », soulignait Aimé Césaire au Congrès des
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écrivains et artistes noirs de 1956, « la voie la plus courte vers l’avenir est toujours celle [5] qui passe par l’approfondissement du passé » . Aussi convient-il, sans plus attendre, de se remettre au travail et d’ouvrir de nouveaux horizons.
Notes [1]
« Repenser les indépendances », Présence africaine, n° 185-186, Paris, 2012.
[2]
Amílcar CABRAL, Revolution in Guinea : An African People’s Struggle, Stage 1, Londres, 1974, p. 72.
[3]
Tsisti Ella JAJI, Africa in Stereo. Modernism, Music, and Pan-African Solidarity, op. cit., p. 229-237.
[4]
Cité in OIF, Le Mouvement panafricaniste…, op. cit., p. 373.
[5]
« Le 1er Congrès international des écrivains et artistes noirs. Paris, Sorbonne, 1922 septembre 1956. Compte-rendu complet », Présence africaine, n° 8-10, 1956.
Auteur Amzat Boukari-Yabara
Mis en ligne sur Cairn.info le 18/05/2019
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Notes
Dans Africa Unite ! (2017), pages 339 à 354
Chapitre Notes de l’introduction (pages5 à 14) . Peter O. ESEDEBE, Pan-Africanism. The Idea and the Movement, 1776-1991, Howard University Press, Washington D.C., 1994. . Elikia M’BOKOLO, « George Padmore, Kwamé Nkrumah, Cyril L. James et l’idéologie de la lutte panafricaine », CODESRIA, Accra, 2003, p. 6. . En dehors de quelques thèses et biographies, la majorité des travaux sur le panafricanisme sont en anglais. Pour une introduction à ce concept en français, voir Philippe DECRAENE, Le Panafricanisme, PUF, coll. « Que sais-je ? », Paris, 1976. Pour une étude plus actuelle et plus complète, sous l’angle des relations internationales, voir Michel KOUNOU, Le Panafricanisme : de la crise à la renaissance, Clé, Yaoundé, 2007. Pour un recueil des grands textes du panafricanisme, voir ORGANISATION INTERNATIONALE DE LA FRANCOPHONIE (OIF), Le Mouvement panafricaniste au XXe siècle : recueil de textes, OIF, Paris, 2007 (disponible sur < http://democratie.francophonie.org >). . Imanuel GEISS, The Pan-African Movement. A History of Pan-Africanism in America, Europe and Africa, Africana Publishing Company, New York, 1974. . Valentin MUDIMBE, The Invention of Africa, Indiana University Press, Bloomington, 1988. . Ottobah Cugoano, Ré lexions sur la traite et l’esclavage des Nègres, Zones-La Découverte, Paris, 2009.
1
. Olaudah EQUIANO, Olaudah Equiano ou Gustavus Vassa l’Africain. La passionnante autobiographie d’un esclave a franchi, L’Harmattan, Paris, 2005. . Simon MOUGNOL, Amo Afer. Un Noir, professeur d’université en Allemagne au XVIIIe siècle, L’Harmattan, Paris, 2010. . Anténor FIRMIN, De l’égalité des races humaines, L’Harmattan, Paris, 2003. . Walter MIGNOLO, The Darker Side of Western Modernity. Global Futures, Decolonial Options (Latin America Otherwise), Duke University Press, Durham, 2011. . Karl POLANYI, La Grande Transformation, Gallimard, Paris, 2009. . Louis SALA-MOLINS, Le Code Noir ou le calvaire de Canaan, PUF, Paris, 2011. . François RENAULT, La Traite des Noirs au Proche-Orient médiéval (VIIe-XIVe siècle), P. Geuthner, Paris, 1989. . Cheikh Anta DIOP, L’Afrique noire précoloniale, Présence africaine, Paris, 1987. . Cahier d’Études africaines, « Réparations, restitutions, réconciliations entre Afriques, Europe et Amériques », n° 173/174, 2004. Voir aussi Wole SOYINKA, The Burden of Memory, the Muse of Forgiveness, Oxford University Press, Oxford, 1999. . Walter RODNEY, « African slavery and other forms of social oppression on the Upper Guinea coast in the context of the Atlantic slave trade », in Joseph INIKORI, Forced Migration, Hutchinson University Library, Londres, 1982, p. 61-73. . Alain ANSELIN, Le Refus de l’esclavitude. Résistances africaines à la traite négrière, Duboiris, Paris, 2009. . Edward BLYDEN, Christianity, Islam and the Negro Race, Edinburgh University Press, Edimbourg, 1967. . W.E.B. DU BOIS, Les Âmes du peuple noir, La Découverte, Paris, 2007.
Notes du chapitre 1 (pages 17 à 28) . Oruno D. Lara, La Naissance du mouvement panafricaniste, Maisonneuve et Larose, Paris, 2000, p. 53-71. . Rosa A. PLUMELLE-URIBE, La Férocité blanche, Albin Michel, Paris, 2001. . Philip D. Curtin estime, dans The Atlantic Slave Trade : A Census (University of Wisconsin Press, Madison, 1969), à dix millions le nombre d’Africains déportés aux Amériques, ce que Walter Rodney conteste dans How Europe Underdeveloped Africa (Tanzania Publishing House, Dar es Salaam, 1972). En rejoignant Rodney sur la nécessité d’exhumer les sources arabes et portugaises du XVIe siècle, puis en croisant les données d’autres historiens comme Joseph Inikori et Catherine Coquery-Vidrovitch, qui reprirent chacun l’analyse des données de Curtin révisées par Ralph Austen et Paul Lovejoy, Louise Marie Diop-Maes distingue, dans Afrique noire : démographie, sol et histoire. Une analyse pluridisciplinaire et critique (Présence africaine, Paris, 1996), une traite déplaçant 15 à 16 millions d’Africains vers les
2
Amériques, une traite « septentrionale » en déplaçant 4,5 ou 5 millions et une traite « orientale » de proportion similaire, donnant ainsi un total compris entre 23,5 et 26 millions d’Africains déportés sur la période « longue » allant de 1450 à 1900. En considérant que, pour un Africain arrivé vivant en Amérique, un Africain est mort à chacune des di férentes étapes (résistance à la capture, transport jusqu’aux côtes, résistance à l’embarquement et décès lors de la traversée), et que les pertes ont déstructuré la pyramide des âges des sociétés africaines, des estimations considèrent que l’impact de l’intégralité des traites sur l’Afrique correspond à une perte démographique de 100 millions de personnes et que ce déficit a notamment favorisé la conquête coloniale par les Européens. Pour suivre l’actualité de ce débat, voir les travaux de compilation lancés par David ELTIS et David RICHARDSON, Extending the Frontiers. Essays on the New Transatlantic Slave Trade Database, Yale University Press, New Haven, 2008. . Aimé CÉSAIRE, Toussaint Louverture. La Révolution française et le problème colonial, Présence africaine, Paris, 1981. . C.L.R. JAMES, Les Jacobins noirs. Toussaint Louverture et la révolution de Saint-Domingue, Amsterdam, Paris, 2008. . David WALKER, David Walker’s Appeal to the Coloured Citizens of the World, Pennsylvania State University Press, University Park, 2000. . Oruno D. LARA, op. cit., p. 53-56. . Colin GRANT, Negro with a Hat, Vintage Books, Londres, 2008, p. 270. . Nemata BLYDEN, West Indians in West Africa, 1808-1880, University of Rochester Press, Rochester, 2000.
Notes du chapitre 2 (pages 29 à 46) . Manning MARABLE, Black Leadership, Columbia University Press, New York, 1998, p. 43. Voir aussi Wilson Jeremiah MOSES, The Golden Age of Black Nationalism, 18501925, Oxford University Press, New York, 1988. . Martin B. PASTERNAK, Rise Now and Fly to Arms. The Life of Henry Highland Garnet, Garland Publishing, Londres, 1995. . Richard J.M. BLACKETT, « Return to the motherland. Robert Campbell, a Jamaican in early colonial Lagos », Phylon, vol. 40, n° 4, 1979, p. 375-386. . Gregory RIGSBY, Alexander Crummell, Pioneer in Nineteenth-century Pan-African Thought, Greenwood, Londres, 1987. . Hollis R. LYNCH, Edward Wilmot Blyden, Pan-Negro Patriot, 1832-1912, Oxford University Press, Londres, 1967. Voir aussi Oruno D. LARA, op. cit., p. 134-163. . Hollis R. LYNCH, « The attitude of Edward W. Blyden to European imperialism in Africa », Journal of the Historical Society of Nigeria, vol. 3, n° 2, décembre 1965, p. 256.
3
. Eric FONER, Reconstruction, Harper & Row, Cambridge, 1988, p. 8. . W.E.B. DU BOIS, Black Reconstruction. An Essay Toward a History of the Part Which Black Folk Played in the Attempt to Reconstruct Democracy in America, 1860-1880, A. Saifer, Philadelphie, 1935. . Louis R. HARLAN, Booker T. Washington, Oxford University Press, New York, 1972, p. 212. Voir aussi l’autobiographie de Booker T. WASHINGTON, Up from Slavery. Ascension d’un esclave émancipé, Éditeurs libres, Bize-Minervois, 2008. . Jacqueline MOORE, Booker T. Washington, W.E.B. Du Bois, and the Struggle for Racial Upli t, Scholarly Resources, Wilmington, 2003. . Manning MARABLE, W.E.B. Du Bois, Black Radical Democrat, Twayne, Boston, 1986. . Ibid., p. 50-51. . Oruno D. LARA, op. cit., p. 164-183. . Anténor FIRMIN, op. cit. . Oruno D. LARA, op. cit., p. 184-198. . Bénito SYLVAIN, Du sort des indigènes dans les colonies d’exploitation, L. Boyer, Paris, 1901. Voir aussi OIF, Le Mouvement panafricaniste…, op. cit., p. 94-96. . Emmanuelle SIBEUD, « “Comment peut-on être noir ?” Le parcours d’un intellectuel haïtien à la fin du XIXe siècle », Cromohs, n° 10, 2005, p. 1-8. . Oruno D. LARA, op. cit., p. 219.
Notes du chapitre 3 (pages 47 à 62) . Cité in OIF, op. cit., p. 126. . J. Ayodele LANGLEY, Pan-Africanism and Nationalism in West Africa, 1900-1945. A Study in Ideology and Social Classes, Clarendon Press, Oxford, 1973, p. 14. . Oruno D. LARA, op. cit., p. 199-271. . Joachim GOMA-THETHET, Histoire des relations entre l’Afrique et sa diaspora, L’Harmattan, Paris, 2012, p. 33-36. . Christopher FYFE, Africanus Horton, 1835-1883. West African Scientist and Patriot, Gregg revivals, Aldershot, 1992. . J. Ayodele LANGLEY, op. cit., p. 110-111. . Eric WILLIAMS, Capitalisme et esclavage, Présence africaine, Paris, 1998. Voir aussi Denis BENN, The Caribbean. An Intellectual History, 1774-2003, Ian Randle Publishers, Kingston, 2004, p. 232-238. . Theophilus E.S. SCHOLES, The British Empire and Alliances, or Britain’s Duty to her Colonies, E. Stock, Londres, 1899. . Hakim ADI et Marika SHERWOOD, Pan-African History. Political Figures from Africa and the Diaspora since 1787, Routledge, Londres, 2003, p. 190-194. Voir aussi James
4
R. HOOKER, Henry Sylvester Williams, Imperial Pan-Africanist, R. Collings, Londres, 1975. . Oruno D. LARA, op. cit., p. 224-229. . Ibid., p. 232-235. . Manning MARABLE, Black Leadership, op. cit., p. 30. . James R. HOOKER, « The Pan-African Conference 1900 », Transition, n° 46, 1974, p. 20-24. . OIF, Le Mouvement panafricaniste…, op. cit., p. 73-80. . Cité in Oruno D. LARA, op. cit., p. 246-247. . James R. HOOKER, « The Pan-African Conference 1900 », loc. cit., p. 24. . Colin LEGUM, Pan-Africanism, Pall Mall, Londres, 1962, p. 31. . Christopher E. FORTH, « Booker T. Washington and the 1905 Niagara Movement Conference », The Journal of Negro History, vol. 72, n° 3-4, 1987, p. 45-56. Voir aussi Joachim GOMA-THETHET, op. cit., p. 55-57. . Patricia SULLIVAN, Li t Every Voice. The NAACP and the Making of the Civil Rights Movement, The New Press, New York, 2009. . Manning MARABLE, W.E.B. Du Bois, Black Radical Democrat, op. cit., p. 97. . Paul B. RICH, Prospero’s Return ?, Hansib, Londres, 1994, p. 67-84. . J. Ayodele LANGLEY, op. cit., p. 32. . OIF, Le Mouvement panafricaniste…, op. cit., p. 81-85.
Notes du chapitre 4 (pages 63 à 76) . W.E.B. DU BOIS, The World and Africa, International Publishers, New York, 2003, p. 1-15. . Clarence G. CONTEE, « Du Bois, the NAACP, and the Pan-African Congress of 1919 », Journal of Negro History, vol. 57, n° 1, janvier 1972, p. 17. . Manning MARABLE, W.E.B. Du Bois, Black Radical Democrat, op. cit., p. 108. . Benjamin G. BRAWLEY, Africa and the War, Du field & Co., New York, 1918. . Clarence G. CONTEE, loc. cit., p. 18. . Joachim GOMA-THETHET, op. cit., p. 58-61. . Clarence G. CONTEE, loc. cit., p. 20. . Ibid., p. 28. . Joachim GOMA-THETHET, op. cit., p. 61-65. . W.E.B. DU BOIS, The World and Africa, op. cit., p. 236-240. . Didier MUMENGI, Panda Farnana, premier universitaire congolais (1888-1930), L’Harmattan, Paris, 2005.
5
. Rayford W. LOGAN, « The historical aspects of pan-Africanism. A personal chronicle », African Forum, n° 1, 1965, p. 95. . Joachim GOMA-THETHET, op. cit., p. 65. . W.E.B. DU BOIS, The World and Africa, op. cit., p. 242-243. . Sur l’internationalisme noir et le féminisme, voir Brent H. EDWARDS, The Practice of Diaspora. Literature, Translation and the Rise of Black Internationalism, Harvard University Press, Cambridge, 2003, p. 119-186. . Joachim GOMA-THETHET, op. cit., p. 65-66.
Notes du chapitre 5 (pages 77 à 90) . Hazzell BENNETT et Philip SHERLOCK, The Story of Jamaican People, Ian Randle, Kingston, 1998. . Marvis C. CAMPBELL, The Marroons of Jamaica, 1655-1796, Bergin and Garvey, Grancy, 1988. . Hazzell BENNETT et Philip SHERLOCK, op. cit., p. 93, p. 126-133. . Colin GRANT, op. cit., p. 197-198. . Ibid., p. 46. . Hakim ADI et Marika SHERWOOD, op. cit., p. 1-6. . Thomas SOWELL, L’Amérique des ethnies, L’Âge d’Homme, Lausanne, 1983, p. 198200. . Carter G. WOODSON, The Mis-Education of the Negro, AMS press, New York, 1977. . Sur « les sources et les contours de l’éthiopianisme », voir Giulia BONACCI, Exodus ! L’histoire du retour des Rastafariens en Éthiopie, Scali, Paris, 2007, p. 95-151. . Colin GRANT, op. cit., p. 53. . OIF, Le Mouvement panafricaniste…, op. cit., p. 99-107. . Robert HILL, The Marcus Garvey and UNIA Papers, University of California Press, Berkeley-Los Angeles, 1983. . Colin GRANT, op. cit., p. 244 et suiv. . Ibid., p. 390-393. . Ibid., p. 410-412. . George SHEPPERSON, « Pan-Africanism and “Pan-Africanism” : Some historical notes », Phylon, vol. 23, n° 4, 1962, p. 346-358. . Colin LEGUM, op. cit., p. 24. . J. Ayodele LANGLEY, op. cit., p. 369. . Ali MAZRUI, Towards a Pax Africana : A Study of Ideology and Ambition, Weidenfeld & Nicolson, Londres, 1967, p. 62. . Colin LEGUM, op. cit., p. 34-36.
6
. Maboula SOUMAHORO, « La couleur de Dieu ? Regards croisés sur la Nation d’Islam et le Rastafarisme, 1930-1950 », thèse de doctorat, université de Tours, 30 juin 2008. . W.E.B. DU BOIS, On Asia. Crossing the World Color Line, University Press of Mississippi, Jackson, 2005.
Notes du chapitre 6 (pages 91 à 100) . Colin GRANT, op. cit., p. 272. . Monday B. AKPAN, « Liberia and the Universal Negro Improvement Association. The background to the abortion of Garvey’s scheme for African colonization », The Journal of African History, vol. 14, n° 1, 1973, p. 105-127. . Ibid., p. 119. . J. Ayodele LANGLEY, op. cit., p. 96. . Monday B. AKPAN, loc. cit., p. 123. . Joachim GOMA-THETHET, op. cit., p. 75-76. . Rina L. OKONKWO, « The Garvey Movement in British West Africa », Journal of African History, vol. 21, n° 1, 1980, p. 105-117. . Ibid., p. 109. . Cité in J. Ayodele LANGLEY, op. cit., p. 100. . W.E.B. DU BOIS, The World and Africa, op. cit., p. 38-39, p. 161-162. . Cité in James C. BOYD, Garvey, Garveyism, and the Antinomies in Black Redemption, Africa World Press, Trenton, N.J., 2009, p. 241.
7
Notes du chapitre 7 (pages 101 à 112) . Yekutiel GERSHONI, « Common goals, di ferent ways. The UNIA and The NCBWA in West Africa – 1920-1930 », Journal of Third World Studies, vol. 18, part. 2, 2001, p. 171-186. . Rina L. OKONKWO, loc. cit., p. 109-110. . Toyin FALOLA, Nationalism and African Intellectuals, University of Rochester Press, Rochester, 2001. . Lawrence H. OFOSU-APPIAH, Joseph Ephraim Casely Hayford. The Man of Vision and Faith, Academy of Arts and Sciences, Accra, 1975. . W.E.B. DU BOIS, The World and Africa, op. cit., p. 232-235. . J. Ayodele LANGLEY, op. cit., p. 147-149, p. 161. . Ibid., p. 264. . Ibid., p. 284-285.
8
Notes du chapitre 8 (pages 113 à 123) . Romuald FONKOUA, Aimé Césaire, Perrin, Paris, 2010, p. 56-62. . Pap NDIAYE, La Condition noire, Gallimard, Paris, 2009. . Pascal BLANCHARD, Gilles BOËTSCH et Nanette J. SNOEP, Exhibitions. L’invention du sauvage, Musée du Quai Branly-Actes Sud, Paris, 2011. . Raoul GIRARDET, L’Idée coloniale en France, de 1871 à 1962, Hachette Littératures, Paris, 2005, p. 175-199. . Lilyan KESTELOOT, Négritude et situation coloniale, Alfabarre, Paris, 1988. . Romuald FONKOUA, op. cit., p. 54. . Claude LIAUZU, Aux origines des tiers-mondismes, L’Harmattan, Paris, 1982. . J. Ayodele LANGLEY, « Pan-Africanism in Paris, 1924-36 », Journal of Modern African Studies, vol. 7, n° 1, 1969, p. 69-94. Voir aussi Philippe DEWITTE, Les Mouvements nègres en France, 1919-1939, L’Harmattan, Paris, 1985. . Charles MANGIN, La Force noire, L’Harmattan, Paris, 2011. . Brent H. EDWARDS, op. cit., p. 98-104. . Émile Derlin ZINSOU et Luc ZOUMENOU, Kojo Tovalou Houénou, Maisonneuve et Larose, Paris, 2004, p. 74. . J. Ayodele LANGLEY, Pan-Africanism and Nationalism in West Africa, op. cit., p. 294. . Guy Landry HAZOUMÉ, La Vie et l’œuvre de Louis Hunkanrin, Librairie Renaissance, Cotonou, 1977. . J. Ayodele LANGLEY, op. cit., p. 298. . OIF, Le Mouvement panafricaniste…, op. cit., p. 127. . J. Ayodele LANGLEY, « Pan-Africanism in Paris, 1924-36 », loc. cit., p. 77-78. . Vijay PRASHAD, Les Nations obscures. Une histoire populaire du tiers monde, Écosociété, Montréal, 2009, p. 30-47. . J. Ayodele LANGLEY, Pan-Africanism and Nationalism in West Africa, op. cit., p. 305. . Sur Padmore et Kouyaté, voir Brent H. EDWARDS, The Practice of Diaspora, op. cit., p. 241-305. Voir aussi Minkah MAKALANI, In the Cause of Freedom, University of North Carolina Press, Chapel Hill, 2011, p. 165-224.
9
Notes du chapitre 9 (pages 124 à 139) . James R. HOOKER, Black Revolutionary. George Padmore’s Path from Communism to Pan-Africanism, Pall Mall Press, Londres, 1967. . Hakim ADI et Marika SHERWOOD, op. cit., p. 152-158. . James R. HOOKER, op. cit., p. 16. . Ibid., p. 39-57.
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Notes du chapitre 10 (pages 143 à 156) . Sur la vie de Nkrumah, voir Basil DAVIDSON, Black Star. A View of the Life and Times of Kwame Nkrumah, James Currey, Oxford, 2007. Voir aussi Kwame NKRUMAH, Autobiographie de Kwame Nkrumah, Présence africaine, Paris, 2009.
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Notes du chapitre 11 (pages 157 à 167) . Kwame NKRUMAH, I Speak of Freedom, op. cit., p. 206-210, p. 232-244. . Basil DAVIDSON, op. cit., p. 178-180. . Samuel G. IKOKU, Le Ghana de Nkrumah, F. Maspero, Paris, 1971. . Marika SHERWOOD, « Pan-African Conferences, 1900-1953… », loc. cit., p. 115-116. . J. Ayodele LANGLEY, Pan-Africanism and Nationalism in West Africa, op. cit., p. 368. . Lansiné KABA, Kwame Nkrumah et le rêve de l’unité africaine, Chaka, Paris, 1991. . OIF, Le Mouvement panafricaniste…, op. cit., p. 265-277. . Ibid., p. 279-280. . Kwame NKRUMAH, I Speak of Freedom, op. cit., p. 186-191. . Lansiné KABA, op. cit., p. 114. . Kwame NKRUMAH, I Speak of Freedom, op. cit., p. 135-150. . Kevin K. GAINES, African Americans in Ghana. Black Expatriates and the Civil Rights Era, University of North Carolina Press, Chapel Hill, 2006. . W.E.B. DU BOIS, The World and Africa, op. cit., p. 292-304, p. 334-338. . Kwame NKRUMAH, L’Afrique doit s’unir, op. cit., p. 100.
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. Ibid., p. 138. . Ibid., p. 202.
Notes du chapitre 12 (pages 168 à 181) . Hakim ADI et Marika SHERWOOD, Pan-African History, op. cit., p. 174-176. . OIF, Le Mouvement panafricaniste…, op. cit., p. 131-137. Voir aussi Gabriel O. OLUSANYA, The West African Student’s Union and the politics of decolonisation, 19251958, Daystar Press, Ibadan, 1982. . Joseph E. HARRIS, Africans and their History, Plume, New York, 1998, p. 238. . Paul B. RICH, op. cit., p. 138-144. . J. Ayodele LANGLEY, Pan-Africanism and Nationalism in West Africa, op. cit., p. 352. . Toyin FALOLA, op. cit., p. 181-222. . Basil DAVIDSON, op. cit., p. 160-163. . Amady Ali DIENG, Les Premiers Pas de la FEANF, 1950-1955, L’Harmattan, Paris, 2003. . Charles DIANÉ, Les Grandes Heures de la FEANF, Chaka, Paris, 1990, p. 133-140. . Cité in OIF, Le Mouvement panafricaniste…, op. cit., p. 311. . Joseph KI-ZERBO, À quand l’Afrique ? : entretien avec René Holenstein, L’Atelier, Ivrysur-Seine, 2013. . Majhemout DIOP, Mémoires de luttes. Textes pour servir à l’histoire du Parti africain de l’indépendance, Présence africaine, Paris, 2007. . « Le 1er Congrès international des écrivains et artistes noirs. Paris, Sorbonne, 1922 septembre 1956. Compte-rendu complet », Présence africaine, Paris, n° 8-10, 1956. . Jean-Marc ELA, Cheikh Anta Diop ou l’honneur de penser, L’Harmattan, Paris, 1989. . Joachim GOMA-THETHET, op. cit., p. 85-92. . RASSEMBLEMENT NATIONAL DÉMOCRATIQUE, Le Combat politique de Cheikh Anta Diop, Imprimerie du Midi, Dakar, 1999.
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Notes du chapitre 13 (pages 182 à 193) . Pierre KIPRÉ, Le Congrès de Bamako ou la naissance du RDA en 1946, Chaka, Paris, 1989. Voir aussi OIF, Le Mouvement panafricaniste…, op. cit., p. 211-216. . Elikia M’BOKOLO, Afrique noire. Histoire et civilisations, du XIXe siècle à nos jours, Hatier, Paris, 2004, p. 475. . Cité in Jean-François BILLON, « Senghor fédéraliste, de la négritude à la civilisation de l’universel », < http://mondesfrancophones.com >, 3 août 2010. . Cité in Antoine GLASER et Stephen SMITH, Comment la France a perdu l’Afrique, Calmann-Lévy, Paris, 2005, p. 45.
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Notes du chapitre 14 (pages 194 à 203) . J. Ayodele LANGLEY, Pan-Africanism and Nationalism in West Africa, op. cit., p. 323. . Vijay PRASHAD, op. cit., p. 71-84. . Samy GHORBA, « La conférence de Tanger, un rêve maghrébin », Jeune Afrique, 23 avril 2007. . François MASPERO, « Note de l’éditeur », Pour la révolution africaine, in Œuvres, op. cit., p. 687. . Frantz FANON, « Lettre à la jeunesse africaine », Pour la révolution africaine, in Œuvres, op. cit., p. 804. . Ibid., p. 804. . Frantz FANON, « Cette Afrique à venir », Pour la révolution africaine, in Œuvres, op. cit., p. 864. . Frantz FANON, Les Damnés de la terre, in Œuvres, op. cit., p. 611-612 et « Cette Afrique à venir », Pour la révolution africaine, in Œuvres, op. cit., p. 820. . Frantz FANON, Les Damnés de la terre, in Œuvres, op. cit., p. 611. . Frantz FANON, « Cette Afrique à venir », Pour la révolution africaine, in Œuvres, op. cit., p. 862. . Jean-Paul SARTRE, « Préface », Les Damnés de la terre, in Œuvres, op. cit., p. 436. . Frantz FANON, Les Damnés de la terre, in Œuvres, op. cit., p. 479. . Ibid., p. 496. . Frantz FANON, « Cette Afrique à venir », Pour la révolution africaine, in Œuvres, op. cit., p. 867. . Ibid., p. 868.
15
. Ibid., p. 868-869.
Notes du chapitre 15 (pages 204 à 213) . Cité in Jean OMASOMBO et Benoît VERHAEGEN, Patrice Lumumba, acteur politique. De la prison aux portes du pouvoir, juillet 1956-février 1960, L’Harmattan, Paris, 2005, p. 67. . Abdulrahman BABU, The Future that Works, Africa World Press, Trenton, N.J., 2002, p. 63-64. . Kwame NKRUMAH, I Speak of Freedom, op. cit., p. 245-257. . Patrice LUMUMBA, Patrice Lumumba : recueil de textes, CETIM, Genève, 2013, p. 44-49. . Jacques DEPELCHIN, Silences in African History, Mkuki na Nyota publications, Dar es Salaam, 2005, p. 85-88. . Cité in André LEWIN, Ahmed Sékou Touré (1922-1984), tome 4, L’Harmattan, Paris, 2009, p. 135. . OIF, Le Mouvement panafricaniste…, op. cit., p. 325-331. . Cité in Rachel-Albert KISONGO MAZAKALA, L’Idéologie du lumumbisme, L’Harmattan, Paris, p. 130. . Cité in André LEWIN, Ahmed Sékou Touré (1922-1984), op. cit., p. 136. . Frantz FANON, « La mort de Lumumba : pouvions-nous faire autrement ? », Pour la révolution africaine, in Œuvres, op. cit., p. 876. . Ibid., p. 873-874.
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Notes du chapitre 16 (pages 214 à 225) . Charles R. AGERON, « Les États africains de la Communauté et la guerre d’Algérie (1958-1960) », in Charles R. AGERON et Marc MICHEL, op. cit., p. 269-311. Voir dans le même volume la contribution de Guy PERVILLÉ, « Le panafricanisme du FLN algérien », p. 559-574. . Colin LEGUM, Pan-Africanism, op. cit., p. 50-52. . Ibid., p. 57. . Ibid., p. 52. . Michel KOUNOU, op. cit., p. 217. . Pour un compte rendu détaillé de la conférence d’Addis-Abeba, notamment du point de vue des organisateurs éthiopiens, voir l’article de Delphine LECOUTRE, « L’Éthiopie et la création de l’OUA », Annales d’Éthiopie, vol. 20, 2004, p. 113-147. Voir aussi OIF, Le Mouvement panafricaniste…, op. cit., p. 361-388. . Kwame NKRUMAH, L’Afrique doit s’unir, op. cit., p. 159.
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. Toyin FALOLA, Key Events in African History, Greenwood Press, Westport, 2002, p. 239-245. . Yves BÉNOT, Idéologies des indépendances africaines, F. Maspero, Paris, 1969, p. 157. . Lansiné KABA, op. cit., p. 182. . Claude WAUTHIER, « Jacques Foccart et les mauvais conseils de Félix HouphouëtBoigny », Les Cahiers du Centre de recherches historiques, n° 30, 2002. Voir aussi le documentaire de Joël CALMETTES, Histoires secrètes du Biafra, France 3, 2001.
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Notes du chapitre 18 (pages 238 à 247) . Patrick CHABAL, Amílcar Cabral, Hurst & Company, Londres, 2002, p. 50. . Amady A. DIENG, Hegel, Marx, Engels et les problèmes de l’Afrique noire, Nubia, Paris, 1978, p. 138. . Amílcar CABRAL, Unité et lutte, F. Maspero, Paris, 1980, p. 18. . Oscar O. ORAMAS, Amílcar Cabral. Un précurseur de l’indépendance africaine, Indigo, Paris, 1998, p. 57. . Gérard CHALIAND, Guérillas, Hachette, Paris, 2008, p. 317-320. . Basil DAVIDSON, L’Angola au cœur des tempêtes, F. Maspero, Paris, 1972. . Abou HAYDARA, L’In luence des guerres de libération sur la révolution des Œillets, L’Harmattan, Paris, 2012. . Armelle ENDERS, Histoire de l’Afrique lusophone, Chandeigne, Paris, 1994, p. 125.
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. David AUSTIN, Small Axe, vol. 5, n° 2, septembre 2001. Voir aussi Walter RODNEY, The Groundings with my Brothers, Bogle Louvertures Publications, Londres, 1969. . Ralph GONSALVES, « The Rodney A fair and its a termath », Caribbean Quarterly, vol. 25, n° 3, septembre 1979, p. 1-24. . Hakim ADI et Marika SHERWOOD, Pan-African History, op. cit., p. 185-189. Voir aussi Ronald W. WALTERS, op. cit., p. 303. . Sur le nationalisme et le Black Power dans la Caraïbe, voir Dennis BENN, op. cit., p. 65-102 et p. 231-263. . Marcus BRUCE et Michael TABER, Maurice Bishop Speaks. The Grenada Revolution and its Overthrow, 1979-1983, Pathfinder, New York, 1983. . Manning MARABLE, African and Caribbean Politics. From Kwame Nkrumah to the Grenada Revolution, Verso, Londres, 1987, p. 197-272. . Horace G. CAMPBELL, Pan-Africanism. The Struggle Against Imperialism and NeoColonialism : Documents of the Sixth Pan-African Congress, Afro-Carib Publications, Toronto, 1975, p. 59-70. . C.L.R. JAMES, Nkrumah and the Ghana Revolution, Allison and Busby, Londres, 1977. . Walter RODNEY, « Towards the sixth Pan-African Congress. Aspects of the international class struggle in Africa, the Caribbean and America », in Horace G. CAMPBELL, Pan-Africanism, op. cit., p. 18-41. . Abdias DO NASCIMENTO, Brazil : Mixture or Massacre ?, The Majority Press, Dover, 1989, p. 11-13. . Abdias DO NASCIMENTO, « Quilombismo. An Afro-Brazilian political alternative », Journal of Black Studies, vol. 11, n° 2, Déc. 1980, p. 151. . Luiz Fernando DO ROSÁRIO LINHARES, « Kilombos of Brazil : Identity and land entitlement », Journal of Black Studies, vol. 34, n° 6, juillet 2004, p. 817-837. . Abdias DO NASCIMENTO, Brazil. Mixture or Massacre ?, op. cit., p. 23-55. . Camille FORITE, Chávez et l’Afrique : dix ans de politique extérieure vénézuélienne, IHEAL, Paris, 2014.
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Notes du chapitre 22 (pages 294 à 306) . Andrew M. KAMARCK, The Economics of Development, Pall Mall, Londres, 1967, p. 209. . Saïd BOUAMAMA, op. cit., p. 275-292. . Osende AFANA, L’Économie de l’Ouest africain. Perspectives de développement, F. Maspero, Paris, 1977. . Thomas SANKARA, Nous sommes les héritiers des révolutions du monde, Pathfinder Press, New York, 2008, p. 29-58. . Toyin FALOLA, Key Events in African History, op. cit., p. 305-311. . Thomas SANKARA, op. cit., p. 87-93. . Frantz FANON, Les Damnés de la terre, in Œuvres, op. cit., p. 582. . Déclaration d’Arusha, cité in Gilbert RIST, op. cit., p. 208. . Thomas SANKARA, op. cit., p. 61-84. . Cité in Bruno JAFFRÉ, Biographie de Thomas Sankara. La patrie ou la mort…, L’Harmattan, coll. « Études africaines », Paris, 2007, p. 175. . David GAKUNZI, « “Oser inventer l’avenir” : la parole de Sankara », L’Harmattan, Paris, 1991, p. 15. . Cité in ibid., p. 78. . Cité in ibid., p. 79. . « Interview de Thomas Sankara réalisée par Mongo Beti », < http://thomassankara.net >, 3 novembre 1985. . Ibid. . « Interview de Thomas Sankara », Soir 3, France Régions 3, 6 février 1986. . Thomas SANKARA, Thomas Sankara parle, Pathfinder, New York, 2007, p. 348. . « Suite et fin du voyage de François Mitterrand en Afrique », Midi 2, Antenne 2, 18 novembre 1986. . Philippe NOUDJENOUME, La Démocratie au Bénin, 1988-1993 : bilan et perspectives, L’Harmattan, Paris, 1999. . Cité in David GAKUNZI, op. cit., p. 217.
23
Notes du chapitre 23 (pages 307 à 319) . John ILIFFE, Les Africains. Histoire d’un continent, Flammarion, Paris, 2002, p. 385404. . Nelson MANDELA, Un long chemin vers la liberté, Fayard, Paris, 2013, p. 347. . Ibid., p. 355. . Cité in OIF, Le Mouvement panafricaniste…, op. cit., p. 341. . Nelson MANDELA, op. cit., p. 370. . Clyde R.D. HALISI, Black Political Thought in the Making of South African Democracy, Indiana University Press, Bloomington, 1999, p. 100. . Ibid., p. 106. . Ibid., p. 121. . N. Barney PITYANA, Bounds of Possibility. The Legacy of Steve Biko and Black Consciousness, Zed Books, Londres, 1992. . Ronald W. WALTERS, Panafricanism, op. cit., p. 256. . Cité in Augusta CONCHIGLIA, « Steve Biko, la conscience noire », Le Monde diplomatique, 11 septembre 2007. . Nelson MANDELA, Un long chemin vers la liberté, op. cit., p. 671. . Ibid., p. 703. . Ibid., p. 647. . Ibid., p. 750-751.
24
Notes du chapitre 24 (pages 320 à 334) . Tajudeen ABDUL-RAHEEM (dir.), Pan-Africanism. Politics, Economy, and Social Change in the Twenty-First Century, Pluto, Londres, 1996. . Ali MAZRUI, « Pan-Africanism. From poetry to power », Issue : a Journal of Opinion, vol. 23, n° 1, hiver-printemps 1995, p. 35-38. . Issa SHIVJI, Pan-Africanism or Pragmatism, Mkuki na Nyota Publishers, Dar es Salaam, 2008. . Cité in Ian TAYLOR et Roland MARCHAL, « La politique sud-africaine et le Nepad. Contradictions et compromis », Politique africaine, n° 91, octobre 2003 (disponible sur < www.cairn.info >). . Moussa TCHANGARI, « Une version africaine du néolibéralisme », < www.alternativeniger.org >, 24 novembre 2005. . OIF, Le Mouvement panafricaniste au XXe siècle, op. cit., p. 557-582. . Ian TAYLOR et Roland MARCHAL, loc. cit.
25
. Saïd HADDAD, « Anciens et nouveaux parias. Des usages des migrations et du transit dans la politique libyenne », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, n° 119-120, novembre 2007. . Fulbert S. ATTISSO, De l’unité africaine de Nkrumah à l’Union africaine de Khadafi, L’Harmattan, Paris, 2008. . OIF, Le Mouvement panafricaniste…, op. cit., p. 545-556. . Horace G. CAMPBELL, Global NATO and the Catastrophic Failure in Libya. Lessons for Africa in the forging of African Unity, Monthly Review Press, New York, 2013. . Rapport de la Délégation aux a faires stratégiques, Horizons stratégiques, « Approches régionales », Paris, Ministère de la Défense, 2012, p. 212 (disponible sur < www.defense.gouv.fr >). . Tajudeen ABDUL-RAHEEM, La Vérité aux puissants, Pambazuka Press, Dakar, 2011.
Notes de l’épilogue (pages 335 à 337) . « Repenser les indépendances », Présence africaine, n° 185-186, Paris, 2012. . Amílcar CABRAL, Revolution in Guinea : An African People’s Struggle, Stage 1, Londres, 1974, p. 72. . Tsisti Ella JAJI, Africa in Stereo. Modernism, Music, and Pan-African Solidarity, op. cit., p. 229-237. . Cité in OIF, Le Mouvement panafricaniste…, op. cit., p. 373. . « Le 1er Congrès international des écrivains et artistes noirs. Paris, Sorbonne, 1922 septembre 1956. Compte-rendu complet », Présence africaine, n° 8-10, 1956.
Plan Notes de l’introduction (pages5 à 14) Notes du chapitre 1 (pages 17 à 28) Notes du chapitre 2 (pages 29 à 46) Notes du chapitre 3 (pages 47 à 62)
26
Remerciements
Dans Africa Unite ! (2017), page 363
Chapitre
J
e souhaite remercier ici les professeurs Horace
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Campbell (Syracuse University), Elikia M’Bokolo (EHESS), Bob White, Mamoudou Gazibo et le Groupe interuni-versitaire d’études et de recherches sur les sociétés africaines (GIERSA), Honorat Aguessy et l’Institut de développement et d’échanges endogènes (IDEE), Pierre Eboundit, Diogène Henda Senny, Obambe Gakosso et la Ligue Panafricaine-Umoja (LP-U), Aziz Salmone Fall, Mouloud Idir, Mélanie Lamonde et le Groupe de recherches et d’initiatives pour la libération de l’Afrique (GRILA), Lazare KiZerbo, Ki lé Selassié Beseat et le Comité inter-national Joseph Ki-Zerbo (CIJK), Frédéric Tyrode, Bruno Maillard et les Révoltés de l’Histoire (PROTEA), Edwige Gbaguidi pour Expressions d’Afrique (EXAF), Thomas Deltombe et Jacob Tatsitsa, Giulia Bonacci, Maboula Soumahoro, les camarades de Cotonou, Paris, Londres, Montréal, Jérusalem, Kinshasa, Yaoundé, Chi-cago, New York, Atlanta, Port-au-Prince, Cartagena, Kingston, Fort-de-France, Addis-Abeba, Saint-Denis de La Réunion…
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Non, ce livre n’est pas l’aboutissement de plusieurs années d’études, mais une étape dans une recherche qui o fre encore tant d’histoires à découvrir et à raconter. Ce seul livre ne pourra donc su fire à répondre à toutes les attentes, et les imperfections, erreurs et maladresses qui subsisteraient dans ce texte n’engagent que ma seule responsabilité.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 18/05/2019